Biodiversité : extinction massive

«La biodiversité, ce n’est pas une affaire d’écolos farfelus»

Par Coralie Schaub — 

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. Christophe Beaudufe. AFP

 

Pour le biologiste Gilles Bœuf, la préservation des écosystèmes doit être le souci de tous.

 

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     «La biodiversité, ce n’est pas une affaire d’écolos farfelus»

Ex-président du Muséum national d’histoire naturelle, le biologiste Gilles Bœuf enseigne à l’université Pierre-et-Marie-Curie à Paris et préside le conseil scientifique de l’Agence française pour la biodiversité (AFB).

Qu’est-ce qu’une crise d’extinction de masse ?

C’est la disparition d’au moins les trois quarts des espèces marines et continentales sur un temps court, soit entre un demi-million d’années et quelques millions. Depuis 700 millions d’années, environ soixante grandes crises se sont produites, dont cinq massives. La plus violente a été la troisième, il y a 251 millions d’années : 96 % des espèces ont disparu, c’est la fin par exemple des trilobites dans l’océan. Et la cinquième, c’est celle qui a fait disparaître les dinosaures, il y a 65,5 millions d’années.

Nous vivons donc la sixième, à un rythme ahurissant ?

Dans un article paru dans Nature en 2011, des écologues se sont demandé si nous ne vivons pas la sixième grande crise d’extinction. L’étude parue lundi dans PNAS confirme que nous sommes sur cette voie. Les activités humaines sont en train de mimer une crise massive. Ce ne sont pas encore les espèces qui disparaissent en tant que telles, mais leurs populations qui s’effondrent. Le terme «extinction» veut dire que le dernier spécimen a disparu. Or par exemple pour la faune marine, on ne connaît que vingt espèces vraiment disparues en quatre siècles, sur plus de 20 millions. L’extinction n’est donc pas le bon critère. Le bon critère, c’est de montrer que si on continue comme ça, on va tout faire disparaître : on fait disparaître les populations d’animaux, un prélude à l’extinction des espèces. Cette étude, comme celle du WWF en octobre 2016, montre que plus de 50 % des populations de vertébrés ont disparu en quarante ans. Ce qui est effroyable, c’est cela : quarante ans, ce n’est rien dans l’histoire de la Terre ! En 2011, l’article de Naturecalculait que nous ferions tout disparaître endeux cents ans.

Une chose frappe : les espèces communes s’effondrent…

Si on détruit les écosystèmes, les espèces communes s’en vont aussi, autant que les espèces rares. Ces dernières ne disparaissent pas toujours en premier. Le pigeon migrateur américain était extrêmement abondant aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle, il a été sauvé in extremis, il ne reste que quelques individus. Il y a deux choses dans l’article de PNAS : le nombre d’individus s’effondre, et les zones de répartition sont de plus en plus réduites. C’est le cas du guépard, qui était africain et asiatique. Il n’y en a plus en Inde et le seul qui reste est le guépard d’Iran : avec moins de 80 individus, il est en train de disparaître. Il y a extinction de populations de guépards, pas encore de l’espèce guépard tout entière. En France, c’est dramatique pour le hérisson ou les grenouilles…

Il s’agit d’une énième alerte…

Oui. On s’apitoie quelques heures, quelques jours. Et puis on ne fait rien. On nous parle sans cesse de résilience, on nous dit qu’il faut que les écosystèmes agressés comme les humains agressés soient capables de revenir à un état d’équilibre. Mais on ne peut pas être résilient si on a disparu ! Il faut donc tout faire pour que le vivant ne disparaisse pas. Surtout, il faut qu’on s’adapte à tous ces changements. Aucune espèce vivante n’a pu s’adapter sans changer. Or, on ne change pas ! Il faut vraiment qu’on réagisse.

Que devrions-nous faire ?

D’abord, arrêter de détruire les écosystèmes. Avant de construire un bâtiment, une voie ferrée, une autoroute, il faut s’interroger sur sa nécessité. L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, par exemple, on n’en a pas besoin. Si une construction est indispensable, il faut réduire au maximum ses impacts sur l’environnement. On artificialise l’équivalent d’un département français tous les sept ans, souvent des bonnes terres agricoles, il n’est pas possible de continuer comme ça. La seconde chose, c’est arrêter de polluer, notamment avec l’agriculture intensive. On peut très bien se passer de pesticides. Des oiseaux en Arctique qui n’ont jamais vu d’humains en sont bourrés. Troisième chose : arrêter de surexploiter, de surpêcher, de surchasser. Il y avait 2 000 rhinocéros en Zambie il y a vingt ans. Aujourd’hui, zéro. Il faut aussi cesser de disséminer des espèces invasives partout, comme l’ambroisie qui vient d’Amérique du Sud et provoque des crises d’asthme. Enfin, il faut lutter contre le changement climatique, qui s’ajoute à tout cela et a des effets délétères sur les écosystèmes et le vivant. Parler de la crise climatique, c’est bien, mais il ne faut pas oublier celle de la biodiversité : c’est aussi inquiétant, sinon plus.

L’étude de lundi parle aussi de la surpopulation humaine…

Bien sûr, c’est le dada de Paul Ehrlich [l’un des auteurs, ndlr]. Il a écrit en 1968 un livre, la bombe P, qui l’avait mis au ban de toutes les religions. Cela évolue, le pape François l’a reçu. Mais le sujet reste tabou. Le seul pays ayant légiféré est la Chine.

Des espoirs ?

Il y a des zones où on a pris la situation à bras-le-corps. S’il n’y avait pas eu les ONG, les lémuriens auraient déjà disparu à Madagascar. Mais cela reste très fragile. J’espère que le grand public prendra en considération le fait que la biodiversité, ce n’est pas une affaire d’écolos farfelus qui veulent sauver un papillon à points bleus, c’est l’affaire de tous. Il faut comprendre que si cette biodiversité s’en va, l’économie mondiale ne tournera pas du tout de la même façon. On ne mange que du vivant et on ne coopère qu’avec du vivant. Si la biodiversité s’en va, on s’en va nous aussi, puisqu’on en fait partie. Il faut y aller tous ensemble, ce n’est pas qu’un truc d’écolos. Je ne crois pas trop au politique, le temps politique n’est pas du tout celui de la nature.

Surtout qu’il y a l’influence des lobbys…

Ils sont totalement irresponsables, dans le court-termisme. Ces gens freinent alors qu’ils savent qu’ils ont déjà perdu. Demain, les pesticides seront interdits, c’est évident. Il faut dès aujourd’hui chercher des alternatives. Or les lobbys sont là pour permettre à quelques-uns de continuer à se remplir les poches. Et certains croient que la technologie va nous sauver, disent «il n’y a plus d’abeilles, ce n’est pas grave on fera des drones». C’est à pleurer de bêtise ! Le drame, c’est qu’on ne pense qu’à quelques-uns, à quelques très riches. Plus on sera là-dedans, plus on créera des Boko Haram et des Daech. Car le reste du monde ne se laissera pas faire. Il faut penser un développement harmonieux de l’humanité tout entière, une conscience humanitaire planétaire, comme dit Edgar Morin. Nous n’y sommes pas du tout.

Coralie Schaub

 

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