L'Architecture

NOIRCEUR DES CIMES

Extrait.

 

 

"Il s’agissait d’un message. Il n’a pas d’autres explications. Quelqu’un l’a prévenu des risques à rester dans ce trou de neige. Quelqu’un lui a parlé de la vie qu’il faut sauver. Ce n’était pas qu’un rêve.

Mais il ne comprend pas.

Son propre esprit a-t-il la capacité à créer de telles images ? Dans l’état où il se trouve, une part secrète de son cerveau peut-elle se révéler ? Il ne parvient pas à y croire.

Dieu s’impose une nouvelle fois. Qui d’autre ?

Il reconnaît succomber trop facilement à la tentation de cette solution. Mais elle est si étrange et simultanément si apaisante. Puis lui revient à l’esprit qu’il avait lui-même provoqué la fin de son dernier voyage hors de son corps en évoquant une possible rencontre avec Dieu, une question murmurée.

Il se souvient de la douleur.   

Il s’agissait d’une erreur, d’une mauvaise interprétation et le contact avait été rompu.

Le nom de Dieu avait déplu.

Il admet d’ailleurs qu’il ne voit pas cette présence comme l’apparition d’un Etre divin mais plutôt comme une compréhension sublime. Personne ne s’est présenté à lui, c’est lui qui a enfin reconnu son appartenance. Tout était déjà là mais sans qu’il ne l’aie jamais éprouvé. Pas de Grand Architecte mais une fabuleuse Architecture à laquelle il participe. Il regrette sa méconnaissance des religions et son enfermement dans les préceptes de son enfance. Il sait désormais que la religion catholique ne répond pas à ses interrogations. Ni aucune religion monothéiste. Musulmans, Juifs, Chrétiens, il n’appartient à aucun groupe. Il ne peut plus accepter l’idée d’un Dieu créateur, observateur critique et impitoyable de son œuvre. Il ne conçoit même pas que ce qui lui arrive puisse avoir un rapport avec une quelconque religion. Il cherche un autre mot, un autre qualificatif permettant de cerner la démarche puis il abandonne.

« Ca ne sert à rien », dit-il à voix haute.

Il sent que ça ne serait qu’une nouvelle tentative de domination, une intellectualisation outrancière. Et que ça ne correspondrait pas au bonheur qu’il a connu, que ça le salirait. Les religions monothéistes ont perdu la saveur du message dans des rituels adorés, des cultes néfastes, des cérémonies trompeuses et bavardes. Il ne veut pas commettre la même erreur. L’intellectualisation du mystère est un poison pervers. Il laisse croire aux récitants d’ouvrages que la porte est ouverte alors qu’ils ne font que geindre aux pieds des murailles qu’ils ont eux-mêmes constituées.

Il ne veut pas enfermer son bonheur, lui donner une structure transmissible, une forme reconnaissable. Il est impossible de communiquer sur un tel contact. Les religions se sont efforcées de le faire, perdant aussitôt dans des dérives narcissiques toute la beauté du message en croyant follement que le lien avait besoin d’être enluminé. Comme si l’écrin avait plus de valeur que la pierre précieuse.

Il sait qu’il gardera tout cela en lui, qu’il ne cherchera jamais à l’expliquer à qui que ce soit, qu’il n’y a rien à en dire. Qu’il faut juste le vivre.

 

Il regarde la neige qui tourbillonne. Sans pouvoir situer clairement la source, il devine une clarté naissante dans le maelström des nuages, une lumière diffuse, encore étouffée par la masse compacte de la dépression.

Ni Dieu, ni religion. Tout cela n’est jamais qu’un résidu des embrigadements de son enfance. Il se souvient des sermons du curé au catéchisme. « Par la volonté de Dieu, l’Homme est placé au sommet de la Création, juste sous les Anges. »     

Il admet que ce qu’il perçoit est un véritable mystère et non les élucubrations de théologiens prétentieux. Il veut s’extirper de toutes ces dérives insignifiantes, ne pas étouffer la beauté de la rencontre sous des pensées imposées. Rien de tous les Evangiles n’est à lui, rien de la Bible, rien des religions, rien des prêtres, des curés et des religieuses de son enfance. Tous ceux là n’ont fait que vomir en lui un fiel millénaire. Il ne veut plus de ces vieilles choses mortes."

 

Pas d'Architecte mais une fabuleuse Architecture. C'est la petitesse de l'esprit humain qui réclamait cette "personnification" divine, ce Père absolu. Parce que nous n'avions pas la capacité à enlacer l'ensemble de l'Architecture comme la Création sublime qu'elle est. Il nous fallait quelque chose d'humain, quelque chose à notre image, le fils de ce Dieu comme messager, un être commun empli de paroles lumineuses, il nous fallait cet étendard flamboyant parce que la contemplation des montagnes ou de l'Océan nous absorbait trop pleinement, nous nous y perdions parce que cette Nature était trop vaste et faramineuse pour notre incomplétude. Et nous nous sommes égarés alors que le coeur battait devant nos yeux éteints. Le coeur de la Vie, l'Architecture, le flux vital. Dieu n'était rien d'autre que cette Création et nous tuons Dieu à chaque instant. Tous assassins de Dieu. Et certains se croient innocents parce qu'ils chantent des cantiques ou se font exploser au milieu de leurs ennemis au nom de Dieu...Mais nom de Dieu, nous sommes tous des assassins.

 

Il ne reste qu'à sauver les enfants. Pour qu'ils ne tuent pas Dieu à leur tour. Qu'ils regardent ce papillon voleter et qu'ils l'aiment, qu'ils apprennent à entendre l'herbe qui pousse et le silence des pierres, qu'ils courent dans les champs et rient aux éclats.

Aujourd'hui, j'ai écrit au tableau de la classe.

"Tu as écrasé cette chenille. Bien, c'était facile, maintenant, refais la." Lanza del Vasto.

Que dire de plus ?

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