Le jeûne thérapeutique en Allemagne

Pour se soigner, les Allemands se prennent au jeûne

 

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Son menu quotidien à la clinique: une infusion... (PHOTO CHRISTOF STACHE, AFP)

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Son menu quotidien à la clinique: une infusion le matin, un jus de fruit à midi, et après une randonnée de deux heures, un bouillon, un peu de miel et au moins deux litres d'eau par jour. Au total, jamais plus de 200 à 250 kilocalories, dix fois moins que l'apport énergétique quotidien conseillé pour un homme de son âge.

PHOTO CHRISTOF STACHE, AFP

 

ELOI ROUYER
Agence France-Presse
ÜBERLINGEN

Toujours controversé au sein du monde médical, le jeûne thérapeutique est une pratique établie en Allemagne, pays pionnier en la matière, où sont proposées de nombreuses cures, parfois même remboursées par l'assurance maladie.

«Essayez une semaine, rien qu'une semaine. Après vous verrez», sourit Michael Van Almsick, 57 ans, qui a pris l'habitude de jeûner un mois par an à la clinique Buchinger-Wilhelmi, au bord du lac de Constance (sud) près de la Suisse.

Ce patron d'une importante agence de relations publiques de Munich, qui organise notamment les prochains concerts de la tournée des Rolling Stones en Allemagne, vient y traiter son problème de surpoids ainsi que les affections chroniques qui l'accompagnent.

Il a abandonné ses médicaments contre l'hypertension et modifié son comportement alimentaire. Ses séjours de jeûne ont démarré il y a une vingtaine d'années, et il ne comprend pas qu'on puisse trouver cela dangereux.

 

Son menu quotidien à la clinique: une infusion le matin, un jus de fruit à midi, et après une randonnée de deux heures, un bouillon, un peu de miel et au moins deux litres d'eau par jour. Au total, jamais plus de 200 à 250 kilocalories, dix fois moins que l'apport énergétique quotidien conseillé pour un homme de son âge.

Otto Buchinger (1878-1966), qui a donné son nom à la clinique, a expérimenté le jeûne pour guérir une polyarthrite rhumatoïde qui l'avait forcé à quitter en 1917 son poste de médecin dans la marine pour cause d'invalidité. Sa méthode est aujourd'hui la plus pratiquée en Allemagne.

Pour ses défenseurs, le jeûne permet de prévenir les maladies cardiovasculaires, d'agir sur l'asthme, l'arthrose, les maladies chroniques du système digestif, certaines infections chroniques du système respiratoire, ou encore les états dépressifs.

Si les études scientifiques fiables ne sont pas légion sur le sujet, l'une d'elles établissait l'effet du jeûne sur l'arthrite rhumatismale dans la revue de référence Lancet en 1991. D'autres concluent aussi à l'efficacité du jeûne, mais il s'agit le plus souvent d'études cliniques à petite échelle.

«Le jeûne stimule les forces de régénération propres de l'organisme», explique à l'AFP Françoise Wilhelmi de Toledo, directrice de la clinique qui dispose aussi d'une antenne à Marbella (Espagne).

«Cela fait 60 ans que la clinique d'Überlingen existe, 40 ans pour celle de Marbella, nous avons chaque année 3000-3500 patients dans chaque établissement: 250 000 cures de jeûne sans complication, ce n'est pas une étude scientifique, mais c'est un fait statistique», souligne le médecin-chef, Stefan Drinda.

En Allemagne, le jeûne a fait son chemin. Le livre «Comment revivre par le jeûne» d'Hellmut Lützner, un ancien de chez Buchinger, s'est vendu à plus de deux millions d'exemplaires depuis sa parution dans les années 70 et est régulièrement réédité.

«La société allemande a franchi le pas, estime Mme Wilhelmi de Toledo, vous ne trouvez plus personne qui vous dise: ''le jeûne, c'est aberrant''».

Le savoir sur le jeûne est dispensé au sein de structures hospitalières universitaires, comme à Essen, Iena et depuis 50 ans dans le célèbre établissement de la Charité à Berlin.

Les Allemands ont toujours été attirés par les pratiques de santé alternatives, explique le professeur Andreas Michalsen qui dirige le service de médecines naturelles de cet hôpital considéré comme le plus grand d'Europe. Il y pratique des cures de jeûne de 12 à 14 jours, remboursées par le système public d'assurance maladie.

«Les plantes, le bio, le végétarisme, le yoga, vivre sainement, nous les Allemands, nous sommes un peu possédés», rigole-t-il, faisant remonter cette curiosité aux Romantiques «qui déjà croyaient à la puissance de l'autoguérison» et à des mouvements comme le «Lebensreform» (réforme de la vie) qui prônait à la fin du 19e siècle le retour à la nature face aux dangers de l'industrialisation galopante.

«La situation que nous connaissons aujourd'hui, c'est-à-dire ingurgiter à intervalles réguliers une nourriture riche en calories, il faut bien voir que c'est quelque chose de récent dans l'histoire de l'évolution humaine», insiste-t-il.

Pour lui, l'écho récent de nouvelles recherches comme celle du professeur californien Valter Longo, qui a montré en 2008 que le jeûne protégeait les cellules saines de souris contre les effets toxiques d'une chimiothérapie, a encore accru l'intérêt des Allemands.

Depuis 25 ans, estime-t-il, «si on prend le diabète, les rhumatismes, l'hypertension, médicalement, pas grand-chose n'a été fait, il y a encore et toujours de nouveaux médicaments, qui sont encore et toujours retirés du marché parce qu'ils ont trop d'effets secondaires».

«La récurrence de ces maladies devient plus grande, car les gens deviennent plus vieux», constate-t-il. «Je suis absolument persuadé que dans dix ans, le jeûne va devenir quelque chose de vraiment important, tout simplement parce que la médecine traditionnelle n'a pas de réponse à offrir».

 

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