Le mépris

Le 30 août, j'ai demandé un rendez-vous aux services sociaux de l'EN.

J'ai été reçu le 7 octobre...

Auparavant, j'ai dû remplir un "questionnaire" justifiant ma demande. J'ai donc expliqué pour quelles raisons je n'enseignais plus depuis février 2014...J'avais pourtant déjà répondu à un certain nombre de convocations, j'avais déjà expliqué en détail le pourquoi du comment mais il faut croire que les vacances d'été avaient suffi pour que toutes ces données écrites soient perdues.

J'ai donc rencontré la personne en charge des personnels enseignants qui n'enseignent plus et elle m'a expliqué qu'il n'y avait aucune reconversion possible hors le PACD qui consiste à s'engager dans une formation professionnelle pour quitter l'éducation nationale et que mon niveau d'étude ne me donnait droit à aucun poste autre que celui d'enseignant malgré mes trente-deux ans de carrière. Il y avait par contre le PALD qui pourrait éventuellement m'être attribué pour un poste d'enseignant correcteur dans le giron du CNED (centre national d'enseignement à distance) mais qu'il y avait très peu de postes pour un nombre toujours plus important de demandes. 

J'ai donc détaillé mon dossier médical et elle m'a répondu que ça ne la concernait pas et qu'il fallait que je vois le médecin de l'IA. Et que je recommence par conséquent tout l'historique étant donné qu'il n'y a aucune réunion de synthèse entre les différents personnels des services sociaux.

J'ai appris également que je risquais une mise d'office en disponibilité et par conséquent la perte totale de mon salaire, à moins que je reprenne un poste d'enseignant bien entendu. 

L'IA considère donc que je suis apte à enseigner à une trentaine d'enfants alors que je reçois de la part de l'institution une injonction à suivre une thérapie auprès d'une psychiatre dans le privé depuis un an et que ce médecin exclut totalement mon retour dans une classe. Paradoxe que les parents d'élèves seraient sûrement "heureux" d'apprendre.

Je vais donc être de nouveau convoqué en hôpital psychiatrique devant un médecin qui va me demander comment je me sens...Et qui décidera de mon maintien en congé longue maladie. Ou pas. 

J'ai déjà énuméré ici toutes les pathologies qui sont apparues depuis deux ans et demi. Certaines sont irrémédiables désormais. 

La décision de pratiquer le jeûne est un moyen de détoxiquer mon organisme. La perte de poids était déjà effective (14 kilos en deux ans). Je pèse désormais 56,8 kgs pour 1m75 ce qui au regard de l'IMC me place dans la zone de maigreur. Le jeûne n'y est pour rien et a bien au contraire été salutaire au regard de mes douleurs intestinales chroniques. Elles sont toujours présentes mais je parviens désormais à les atténuer. Ma vésicule biliaire, quant à elle, ne fonctionnera plus jamais et l'excroissance sur deux vertèbres lombaires ne disparaîtra pas. 

Mon médecin généraliste qui me connaît depuis une dizaine d'années sait à quel point les réactions de mon organisme n'entrent pas systématiquement dans le cadre connu de la médecine.

Qu'en sera-t-il par conséquent dans les mois qui viennent ?

Je n'en ai aucune idée.

Et nous sommes aujourd'hui des milliers dans ce cas...

Le mépris. 

http://mobile.agoravox.fr/tribune-libre/article/crise-sanitaire-mepris-des-185742

 

Crise sanitaire. Mépris des enseignants

 

La réforme du collège (2016) met les enseignants au bord du gouffre

Crise sanitaire. Mépris des enseignants

Lisant ou entendant, de toutes parts, des témoignages émouvants de collègues jeunes mais aussi souvent très expérimentés soudain pris d'un malaise physique irrépressible face à la réforme du collège à tel point qu'il ne peuvent littéralement plus enseigner, je me demande si l'administration -et notamment la médecine du travail, si tant est qu'il y en ait véritablement une pour nous- a réellement pris la mesure de ce qui risque de se passer.

Je pense que beaucoup de collègues ne vont simplement plus pouvoir car ils ne veulent plus s'adapterou faire semblant.

S'adapter, dans certains cas où le "milieu" est mortifère, quand l'absurde et l'inutile sont la règle, quand le sens est perdu et l'humain avec, n'est pas un signe de santé psychique, bien au contraire. Ceux qui sentent la dépression les guetter, qui voient un gouffre s'ouvrir sous eux, sont peut-être les meilleurs d'entre nous : tout en eux se cabre contre l'insupportable. Je les comprends.

On peut résister et se révolter si le corps suit, si la santé est bonne, si le sommeil (tellement fondamental dans notre métier) est réparateur, si l'on parvient à ne pas ruminer la catastrophe.

Or il n'y a pas que les littéraires qui soient écœurés ou les latinistes, subitement dépossédés de leur enseignement, mais simplement tout ceux qui prennent à cœur leur métier et à qui le seul mot de "compétence" donne la nausée.

Je trouve qu'il n'y a pas assez d'articles de journaux qui fassent état de ce désespoir, relayent cet abattement, très inquiétant dans un contexte où la crise du recrutement s'annonce carabinée. "La misère du monde" de Bourdieu collectait des témoignages de travailleurs en souffrance. Il faudrait aussi compiler nos témoignages. Le vécu professionnel de l'enseignant concerne de près la République.

La "gestion des ressources humaines" dans l'E.N. est proprement CALAMITEUSE et irresponsable. Je pense qu'on a affaire à un processus sans sujet, sans contrôle global réel, tant il est clair que l'on va dans le mur. Le management par le harcèlement a montré, dans l'entreprise privée-et parfois publique-, comment il menait cette dernière à sa perte en détruisant ...ceux qui la font tourner.

CLD (congé longue durée) CLM (congé longue maladie) disponibilité, retraite anticipée, temps partiels pour raisons thérapeutiques, absences intermittentes, on peut prévoir que les médecins des rectorats vont être très sollicités par des enseignants à bout.

On aimerait connaître d'ailleurs les chiffres (car ils doivent parler) pour que les syndicats les répercutent. Aucun des dispositifs de reconversion promis naguère n'ont été véritablement mis en place. La cessation progressive d'activité qui existait il n'y a pas si longtemps n'existe plus : elle permettait à partir de 55 ans si l'on s'engageait à s’arrêter à 60 de travailler à 50 % en étant payé 80% de son salaire. Ce n'était pas un luxe mais une nécessité pour beaucoup.

Personne ne semble désormais plus concevoir la spécificité de notre travail. Une heure face aux "nouveaux publics", même livrés à eux-même selon la recette pédagogiste inepte (on me dirait que mon "face à" trahit un adepte du "cours frontal") nécessite une très haute implication physique et psychique. Une heure de cours, quand bien même on ferait abstraction des préparations et des corrections, représente bien plus en terme d'investissement intellectuel, émotionnel, physique, qu'une heure de bureau.

Il y a des vérités qu'il ne faut pas se contenter de faire comprendre mais qu'il faut surtout faire sentir : il faudrait que les politiques reviennent enseigner dix-huit heures on verrait s'ils tiennent une semaine...

Les experts fous qui font les réformes n'ont toujours pas compris que la santé physique et psychique de l'enseignant était AUSSI importante que celle des élèves, que l'humeur ou le moral du professeur était un ingrédient absolument essentiel pour préserver la qualité de l'enseignement et du rapport professeur élèves.

Comme en montagne, il y a une corde qui relie l'élève au professeur. Le sort des uns est lié à celui des autres. Je suis persuadé qu'un professeur malheureux, mal dans son métier, ne pourra jamais obtenir des élèves qu'ils apprennent et peut-être bien qu'une part de son malheur ou de son mal être se communiquera.

Sans plaisir à enseigner, il n'y aura plus d'enseignement. Que le réformateur et le politique notent ceci en gros au dessus de leur cheminée.

Sans plaisir et désir, l'élève ne va pas loin : c'est la même chose pour son enseignant.

S'en prendre au bonheur d'enseigner, alors que 80 % de la profession rejette #college2016 est, à mots pesés, criminel et stupide.

Mettre "l'élève au centre" ne peut que vouloir dire mettre l'humain au centre.

Il faut en urgence absolue rapatrier dans ce centre le professeur. Rien ne se fera sans lui. Autant que l'élève l'enseignant a besoin de respect et de considération de sa hiérarchie au lieu de mépris et de piétinement.

Mépriser l'enseignant c'est mépriser son élève.

Les conditions matérielles et morales d'exercice du métier ne cessent de se dégrader depuis trente ans, tuant les vocations, décourageant ceux qui sont déjà engagés dans la carrière.

Alors que des soins et des égards, mais oui, devraient être dispensés aux enseignants (une éthique du "care" devrait concerner prioritairement tous les acteurs de terrain, avant que tout le monde n'abandonne ce terrain...) on assiste, au contraire, à des agressions permanentes de l'institution et un refus total du dialogue avec la seule expertise qui vaille : celle du terrain.

Non seulement il se pourrait qu'on aille vers une véritable crise sanitaire propre à l'E.N (Selon l'OMS, la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité), non seulement la crise du recrutement va s'aggraver, mais les élèves, rejetés de facto avec leurs professeurs bien loin du fameux "centre", feront lourdement les frais de ce "management" délirant.


Antoine Desjardins, enseignant, Comité Orwell, collectif Condorcet, contributeur à Figarovox et Causeur

 

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