Le vide en soi

Le vide en soi

Il n'est pas nécessaire de s'observer longtemps pour s'apercevoir que nos réactions sont "mécaniques" et nous renvoient à des fonctionnements anciens. J'appellerai ça la "personnalité". Elle ne nous appartient pas, elle se constitue à travers les conditions d'existence.

Si nous devions répondre consciemment à chaque stimulus de la vie, nous nous épuiserions sans doute. Le mécanicisme nous permet donc de répondre rapidement aux événements quotidiens. C'est un peu comme si nous utilisions notre disque dur. Les données sont là. Il n'y a rien à inventer. Il convient juste de savoir que ces informations nous ont justement été données à travers notre éducation, notre histoire, nos bonheurs, nos traumatismes, tout ce qui aujourd'hui, à l'instant où j'écris, influence inévitablement mes pensées.


"Quand tu les comprends, les choses sont ce qu'elles sont. Quant tu ne les comprends pas, les choses sont ce qu'elles sont."

Le problème principal vient du fait que cette personnalité n'accepte pas les choses et qu'elle tient absolument à les marquer de son empreinte. C'est l’ego.

Dans nos relations humaines et dans les relations qu'on entretient avec soi-même, il y a un conflit latent qui émerge souvent et qui n'est que la preuve de notre incomplétude. Nous ne sommes pas unifiés avec la vie. Nous sommes juste en existence.

Gurdjieff disait que la machine humaine est mue par l'énergie automatique des centres et qu'elle tient l'individu sous sa coupe.L'essence, qui est la partie réelle de nous-mêmes est devenue passive. Elle s'efface parce qu'elle ne peut pas fonctionner dans le conflit. Elle n'émerge que dans la plénitude. Comme nous n'avons pas été sollicités à vivre sereinement nos émotions, nous ne fonctionnons qu'à travers notre personnalité.

L'éducation occidentale se limite à un enseignement intellectuel. La spiritualité en est absente. La vigilance envers nos émotions est bannie. Nous allons juste refouler, lutter, nier ou sombrer dans le chaos intérieur. Il n'y a pas de maîtrise de soi dans cette dimension parce qu'il n'y a aucune connaissance. Il n'y a aucune connaissance parce qu'il n'y a pas d'observation de soi.

On n'apprend pas la vigilance à un condamné. On l'enferme dans les conditionnements. Par notre vie sociale, nous sommes condamnés à l'errance. Par notre vie spirituelle, nous permettons la délivrance.

La maîtrise réelle n'existe qu'à travers l'acceptation et l'analyse. En fait, nous ne sommes pas des individus mécaniques mais nous agissons de façon mécanique. Nous avons appris des adultes auxquels nous étions soumis que les changements venaient de l'extérieur: de nos parents, de nos maîtres, de nos dirigeants, de nos patrons, de la société en général...

Cette identification à des schémas de pensées font peser sur l'essence une masse gigantesque. Si nous nous rebellons, ça n'est jamais qu'une réaction à des phénomènes qui finissent pas nous étouffer. Nous ne sommes toujours par libres dans notre essence mais manipulés par une personnalité qui s'identifie à la rébellion. Ça n'est jamais qu'une nouvelle forme de « mécanicité » sous le joug de la colère.

Nous imaginons que le travail sur soi porte ses fruits et que nous nous "éveillons" alors que nous restons "déterminés" par des phénomènes extérieurs. La personnalité a simplement pris une autre forme. Ces émotions qui génèrent cette colère et cette révolte prennent leur source dans le puits des traumatismes de l'enfance. Ce sont des émotions négatives et elles occupent une place considérable. Les conditions de vie, l'exubérance, la multiplicité des phénomènes qui nous assaillent font que nous recouvrons ces traumatismes et que nous ne les observons pas dans leur genèse, que leurs conséquences nous échappent, que bien souvent nous attribuons à des stimulus extérieurs, les résonances émotionnelles qui nous submergent.

"C'est la faute de..." Une faute extérieure. Et en adoptant cette attitude, l'individu ferme lui-même la grille de sa cage.
 

Il faut basculer dans un autre état de conscience pour réaliser que les traumas n'existent pas dans l'esprit de l'individu mais que la personnalité les entretient car elle y prend forme.

"Je suis celui qui souffre...Je suis celui qu'on n'aime pas...Celui qu'on ignore...Je suis une victime des autres...Je suis incompris..."

Je suis surtout incompris de moi-même. Le problème majeur vient du fait que le mental, serviteur fidèle de la personnalité, trouve son énergie dans le passé psychologique qu'il a créé. Il ne peut pas exister dans l'instant présent. Il est tourné vers le passé car c'est là qu'il dessine ce qu'il pense être. Il se nourrit des traumatismes comme des bonheurs puisque les uns comme les autres se sont insérés dans la mémoire émotionnelle de l'individu et que ce terreau fertile va nourrir les pensées qui génèreront de nouvelles émotions....C'est un gouffre sans fond.

La conscience de la vie, (pas des conditions de vie mais de l'instant présent) est la négation de l’ego, du mental, de la personnalité. Elle renvoie ces entités à leurs places réelles. Juste des partitions d'un disque dur. Ça n'est pas l'individu, c'est un programme "informatique" destiné à faire fonctionner l'individu dans l'existence sociale. Pas dans l'existence spirituelle. L'objectif est de ramener l'attention vers l'essence et de cesser d'entretenir la personnalité. Elle ne disparaîtra pas mais elle réintégrera la place qui est la sienne. Un ouvrier, pas un maître d'intérieur. Ni encore moins l'architecte.


La difficulté vient de la mise en place de cette prise de conscience. À mon avis, ça ne peut pas passer uniquement par le mental et c'est là que l'écriture, elle-même, montre ses limites.

Comment pourrait-on se libérer du mental en usant de ses outils? La parole, la réflexion, l'écriture, l'analyse ou la psychanalyse. Cette énergie que j'utilise pour ranimer mon essence et la plénitude dont elle a besoin, elle s'épuise à lutter contre des entités redoutables. Mais si je lutte contre un "mal" en usant des outils avec lesquels ce mal s'est installé est-ce qu'il est possible de construire un état de conscience qui ne soit pas infecté par les miasmes des cadavres ?


En fait, je n'écris pas. Je ré-écris. Rien de neuf. Toujours la même chose. Parce que les outils que j'utilise sont les poisons qui m'ont contaminé. J'écris par "réaction", pas dans un état de "création". ( c'est étrange de voir qu'il s'agit des mêmes lettres...). Finalement lorsque je marche en montagne ou que je fais du vélo, et que j'entre dans un état d'absence au monde humain, dans un état de clairvoyance, que mes pensées tombent sous mes semelles au rythme de mon pas, je suis davantage en moi-même que lorsque j'écris. L'idéal serait que je reste branché sur un ordinateur et que les mots s'inscrivent. Cette fluidité émotionnelle nourrit des pensées neuves. Je comprends les adeptes du "zazen". Unifier le centre intellectuel et le centre émotionnel.
 

 

Faire le vide pour exister enfin.

 

 

Commentaires

  • Thierry
    • 1. Thierry Le 04/05/2016
    Yo, Marie-Noëlle, mille mercis pour ce beau commentaire.
    "Pourtant je crois vraiment qu'il nous faut faire de la place à TOUT sans vouloir formater ; ça ne veut pas dire ne rien faire , plutôt prendre conscience de l'importance de chaque élément constituant notre environnement et essayer de la respecter en nous incluant ( les humains ) dans le tableau ."
    C'est ce que j'appelle "Agir dans le non-agir". Je fais sans me préoccuper de l'impact positif éventuel et je ne fais pas si je pense que l'impact sera négatif pour la communauté.
    Mais sans me porter au-delà de l'acte lui-même, quoi qu'il en soit. :)
  • vandooren marie Noelle
    • 2. vandooren marie Noelle Le 04/05/2016
    Je souris avec bienveillance en lisant tout cela ... Parfois tu me fais penser à un moi (MN) d'il y a peu de temps .
    Finalement faut il chercher à se libérer , ou quoi que ce soit d'autre du mental ou de tout autre chose .
    J'essaie d'apprendre la bienveillance envers moi -même , créatrice ou réactive , ou les 2 ensemble , ou bien passive , attentiste .... et bien plus encore .
    Les instants se goûtent , leur diversité définit des saveurs toujours renouvelées . Ce que tu écris ou ré-écris n'est de toute façon jamais la même chose puisque ce que nous sommes au moment de la lecture sera différent l'instant d'après .
    Je nous vois parfois comme des kaléidoscopes d'émotions entrant en harmonie avec d'autres kaléidoscopes . Le résultat peut être agréable de prime abord ou il peut être " vilain" ... mais quand bien même , il est .
    Avec Ortie Rose , j'aimerai faire passer le message que TOUT est important dans le monde naturel qui nous entoure . Je bosse sur le flyer , et c'est loin d'être simple d’aligner des mots qui véhiculent une information , le sens s'échappe et dérive bien vite .
    Pourtant je crois vraiment qu'il nous faut faire de la place à TOUT sans vouloir formater ; ça ne veut pas dire ne rien faire , plutôt prendre conscience de l'importance de chaque élément constituant notre environnement et essayer de la respecter en nous incluant ( les humains ) dans le tableau .
    Ce que tu écris importe ;-) c'est là que je veux en venir ; création ou réaction , ça importe car à un instant T c'est significatif pur un être lambda , c'est porteur d'un sens qui n'est pas forcément celui que tu as insufflé aux mots , mais ça importe.
    Tes mots s'intègrent dans ce vaste tableau et nuancent la palette des couleurs qui s'y trouvent , d'une façon où d'une autre .
    Alors il me semble bien que tu existes .

    Bises Thierry :-)

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