Pourquoi la Creuse ?

 

Ils se sont installés en Creuse pour anticiper l'effondrement

 

Publié le 26/08/2021 à 15h24

Ils se sont installés en Creuse pour anticiper l'effondrement

Jean-Etienne Perez Permaculture // Collapsologie © BARLIER Bruno     

Et si notre civilisation reposant sur les énergies fossiles s’effondrait ? C’est le postulat fait par la collapsologie. Des partisans de cette théorie s’installent en Creuse, espérant pouvoir moins subir ici les effets de potentielles restrictions qu’en ville. Mais aussi pour poser les bases d’une société plus respectueuse du vivant.

S’il a choisi la Creuse, ça n’est pas uniquement pour la beauté de ses paysages vallonnés. Fraîchement débarqué d’Alsace, Adrien Apra a posé ses valises à Guéret, avant de pouvoir trouver une maison à rénover dans la campagne environnante.
Un territoire où il ne possédait auparavant pas d’attaches familiales ou amicales. « Je suis venu ici pour le cadre de vie. Mais aussi parce que, en cas de pénurie, il y aura sans doute moins de conflits ou de tensions pour accéder à la nourriture, dans un département aussi rural que la Creuse », confie le développeur web de 31 ans.

Cette crainte amène des ex-urbains à s'installer dans des zones très rurales

Adrien Apra est un partisan de la “collapsologie”, un courant de pensée convaincu de l’effondrement de notre civilisation “thermo-industrielle” reposant sur les énergies fossiles. Un concept américain forgé à partir du mot collapse (en anglais, effondrement) et d’un texte fondateur rédigé il y a cinquante ans et qui a convaincu bien des adeptes depuis.

Les fondements

Le rapport Meadows a été commandé en 1972 par le Club de Rome à des chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology) intitulé The Limits To Growth (Les limites à la croissance). Selon les auteurs de ce document plus connu sous le nom de « Rapport Meadows », croissances économique et démographique mettraient en péril la planète, dont les ressources exploitables par l'Homo sapiens sont limitées. La notion a ensuite été reprise et actualisée à mesure que la menace du changement climatique augmentait. Jusqu’à la publication en 2015, du livre Comment tout peut s’effondrer. (P.Servigne et R.Stevens).

Cette crainte de l’effondrement amène certains ex-urbains à s’installer dans des zones très rurales, comme les campagnes creusoises.  « Beaucoup de néoruraux arrivent. Le phénomène a explosé ces cinq dernières années, observe Jean-Étienne Perez qui a, lui aussi, choisi la Creuse comme point de chute. Ces personnes expriment un dégoût de la ville assez fort, en lien avec une prise de conscience écologique. Car en milieu urbain, les habitants dépendent de tout ce qui les entoure. Ils ont besoin de se réapproprier leur vie. Cela commence souvent par l’envie de faire un jardin. »

Le bonheur est dans le pré et la survie dans le jardin

Le jeune homme de 32 ans originaire de Nancy a lui-même acheté, en 2015, une maison à retaper et quelques terres, dans un hameau de la commune de Saint-Silvain-sous-Toulx. Il cultive ici des légumes et plante des arbres fruitiers, selon les principes de la permaculture, démarche et philosophie fondée sur « le respect du vivant et de l’humain ».

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Des courges généreuses, de magnifiques carottes ou encore d’imposantes betteraves poussent dans son vaste potager. Sous la voûte de son immense serre où bourdonnent d’innombrables insectes pollinisateurs, pieds de tomates, d’aubergines ou de poivrons sont couverts de fruits. Et ce sans qu’aucun intrant (pesticides ou engrais de synthèse) ne soit utilisé par Jean-Étienne Perez.
Pour concevoir cet impressionnant jardin de Cocagne, celui qui est désormais un formateur en permaculture nationalement reconnu, s’appuie sur des associations de plantes (l’une apporte de l’azote à l’autre ou encore de l’ombre ou de la matière organique). Mais aussi sur une optimisation de la ressource en eau. « De façon générale, faire de la permaculture, c’est apprendre à concevoir des écosystèmes agricoles ou humains pour réduire ses impacts, et moins dépendre du pétrole ».
Car que ferions-nous si les énergies fossiles venaient à manquer?? Pour les tenants de la collapsologie, il conviendrait de s’appuyer sur des ressources disponibles localement. Et de changer d’échelle. « Les circuits courts ont beaucoup de sens. Car faire venir des produits de très loin n’en a pas. Mais aussi parce que faire pousser des plantes permet de se reconnecter au vivant », assure Jean-Étienne Perez. Néanmoins, le discours du jeune homme aux cheveux et à la barbe christiques n’a rien de messianique.Jean-Etienne Perez Permaculture // Collapsologie
« Contrairement à ce que l’on a tendance entendre souvent, l’effondrement n’arrivera pas en un jour. Il s’agit plutôt du déclin du mode vie occidental, basé sur le rêve de vivre confortablement entouré de technologies. Mais qui détruit aussi la planète. Il nous faudrait redescendre en technologie, sans toutefois revenir la bougie », poursuit celui qui se dit « en accord avec la théorie de Servigne » sans se définir comme « collapsologue ».
Contrairement aux survivalistes qui se replient sur eux-mêmes en attendant la fin du monde, les collapsologues mettent en avant leur désir de “résilience” (fait de surmonter un choc traumatique) par la coopération.

Pourquoi la Creuse particulièrement ?

Ainsi, ces partisans de la “transition écologique et solidaire” s’appuient largement sur de vivaces dynamiques des réseaux. Et ce singulièrement en Creuse, où Jean Etienne contribue à animer “Permaculture Creuse”, une liste de diffusion et de partage en ligne qui revendique près de 200 abonnés. Ce moyen de communication numérique débouche bien souvent sur des actions concrètes : commandes groupées, trocs de graines ou de plants, organisations de rencontres, échanges de savoir-faire et de techniques pour apprendre à faire soi-même son pain, réparer ou fabriquer des outils en métal…
Car ce qui distingue les précédentes vagues de retour à la terre qu’a connu le Limousin depuis la fin des années 1960 et l’installation de collapsologues en Creuse dans la seconde moitié des années 2010, c’est notamment un fort intérêt pour une forme d’ingénierie “écoresponsable” efficace.

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« J’ai dû mal à comprendre pourquoi des gens continuent à s’installer sur le plateau de Millevaches, car ça n’est pas là où l’on trouve les meilleures terres agricoles », témoigne ainsi Adrien Apra, qui assure avoir consulté les cartes météos de la Creuse pour choisir son futur pied-à-terre.

« Le fait qu’il y ait ici peu d’habitants au km² m’a incité à venir en Creuse. Mais j’ai préféré m’installer au nord, dans un espace qui n’est pas saturé en alternatives, comme c’est le cas du Plateau. »

JEAN-ÉTIENNE PEREZ

Autre particularité de la théorie de l’effondrement : son aptitude à rassembler des profils venant d’horizons idéologiques assez différents.

Un bouillon de culture politique de tous les bords

Altermondialistes, écologistes en rupture avec leur ancien mode de vie urbain, partisans de l’écrivain Pierre Rabhi et de sa “sobriété heureuse” se retrouvent dans les réseaux Mais aussi, parfois, des personnes issues de milieux plus conservateurs.
C’est par exemple le cas de Jean-Baptiste Du Closel, ancien officier de l’armée française réfugié dans un hameau de la commune de Sermur depuis 2013.
Ce passionné des Lakotas, tribu autochtone d’Amérique du Nord, a rénové avec des matériaux écologiques une petite maison de granit, située à l’écart. « Ici je peux mettre du Wagner à fond à 3 heures du matin », plaisante l’homme de 57 ans. Mais celui qui se dit « naturellement de droite » et qui se définit comme un « catholique traditionaliste » est loin d’être isolé. Ce membre actif du réseau “collapso” creusois a même reçu « une trentaine » de personnes chez lui, en octobre 2020, pour parler transition écologique.

Réinventer une civilisation

« Il y avait des permaculteurs, des anars, des gens qui viennent de la gauche alternative. Si l’on veut sauver ce qui peut l’être et réinventer une civilisation future, il faudra bien s’entendre. On s’est mis dans des cases parce qu’il fallait bien voter. Mais il faudra bien dépasser ces contradictions. Le respect de la vie est le point central dans lequel on se reconnaît tous », commente cet individu opposé à la PMA, à la GPA et l’IVG.Jean-Baptiste Du Closel, collapsologue à Sermur

En attendant, Jean-Baptiste du Closel tente de « réinventer un mode vie plus simple, sobre et naturel », entouré de ses objets amérindiens. L’effondrement?? « Je le redoute, mais je n’ai pas envie qu’il advienne », affirme le militaire retraité.
Et, qui sait, ses 25 hectares de terrain où gambadent librement ses cinq majestueux chevaux, lui offriront peut-être de quoi subvenir à ses besoins en cas de problème majeur??

La préfecture de la Creuse « attentive » à la situation

« La Creuse peut constituer un territoire de repli pour des sympathisants de la théorie de l’effondrement », nous confirment les services de l’État en préfecture. Services qui pourraient se montrer « inquiets » si un grand nombre de personnes « se rassemblaient sous l’égide d’un groupe qui produirait des dérives sectaires ou des troubles à l’ordre public ». La préfecture de la Creuse se dit « attentive à la question ». Avant d’ajouter que, pour l’heure, « aucun groupe ne constitue des problèmes de ce genre sur le territoire du département ». En Creuse, « des gens peuvent adhérer aux thèses d’une collapsologie radicale », prévient pour sa part Didier Pachoud, président du GEMPPI (Groupe d’Étude des Mouvements de Pensée en Vue de la Protection de l’Individu), association de prévention contre les dérives sectaires.

« Cette mouvance extrême envisage la survenue hyper-imminente d’un événement menaçant. Cette logique peut générer de la paranoïa. Des individus en demande de spiritualité peuvent se réjouir de cette fin annoncée, car elle laisserait la place à un monde nouveau. »

DIDIER PACHOUD (Président du GEMPPI)

Pour lui, les risques liés à ce phénomène pourraient être « le retrait social de certains individus » et notamment « des enfants qui pourraient être élevés dans cette perspective ». Didier Pachoud témoigne de « remontés » du correspondant du GEMPPI en Limousin, faisant état de la présence d’un groupe « ayant ce profil » en Creuse. La rédaction de La Montagne tient par ailleurs à signaler que les personnes qu’elle a rencontrées ne s’affichent en aucun cas de ces mouvances.

François Delotte

 

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