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Rire jaune...
- Par Thierry LEDRU
- Le 16/10/2011
SAO PAULO, 19 septembre (Reuters) - Les pays "BRICS" ont déjà acheté de la dette via le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et pourraient en acheter davantage, contribuant ainsi à soutenir les économies de zone euro dans la tourmente, rapporte lundi un journal brésilien.
"Nous sommes ravis de voir que des pays BRICS investissent déjà dans notre dette", déclare Christophe Frankel, directeur financier du FESF, dont les propos sont rapportés par le journal Valor Economici.
"Cela représente une diversification très intéressante de notre base d'investisseurs."
Les BRICS désignent le groupe de pays formé par le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine, et l'Afrique du Sud.
Le FESF, mis en place en mai 2010 pour financer les plans de sauvetage du Portugal et de l'Irlande, a par ailleurs organisé plusieurs téléconférences avec les banques centrales de ces pays, rapporte le journal.
Le fonds est noté AAA par les agences de notation, ce qui signifie que l'investissement dans cette dette comporte un risque quasi-nul.
La proposition lancée la semaine dernière par le Brésil de venir en aide à la zone euro n'avait reçu qu'un accueil mitigé des autres pays BRICS.
Les ministres des Finances de ces grands pays émergents prendront une décision sur la possibilité de venir en aide à la zone euro lors d'une réunion à Washington le 22 septembre. (Raymond Colitt et Luciana Lopez, Catherine Monin pour le service français, édité par Jean Décotte)
Reuters 2011_____________________________________________________________________________________________________________________________
Maastricht, le foutage de gueule de première classe. Bon à mettre dans le livre des records.
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Le jour où je me suis aimé...
- Par Thierry LEDRU
- Le 15/10/2011
Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
j’ai compris qu’en toutes circonstances,
j’étais à la bonne place, au bon moment.
Et alors, j’ai pu me relaxer.
Aujourd’hui je sais que cela s’appelle… l’Estime de soi.Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
j’ai pu percevoir que mon anxiété et ma souffrance émotionnelle
n’étaient rien d’autre qu’un signal
lorsque je vais à l’encontre de mes convictions.
Aujourd’hui je sais que cela s’appelle… l’Authenticité.Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
J’ai cessé de vouloir une vie différente
et j’ai commencé à voir que tout ce qui m’arrive
contribue à ma croissance personnelle.
Aujourd’hui, je sais que cela s’appelle… la Maturité.Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
j’ai commencé à percevoir l’abus
dans le fait de forcer une situation ou une personne,
dans le seul but d’obtenir ce que je veux,
sachant très bien que ni la personne ni moi-même
ne sommes prêts et que ce n’est pas le moment…
Aujourd’hui, je sais que cela s’appelle… le Respect.Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
j’ai commencé à me libérer de tout ce qui n’était pas salutaire,
personnes, situations, tout ce qui baissait mon énergie.
Au début, ma raison appelait cela de l’égoïsme.
Aujourd’hui, je sais que cela s’appelle… l’Amour propre.Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
j’ai cessé d’avoir peur du temps libre
et j’ai arrêté de faire de grands plans,
j’ai abandonné les méga-projets du futur.
Aujourd’hui, je fais ce qui est correct, ce que j’aime
quand cela me plait et à mon rythme.
Aujourd’hui, je sais que cela s’appelle… la Simplicité.Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
j’ai cessé de chercher à avoir toujours raison,
et je me suis rendu compte de toutes les fois où je me suis trompé.
Aujourd’hui, j’ai découvert … l’Humilité.Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
j’ai cessé de revivre le passé et de me préoccuper de l’avenir.
Aujourd’hui, je vis au présent, là où toute la vie se passe.
Aujourd’hui, je vis une seule journée à la fois.
Et cela s’appelle… la Plénitude.Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
j’ai compris que ma tête pouvait me tromper et me décevoir.
Mais si je la mets au service de mon cœur,
elle devient une alliée très précieuse !
Tout ceci, c’est… le Savoir vivre.Kim Mc Millen
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l'Histoire
- Par Thierry LEDRU
- Le 15/10/2011
Un exemple de la complexité du travail pour les enseignants quand des programmes évoluent sans cesse et n'offrent plus de cohésion, ni de ligne directrice. En attendant les prochaines élections, le prochain ministre, la prochaine réforme. Et pour les parents l'achat de nouveaux livres...Et pour les élèves, cette impression dérangeante d'être des cobayes.
Ce que nos enfants n'apprennent plus au collège
Mots clés : histoire de France, collège, programme scolaire
Dimitri Casali Mis à jour
778 : Roland sonnant du cor, à la bataille de Roncevaux, où les Sarrasins ont battu l'armée franque. A son côté, son épée Durandal. L'épisode a peu à voir avec la réalité historique, mais il a nourri l'imaginaire français. (Rossignol/Editions Hoebeke)Le saviez-vous ? Clovis, Saint Louis ou François I er , mais aussi Henri IV, Louis XIV ou Napoléon ne sont plus étudiés dans les collèges français ! Rayés des programmes ou relégués en option. Raison invoquée par l'Education nationale: il faut consacrer du temps, entre la sixième et la cinquième, à «l'enseignement des civilisations extra-européennes», de l'empire du Mali à la Chine des Hans. C'est ce scandale pédagogique et culturel que dénonce l'historien Dimitri Casali dans son salutaire Altermanuel d'histoire de France (Perrin), dont Le Figaro Magazine publie des extraits. Superbement il lustré, l'ouvrage se présente comme un complément idéal aux manuels scolaires recommandés (ou imposés) par les professeurs de collège. Qui fixe les programmes scolaires en histoire ? L'enquête du Figaro Magazine montre que la question engage l'avenir de notre société.
Clovis, Charles Martel, Hugues Capet, Louis IX, dit Saint Louis, François Ier, Louis XIII ont disparu des instructions officielles de sixième et de cinquième. Le programme de sixième passe sans transition de l'Empire romain au IIIe siècle à l'empire de Charlemagne, soit une impasse de six siècles. Les migrations des IVe et Ve siècles (les fameuses «invasions barbares»), pourtant fondamentales dans l'histoire de l'Europe, ne sont plus évoquées.
Ces absences sont incompréhensibles. Comment comprendre la naissance du royaume de France sans évoquer Clovis? Comment mesurer «l'émergence de l'Etat en France » sans appréhender le règne de Louis IX? La Renaissance sans connaître François Ier? «L'affirmation de l'Etat » sans expliquer Louis XIII et Richelieu? Tous les historiens s'accordent sur l'importance de ces personnages et de leur œuvre, non seulement politique, mais aussi économique et culturelle.
Le règne de Louis XIV est quant à lui relégué à la fin d'un programme de cinquième qui s'étend sur plus de mille ans d'Histoire. Faire étudier aux élèves en fin d'année scolaire cette longue période (1643-1715) tient de la mission impossible, sachant que les enseignants peinent à boucler des programmes surchargés. Ce règne est de plus noyé dans un thème «L'émergence du "roi absolu" » qui s'étend du début du XVIe siècle au début du XVIIIe siècle. C'est ainsi tout un pan de l'histoire de France qui risque d'être partiellement ou - au pire - pas du tout traité. Le règne de Louis XIV est pourtant décisif, tant dans l'affirmation du «pouvoir absolu» que dans le rayonnement de la civilisation française, en France et à l'étranger, à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle. Le Brun, Le Nôtre, Hardouin-Mansart, Lully, La Fontaine, Corneille... Autant d'artistes et d'écrivains qui risquent de n'être jamais évoqués dans les classes.
A côté des «oubliés» et des «relégués» des programmes, il y a les «optionnels»... L'une des originalités des nouveaux programmes réside en effet dans le système des options, censé permettre à l'enseignant de construire son propre parcours pédagogique. Si cette démarche est intéressante, elle n'en montre pas moins rapidement ses limites... Ainsi, dans le thème 1 («Les bouleversements culturels et intellectuels») de la partie IV («Vers la modernité») du programme de cinquième, les enseignants doivent faire étudier «la vie et l'œuvre d'un artiste ou d'un mécène de la Renaissance ou un lieu et ses œuvres d'art». Ils pourront donc enseigner, par exemple, Léonard de Vinci ou Laurent de Médicis ou la chapelle Sixtine, mais pas les trois. Dans le thème 2 («L'émergence du "roi absolu"») de la partie IV, ils doivent choisir un règne entre le XVIe siècle et 1715. François Ier, Henri IV, Louis XIII ou Louis XIV. Le choix est impossible.
Parmi ces périodes optionnelles figure le premier Empire (1804-1815). En classe de quatrième, dans le seul chapitre consacré à la Révolution et l'Empire, «La fondation d'une France moderne», l'étude doit être menée à travers un sujet donné. Il y a cinq propositions, dont trois excluent totalement la période impériale:
- Invention de la vie politique;
- Le peuple dans la Révolution;
- La Révolution et les femmes;
- La Révolution, l'Empire et les religions;
- La Révolution, l'Empire et la guerre.
Bref, le premier Empire ne donnera lieu, au mieux, qu'à un éclairage thématique. Dans trois cas sur cinq, il ne sera pas étudié ! Ajoutons que cette période a disparu du nouveau programme de seconde.
A-t-on peur des grands personnages?
Elevé sur le pavois par ses soldats, comme le veut la coutume, Clovis est reconnu roi des Francs, à Tournai, en 481. Agé de 15 ans, il est alors maître de toute la Gaule. (Editions Hoebeke)Clovis, Louis IX, François Ier, Louis XIII, Louis XIV, Napoléon Ier... La disparition ou l'amenuisement de ces souverains et de leur règne laisseraient-ils penser qu'ils n'ont plus de réalité historique? Leur importance n'est pourtant pas remise en cause par les historiens. Comment expliquer alors «l'optionnalisation» du premier Empire en quatrième et sa disparition en seconde? S'agirait-il de gommer un régime jugé trop autoritaire, trop militariste et trop expansionniste? De même, Clovis et Louis IX, dit Saint Louis, seraient-ils devenus trop politiquement «connotés» pour être cités dans les instructions officielles? La même question peut être posée concernant la relégation du règne de Louis XIV en fin de programme de cinquième. Pourquoi faire disparaître ou réduire des règnes notamment caractérisés par le rayonnement de la France à l'étranger? Il est à craindre que la règle du «politiquement correct» ait été appliquée aux programmes, conception moralisatrice de l'enseignement qui tient de la manipulation de l'Histoire.
Faire étudier aux élèves Clovis, François Ier ou Napoléon Ier n'a pourtant rien de réactionnaire en soi. Il ne s'agit bien évidemment pas d'en revenir à une lecture hagiographique, providentielle, épique, patriotique ou dogmatique des «grands personnages», que des générations d'historiens ont bien heureusement remise en cause et déconstruite. Au contraire, il faut présenter aux élèves la complexité de ces hommes, inscrits dans leur époque, sans anachronisme, ni tabou, ni mythologie, et à la lumière des dernières recherches historiques. C'est justement l'étude de leur vie, de leurs actions, de leurs œuvres, de leurs façons de concevoir le monde qui les débarrassera des clichés, des stéréotypes et des images d'Epinal. L'Histoire est toujours la meilleure réponse au mythe. Ces personnages ont aussi une valeur pédagogique car ils permettent d'humaniser une Histoire souvent désincarnée, et sont susceptibles de susciter chez les enfants une véritable émotion, assez proche de celle ressentie lors d'un spectacle.
Ce ne sont pas seulement des personnages historiques, des périodes et des règnes majeurs qui sont écartés, réduits à la portion congrue ou devenus optionnels. Des textes fondateurs, des traités et des lois décisives sont tout simplement passés à la trappe: le serment de Strasbourg (842), l'un des plus anciens textes en langue romane, le lointain ancêtre du français; le partage de Verdun (843), qui dessine une nouvelle carte de l'Europe d'où sont issus les Etats européens; l'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), qui impose l'usage du français dans l'administration à la place du latin, constituant ainsi une étape clé dans l'unification du royaume de France. La relégation du règne de Louis XIV en fin de programme de cinquième rend extrêmement difficile sinon impossible l'étude de la révocation de l'édit de Nantes (1685), qui marque l'interdiction du protestantisme en France et entraîne l'exil de plus de 250.000 protestants. L'histoire des arts n'est pas épargnée. Le précédent programme de quatrième prévoyait l'étude d'extraits du Bourgeois gentilhomme (1670), des Châtiments (1853) et des Misérables (1862), permettant d'inscrire Molière et Victor Hugo dans leur époque, de mesurer l'importance historique de leur œuvre et de faire prendre conscience aux élèves de leur génie littéraire. Or, les deux plus grands auteurs de la littérature française ont disparu des nouveaux programmes...
Le risque du «zapping» historique
Les instructions officielles imposent l'étude de plusieurs civilisations extra-européennes à certaines périodes:Au choix, «la Chine des Hans à son apogée», c'est-à-dire sous le règne de l'empereur Wu (140-87 avant J.-C.), ou «l'Inde classique aux IVe et Ve siècles», au sein de la partie «Regards sur des mondes lointains» représentant 10 % du temps consacré à l'Histoire de la classe de sixième - Au choix, l'empire du Ghana (VIIIe-XIIe siècles), l'empire du Mali (XIIIe-XIVe siècles), l'empire Songhaï (XIIe-XVIe siècles) ou le Monomotapa (XVe-XVIe siècles), au sein de la partie «Regards sur l'Afrique» représentant 10 % du temps consacré à l'Histoire de la classe de cinquième. Cette partie comprend l'étude de la naissance et du développement des traites négrières (traites orientales et internes à l'Afrique noire).
La connaissance des histoires de la Chine, de l'Inde ou de l'Afrique est importante et passionnante, notamment à l'heure de la mondialisation. Cependant, force est de constater que, mathématiquement, ces nouvelles thématiques s'intègrent dans les programmes aux dépens de parties capitales de l'histoire de France ou de l'Europe. Il ne s'agit pas, bien sûr, d'établir une quelconque hiérarchie aberrante entre les civilisations: le règne de Louis XIV (1643-1715) n'est ni supérieur ni inférieur à celui de Kankou Moussa, roi du Mali de 1312 à 1332. Il faut tout simplement parvenir à un bon équilibre entre l'étude de l'histoire de France et celle des civilisations extra-européennes.
Le contraste est saisissant avec le nouveau programme de seconde qui est, quant à lui, marqué par un européocentrisme caricatural. Le monde n'y est en effet perçu qu'à l'aune de l'Europe: «Les Européens dans le peuplement de la Terre», «Nouveaux horizons géographiques et culturels des Européens à l'époque moderne»... L'ancienne partie consacrée à «La Méditerranée au XIIe siècle: carrefour de trois civilisations», qui permettait de mesurer les échanges, les contacts (pacifiques et conflictuels) et les influences entre l'Occident chrétien, l'Empire byzantin et le monde musulman a disparu, au profit d'une lecture strictement européenne du Moyen Age. Il aurait bien mieux valu prioriser en collège l'étude de l'histoire du bassin méditerranéen, de la France et de l'Europe pour approfondir au lycée l'étude des civilisations extra-européennes en leur consacrant une vraie place dans les programmes, bien loin du «zapping» proposé en cinquième.
La place des traites négrières dans les programmes de collège soulève un autre questionnement. Elles sont mentionnées cinq fois dans le seul encadré du programme consacré à la partie «Regards sur l'Afrique», avant de donner lieu à un thème du programme de quatrième, «Les traites négrières et l'esclavage», puis à une étude de l'abolition de l'esclavage en France en 1848 dans le thème 2. Il aurait probablement mieux valu resserrer l'étude des différentes traites négrières sans, bien entendu, dénaturer cette réalité historique fondamentale.
L'histoire de France facilite l'intégration
L'argument souvent utilisé selon lequel ces nouveaux programmes ont notamment été conçus pour épouser la diversité culturelle des élèves est contestable. Ce raisonnement risquerait d'aboutir à un éparpillement des thèmes et des champs d'étude, rendant encore plus difficile l'assimilation des connaissances. Pourquoi ne pas considérer que les élèves, quelle que soit leur origine, sont français et, à ce titre, ont droit à l'histoire de France la plus complète? Il serait ainsi particulièrement intéressant d'intégrer dans les programmes des séquences de cours sur l'histoire de l'immigration en France et en Europe, du Moyen Age à nos jours. Pourquoi ne pas proposer des dossiers consacrés à ces immigrés qui ont fait la France, qu'ils soient des anonymes ou des « grands personnages»? Selon une enquête de l'Ined (rapport «Trajectoires et origines», 2010), bien que de nationalité française, 37 % des jeunes d'origine étrangère ne se sentent pas français. Pour épouser la diversité culturelle des élèves, rien ne vaut l'histoire de France... Les parcours de Blaise Diagne, premier ressortissant d'Afrique noire à devenir ministre, ou de Romain Gary (Roman Kacew de son vrai nom) sont, à ce titre, exemplaires. «Je n'ai pas une goutte de sang français dans mes veines mais la France coule dans mes veines», aimait à rappeler ce dernier. En étudiant les Guyanais Félix Eboué et Gaston Monnerville, premier homme noir à devenir président du Sénat, on peut montrer toute l'importance de l'Outre-Mer dans l'histoire de France. La culture est la base de notre société et cette culture est notamment fondée sur la connaissance de l'histoire du pays où l'on vit, quelle que soit son origine géographique. Comme dit l'adage, on ne comprend que ce que l'on connaît. L'Histoire est une garantie d'intégration, car elle est un moyen d'accéder aux modes de compréhension de notre société.
Rétrograde, la chronologie ?
La disparition de dates et de périodes capitales de l'histoire de France ainsi que le système des options aboutissent à une Histoire à trous, lacunaire, atomisée, qui rend beaucoup plus difficile l'assimilation par les élèves de la chronologie, cette juste représentation de la profondeur historique. Le nouveau programme de première est à ce titre édifiant. Il repose sur un système de modules non pas chronologiques mais thématiques, qui peuvent être disposés dans n'importe quel ordre: «La guerre au XXe siècle»; «Le siècle des totalitarismes»; «Les Français et la République»... Avec ce système, il devient beaucoup plus difficile d'expliquer le rôle déterminant de la Première Guerre mondiale dans la genèse des totalitarismes, ou même le rôle du totalitarisme nazi dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. La chronologie serait-elle devenue démodée? Un comble, car l'Histoire est comme une langue dont la chronologie est la grammaire. Sans elle, notre connaissance du passé est vouée à l'anachronisme, cette incapacité d'inscrire un événement ou un personnage dans son contexte. Sans elle, nous sommes voués à l'amnésie...»
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Responsabilités partagées
- Par Thierry LEDRU
- Le 15/10/2011
Un malaise cette nuit en repensant à cet état des lieux au lycée et par là-même au collège.
Trop simpliste, un amalgame réducteur et mensonger.
Ils existent ces professeurs qui oeuvrent au bien être de leurs élèves, qui n'entrent pas en classe comme s'ils montaient au front, qui parviennent à établir un lien existentiel et non seulement frontal et conflictuel.
Mais que s'est-il passé à l'école maternelle et à l'école primaire pour ces élèves dont ils ont un jour la charge ?
Depuis combien d 'années déjà soufffrent-ils pour certains et certaines de jugements péremptoires et systématiquement transmis aux enseignants, classe après classe, comme s'il n'y avait aucune progresson possible, comme une condamnation à perpétuité. "Ne peut rien faire de mieux..."
Ca ne sera pas marqué dans le dossier scolaire (quoique...) mais ça sera vécu ainsi, jour après jour, à travers des humiliations répétées, des sanctions, des mises à l'écart, des réflexions assassines. Une accumulation sans fin.
Jusqu'à l'arrivée de l'adolescence où les forces intérieures ne seront plus contenues, où cette colère amassée comme une marée derrière une digue emportera tout sur son passage. Il y aura d'abord une brèche, une faille dans le mur et puis si rien n'est fait pour colmater l'ouvrage, si aucun adulte ne parvient à apaiser, à aimer, à comprendre, à entendre, à ressentir le drame qui couve, tout finira par céder.
Et il n'y aura plus jamais cette confiance indispensable pour grandir.
L'école élémentaire porte une part de ce drame. Il serait trop facile de se satisfaire de la soumission provisoire des enfants et de reporter la faute sur le secondaire. Nous sommes, instituteurs et institutrices, les ouvriers de cette plénitude ou de ce tsunami à venir.
Je ne parlerai pas du cadre de vie, celui de la campagne ou celui des banlieues, ni du cadre social, celui du fils de notaire ou celui du Rmiste, ni du cadre familial, celui du couple unifié et aimant ou celui de parents déchirés et haineux, je ne parlerai pas de l'image effroyablement déstabilisante d'un monde moderne n'ayant aucun ancrage, aucune ligne directrice sinon celui d'une folie consumériste et matérialiste, je ne parlerai pas des problèmes insolubles qui sont constamment jetés en pâture à des enfants ou des adolescents qui n'ont aucun pouvoir de changement, qui ne sont que les victimes impuissantes de ces images choisies intentionnellement par des adultes conspirateurs et cupides.
"Nous voulons des cerveaux vides et mous pour les emplir d'images qui rapportent. " Les propos, dans l'idée, à quelques mots près, de Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1.
http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=4S20kG2MoxI
Ces enfants puis ces adolescents seront un jour les adultes qui attaquent au sabre un commissariat, défenestrent leur compagne, étouffent leurs enfants, empoisonnent leur famille, exécutent, découpent, carbonisent, dévorent ou s'immolent dans une cour de lycée...
D'autres seront aimants, amants, attentionnés, respectueux, équilibrés, rieurs, lucides, conscients, ouverts, humains tout simplement.
Tout se jouera, ou en partie en tout cas, dans ce cadre étroit et douloureux ou magnifiquement ouvert des écoles, des collèges, des lycées...
C'est bien pour cela que ça n'est pas un métier, c'est bien plus...
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Des profs.
- Par Thierry LEDRU
- Le 14/10/2011
Je récupère mon garçon, lycéen et j'écoute sa semaine pendant la route.
Et je m'entends parler à mes parents, il y a trente ans.
Comment est-ce possible ? Comment expliquer que ces rapports conflictuels, que cette incommunicabilité, que cette distance effroyable entre de jeunes individus et des personnes matures puissent encore exister ? Comment justifier que les programmes soient toujours entâchés de connaissances inutiles, totalement abstraites pour des esprits qui sont à des années lumières de ce qui leur est imposé, comme si en trente ans, les adolescents n'avaient pas changé, que ce monde technologique n'existait pas, que cette effervescence de communication n'était pas entré dans les têtes des technocrates qui maintiennent sclérosés un monde scolaire terriblement isolé.
Des notes, des contrôles, des sanctions, des rapports de force, des humiliations, des menaces, des insultes parfois...Des examens, des concours, une course au métier, une compétition acharnée, excaerbée par ces professeurs qui usent de leur bulletin scolaire comme d'une guillotine. "Marche ou crève." "Il faut maintenir les statistiques pour le BAC et puis je vais bientôt être inspecté."
Quelles sont leurs motivations, quelles sont leurs raisons d'être là ?
Tout ce que j'ai connu il y a trente ans. Comme si ce monde de l'Education Nationale et ses représentants n'étaient en fait qu'une forme de vie fossilisée, agitée de l'intérieur par des fantômes.
J'ai eu pourtant des professeurs qui m'ont marqué. Trois exactement. Un professeur de Français au collège, un professeur de Français au lycée, une professeure de philosophie en Terminale.
Combien y en a t-il que j'ai détestés et que j'ai fini par oublier ? Une cinquantaine...
C'est effrayant.
Léo raconte : Cours de français, Appolinaire et ses techniques d'absence de ponctuation. Léo est en 1ere S. La prof devrait tenir compte des centres d'intérêt de cette classe et adopter son cours, le rendre actif, participatif, tourner même en dérision l'insignifiance absolue de ces paramètres techniques de la poésie. Qu'elle ne soit pas capable de prendre conscience que sa classe se contrefiche de ce cours académique, de ces notes qu'elle récite depuis quarante ans et que les élèves doivent copier en vue du contrôle surprise à venir, qu'elle fasse mourir dans la tête de ces jeunes toute éventuelle surprise et pourquoi pas intérêt pour la poésie, qu'elle en vienne à tuer la mémoire anarchiste d'Appolinaire qui serait écoeuré de ce massacre, comment est-ce possible ?
Comment tout cela est-il possible ?
Que font-ils là ces professeurs ?
Comment expliquer que dans les sphères de l'Education Nationale, d'autres individus encore plus obtus, limités, circonscrits à leurs connaissances techniques aient pu accéder à des postes de décideurs ?
Comment justifier que des générations de collégiens et de lycéens continueront à être martyrisés par des rapports humains dignes d'une enceinte carcérale ?
Et ça n'est pas que Léo qui me parle de ce calvaire. Trente ans que je suis instituteur. Trente ans que j'entends d'anciens élèves vomir leur dégoût.
QUI A UNE EXPLICATION ?
Pour ma part, je dirais déjà qu'un prof qui entre dans ce métier par amour d'une matière scolaire, d'une connaissance, pour prolonger ce bonheur du savoir accumulé, celui-là se trompe.
On n'enseigne pas ce qu'on sait, on enseigne ce qu'on est. Et un prof se doit d'être avant tout un diffuseur d'humanité. Un prof qui ne sentirait jamais jaillir en lui, jusqu'aux larmes, ce bonheur de l'osmose des âmes, alors celui-là se doit de se retirer. Ou de grandir au lieu de le réclamer à ses élèves.
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Je suis prof et je désobéis.
- Par Thierry LEDRU
- Le 13/10/2011
http://www.indigene-editions.fr/ceux-qui-marchent-contre-le-vent/je-suis-prof-et-je-desobeis.html
Je suis prof et je désobéis
Un prof qui désobéit ? En novembre 2008, Bastien Cazals, directeur d’une école maternelle dans l’Hérault, prend cette décision en toute conscience – refuser d’appliquer certaines réformes mises en œuvre par le ministre Xavier Darcos – parce qu’il estime qu’elles trahissent l’idéal pour lequel il s’est engagé. Il a le sentiment désagréable que « sa mission, dorénavant, se réduit à préparer un individu sélectionné, formaté, fiché dès sa plus tendre enfance ». Dans ce livre courageux, documenté, il révèle l’état de l’école aujourd’hui : « un désastre républicain », à ses yeux.
Extrait :
« En sept années de « réformes » de l’enseignement primaire, tout ce en quoi je croyais est mis à mal, sans concertation préalable, sans l’adhésion des professionnels et sans véritable information des parents : le statut de l’école, le rôle de l’instituteur, la place de l’enfant. Égrenées année après année, ces transformations ont pu sembler diffuses. En vérité, elles s’avèrent d’une grande cohérence. Au travers des restrictions budgétaires et du désengagement de l’État, elles servent le double objectif de diminuer la qualité du service public d’éducation et de préparer l’ouverture d’un marché concurrentiel. Ainsi, l’État fera des économies et le privé, lui, des profits !
L’éducation n’est pas un coût, mais un investissement. Ses bénéfices ne sont pas financièrement quantifiables mais humainement indiscutables. Comme ce fut le cas à l’hôpital – et la future loi hôpital, patients, santé et territoires ne fera qu’aggraver la situation -, je vois entrer à l’école, sous couvert de modernisation, les principes économiques et les outils de management qui régissent le monde professionnel que j’ai voulu quitter, écœuré par l’idée que les vies humaines comptent moins que les enjeux financiers. Parti de l’entreprise pour aller vers l’école, je suis en train de vivre la mutation de l’école en entreprise !
L’école souffre des mêmes maux que notre société : le délitement des libertés individuelles et collectives, l’abandon des valeurs humanistes, l’inégalité des chances. J’ai le sentiment désagréable que, dorénavant, sa mission se réduit à préparer un individu sélectionné, formaté, fiché dès sa plus tendre enfance. Seul un nouveau projet de société généreux et ambitieux – depuis la crise financière, nous savons tous qu’il est possible de trouver beaucoup d’argent lorsque c’est jugé nécessaire – permettra à l’école publique de renouer avec sa vocation républicaine : offrir à tous les enfants, sur tout le territoire, le même enseignement élémentaire et fondamental, pour permettre une véritable émancipation sociale.
Début novembre 2008, cette réalité m’apparut définitivement insupportable. Je contactai un syndicat pour savoir si je pouvais démissionner du jour au lendemain. La réponse fut négative. Fin novembre, je pris ma plus belle plume et écrivis une Lettre au président de la République. Un cri d’alerte ! Resté sans réponse… Comme d’ailleurs tous les appels à un grand débat public, portés par les mouvements citoyens actuels.
Que me restait-il à faire ? En toute conscience : désobéir ! »
Je suis prof et je désobéis par Bastien Cazals, avril 2009, n° ISBN : 978-2-911939-68-6
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SURVIVAL
- Par Thierry LEDRU
- Le 13/10/2011
Enregistrez un message vidéo pour les Awá
http://www.survivalfrance.org/agir/messagevideo
Les Awá sont l’un des derniers groupes de chasseurs-cueilleurs nomades du Brésil. Voici une occasion unique d’enregistrer un court message vidéo destiné aux Awá, pour leur poser des questions ou tout simplement leur manifester votre soutien.
Les Awá de la communauté de Tiracambu, près des voies de chemin de fer de Carajás, Brésil.
© Fiona Watson/SurvivalSi la plupart d’entre eux vivent dans des réserves légalement reconnues, ils sont repoussés dans des espaces toujours plus restreints au fur et à mesure que les bûcherons, les colons, et les éleveurs de bétail envahissent leur terre et abattent leur forêt.
Les Awá chassent, pêchent et collectent des noix et des fruits sauvages de la forêt. Ceux parmi eux qui sont nomades vivent en groupes de 20 à 30 personnes maximum, extrêmement mobiles et auto-suffisants.
Durant leurs déplacements, ils conservent les braises incandescentes de leur dernier foyer afin de pouvoir rallumer un nouveau feu lorsqu’ils arrivent à destination.
Les singes
Takwarentxia et son singe apprivoisé, communauté de Juriti, Brésil.
© Fiona Watson/SurvivalLes Awá ont une relation très étroite avec les singes. Ils dépendent de ceux qu’ils chassent dans la forêt pour se nourrir, mais un jeune singe orphelin sera élevé comme un animal de compagnie. Les femmes awá allaitent les bébés singes comme leurs propres enfants. Ils ne consomment jamais leurs animaux domestiques.
Chasseurs et agriculteurs
Leurs forêts étant envahies par les fermiers et les bûcherons, leur gibier chassé par des braconniers, les autorités ont encouragé les Awá à se lancer dans la l’agriculture et l’élevage.
On leur a même fourni des vaches pour tenter de démarrer une exploitation bovine à petite échelle à proximité de leurs villages.
Isolés
Il existe plusieurs groupes d’Awá isolés représentant une soixantaine de personnes; leurs parents déjà contactés les appellent Mihúa. Certains d’entre eux vivent dans des territoires awá reconnus et leur survie est gravement menacée par les invasions.
Votre message vidéo
Souhaitez-vous demander quelque chose aux Awá? Peut-être aimeriez-vous savoir comment ils chassent ou de quoi ils se nourrissent. Ou encore comment ils vivent la perte de leurs territoires, comment se sont déroulés leurs premiers contacts avec le monde extérieur. Ou bien en savoir plus sur les petits singes qu’ils adoptent au sein de leurs familles. Vous trouverez ici quelques informations qui vous permettront de vous faire une meilleure idée de leur mode de vie.
Ou peut-être souhaitez-vous leur manifester votre soutien. Les Awá se battent pour obtenir du gouvernement qu’il chasse les bûcherons, les éleveurs et autres intrus de leur territoire et certains ont récemment été attaqués par des fermiers qui avaient envahi leurs terres. D’une manière générale, les peuples indigènes sont souvent méprisés par leurs voisins ou les autorités. C’est pourquoi le soutien de gens du monde extérieur qui se soucient de leur sort est pour eux très encourageant.
Et si vous avez des enfants, peut-être aimeraient-ils eux aussi poser des questions aux enfants awá? (Merci cependant d’assister à l’enregistrement même si toutes les vidéos seront revues par Survival avant d’être utilisées publiquement).
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L'enseignement comme une voie d'Eveil.
- Par Thierry LEDRU
- Le 13/10/2011
UNE ETRANGE LUMIERE
EXTRAIT.
Il ressortit à la tombée du jour. Il prit sa serviette et alla se laver puis il s’habilla et s’adossa à un rocher. Vide de pensées, il se laissa captiver par les lumières rasantes sur l’eau irisée.
« Bonsoir », dit une voix douce dans son dos.
Il sursauta et tourna la tête.
« Oh ! désolé, on vous a surpris, s’excusa la femme aux longs cheveux.
- Non, non, ce n’est rien, j’étais dans la lune, répondit-il, regrettant aussitôt cette expression un peu enfantine.
- Ou plutôt dans le lac, reprit l’homme.
- Oui, effectivement, j’étais parti sur les eaux, ajouta-t-il en étendant sa main vers la surface liquide.
- Vous avez l’air de bien aimer cet endroit ? demanda la femme d’une voix chaleureuse et plaisante.
- Oui, c’est vrai, j’y ai trouvé la tranquillité dont j’avais besoin, expliqua-t-il en comprenant aussitôt que sa réponse supposait qu’il aurait aimé rester seul. Mais je suis bien content de parler avec quelqu’un. Je commençais à me demander si je saurais encore le faire, ajouta-t-il en s’efforçant d’employer un ton amusé.
- Parler, on sait toujours le faire, échanger c’est beaucoup plus difficile, reprit la femme sur le même ton enjoué.
- Vous êtes bien jeune pour aimer ainsi la solitude, c’est plutôt inhabituel, commenta l’homme en souriant. »
Il fut étonné de ces deux remarques et de la tournure immédiatement sérieuse de l’échange. Devant ces deux personnages, aux voix posées, assurées et étrangement amicales, il se sentit soudainement très jeune et inexpérimenté.
« Qu’est-ce que vous voulez dire par échanger plutôt que de parler ?
- Tout simplement, expliqua la femme, que les gens se parlent pour parler d’eux. Uniquement d’eux. Ce n’est pas un échange, c’est de l’autosatisfaction, du narcissisme ou le désir d’être plaint et consolé. Mais il ne s’agit pas d’apprendre quelque chose, d’écouter réellement son partenaire, d’essayer de le comprendre. C’est juste une sorte de monologue par personnes interposées. Et plus le nombre de personnes participant à la discussion est important, plus les possibilités de parler de soi vont être multipliées, ce qui explique que les gens raffolent des concentrations humaines. »
Le souffle coupé comme un plongeon dans le lac. Un comportement considérablement important qu’il n’était jamais parvenu à analyser avec une telle clarté. Et là, tout d’un coup, l’évidence avait surgi. Quelques mots, une voix chaude et envoûtante, une attitude particulière dans le corps, une tenue pleine de grâce et de force. Et tout était devenu clair.
Il s’aperçut à leurs sourires amusés qu’il les regardait avec insistance. Gêné, il baissa les yeux.
« Et, vous, si vous êtes ici, c’est sans doute parce que vous préférez échanger que parler, parvint-il à murmurer.
- Oui, c’est tout à fait exact, confirma l’homme. Et il ne s’agit pas d’échanger seulement de l’un vers l’autre mais également avec la nature qui nous accueille. Comme vous semblez le faire tous les jours.
- Pourquoi dites-vous cela ?
- Si vous parvenez à rester ici, seul, et à profiter de cette vie, c’est que vous trouvez dans la nature l’échange dont vous avez besoin. Comme si elle vous parlait directement. Peut-être le fait elle d’ailleurs.
Comme avec nous. C’est simplement un langage que nous ne savons pas clairement percevoir. Il se glisse en nous sans se faire entendre. L’essentiel étant de toute façon qu’il nous aide à nous dévoiler. »
Il pensa un court instant que tout cela était un rêve. Que ces deux apparitions allaient s’évanouir et qu’il se réveillerait. Tant de choses essentielles, tant d’idées qui l’avaient maintes fois effleuré et qu’il n’avait su saisir pleinement, qu’il n’avait pu apprécier. Comme cette lumière lointaine qui finissait toujours par s’évanouir.
« Asseyez-vous si vous voulez, proposa-t-il, en essayant de cacher son excitation.
- Merci, c’est avec plaisir, dit la femme.
- Vous avez l’air d’aimer le VTT, avança l’homme.
- Oui, j’adore ça. C’est un jeu pour moi. J’essaie de ne pas poser les pieds au sol quand je rencontre des obstacles. Il faut anticiper, essayer de trouver le meilleur passage, et parfois on a très peu de temps pour se décider.
- Pour nous, ça va trop vite justement, reprit l’homme. On préfère la lenteur de la marche. C’est plus adapté à un retournement vers soi.
« Retournement vers soi », répéta-t-il, intérieurement. Son bonheur était si grand qu’il eut envie de rire.
- Qu’est-ce que vous entendez par là ?
- Vous avez sûrement déjà éprouvé cette sensation d’être à l’intérieur de vous-même et plus uniquement tourné vers l’extérieur. Et ce que vous percevez est si troublant et inconnu que vous vous enfuyez bien vite. L’homme connaît bien mieux son environnement que ses propres abîmes. Quand on marche, on peut entrer dans un envoûtement favorable à une introspection. C’est cela que l’on cherche ici. Et vous, quel est votre but ?
- Excusez-moi de vous dire cela, bafouilla-t-il, mais votre intérêt pour moi me semble étrange. Ne le prenez pas mal, mais vous devez bien vous rendre compte que notre discussion n’est pas des plus banales. Pourquoi avec moi ?
- Parce que vous pouvez comprendre, répondit la femme avec un large sourire.
- Comment le savez-vous ?
- C’est écrit sur vous. »
Il les observa intensément et il sentit qu’il n’avait rien à craindre. L’homme avait passé un bras autour de la taille de sa partenaire. Elle avait posé une main sur sa jambe. Ils souriaient légèrement.
L’amour les illuminait.
« Qu’est-ce que ça veut dire que c’est écrit sur moi ?
- Vous portez sur vous les questions qui vous tourmentent. Même la situation ici, près de ce lac, dans cette solitude est déjà un indice. Vous cherchez dans la vitesse et les efforts avec votre vélo à détourner votre âme des questions qu’elle se pose mais ici, devant le lac, tout rejaillit nécessairement. Vous revenez vous asseoir ici parce que votre être intérieur sait que les réponses ne se découvrent qu’à travers la contemplation. Votre comportement dit ce que vous êtes, même si vous avez l’impression de ne pas vous connaître. Alors, il suffit de vous regarder vivre pour savoir ce qui vous habite. Ca se voit. Ca se sent aussi mais ça ne s’explique pas. Tout à l’heure, quand nous nous sommes approchés, votre attitude parlait à votre place.
- Comment savez vous tout cela ? Qui êtes-vous ? demanda-t-il enfin, réalisant qu’il ne connaissait rien d’eux et qu’ils semblaient l’avoir déjà découvert.
- Socialement, nous nous appelons Nelly et Jean-Jacques Verneuil. Nous sommes tous les deux professeurs de philosophie. Nous avons tous les deux cinquante-cinq ans. Réellement, ce que nous sommes est encore un mystère et le restera jusqu’à la fin, l’important étant de rester réceptif à tout ce qui peut nous aider à y voir plus clair. Et vous ?
- Si je réponds comme vous l’avez fait, socialement, je m’appelle Pierre Cobane, je vais avoir vingt-deux ans, je suis instituteur. Et pour le reste je ne sais rien.
- Ca, c’est ce que vous croyez. Mais c’est uniquement parce que vous ne parvenez pas à l’exprimer avec des mots. Mais sans les mots, vous savez déjà beaucoup de choses. C’est évident. Sinon, vu ce que nous nous sommes déjà dit, vous seriez parti en courant en nous traitant de fous ! s’exclama Jean- Jacques en riant.
- Mais les mots ne sont pas toujours utiles, ils sont parfois trop réducteurs et nous limitent dans nos découvertes, continua Nelly. Le langage est devenu une dictature dans le sens où tout ce que l’homme ne parvient pas à expliquer est considéré comme inexistant. Mais les problèmes de la vie sont bien souvent trop vastes pour les frontières limitées du langage humain. La prétention des scientifiques a imposé cette suprématie du langage. Tout doit être verbalisé. Et le mot verbalisé garde bien ses deux sens. Il s’agit également d’une amende, d’une sanction. Car cet usage du langage limite nos découvertes. Il vous est déjà arrivé d’être ému jusqu’aux larmes en écoutant une musique ou en contemplant un paysage. Vous n’expliquez pas pourquoi, c’est une émotion qui déborde. Mais si vous devez expliquer ce qui vous arrive, l’émotion perd de sa grâce et le charme est rompu. Ce que vous n’êtes pas parvenu encore à expliquer existe pourtant, il faut savoir en trouver la quintessence et tout deviendra clair.
- Ca demande un grand nettoyage ! ajouta Jean-Jacques.
- J’ai du mal à suivre, avoua Pierre.
- Mais non, absolument pas. C’est juste une impression. D’habitude, vous gardiez tout cela pour vous, alors ça vous paraît bizarre d’en parler. C’est toujours comme ça au début mais au bout d’un moment, c’est quand on parle de la météo ou du prix du pain qu’on a du mal à suivre. Vous verrez, laissez-vous aller, ça va s’arranger tout seul.
- Pourquoi me dites-vous tout cela ? Pourquoi moi ?
- Parce qu’on est heureux de rencontrer un chercheur de lumière ! lança Nelly. C’est si rare !
- Qu’est-ce qui vous dit que je suis ce que vous appelez un chercheur de lumière ?
- Vous êtes seul, vous regardez ce lac pendant une heure sans bouger, vous vous promenez sans chercher de contact humain, vous ne redescendez pas parmi les hommes à la fin de la journée, vous restez dans votre fourgon ou vous regardez le paysage, vous ne mettez pas la radio à fond, les portes ouvertes, vous n’avez pas installé le barbecue avec la chaise et la table de pique-nique, et vous nous avez évités quand nous étions assis ici. Il y a aussi la technique de la discussion incongrue. On aborde la personne en engageant une discussion totalement inhabituelle, quelque chose qui ne respecte pas les traditionnelles paroles inutiles que les gens adorent, la météo, le fait que le lac était mal indiqué sur la carte, qu’il n’y a pas d’aire de repas ou de jeux pour les enfants, que mémé ne va pas pouvoir descendre au bord de l’eau parce que le chemin n’est pas goudronné. Vous voyez le genre ! Nous, on vous a dit qu’on préférait échanger que parler. Et vous vous êtes intéressé, vous avez posé une question. Ca ne trompe pas. Les gens polis qui voudraient répondre ne parviendraient pas à dire autre chose qu’une ânerie. Ca n’a pas été votre cas. C’est une technique infaillible. Parfois, il n’y a même pas besoin d’attendre que la personne ouvre la bouche, rien que la façon dont elle vous regarde, vous savez à qui vous avez affaire. Vous, tout à l’heure, vous nous avez regardés avec des yeux pétillants. C’était très beau. Et pour le reste, je vous l’ai dit, c’est inexplicable. Juste une intuition. Un éclat dans le regard, la position de votre corps quand vous contemplez la nature, la façon respectueuse avec laquelle vous marchez dans l’herbe, votre abandon, le sentiment que vous attendez une réponse, quelque chose, une aide, un signe, le fait aussi que vous nous écoutiez encore. Je vous l’ai dit, vous seriez déjà parti si vous n’aviez pas en vous des questions qui ressemblent aux nôtres.
- Quelles questions vous pensez que je me pose ?
- Suis-je maître de mon existence ? Quelle est la part réelle en moi et quelle est la part qui m’a été imposée ? Rien que ces deux là représentent déjà un sacré chemin à parcourir pour obtenir une réponse, dit Nelly.
- Et vous avez des réponses ?
- Les nôtres, oui mais pour vous, nous n’avons rien. Nous savons juste comment s’y prendre pour se lancer sur la route ! reprit Jean-Jacques.
- Et vous pensez que j’ai une chance d’y parvenir ?
- C’est absolument certain, confirma Nelly. »
Encore une fois, il eut envie de pleurer. De joie.
« Ca vous dirait de marcher un peu avec nous, c’est toujours très bon avant d’aller dormir.
- Oui, volontiers, répondit-il en se levant vivement. »
Jean-Jacques prit la main de Nelly. Connexion cellulaire. Il détourna les yeux. C’était trop pénible. Il regarda devant lui. Et sentit combien sa main était vide.
« Qu’est-ce qui vous montre que je peux avancer dans la connaissance dont vous parlez ?
- Il y a une chose dont nous sommes certains en vous regardant, c’est que vous n’êtes plus un observateur de la nature mais un participant, expliqua Jean-Jacques. Et ça, c’est essentiel. Pensez que quand vous observez quelque chose, vous vous mettez en retrait, vous cherchez à dominer votre sujet, vous gardez une distance qui vous permet, croyez-vous, d’analyser clairement chaque instant de votre observation. Par cette attitude, en fait, vous restez en dehors de votre sujet d’expérience. Pour comprendre la nature, il est impossible de se placer comme un observateur. Car il ne s’agit pas de la comprendre mais de s’y fondre. Il faut être un participant, comme une fourmi ou une fleur. Sinon, on ne sait rien. On croit savoir. Mais c’est une connaissance humaine, extérieure à la nature. C’est parce que l’homme s’est enfermé dans cette attitude qu’il se permet de détruire cette terre. Il ne se sent pas comme participant mais juste comme observateur et donc comme dominant. Vous n’êtes plus dans ce cas-là. Vous avez découvert la complicité. C’est la preuve aussi que vous commencez à distinguer votre essence de votre personnalité. Votre essence représente la part naturelle de votre individu, la part originelle, ce que vous ressentez par exemple quand vous contemplez la nature et qui vous bouleverse. Votre personnalité, c’est le résultat des pressions qui ont été exercées sur vous à travers les confrontations avec la morale, les autres individus et tout ce qu’ils transportent avec eux, qui ne leur appartient pas mais qu’ils considèrent pourtant comme personnel et qu’ils vont chercher à vous imposer, parfois inconsciemment comme dans la relation amoureuse, et souvent tout à fait consciemment, comme par exemple à l’école. C’est ce qui fait qu’un enfant est un être en voie d’extinction, non qu’il va mourir physiquement mais son essence va s’effacer devant la personnalité jusqu’à ce qu’il soit pleinement un adulte. C’est à dire un non-être.
- C’est terrifiant ce que vous dites. Je suis instituteur et je participe chaque jour à cette atteinte de l’intégrité des enfants. Même si j’essaie de faire en sorte qu’ils rentrent en classe avec le sourire et qu’ils en sortent heureux d’être venus, je ne peux m’empêcher de penser que mes repères d’adultes, mon éducation et mon intégration dans le monde vont leur servir d’exemple et les éloigner de l’essence dont vous parlez. Qu’est-ce que je peux faire dans une classe pour ne pas être un tueur d’enfants ?
- Un tueur d’enfants, c’est exagéré mais un étouffeur certainement. Le système est remarquablement bien construit dans sa perversité. Si vous voulez respecter le bonheur des enfants, leur joie de vivre et d’apprendre, leur essence même qui en font des êtres aussi absorbants que des éponges, si vous voulez respecter cela vous n’êtes plus enseignant mais avant tout éducateur. Et c’est justement ce que les enseignants refusent dans leur grande majorité. Ils se considèrent avant tout comme des techniciens de l’enseignement.
- Moi je les appelle des techniciens de surface.
- Ah oui, c’est très bien trouvé ! L’individu et le moi réel ne les intéressent pas. Il leur fait même peur. Car eux-mêmes souvent ne sont rien, n’existent pas. Ils ne possèdent que leur savoir théorique et n’ont rien d’autre à donner. Et surtout pas de l’amour ou de la vie. Le pire, c’est qu’ils s’étonnent ensuite d’être confrontés à des attitudes agressives. Comme si en frappant quotidiennement l’enfant dans sa fierté, sa joie naturelle, en le privant du bonheur d’apprendre pour simplement le gaver de connaissances vides et mortes, ils pouvaient espérer autre chose que des mouvements de révoltes. Les élèves sages sont bien souvent des enfants déjà morts. Des adultes en formation accélérée ! Une horreur absolue. Le seul bon enseignant, c’est celui qui parvient à faire travailler les enfants dans la joie. C’est le seul critère de réussite qui a une valeur réelle. Le reste n’a aucune importance. Un enseignant doit avant tout respecter l’essence de l’enfant et ne pas lui imposer sa propre personnalité. Lui révéler ce qu‘il est et non ce qu’il voudrait qu’il soit. L’extrême difficulté vient du fait que les adultes fonctionnent sur un critère que l’on nomme considération. Si vous prenez le cas d’un enseignant, il va s’identifier, bien souvent inconsciemment, à ce que les parents d’élèves, les autres enseignants, ses supérieurs hiérarchiques et la société en général, attendent de lui. Il va y attacher une importance considérable au point que cet homme ou cette femme va adapter son comportement pour favoriser la considération qu’il espère obtenir, une reconnaissance sociale qui dépasse ses propres idées. Quand il en a. Il va donc gaspiller une énorme énergie pour s’identifier à ce groupe d’adultes qui l’entoure. Ce ne sont donc pas ses idées qu’il va développer mais des préceptes généraux, déjà reconnus par la masse. Même s’il y ajoute une touche personnelle, tout son travail restera axé sur cette quête de considération. Etant donné que ce concept est établi par un système généralisé et hiérarchisé, il n’existe aucune possibilité pour qu’un paradigme nouveau s’éveille. L’enseignement entre dans une standardisation rassurante pour l’ensemble des individus concernés. Sauf pour les enfants. Mais ce problème-là pour les adultes est secondaire puisqu’il s’agit pour eux de réussir à adapter les enfants à leur fonctionnement et jamais le contraire. Ce sont toujours les enfants qui sont en échec, pas les enseignants. Pour ceux-là, il convient avant tout de maintenir leur bien-être même si c’est aux dépends des enfants. Toutes les tentatives d’enseignement accompagné, les remédiations, les soutiens scolaires et autres tentatives du même genre sont vouées en grande partie à l’échec. Elles tentent de combler avec des rustines des trous de la dimension d’un gouffre. C’est à la base que tout est faux. L’enseignement n’a pas besoin de techniciens. Ceux-là doivent travailler sur des machines. Dans une classe, on s’adresse à des enfants ou à des adolescents. Ils ont besoin avant tout d’éducateurs emplis d’amour, de tendresse, de gentillesse, d’attention et d’affection, de sourires et de joie de vivre, de respect et de patience, d’écoute et d’imaginaire, de rigueur et de constance, des créateurs de jeux pour donner aux mathématiques comme à tout le reste l’image d’un défi ludique. Tant qu’on martèlera les enfants de notes, on tuera leur fierté et leur joie et on instaurera dans les écoles des conflits ingérables. Une école doit être un sanctuaire dans lequel les enfants doivent tout d’abord se sentir protégés. Nos écoles se sont avant tout spécialisées dans des comportements agressifs, voilà le problème. Et pour les enfants dont la révolte est déjà engagée, il faut bien comprendre que les adultes en sont responsables et que seul l’amour peut leur apporter la sérénité dont toute personne a besoin et qu’ils ne savent plus trouver. Beaucoup d’adultes refuseraient de supporter la vie d’un écolier. La seule chose qui motive l’ouvrier brimé, c’est qu’à la fin du mois il sera payé. Si on veut que les enfants viennent à l’école volontairement pour subir ce qu’ils encaissent tous les jours, il ne reste qu’à les payer. Mais plutôt qu’en arriver à des extrémités aussi folles, on peut tenter d’être intelligent et établir un rapport humain ! Il faut tout reprendre à zéro. Apprendre aux enseignants à échanger avec les enfants et non à les gaver. Et pour ceux qui en sont incapables, il leur reste à sortir du système enseignant. Ce n’est pas un métier accessible à n’importe qui. Aucun diplôme ne remplacera l’humanité des postulants. Ca ne s’apprend pas. Si on l’a, on peut juste essayer au fil des années de s’en servir avec davantage d’efficacité. Et le reste, tous les apprentissages techniques suivront sans difficulté. Aujourd’hui dans les classes, on travaille à l’envers. On essaie d’affiner des techniques et on ignore l’amour.
- Et vous, comment vous vous situez par rapport à ces deux oppositions ? demanda-t-il, en les regardant tour à tour.
- Nous sommes d’anciens non êtres en voie de reconstruction. Cette reconstruction démarre le jour même où vous prenez conscience de votre état. Si vous parvenez, même insidieusement, sans aucun contrôle, juste de façon fugitive, à prendre conscience des mensonges dans lesquels vous survivez, alors vous pouvez affirmer que vous avez basculé de l’autre côté de l’existence. Vous redevenez un être humain. Vous avez de nouveau établi le contact avec la vie réelle. Comme lorsque vous étiez enfant. On peut dire aussi que vous êtes sorti de l’inexistence. Le fait que vous soyez en train de contempler ce lac depuis des jours, le fait que vous continuiez à nous écouter et le fait que vous posiez des questions sont des preuves que vous êtes en état de recherche. Et c’est pour cela que nous vous parlons. Dans nos classes de philosophie, avec l’expérience, nous parvenons à sentir rapidement les individus susceptibles de se lancer dans cette voie et nous les sollicitons. C’est une mission qui nous a toujours semblé importante et qui méritait que nous y passions du temps. Sur nous-mêmes, nous n’avons rien atteint de définitif, nous sommes en état de recherche. C’est cela l’homme qui progresse. »
Il répéta intérieurement certaines phrases, comme une mélodie qu’il désirait ne jamais perdre.
« Quand vous vous êtes approchés de moi, tout à l’heure, vous saviez que vous alliez me raconter tout cela ?
- On s’en doutait.
- Et on l’espérait, continua Nelly avec un grand sourire.
- Cette année, sur l’ensemble de nos élèves, nous pensons que douze d’entre eux sont encore susceptibles de s’intéresser à la vie. Les autres s’en sont déjà retirés. Pas consciemment mais le mal est fait.
- Il n’y a aucun moyen pour ces individus de revenir à la réalité ? »
Un silence pesant tomba soudainement sur le couple, ni l’un, ni l’autre ne semblant vouloir répondre. Il attendit et s’aperçut pendant ces quelques secondes que la lumière du jour avait baissé.
« Khalil Gibran a écrit que nous sommes comme des noix. Pour être découverts, nous avons besoin d’être brisés. Et bien nous avons été brisés, avoua difficilement Jean-Jacques.
- Notre fils est mort quand il avait dix ans, continua Nelly d’une voix sombre. Tué par un chauffard dans une rue de Paris. Sa sœur jumelle a été gravement blessée mais elle a survécu. »
Il baissa les yeux et ramassa un petit caillou sur le sol. Il le fit rouler nerveusement dans ses doigts. Il imagina Rémi mort et Marine grièvement blessée. Un immense frisson le secoua. Il préféra parler pour chasser cette image.
« Je suis désolé, ça a dû être terrible.
- Ce drame a tué les non êtres que nous étions, continua Nelly. Nous aurions pu mourir physiquement et c’est ce qui serait arrivé si Lydie aussi était morte. Nous étions en partie responsables de la mort de Mathieu. Nous aimions l’agitation de Paris, les rencontres, les spectacles, la vie trépidante de la ville, la concentration humaine nous étourdissait et nous nous pensions heureux. Nous étions en fait des êtres endormis en train d’entraîner avec eux leurs deux enfants. Nous avons été brisés et nous le devons à la disparition de Mathieu. Si nous n’avions pas su en retirer une nouvelle connaissance, nous aurions tué Mathieu une deuxième fois. »
Jean-Jacques, silencieux, fixait le lac. Nelly baissa la tête.
« Vous êtes peut-être trop sévères avec vous-mêmes quand vous affirmez que vous êtes en partie responsables de ce drame. Vous ne pouviez pas prévoir.
- Prévoir, cela signifie voir en avance, répondit Jean-Jacques. Nous, nous étions en permanence en retard. Nous ne faisions que réagir à tout ce qui nous arrivait avec la prétention stupide de croire que nous maîtrisions quelque chose. Mais l’homme ne décide rien. Tout lui arrive. Vous croyez par exemple que vous avez décidé de venir ici mais ce sont les évènements de votre vie, évènements qui eux aussi vous sont arrivés, qui vous ont conduit ici. En fait, quelqu’un qui saurait lire dans la vie d’un homme aurait deviné que vous alliez venir ici. Pour pouvoir faire quelque chose, c’est à dire en avoir l’idée, ensuite la volonté de l’exécuter, le courage de passer à l’acte avec énergie, la capacité d’en retirer les enseignements, il faut déjà être quelqu’un. Il faut déjà exister. Sinon, vous vous contentez de subir des pressions extérieures qui vous poussent dans des directions qui vous dominent. Tant que vous refusez d’accepter cette terrible réalité, vous ne pouvez pas être.
- Et si je pense le savoir et que je l’accepte, que me reste-t-il à faire ?
- Le plus difficile. Beaucoup de personnes atteignent cet état de conscience dans lequel il découvre la futilité de leur vie et l’absence de contrôle. Une grande partie refuse d’aller plus loin. C’est souvent à cette occasion que surviennent les dépressions, les conflits familiaux, les difficultés professionnelles. Alors on continue à se mentir. En général, la faute retombe sur les proches. On se sent incompris alors que c’est soi-même qu’on ne comprend pas. Mais ça, c’est une vérité trop douloureuse. Et d’avoir entrevu ainsi une nouvelle source de lumière et de prendre conscience aussitôt de son incapacité à la saisir pleinement, par faiblesse, par manque de courage et de volonté, accentue considérablement les états de dépendance. Les gens vont se plonger avec furie dans l’agitation pour tenter d’oublier et surtout de s’oublier. C’est pour cette raison qu’il faut être prudent et ne pas amener à la porte de cette nouvelle conscience une personne dont la faiblesse pourrait s’avérer destructrice.
- En tout cas, pour y parvenir, reprit Nelly, il est indispensable d’établir la liste des pressions extérieures et tenter ensuite d’échapper à ces états de dépendance. Les états de dépendance, ce sont ceux dans lesquels nous n’avons plus aucune réflexion réelle car l’agitation qui leur est afférente empêche toute observation claire. Parfois, on croit dans ces états que l’on est encore capable de discerner ce qui nous arrive mais c’est un subterfuge de la conscience. Sinon le dégoût de nous-même nous éloignerait de cette source de plaisir. Car la récompense de ces états et le fait que nous les recherchions, c’est uniquement le plaisir. La conscience de l’homme dépendant est prête à toutes les ruses pour en obtenir sa dose quotidienne. Tous ces individus sont des drogués. Le mensonge est la ruse principale pour satisfaire sa soif de plaisir. Il faut donc comprendre que nous nous mentons sans cesse pour commencer le vrai travail et savoir que ce sera douloureux. Les années de soumission créent une dépendance dont il est très difficile de se défaire. C’est ce qui explique l’aveuglement de telles masses. C’est aussi pour cette raison que les adultes soumettent le plus rapidement possible les enfants. Ils sont malléables mais ne le resteront pas. Ceux qui auront résisté jusqu’à l’âge adulte seront des révoltés de toutes sortes. Parfois leur révolte sera destructrice et violente, parfois ils se détruiront eux-mêmes, souvent ils deviendront des marginaux. Quelques-uns parviendront à garder cette clairvoyance qui les a surpris un jour et ils la développeront, l’approfondiront, l’enrichiront à travers de nouvelles expériences ou des rencontres avec d’autres individus illuminés. On se moque des gens qu’on traite d’illuminés. On ne veut pas comprendre qu’ils ont découvert une vérité qui nous dépasse. »
Nelly s’arrêta et enlaça la taille de Jean-Jacques. Il la regarda en souriant.
« Peut-être que vous désirez aller vous reposer Pierre? Il faut nous le dire, vous savez, sinon, une fois qu’on est lancé, on ne s’arrête plus, s’exclama-t-elle. Aujourd’hui, ces discussions, c’est notre quotidien, alors on peut en parler pendant des heures aussi facilement que les gens qui parlent de la dernière mode vestimentaire ou musicale, ou de toutes les voitures dans lesquelles ils se sont assis au dernier salon automobile de l’année !
- Oh ! non, par pitié pas ça, implora-t-il sur le même ton moqueur. Pour parler sérieusement, continua-t-il, un peu gêné, je suis très, très heureux de vous avoir rencontrés. Il y a beaucoup de choses qui me sont arrivées cette année et que je comprends mieux maintenant. Il me fallait des éclaircissements mais je ne les trouvais pas tout seul. Je savais que j’avais besoin d’aide. Je ne pensais pas la trouver ici. »
Jean-Jacques et Nelly faisaient demi-tour. Il les imita.
« Plusieurs fois, reprit-il, vous avez parlé de consciences comme si vous en comptiez plusieurs. Est-ce qu’il s’agit de niveaux différents d’une même conscience ou de consciences différentes ? »
Nelly et Jean-Jacques se regardèrent amusés.
« On pensait bien avoir rencontré quelqu’un d’intéressé et d’intéressant mais on n’espérait pas avancer aussi vite, répondit Nelly rayonnante. C’est un plaisir Pierre de discuter avec vous.
- Merci, c’est vraiment gentil. Mais je ne vais pas laisser passer une telle occasion de répondre à toutes les questions qui me trottent dans la tête depuis trop longtemps.
- Alors, on peut considérer les choses de deux façons : soit vous voyez la conscience comme unique mais possédant différents niveaux, comme si elle habitait dans un immeuble. Vous démarrez au rez-de- chaussée et vous essayez de gravir les étages. Le risque dans ce genre de métaphore, c’est de pouvoir à tout moment retomber aux étages inférieurs. Si par contre, vous considérez que les consciences sont multiples, vous les voyez comme possédant chacune une maison. Pour progresser, vous devez quitter la première demeure et intégrer la suivante. La distance vous séparant de la première demeure abandonnée vous protègera quelque peu du risque de faire demi-tour. Il faut en fait établir une séparation importante pour ne pas céder à la tentation. Et les tentations sont extrêmement nombreuses et perverses. Pour notre part, nous voyons quatre niveaux de conscience séparés. Le premier, c’est celui de l’homme endormi. C’est un état passif. Même si l’individu garde quelques souvenirs de ses rêves, il n’a rien contrôlé. Il s’est abandonné et ne cherche rien d’autre dans cet état que le repos. Le deuxième état, c’est celui de l’homme réveillé. A première vue, c’est un état de conscience actif, l’individu semble prendre des décisions, faire des projets, rencontrer d’autres personnes. Il s’agit en fait d’un état de sommeil agité. On dit « agité » car effectivement il connaît des moments d’activité. Mais il n’a toujours pas conscience de son moi profond, de son essence, de sa place comme participant dans une nature identique à lui-même. Il est toujours dans son moi enveloppé. Il n’existe qu’à travers sa personnalité qui n’est pas un état d’existence, ni de conscience. C’est un état d’inconscience où l’individu est actif mais jamais pensif. Tout arrive à cet homme là, ce qui fait qu’en réalité, il n’agit pas. Il réagit ! Malgré tout, il reste persuadé d’être conscient, ce qui rend extrêmement difficile toute tentative de l’attirer sur une autre voie. Le troisième état laisse entrevoir à de brefs instants des halos de clarté, la prescience que quelque chose de supérieur existe, qu’il est possible de le découvrir, qu’on se dirige vers une illumination. Mais tout cela provient de l’extérieur, c’est par exemple une musique, un paysage, une relation amoureuse, un regard d’enfant, parfois l’usage de drogues. Comme il n’y a aucune maîtrise de ces états, tout s’effondre désespérément, parfois au bout de quelques secondes. Nos conditions de vie sont beaucoup trop difficiles et abrutissantes pour permettre à l’individu de se mouvoir durablement dans ces états sublimes. Ce n’est pas l’homme lui-même qui est coupable mais ce que l’homme en général a fait de la vie. Une course effrénée. Il existe néanmoins un grand espoir lorsque l’individu a pu goûter à ce bref instant de bonheur. Si une aide extérieure peut le guider, un professeur ou un livre, à la demande bien sûr de cet individu, il est possible qu’il parvienne peu à peu à s’engager dans une voie nouvelle. C’est un travail très long. Voilà la difficulté principale. Quant au quatrième état, il existe lorsque l’individu parvient à contrôler ces états d’illumination, lorsqu’il a conscience de lui-même, hors de toutes pressions extérieures, baignant dans une paix absolue, et qu’il reçoit l’ensemble des émotions et des connaissances relatives à l’essence de l’être et à sa communion avec l’univers. Ce sont souvent des états décrits par des religieux, des mystiques, des ermites, quelques écrivains, des maîtres yogis, des sportifs parfois lorsque leurs activités impliquent un engagement dans une nature sauvage. Bien souvent, les hommes ne dépassent pas les deux premiers états, ceux qui éprouvent parfois quelques moments de clairvoyance en sont souvent effrayés et rejettent cela sur le compte de la fatigue, de l’alcool, du stress ou de toutes autres excuses réductrices. Le troisième état leur reste donc fermé. Quant au quatrième état, il ne peut être atteint qu’après avoir éprouvé durant de longues années de terribles échecs et quelques moments de sérénité et d’éblouissement, mais surtout après avoir réalisé un considérable travail sur soi.
- Pourquoi utilisez-vous ce terme d’éblouissement ? Est-ce qu’il y a une lumière réelle ou tout du moins une sensation de lumière ?
- Pourquoi demandez-vous cela ? Vous l’avez éprouvée ?
- Je ne sais pas si c’est cela mais ça m’est arrivé dans un certain état de voir ou de sentir, je ne sais pas vraiment ce que c’était, une espèce de lumière intérieure. Mais elle restait toujours très lointaine et si j’essayais de m’en approcher, elle s’évanouissait.
- C’était dans quelles circonstances ? »
Il tomba dans un silence gêné. Nelly et Jean-Jacques se regardèrent discrètement.
« Le cannabis ou encore plus fort ? demanda Jean-Jacques d’une voix amicale.
- Le cannabis, avoua-t-il honteux.
- Dans ce cas là, ce n’est pas possible de contrôler la lumière, ni de la rejoindre, ni de la faire apparaître. Encore une fois, tout vous arrive, il n’y a pas de volonté, c’est un événement qui reste extérieur. Ce n’est qu’un contact trop léger, trop fragile pour obtenir une durabilité nécessaire à un apprentissage. La méditation est beaucoup plus efficace. Il s’agit réellement d’un travail sur soi, pas d’un apport extérieur. Les drogues sont fausses car elles conduisent l’individu à augmenter les doses pour atteindre cette félicité qu’il aperçoit. C’est la mort qui est au bout. »
Ils étaient revenus au parking.
« Si on vous invite à dîner demain soir dans notre fourgon, vous êtes libre ? proposa Nelly.
- Libre de venir, c’est certain, libre par rapport à mes états de dépendance, je ne crois pas.
- Oh ! très bien répondu, voilà un jeune homme qui a l’esprit vif, s’amusa Jean-Jacques.
- Alors ça sera un plaisir de vous retrouver Pierre », conclut gentiment Nelly.
Ils lui souhaitèrent une bonne nuit et rejoignirent leurs refuges communs.
Une fois allongé, il pensa à la fin de la discussion. La façon dont ils y avaient mis fin l’avait estomaqué. Sitôt qu’ils avaient décidé d’aller se coucher, rien ne les avait retenus et surtout pas les convenances habituelles. Echanger mais ne surtout pas parler. Ne pas se trahir. Dans tous les actes de l’existence. Dans chaque pensée. Superficielle ou fondatrice. Où en était-il de ses sermons ? La question le perturba quelques minutes puis il s’abandonna au sommeil. Ne pas remuer la vase du fond.