"L'écologie intégrale"
- Par Thierry LEDRU
- Le 21/01/2019
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20/01/2019 07:00
L'« Écologie intégrale » appelle les Terriens à prendre le pouvoir
Dans son manifeste politique qui prône une Écologie intégrale, Delphine Batho, à la tête du mouvement Génération écologie, redessine la politique selon un axe Terriens contre Destructeurs, appelé à remplacer le clivage Gauche / Droite.
« L’enjeu de conserver une planète habitable pour l’humanité supplante désormais tous les autres. L’écologie est devenue une question de vie ou de mort. » Dès les premières lignes, le décor est planté. La gravité de la situation justifie toute l’orientation d’un projet radical. Dans son manifeste, Écologie intégrale(Éditions du Rocher, 2019), Delphine Batho ambitionne de réorienter l’ensemble du jeu politique au travers du prisme de l’urgence environnementale.
Nous sommes actuellement sur une trajectoire de réchauffement climatique de 4°C voire 5°C d’ici quelques décennies, la biodiversité s’effondre et menace de nous emporter dans sa chute, les énergies fossiles, terres rares et autres ressources s’épuisent sans promesses d’alternatives de qualité équivalente. Ce constat, qui fait si peu réagir nos dirigeants, fait-il de Delphine Batho une adepte des théories de l’effondrement ?
« Le raisonnement des collapsologues est trop mécaniste »
La députée, présidente depuis septembre 2018 de Génération écologie, connaît bien la collapsologie. Elle était témoin de la défense en décembre lors du Tribunal pour les Générations Futures d’Usbek & Rica, chargé de juger les collapsologues. « Ils ont en partie raison, nous précise Delphine Batho. Mais leur raisonnement est trop mécaniste sur les énergies fossiles. Les réserves de charbon à prix accessible sont par exemple encore gigantesques. »
Écologie ou barbarie
Pas d’effondrement inévitable, donc. Même si « la vérité oblige à ouvrir les yeux sur les destructions en partie irréversibles », concède-t-elle, appelant à mêler « résilience » pour s’adapter à l’inévitable et « résistance » pour éviter le pire. Celle qui fut aussi ministre de l’Ecologie prône ainsi l’instauration d’un « État-résilience », « nouvelle étape historique de la construction républicaine », écrit-elle. De la même façon que l’État-providence a mutualisé les risques sociaux, il nous faut aujourd’hui inventer la mutualisation des risques écologiques.
La logique derrière « l’écologie intégrale » est d’opérer la même métamorphose dans tous les domaines. L’écologie, enjeu suprême, doit prévaloir pour repenser les relations sociales, l’éducation, la santé publique, l’aménagement du territoire, nos modèles économiques et industriels, etc.
L’initiative n’est pas inédite. Les appels solennels à changer de paradigme face à l’urgence environnementale ont été lancés à la chaîne ces derniers mois par des scientifiques et par la société civile. Plusieurs mouvements politiques l’ont également mis au coeur de leur projet. « Nous sommes déjà en guerre. Contre notre environnement. [...] Cette guerre, qui peut conduire à la mort de tout et de tous, nous devons enfin l’appréhender », écrit Raphaël Glucksmann (Les enfants du vide, Allary éditions, 2018), co-fondateur du mouvement citoyen Place publique. L’écologie politique est aussi au centre du mouvement Génération.s dont le manifeste dénonce le « productivisme » et appelle à une ère « post-croissance ».
« J’oppose l’écologie intégrale à l’écologie homéopathique des Verts et des autres partis »
Pour Delphine Batho, tous les partis ou mouvements existants partagent pourtant une même lacune fondamentale : ils se réclament de la gauche. Une terminologie qu’elle estime surannée, voire dangereuse : capitalisme et marxisme seraient les deux facettes d’une même pièce, le productivisme. Soit précisément ce qui nous a conduit à dépasser les limites planétaire et à mettre en péril notre avenir. « J’oppose l’écologie intégrale à l’écologie homéopathique des Verts et des autres partis », tranche-t-elle. « Il faut une rupture avec le libéralisme et avec le socialisme qui posent tous deux la question du partage des richesses comme préalable. »
Pour l’écologie intégrale, penser le respect des limites planétaires devient la question préalable qui induit, ensuite seulement, celle du partage des richesses, et de fait un objectif de réduction des inégalités. La politique ne doit donc, dans cette optique, plus se structurer autour d’un clivage gauche / droite mais par une opposition entre Terriens et Destructeurs. Là encore, les risques d’effondrement, de guerres et de catastrophes, bien réels, servent pour la députée à justifier un manichéisme radical : « On voit partout monter cette confrontation entre forces fascisantes et écologie. Nous sommes face à un choix binaire entre écologie et barbarie », nous assène-t-elle.
Renverser les Destructeurs
Ce nouveau clivage, inspiré des notions de « Terrestres » et « Hors-sols » définies par le philosophe Bruno Latour, pointe les ennemis du doigt. Les Destructeurs seraient aussi bien ceux qui se fourvoient dans des ambitions de « croissance verte » évitant de remettre en cause la croissance du PIB que les puissances économiques qui détruisent sciemment nos conditions d’existence ou encore les dirigeants politiques qui nourrissent activement l’hyperconsommation et se sont discrédités dans une complicité avec les lobbys industriels, corrompant les États jusqu’à les réduire à l’état de « valets des lobbys ».
« Les gilets jaunes sont le premier mouvement social de l’anthropocène »
« Les gilets jaunes sont en ce sens le premier mouvement social de l’anthropocène, nous dit-elle. Au-delà des revendications sociales initiales et de la violence des groupes extrêmes que je condamne, c’est un mouvement fondamentalement politique : beaucoup de Français ont compris que les règles démocratiques étaient corrompues par les intérêts privés et le poids des lobbys. »
Le projet « révolutionnaire » de renversement des Destructeurs et de conquête du pouvoir par les Terriens doit être démocratique et non violent, précise le manifeste. Si l’on peut souscrire à la lucidité dont il fait preuve sur la gravité du moment et le besoin de réponses radicales, la stratégie clivante exposée au fil des pages laisse davantage sceptique sur les opportunités d’y faire adhérer une majorité de citoyens.
Dans les pas de la Révolution française
À commencer par les prochaines élections européennes, où Génération écologie doit présenter une liste, et devra se partager les maigres intentions de votes de « Terriens » avec la pléthore d’autres formations se revendiquant d’un projet écologique. Mais Delphine Batho avance confiante. Avec la certitude que le sens de l’histoire joue en sa faveur. À la manière dont Paul Hawken voit dans la multiplication des initiatives citoyennes le réveil du « système immunitaire » de la planète, la députée espère l’union des Terriens.
« Il y a plein de signaux d’un basculement en cours dans la société : dans les choix de consommation, vers le bio, avec le succès de pétitions comme L’affaire du siècle, et les mouvements de désobéissance civile, comme Extinction Rebellion, le mouvement britannique qui arrive en france, les mouvements non violents comme Alternatiba ou ANV-COP21, l’engouement pour le développement personnel, que je n’interprète pas comme le summum de l’individualisme mais comme un besoin de redonner du sens partagé par de plus en plus de citoyens », dit-elle.
« L’histoire n’est pas terminée. Il y a une nouvelle étape de l’histoire de l’humanité à construire »
Une quête de sens qui doit aussi selon elle être un levier majeur de mobilisation. Pour déboulonner le puissant récit du capitalisme et de l’hyperconsommation, Delphine Batho place la révolution des Terriens qu’elle appelle de ses vœux « dans le prolongement de la Révolution française, comme une nouvelle étape du progrès humain ». L’État-résilience doit aussi redonner du sens au contrat républicain. Ainsi, selon l'élue, nous pourrons opérer un véritable « changement de civilisation », entrer dans « un nouvel âge de l’humanité » pour renouer avec la nature et prendre conscience de la « communauté de destin qui nous unit au vivant humain, animal et végétal ».
« L’histoire n’est pas terminée. Il y a une nouvelle espérance, une nouvelle étape de l’histoire de l’humanité à construire », insiste la présidente de Génération écologie. Reste à voir si les potentiels Terriens éparpillés dans la constellation de mouvements écologistes français seront séduits par sa vision. Le manifeste ambitieux et concis, a pour lui l’avantage, ou l'inconvénient, de ne pas être encore un programme et de s’arrêter aux principes généraux.
Désunis face au péril
On y retrouve toutefois, au sein des principes terriens, plusieurs marqueurs de ce que d’autres appellent encore la gauche. Le rôle de l’État est ainsi fortement réaffirmé et appelé à se développer. La transformation du productivisme en « économie permacirculaire et biosourcée », qui respecte les limites planétaires et réduit les flux d’énergie et de matière, ne s’oppose pas à l’économie de marché mais entend la réguler drastiquement et faire en sorte que la destruction de la nature ne soit plus rentable, quitte à assumer les faillites de Destructeurs. Cette régulation ainsi que l’instauration d’un État-résilience passerait donc, selon le manifeste, par un État fort.
L’écoféminisme est aussi affirmé. L’oppression de la nature répond selon cette thèse à la même logique que l’oppression des femmes et des minorités. Une occasion de rappeler l’attachement au droit à l’avortement, à la procréation médicalement assistée et à l’émancipation des femmes. Et de clarifier les différences entre les Terriens de Génération écologie et l’écologie conservatrice chrétienne qui se réclame également d’une « écologie intégrale ».
Enfin, le respect des limites planétaires induit aussi pour Delphine Batho une réduction des inégalités, les plus riches étant les plus pollueurs et ceux qui devront donc fournir l’effort le plus conséquent.
Autant de marqueurs qui soulignent peut-être le paradoxe le plus dommageable de ce manifeste. Si les différences avec les autres partis et mouvements sont parfois significatifs, le constat partagé d’une extrême urgence environnementale pourrait justifier une union sacrée entre forces écologistes. À défaut, la planète risque de prendre plusieurs degrés avant que les destructeurs du monde ne commencent à se sentir menacés.
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Image à la une : Delphine Batho en 2009 (cc) Ségolène Royal
Usbek & Rica
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