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    https://basta.media/les-montagnes-sont-des-lieux-ou-encore-possible-resister-a-appropriation-capitaliste-Nastassja-Martin

    Nastassja Martin : « Les montagnes, ces franges qui ont su résister à l’appropriation capitaliste »

     

    ÉcologieL’après-ski

    Pour espérer répondre à la crise écologique, il faut repenser nos imaginaires, notre lien à la nature en général, aux montagnes et aux glaciers en particulier. Ce à quoi invite l’anthropologue Nastassja Martin avec « Les Sources des glaces ». Entretien.

    par Barnabé Binctin

    25 juillet 2025 à 09h30 Temps de lecture : 13 min.

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    Portrait de Nastassja Martin

    Nastassja Martin, anthropologue, spécialiste du Grand Nord. © Mathieu Génon

    Basta!  : Dans Les Sources de glace (Paulsen, 2025), que vous publiez avec le photographe Olivier de Sépibus, vous invitez à renouveler en profondeur notre regard sur les glaciers. Vous y écrivez : « Voilà le gouffre : nos idées sur le monde ne sont plus tenables, ne sont plus vivables, comme les montagnes et leurs glaciers, elles ne tiennent plus debout. […] L’image qui préside à nos imaginaires de la montagne se disloque. » Que voulez-vous dire par là ?

    Nastassja Martin : On peut partir de l’actualité récente : le 28 mai dernier, un glacier s’est effondré en Suisse, et a inondé un village entier. Cette catastrophe nous rappelle que parler d’ « effondrement » n’est pas une métaphore, et que des événements d’une telle amplitude sont de plus en plus probables. D’où la nécessité de repenser nos relations à ces entités, et la terminologie que nous utilisons pour les comprendre.

    La modernité nous a enfermés dans une lecture qui ne nous permet plus de comprendre les transformations actuelles. Plus encore qu’un problème d’imaginaire, c’est un problème conceptuel, issu de la méthodologie naturaliste qui a forgé notre manière de percevoir le monde : en Occident, nous avons complètement désanimé ce type d’entités, ainsi que les relations que nous pouvons entretenir avec elles. Nous considérons les glaciers comme des milieux abiotiques [où la vie serait impossible, ndlr], ou comme des objets composant un « paysage », privés de toute puissance d’agir.

    Couverture du livre

    L’anthropologue Nastassja Martin vient de publier Les Sources de glace, avec le photographe Olivier de Sépibus (Paulsen), où elle nous invite à renouveler en profondeur notre regard sur les glaciers. Elle avait publié Croire aux fauves, chez Verticales, en 2019.

    Pourtant le changement climatique devrait bouleverser profondément cette perspective, puisque ce sont bien ces entités-là qui se lèvent et menacent nos vies humaines. Les glaciers qui fondent, les montagnes qui s’effondrent, les rivières en crue, les tornades : ce sont aujourd’hui des éléments qui deviennent littéralement acteurs des transformations de nos milieux.

    Il nous faut donc, en quelque sorte, rééduquer notre regard pour pouvoir penser différemment les glaciers, et c’est autour de cet enjeu que l’on s’est rencontrés avec Olivier. Ce sont toujours des mots et des images qui sous-tendent nos relations au monde, raison pour laquelle nous voulions réfléchir à un nouvel imagier – lui dans le travail de la photographie et moi à travers l’écriture – qui soit plus à même de répondre aux métamorphoses en cours.

    Vous pointez notamment la responsabilité de l’art pictural de la Renaissance dans cette « objectivation de la nature ».

    Je prolonge l’hypothèse formulée par [l’anthropologue] Philippe Descola dans Les Formes du visible (Seuil, 2021), selon laquelle notre vision scientifique du monde, aujourd’hui, serait bien plus un effet de peinture que le résultat d’une approche philosophique. C’est à mon sens une question centrale que de se demander si c’est bien la construction de cette réalité picturale qui a façonné nos épistémologies, et non l’inverse.

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    Lorsque l’on s’intéresse à l’histoire de l’art du XVe et du XVIe siècle, on se rend compte que bon nombre de peintres, des Flandres jusqu’à Florence – Campin, Van Eyck, Dürer, Fra Angelico –, ont façonné le concept même de « paysage », la nature visuellement confinée dans un monde extérieur aux humains. Et on a fini par systématiser ce point de vue, cette perspective sur les choses. Cette extériorisation a entraîné une forme de réductionnisme des attachements pluriels que l’on peut entretenir avec, entre autres, les montagnes et les glaciers.

    Par exemple, on se réfère aujourd’hui principalement aux glaciers comme à des ressources et à des stocks d’eau, aux fonctions essentielles dans le cycle de la vie. On parle de gain de neige en amont, de perte d’eau en aval, de services écosystémiques, de bilans négatifs ou positifs. S’il faut évidemment continuer de se doter de moyens pour mesurer l’évolution de ces glaciers, on constate néanmoins que le champ lexical des sciences de l’écologie a été largement infiltré par les mots du discours économique.

    Or ces mots produisent des effets sur nos imaginaires, sur nos façons de penser les glaciers. Ils nous coupent de la possibilité de s’y relier autrement et, de fait, le principe même d’animation de ces entités reste quasi-impensable dans notre société.

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    Comment faudrait-il alors appréhender les glaciers, si on ne doit plus les voir comme des ressources, ni même seulement comme une fonction dans le cycle de la vie ?

    C’est une très bonne question, à laquelle je ne peux justement pas répondre : non pas parce que je n’en ai pas envie, mais parce que c’est un devoir de laisser la réponse en suspens. Nous savons être normatifs, nous avons quantifié, mesuré, évalué, décrit et défini telle ou telle ressource, tel ou tel stock. Et pourtant, toutes ces entités que nous pensions connaître se disloquent à grand fracas et de manière accélérée. Les forces qui sont à l’œuvre nous dépassent, et continueront de nous dépasser malgré ce qu’en disent les adeptes du techno-solutionnisme.

    Glaciers d'altitude en train de fondre

    Le Dôme du Goûter (4304 m), sur le massif du Mont-Blanc, 2022.

    © Olivier de Sépibus

    Nous avons aujourd’hui un problème de méthode : si nous restons coincés dans notre épistémologie habituelle, nous ne pourrons pas répondre à la crise autrement que par du conservationnisme ou de la géo-ingénierie. Re-pluraliser nos modes de relation aux glaciers passe par un travail d’ethnographie, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir documenter toutes les manières différentes de se relier à ces entités – j’utilise ce terme, mais il n’y a pas une seule et bonne manière de les nommer.

    Quand vous discutez avec des bergers, des chasseurs, des guides de haute montagne, des grimpeurs, des naturalistes, et que vous leur demandez de décrire leurs attachements à la montagne, vous obtenez des réponses inattendues, bien loin du discours naturaliste classique. C’est toute une constellation qui se dessine, qui ne se résume pas à l’objectivation froide de la montagne.

    « Le champ lexical des sciences de l’écologie a été largement infiltré par les mots du discours économique »

    Il y a de nombreuses manières de dialoguer avec les glaciers. Elles résonnent souvent avec des formes d’animisme, qui n’est certainement pas un mode de pensée circonscrit aux peuples autochtones vivant de l’autre côté de la planète, dans les lointaines forêts, toundras ou déserts. Le problème, c’est que ces voix-là ne sont plus écoutées dans les plans de gestion, qu’ils soient « aménagistes » ou conservationnistes.

    Et vous, à titre personnel, quel rapport entretenez-vous avec la montagne ?

    J’y habite, pour commencer. Je pratique l’alpinisme, le ski de randonnée, l’escalade ; j’aime ce rapport physique à la verticalité. Cela a presque à voir avec une pratique thérapeutique, il y a quelque chose de l’ordre d’un élan vital. Je crois que la montagne est le seul endroit où je peux retrouver ces idées d’ « engagement » et de solidarité qui caractérisent les relations que j’ai pu nouer avec les Even [un peuple nomade d’éleveurs de rennes, ndlr], dans le cadre de mon travail d’anthropologue, au Kamtchatka [péninsule située en Extrême-Orient russe, ndlr]. La notion de risque y est permanente et quasi-quotidienne dans leurs vies. Y faire face demande de tisser de forts liens de dépendance choisie entre humains.

    La cordée en montagne, c’est pareil : c’est un micro-collectif en mouvement qui apprend à se faire confiance, à compter l’un sur l’autre pour avancer ensemble sur un terrain instable. Lorsqu’on évolue sur un glacier plein de crevasses et de séracs ou sur une face remplie de cailloux branlants, la question de l’incertitude redevient totale, primordiale. La montagne est un endroit qui nous confronte à nos vulnérabilités et à nos limites.

    On a beau mettre dans nos gestes toute la puissance dont on dispose, on a beau tenter de tout garder sous contrôle, la montagne risque toujours de nous déborder, de nous surprendre, de nous faire chuter. Il reste toujours une part d’inconnu, même quand les voyants sont au vert et que les conditions paraissent bonnes.

    Quand on entre en relation avec la montagne de manière physique, sur le terrain – je veux dire, pas de façon contemplative, en la dessinant ou en l’observant depuis sa chaise – on sent bien qu’il y a quelque chose qui pulse, qui gronde. On comprend que c’est une puissance élémentaire – on peut aussi la nommer ainsi – avec son propre rythme. Ce n’est pas un endroit « sécurisé » fait par et pour les humains. Or, c’est une possibilité de relation à l’altérité dont la modernité a fini par nous priver au fil du temps, et qui ne subsiste que marginalement sur certains territoires peu anthropisés.

    « La montagne est l’un de ces déserts pour exilés » écrivez-vous. Vous utilisez aussi plusieurs fois le terme de « refuge ». Pour fuir ou se protéger de quoi, exactement ?

    Les montagnes, comme les toundras, les steppes ou certaines forêts font encore partie de ces franges qui ont su résister plus longtemps à l’appropriation capitaliste, à la domestication, à la mise en disponibilité de chaque partie du monde. Ce sont des lieux où il est encore possible de vivre sous d’autres normes. Cela rejoint tout mon travail d’anthropologue : mes recherches visent à montrer qu’il existe encore des manières d’être au monde, certes minoritaires, qui résistent à un schéma de pensée dominant.

    Glacier en train de fondre et roche apparente

    Vedretta di Fellaria, au dessus de la vallée d’Engadine, l’une des plus haute vallée d’Europe (2400 m) à la frontière entre la Suisse et l’Italie.

    © Olivier de Sépibus

    La tragédie actuelle, c’est que ces poches sont de plus en plus rares, elles se réduisent comme peau de chagrin. Je le vois tous les jours sur le canton de La Grave (Hautes-Alpes), où j’habite : il suffit de changer de versant de montagne pour tomber sur la station de ski des Deux Alpes. Tout l’inverse de la montagne « refuge » : un endroit parfaitement lissé, balisé et sécurisé pour que le touriste CSP+ puisse venir (se) « dépenser » de la façon la plus confortable possible.

    On a même installé des escalators dans les téléphériques, on s’y déplace désormais comme dans des aéroports. On est là en présence d’une montagne complètement objectivée, convertie en formidable parc d’attractions grandeur nature, c’est-à-dire en ressource au sens parfaitement économique du terme.

    Lors du One Planet - Polar Summit, premier sommet consacré aux glaciers et aux pôles en novembre 2023, Emmanuel Macron s’était engagé à placer 100 % des glaciers français « sous protection forte d’ici 2030 ». Vous n’y croyez pas ?

    C’est un engagement important, même si on sait que dans les faits, ça risque d’être plus compliqué. Et puis tout dépend de la manière dont ça va être mis en place. J’avais noté une phrase qui m’avait alertée : en décembre 2023, quelques jours après cette annonce, le sénateur [écologiste] Guillaume Gontard avait proposé un premier engagement très concret à travers la protection du glacier de la Girose [à La Grave, ndlr].

    Le gouvernement lui avait répondu qu’il allait y avoir – je cite – « le lancement imminent d’une initiative, co-pilotée par les préfets de région et les présidents de région concernés, ancrée sur les territoires, pour que chacun puisse s’approprier les enjeux de ces nouveaux espaces à haute valeur ajoutée de biodiversité »…

    Rien ne va dans cette formulation, si l’on regarde attentivement les termes : on est encore dans un vocabulaire très économiciste, avec l’idée qu’émergeraient de nouvelles ressources à travers la question du dérèglement climatique, et qu’on va pouvoir en faire quelque chose, que ce soit dans une logique d’aménagement ou de conservation. On en revient à notre point de départ : la formulation du problème. S’il est impossible de formuler le problème autrement, que va-t-on bien pouvoir changer ? Rien. Nous n’allons que reproduire les mêmes logiques, sous des formes peut-être renouvelées, mais avec un fond identique.

    Faudrait-il envisager de donner des droits aux glaciers, dans le même mouvement de personnalisation juridique qui concerne déjà des fleuves ou des forêts à travers le monde ?

    C’est une question sur laquelle j’aimerais me pencher, prochainement. On a vu les effets positifs que cela a pu produire à différents endroits, avec le fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande ou ailleurs en Amérique du Sud. C’est un outil juridique qui peut être très intéressant, même s’il soulève de nombreuses questions. Dans le droit roman-germanique, une entité sujet de droit est également soumise à des devoirs : quels seraient-ils pour un glacier, ou une montagne ?

    Si c’est pour finir par penser ces devoirs sous la forme de « services écosystémiques » rendus par les entités – comme la captation de carbone pour une forêt, ou, imaginons, le stock d’eau potable pour un glacier – le risque est de retomber dans une logique économicisante, où l’on attribue un prix et une valeur monétaire à chaque chose. Soit toute la logique du capitalisme vert… Il faut y réfléchir sérieusement, pour que le remède ne se révèle pas pire que le mal.

    Votre texte est empreint d’un certain pessimisme, à l’image de cette question que vous posez : « Pourquoi vouloir agencer de faibles mots autour des montagnes qui s’effondrent quand tout hurle autour ? » Comme si vous doutiez de votre posture de chercheuse, et du sens de votre travail…

    Bien sûr que je doute, sinon je ne serais pas une bonne chercheuse. Et bien sûr que je me pose la question du sens que cela peut encore avoir dans la conjoncture actuelle. Il y a de la fatigue, la tentation de la stupéfaction, voire de l’aphasie devant l’incroyable emballement de la machine. Parler des glaciers quand tous les matins, à la radio, on compte les morts à Gaza et en Ukraine, vraiment ? Oui, parfois, on se dit qu’il vaudrait mieux se taire. Pourtant, justement, je pense que résister à la pétrification, c’est aussi croire aux formes de vitalité qui subsistent ça et là, malgré la violence, la guerre, la mort, malgré toute l’absurdité et l’ignominie des processus de destruction en cours.

    À l’écriture, je me suis beaucoup inspirée de René Char, dont j’ai repris plusieurs vers pour scander le texte. C’est le poète de la résistance par excellence, les agencements de mots parmi les plus forts qu’il ait pu écrire l’ont été pendant l’horreur absolue de la Seconde Guerre mondiale, vers 1943-1944. Sa poésie devint l’aiguillon du désir de rester vivant.

    « Parler des glaciers quand tous les matins, on compte les morts à Gaza et en Ukraine, vraiment ? »

    Les chercheurs, eux aussi, à l’instar de René Char, doivent mettre au travail leur réflexivité, et repenser les idées et les concepts qu’ils manient pour saisir le monde. La posture d’extériorité et d’objectivité présumée des chercheurs est devenue obsolète. Réajuster nos mots et reformuler nos épistémologies peut nous aider à répondre collectivement aux processus d’effondrement en cours.

    Mais que peut encore « l’épistémologie », aujourd’hui, à l’heure du règne de Cyril Hanouna, des fake news et de la post-vérité ?

    Je pense qu’il y a un gros travail de réflexion à mener sur les dispositifs que l’on met en place, aujourd’hui, pour produire de la recherche, partager des savoirs et créer du commun en dehors d’une petite sphère de happy few. L’enjeu n’est plus uniquement de faire venir des étudiants à l’université pour écouter des séminaires de professeurs tout à fait brillants. On sent bien que les lieux classiques du savoir scientifique sont en perte de vitesse, les gens n’y croient plus, il y a de moins en moins de débouchés et de perspectives puisque les financements vont ailleurs.

    C’est pour ça qu’il y a trois ans, avec la journaliste et éditrice Anne de Malleray, on avait organisé l’événement Un refuge pour la pensée, sur le canton de la Grave. L’idée c’était de faire se déplacer les chercheurs pour les mettre un peu les pieds dans la boue, si j’ose dire, et les confronter aux habitants, aux habitantes et aux problématiques locales, telles qu’elles sont vécues au quotidien sur le territoire. Et en même temps, de permettre à ces habitants de discuter avec tous ces gens qui, même s’ils n’ont pas nécessairement la même relation incarnée aux problématiques qui traversent le territoire, ont néanmoins passé leur vie à réfléchir à ces questions de tourisme en montagne, de pastoralisme, de glaciers, etc.

    Toutes ces questions sur l’habitabilité de la Terre ne peuvent plus être formulées uniquement par des chercheurs, car cela reviendrait à se complaire dans un « extractivisme scientifique » du savoir.

    « La posture d’extériorité et d’objectivité présumée des chercheurs est devenue obsolète »

    Ces questions doivent se construire avec et sur les territoires, par tous les gens qui sont directement traversés par ces problématiques. La rhétorique de la « co-construction des savoirs » est un peu mise à toutes les sauces aujourd’hui, mais rares sont ceux qui le font vraiment. L’enjeu est pourtant bel et bien que la normativité n’émane pas toujours des mêmes cercles et des mêmes personnes.

    Vous vous êtes beaucoup engagée au sein du collectif La Grave autrement, qui s’oppose au projet d’extension d’un téléphérique sur le glacier de la Girose. En octobre 2023, une ZAD – la plus haute d’Europe, à 3 400 mètres d’altitude ! – s’y était même organisée pour alerter contre « l’exploitation et l’artificialisation des montagnes ». Est-ce aussi à travers ce genre d’actions militantes que l’on peut aujourd’hui parvenir à « murmurer d’autres possibles chez nos contemporains », pour reprendre votre formule de conclusion ?

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    On se pose tous la question des meilleurs leviers. Les ZAD en font certainement partie. Il faut multiplier les collectifs citoyens qui se ressaisissent des questions politiques, économiques, sociales qui traversent leur territoire. Parce qu’ils ont bien compris que pour produire du commun, on ne peut pas se contenter de déléguer l’aménagement de son territoire à de grandes entreprises, et la protection ou la conservation aux instances de gestion étatique. On a besoin de reprendre le dialogue, tout simplement. Je ne vois pas d’autres manières, en réalité.

    Les nouveaux récits communs, la construction de nouvelles « cosmopolitiques » ne peuvent être que le résultat de la rencontre et des échanges au sein de ces collections citoyens, entre les habitants, les chercheurs, les militants. Parfois, je me dis qu’on a peut-être mis un peu la charrue avant les bœufs : à quoi bon tenir de grands discours sur le réenchantement du vivant et remettre au goût du jour des manières animistes de se relier aux non-humains si l’on n’est pas déjà capable de dialoguer entre humains et de partager les attachements multiples aux entités qui composent nos mondes ?

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    Auteurs / autrices

    Barnabé Binctin

    Journaliste, orienté écologie (et) politique, avec quelques tropismes assumés autour de la montagne, de l’Inde, ou du football. Pour Basta, je réalise notamment des enquêtes et des grands entretiens. Après avoir co-fondé Reporterre, je collabore désormais avec le groupe So Press (Society, So Foot, So Film, etc.) et Le Parisien Magazine, dans le cadre de reportages en France et à l’étranger.

  • "Et au fait, la collapsologie ? "

     

    Cet article pose tout le problème de la main-mise des réseaux sociaux et de la frénésie de l'actualité.

    Les premiers s'accaparent les idées pour créer du buzz et de l'audimat et la seconde renvoie aux abysses les problèmes les plus cruciaux parce que l'audimat reste le maître absolu. Quelle que soit l'importance de l'idée, dès qu'elle n'est plus suivie, entretenue, approfondie, il faut que les réseaux sociaux, et les médias les plus importants en font partie, trouvent un autre sujet, une autre source de buzz.

    Est-ce que la situation planétaire au regard de la collapsologie s'est améliorée ? Non, aucunement, bien évidemment. On continue à rouler à tombeau ouvert vers le mur ou le ravin. Ceux qui s'informent le savent. En même temps, je n'ai pas besoin des réseaux sociaux et des médias mainstream pour en avoir conscience. Mais il n'en reste pas moins que cette manipulation de masse me désole.

    En fait, je pense que les médias officieux, ceux qui ont la plus grande audience, entretiennent cette inconscience mais la plus grande responsabilité, c'est la masse qui la porte. Il faudrait que les gens qui se servent des réseaux sociaux soient beaucoup plus exigeants sur les sujets qu'ils veulent lire et les algorithmes suivraient le mouvement.

    Sur ma page Facebbok, les sujets qui me sont proposés en lecture sont les reflet de mes centres d'intérêt. C'est certain que ceux ou celles qui passent leur temps à lire ou regarder des sujets insignifiants ne risquent pas d'influencer favorablement les algorithmes.

    Chacun et chacune est responsable de son ignorance ou de son évolution, même à travers les réseaux sociaux. 

     

     

    Usbek & Rica

    Au fait, qu’est devenue la collapsologie ?

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    Au fait, qu’est devenue la collapsologie ?

    Couverture de l'ouvrage de Pablo Servigne et Raphaël Stevens paru en 2015.

    « 2015, c’était l’époque de la COP21 et du Laudato si’ du pape François. Il y avait quelque chose de l’ordre de la fin du monde qui était dans l’air », se souvient Pablo Servigne aujourd’hui. Pour l’ingénieur agronome de formation, devenu l’une des figures médiatiques les plus en vue sur le sujet, le concept avait alors permis de combler « un angle mort de la société. » À savoir l’articulation des différents risques majeurs dans des domaines variés – le climat, la biodiversité, le pétrole, la finance, etc. – pour penser les « méga-risques » auxquels la civilisation humaine est confrontée.

    Ce que c’était à l’époque

    Il y a dix ans, le concept fait mouche auprès des militants écolo, inspirant la création de collectifs comme Extinction Rebellion (qui lutte explicitement contre « l’effondrement écologique et sociétal  ». Mais la collapsologie séduit aussi une audience plus large, sans forcément que cette notion ne soit vraiment bien comprise. Porté par le buzz médiatique, le mot a fini par « échapper [à ses créateurs] comme le monstre de Frankenstein », raconte Pablo Servigne. Alors que l’objectif de départ était de fonder une discipline scientifique, la collapsologie s’est peu à peu muée en « un mouvement social pluriel regroupant diverses tendances : les effondristes, les gens qui disent que c’est foutu, ceux qui disent que ce n’est pas le cas… C’est un peu passé à la trappe, comme un film hollywoodien qu’on regarde pour se faire un peu peur et qu’on oublie aussitôt. »

    « C’est un peu passé à la trappe, comme un film hollywoodien qu’on regarde pour se faire un peu peur et qu’on oublie aussitôt. »

    Pablo Servigne

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    Au fond, ajoute Pablo Servigne, « le système politique actuel n’est pas du tout conçu pour traiter des enjeux aussi complexes et énormes ». Les adeptes de la collapsologie, eux, ont fini par s’épuiser à force d’explorer ses nombreuses ramifications (apprendre à faire son potager, imaginer des voies pour mettre en place la sobriété énergétique, etc.) Tant et si bien qu’après quelques années, plus grand monde ne se revendiquait de ce mouvement.

    Ce que c’est devenu

    Une rapide recherche sur Google Trends confirme ce diagnostic : après un pic au printemps 2020, la courbe des recherches Google du mot « collapsologie » s’effondre brusquement. La pandémie de Covid-19 a confirmé l’existence de chocs systémiques. Mais elle a aussi eu l’effet inverse : « Certains se sont dit : il y a eu un choc systémique global et il ne s’est rien passé, la société est toujours là », constate le chercheur, sorti du monde universitaire et qui se décrit comme « in-terre-dépendant ».

    Capture d'écran sur le site Google Trends, montrant l'évolution des recherches Google du mot "collapsologie" entre 2015 et 2025.

    Idem pour l’intensification de l’urgence écologique. Alors que la situation n’a jamais été aussi préoccupante – la limite des +1,5 °C prévue par l’Accord de Paris a officiellement été enterrée en juin 2025, et une septième limite planétaire est en passe d’être franchie – « tout le monde en a marre de l’écologie et de la collapsologie », soupire Pablo Servigne. « Du côté des écolos, il faut du positif sinon ça ne marche pas (ce qui me semble assez vaseux), et de l’autre côté, celui de la droite et de l’extrême droite, les gens n’ont en ont plus rien à faire et l’assument clairement. »

    Surtout, la « disqualification de la collapsologie a bien fonctionné  », relève le politiste Bruno Villalba. Lorsque le concept était encore en vogue, des voix s’élevaient de tous les côtés pour le critiquer. À droite, par des « anti-catastrophistes » comme Luc Ferry et Pascal Bruckner. Mais aussi à gauche, où la réception a été assez ambigüe. Si certains ont « repris un certain nombre d’arguments clés de la collapsologie, notamment sur l’état de gravité de la crise écologique et son accélération actuelle », poursuit l’auteur de l’ouvrage Les collapsologues et leurs ennemis (PUF, 2021), d’autres ont gardé leurs distances, en dénonçant par exemple un risque de dérive « réactionnaire » (et « incitant au repli »), à l’image de l’organisation altermondialiste ATTAC. Dans une tribune parue dans Libé en 2019, l’historien des sciences et de l’environnement Jean-Baptiste Fressoz pointait quant à lui du doigt un courant « anthropomorphique » (faisant peu de cas du vivant non-humain) et « occidentalocentré ». « Les critiques sont essentiellement venues de philosophes, des gens qui sont un peu hors sol, réagit Pablo Servigne. Beaucoup d’entre elles reposent sur des malentendus, même s’il y a aussi eu quelques critiques constructives. »

    « Il y a un vrai travail conceptuel à faire pour fonder la collapsologie en tant que discipline »

    Pablo Servigne, chercheur et auteur du livre "Comment tout peut s'effondrer" (Seuil, 2015)

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    Autre élément qui n’a pas servi la réputation du mouvement : sa propension à penser en dehors des cadres, en incluant dans son champ une dimension « intérieure » forte, incarnée par la « collapsosophie ». Un concept théorisé dans le livre Une autre fin du monde est possible (2018), consistant à se préparer mentalement à la perspective des effondrements en s’appuyant sur la philosophie et la spiritualité. « L’intuition et l’émotion occupent une place clé dans la collapsologie. Sauf que dans une société très cartésienne, où le rapport à l’émotion n’est pas valorisé dans l’espace politique, qui est le lieu de l’affrontement et de la violence, il est très facile de vous disqualifier quand vous faites appel à ce type de ressorts », souligne Bruno Villalba. 

    Au-delà du « collapso-bashing », la « contre-proposition politique de la collapsologie n’a pas été suffisante, juge le professeur de science politique à AgroParisTech. Qu’est-ce qu’elle apporte fondamentalement de plus que la proposition de l’écologie politique ?  » Selon lui, la brèche ouverte par Pablo Servigne et ses collègues n’a pas débouché sur des pistes concrètes pour construire un futur à la fois crédible et souhaitable, capable notamment d’articuler « fin du monde » et « fin du mois » (comme le voulait le slogan qui avait tenté de raccrocher les Gilets jaunes au mouvement climat en 2019).

    De fait, beaucoup n’ont retenu de la collapsologie que le diagnostic déprimant. « La collapsologie a été caricaturée en “tout est foutu”, mais je n’ai jamais dit ça, regrette Pablo Servigne. Tout ce qu’on a fait, c’est lancer une alerte. Les gens ont flippé, c’est normal. » La notion de « catastrophisme éclairé » empruntée au philosophe Jean-Pierre Dupuy, consistant à considérer le cataclysme comme certain pour avoir une chance de l’éviter, n’a selon lui pas été bien comprise. 

    Ce que ça pourrait devenir demain

    À écouter Pablo Servigne – qui s’apprête à publier en octobre un nouveau livre sur l’entraide, intitulé Le réseau des tempêtes : Manifeste pour une entraide populaire généralisée (éd. Les Liens qui libèrent) – tout n’est pas « foutu » pour la collapsologie. Avec Raphaël Stevens, le chercheur planche désormais sur la suite d’Une autre fin du monde est possible (2018), pour imaginer une « collapso-praxis ». Son objectif : poser des pistes d’action, justement.

    Portrait de Pablo Servigne © Pascal Bastien

    « J’ai bien envie de redomestiquer le mot de “collapsologie” et d’essayer de voir ce que ça donne », confie Pablo Servigne. Le chercheur se dit convaincu qu’une « deuxième vague de la collapsologie » est en train d’arriver, dans un contexte marqué non seulement par la « désagrégation » croissante de la société et de la biosphère, mais aussi par le retour des fascismes – qui constitue, selon lui « l’un des stades de l’effondrement » – et les bascules à venir entraînées par la percée fulgurante des IA

    À ses yeux, « il y a un vrai travail conceptuel à faire pour fonder la discipline », chose que Raphaël Stevens et lui n’ont pas pris le temps de faire. « Mais ça prend des décennies de fonder une discipline », estime Pablo Servigne, qui cite l’exemple de la climatologie, construite sur un agrégat de différentes disciplines scientifiques allant de l’océanographie à la physique des fluides. 

    À l’international en tout cas, les recherches sur le sujet vont bon train. Mais pas forcément sous la bannière de la « collapsologie ». De nouveaux mots sont en train d’émerger, comme celui de « polycrise », devenu « le buzzword à l’ONU » – une alternative « beaucoup plus neutre, gentille et bureaucratique » au néologisme né d’une boutade dix ans plus tôt, estime Pablo Servigne. Qui reste plus que jamais persuadé que « le problème, ce sont les gens qui n’acceptent pas l’effondrement de la société, empêchant les choses d’évoluer. » Autrement dit, même si le mot collapsologie disparaît, le futur qu’il décrit reste toujours d’actualité.

  • Démocratie ou pas ?...

    On est resté quatre ans dans la Creuse. Effarés par les dégradations sur l'environnement. On en est parti pour se rapprocher de la famille mais on avait vite compris que l'avenir de ce territoire était des plus sombres.

     

    Dans le Limousin, les militants face à la criminalisation de l'écologie politique

     

    Par Eloi Boyé , publié le 11 July 2025

    Carmen et Vincent, naturalistes et habitants de la Creuse.

    Carmen et Vincent, naturalistes et habitants de la Creuse. Photos : Eloi Boyé

    Le plateau de Millevaches, en Limousin, est connu comme un territoire d’alternatives et de luttes écologiques et sociales. Dans le contexte réactionnaire actuel, ses habitants sont pris en tenailles entre une accélération des destructions environnementales et la stigmatisation des défenseurs du vivant.

    5 octobre 2024. Des manifestants déambulent dans les rues de Guéret, en Creuse, pour s’opposer à l’« accaparement des forêts ». Organisée par des collectifs citoyens locaux, la manifestation, qui réunit plus de 2 000 personnes, vise principalement deux projets industriels : l’extension de la scierie Farges Bois à Égletons, en Corrèze, et la construction d’une usine de granulés de bois destinés au chauffage, à Guéret.

    Article de notre n°70 « Qui veut la peau de l'écologie ? », en kiosque, librairie, à la commande et sur abonnement.

    Le Limousin est en effet devenu depuis quelques années le théâtre d’une opposition entre ceux défendant une vision extractiviste de la gestion forestière et ceux qui appréhendent la forêt dans sa dimension économique mais aussi écologique et sociale. Des acteurs industriels aux visées court-termistes s’approvisionnent massivement dans la région. « On se sent submergé de projets industriels néfastes pour la forêt », témoigne Laurent Carayol, 58 ans, participant à la manifestation et membre de l’association L’Aubraie, créée pour promouvoir « une forêt vivante en Limousin ».

    Des dispositifs policiers disproportionnés

    C’est ainsi que le cortège est composé de jeunes militants écologistes, de membres de la filière bois, de nombreux retraités et de parents accompagnés de leurs enfants, qui déambulent joyeusement sous le soleil automnal. Une mobilisation « pacifique, bon enfant et très familiale », affirme Laurent Carayol, loin de la « convergence des luttes avec la participation d’éléments incontrôlables » crainte par la préfecture de la Creuse. Dans son arrêté pris avant la manifestation1, la préfète Anne Frackowiak-Jacobs envisageait une mobilisation qui devait « fédérer au sein de l’ultra-gauche » aux actions « radicales et violentes » et même la « propagation des violences urbaines au département de la Creuse ».

    En prévision, la préfète avait déployé un « dispositif policier disproportionné », se souvient David quelques mois plus tard. Ce menuisier de 43 ans, natif du Limousin, vient d’achever une année de formation professionnelle en sylviculture et bûcheronnage. Il considère que la préfecture de la Creuse souhaitait « réprimer » les manifestants réunis à Guéret : un point de vue partagé par de nombreux militants présents.

    « Cette criminalisation des mouvements écologistes provoque une mise sous silence : c’est une forme de censure. »

    « Il fallait voir le déploiement des forces de l’ordre dans la ville, raconte Carmen, naturaliste habitant en Creuse. La préfecture avait été cloisonnée, il y avait des hélicos, des drones. » De tels déploiements de forces de l’ordre sont fréquemment constatés par des habitants dans le cadre de luttes forestières locales. Composé d’habitants du territoire dont une bonne part de sexagénaires, le groupe « forêt action » du Syndicat de la Montagne limousine s’oppose à la gestion industrielle des forêts, notamment au modèle de gestion par coupes rases.

    Lors d’une de leur rencontre dans un bourg du plateau de Millevaches, l’un des membres évoque la présence d’agents des renseignements territoriaux à une réunion publique : « Mais de toute façon, ils sont tout le temps là ! » réplique Rémi, habitué à cette surveillance.

    David, membre de divers collectifs de défense des forêts limousines.

    Les relevés de plaques d’immatriculation par des gendarmes sur des lieux de rassemblement pacifique, les survols d’hélicoptères lors d’événements en pleine campagne ou les convocations en gendarmerie sont devenus monnaie courante, même lors d’actions parfaitement légales : « une criminalisation de l’écologie politique » que ces militants perçoivent comme croissante. Thibault, un autre membre du « groupe forêt », évoque ainsi sa certitude d’être « fiché » ainsi que d’autres habitants inscrits selon lui sur des fichiers de renseignement pour leurs actions militantes. « Ça met une pression. On se sent surveillé », témoigne-t-il.

    La prévention face à l’intervention des forces de police est ainsi devenue un sujet de débats entre habitants militant pour la protection du vivant, qui se questionnent notamment sur la médiatisation de leurs luttes : « En même temps il faut qu’on informe le grand public, mais si on médiatise on va subir de la répression, affirme Thibault. Finalement, cette criminalisation des mouvements écologistes provoque une mise sous silence : c’est une forme de censure. »

    Les écolos comme épouvantails

    Cette présence policière et cette surveillance sont justifiées par la crainte de violences venues de l’« ultra-gauche » : un poncif des autorités publiques et de l’opposition politique aux mouvements écologistes du Limousin. Le terme est utilisé par les préfectures locales pour justifier des décisions administratives contre des militants, par des médias, ou par des représentants politiques : à l’image du député de Creuse Bartholomé Lenoir (Union des droites pour la République, UDR). Ce dernier, après avoir publié une pétition « contre l’ultra-gauche dans la Creuse », pointait le risque d’« implantation d’une ZAD en Creuse » lors d’une question au gouvernement à l’Assemblée nationale en novembre 20242.

    Ce climat d’« acharnement » s’amplifie avec l’émergence des « mouvements populistes mondiaux », selon Thierry Letellier, maire de la petite commune de La Villedieu. Installé en Creuse depuis plusieurs décennies, cet éleveur d’ovins à la retraite représente une figure locale des combats alliant agriculture paysanne et protection du vivant. « C’est très facile de brosser les gens dans le sens du poil et de leur dire de se battre contre ceux qui vont les empêcher de prendre leur bagnole », constate-t-il, l’air soucieux.

    « Les paysans peuvent casser et saccager absolument tout ce qu’ils veulent. Et simplement, tu mets trois écolos dans un champ, et il y a des centaines de policiers qui sont prêts à mutiler des gens. »

    Carmen et Vincent témoignent de la haine que concentrent les personnes identifiées comme écologistes. Les deux naturalistes racontent les menaces subies du fait de leur engagement pour la protection des deux loups installés sur le plateau de Millevaches et leur coexistence avec l’élevage : « On nous menace sur les réseaux sociaux, il y en a qui menacent de débarquer chez nous », raconte Carmen. Les deux naturalistes témoignent également de l’aggravation du climat local faisant suite au déclassement du loup au sein de la convention de Berne, en décembre 2024 : « Ça a encore débridé le comportement de certains éleveurs : ça les conforte dans leur position. »

    Ainsi, en mars 2025, la projection de leur documentaire La Part du loup à l’école forestière de Meymac a été annulée en raison de pressions exercées par la FDSEA et des Jeunes Agriculteurs de Corrèze sur l’établissement d’enseignement professionnel. Carmen et Vincent évoquent également l’intrusion suivie de dégradations commises par des membres de la Coordination rurale dans les locaux de l’Office français de la biodiversité (OFB) en novembre 2024 : « C’est quand même une attaque frontale ! s’exclame Carmen. Mais on les laisse faire. »

    Élevage ovin dans le Limousin.

    Dans ce contexte de violence de certains acteurs agricoles, l’ancien éleveur Thierry Letellier dénonce le « deux poids, deux mesures » des autorités : « Les paysans peuvent casser et saccager absolument tout ce qu’ils veulent, constate-t-il. Et simplement, tu mets trois écolos dans un champ, et il y a des centaines de policiers qui sont prêts à mutiler des gens. »

    L’entretien du clivage néo vs anciens ruraux

    À l’image de l’hétérogénéité des opposants à une gestion industrielle des forêts, le clivage entre néoruraux sensibles aux questions écologistes et ruraux de longue date est loin d’être figé. En revanche, il est savamment entretenu. « Beaucoup de personnes ont un intérêt à stigmatiser le plateau, les néoruraux, l’ultra-gauche, témoigne un membre de Méga-Scierie Non Merci. Ça permet de rendre plus compliquée la contestation en faisant croire à une mobilisation étant le fait d’une minorité violente et dangereuse. »

    « Le problème, c’est que ce genre d’accusations de violence des écolos perce ensuite dans l’opinion », déplore David. Originaire de Haute-Vienne, il s’installe en 2015 à Châtelus-le-Marcheix, en Creuse, département voisin. Entré au conseil municipal en 2022, il raconte avoir été rapidement assimilé à un néo-rural et à un militant violent du plateau de Millevaches à la suite de propositions sur les questions écologiques.

    Il propose notamment de mettre en place une régie communale agricole, un outil permettant à la collectivité de porter elle-même une activité de production agricole et d’en contrôler le cahier des charges. « Les gens ont assimilé ça à des propositions du Syndicat de la Montagne limousine, se souvient-il. Ils reprennent tous ce que les médias dominants, la préfecture et Bartholomé Lenoir leur vendent et ils se complaisent dans cette définition : ça leur permet de rejeter en bloc toutes contraintes environnementales qui seraient en opposition avec la pleine jouissance de la propriété privée. »

    La Villedieu, en Creuse.

    Tout en percevant un réel climat anti-écologiste chez certains habitants du territoire, des membres du collectif Méga-Scierie Non Merci nuancent l’importance du clivage entre néoruraux et anciens habitants. « Certains ruminent mais ils boivent aussi un coup avec toi ! On arrive à se parler », déclare l’un d’entre eux. « Les réactions anti-écolos viennent aussi du fait que les luttes écologistes sont perçues comme une critique morale des gens, complète son camarade. Mais nous, on s’attaque au modèle économique et aux gros projets industriels : pas aux pratiques des personnes qui font des coupes rases pour gagner leur vie. »

    Ainsi, la plupart des militants insistent sur les nombreuses convergences possibles entre habitants du territoire. « Face au climat national de multiplication de projets industriels totalement incohérents d’un point de vue écologique, il y a aussi un côté rassurant, estime David. Parce qu’en face, une prise de conscience gagne le cœur des populations et une fronde sérieuse s’organise : les habitants tissent des liens militants. C’est un système immunitaire écologique. » 

    1. Arrêté préfectoral modifiant l’arrêté n°23-2024-10-01-008 du 1er octobre 2024 autorisant la captation, l’enregistrement et la transmission d’images au moyen de caméras installées sur les aéronefs, préfecture de la Creuse.

    2. « Vote solennel sur la première partie du projet de loi de finances pour 2025. Suite de la discussion de la seconde partie du PLF 2025 ». Assemblée nationale, 12 novembre 2024.

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  • Duplomb et la FNSEA

    Ce soir, la pétition contre la loi Duplomb dépasse le cap du million de signatures. 

    Agriculture

     

    https://reporterre.net/Loi-Duplomb-un-texte-ecocidaire-redige-par-la-FNSEA

    Loi Duplomb : un texte écocidaire rédigé par la FNSEA

     

    Loi Duplomb : un texte écocidaire rédigé par la <span class="caps">FNSEA</span>

    La proposition de loi sur l’agriculture a été largement coécrite par la FNSEA. Concentré de reculs environnementaux, elle est portée par le sénateur Laurent Duplomb, lui-même ancien élu du syndicat productiviste.

    « Enfin ! » : mardi 6 mai, Arnaud Rousseau ne cachait pas sa joie. Le patron de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) saluait l’arrivée à l’Assemblée nationale de la proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Un texte controversé, au contenu explosif : réautorisation des néonicotinoïdes, soutien aux projets de mégabassines et d’élevages industriels... Du pain bénit pour l’agrobusinessman, qui encensait ce « moteur législatif dont notre agriculture a besoin pour redémarrer ».

    Si le président du puissant syndicat agricole apparaît si satisfait, c’est que le texte — examiné les mardi 13 et mercredi 14 mai en commission des affaires économiques — reprend quasiment mot pour mot ses revendications productivistes. Fin août 2024, FNSEA et Jeunes agriculteurs présentaient en effet leur loi idéale, pour « entreprendre en agriculture ». Au menu, déjà : l’épandage par drone, la réintroduction de pesticides interdits et la remise en cause du fonctionnement de l’Anses, l’agence chargée de donner le feu vert à la vente des produits phytosanitaires.

    « Connivence » avec la ministre de l’Agriculture

    « Clairement, il y a une filiation entre les demandes du syndicat et plusieurs articles de la loi », remarque Yoan Coulmont, chargé de mission plaidoyer de l’association Générations futures. Rien d’étonnant à cela : avant d’être le sénateur portant cette proposition de loi, Laurent Duplomb a été président FNSEA de la chambre d’agriculture de Haute-Loire, président pour sa région du géant du lait Sodiaal, membre du conseil de surveillance de la marque Candia. En bref, il est le petit messager de l’agro-industrie au palais du Luxembourg.

    Une liaison dangereuse facilitée par « la connivence » entre l’élu auvergnat et la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, selon Thomas Uthayakumar, directeur des programmes et du plaidoyer de la Fondation pour la nature et pour l’Homme. La locataire de la rue de Varenne s’est toujours montrée en phase avec les positions du syndicat majoritaire. Sans surprise, elle a défendu bec et ongles cette proposition de loi, qu’elle juge « consensuelle ».

    « Le RN agit comme le relais parlementaire de la FNSEA »

    Mais la FNSEA ne s’est pas contentée de tenir le stylo du sénateur Duplomb. Comme relevé par « l’éco-lobbyiste » Jordan Allouche, la députée Renaissance Danielle Brulebois a ainsi déposé huit amendements explicitement coécrits avec le syndicat agricole. Ceux-ci proposent de supprimer la séparation entre vente et conseil en matière de pesticides, de reconnaître les bassines comme d’intérêt majeur, ou encore de restreindre la définition des zones humides afin de limiter leur protection.

    Même scénario avec le Rassemblement national : sur les 54 amendements du parti d’extrême droite, pas moins de 15, tous déposés par la députée du Lot-et-Garonne Hélène Laporte, ont été « travaillés en collaboration avec la FNSEA ». La plupart concernent les élevages industriels, selon le pointage de Jordan Allouche, pour qui « le RN agit comme le relais parlementaire » du syndicat.

    Par ailleurs, d’autres articles déposés par des députés du Rassemblement national reprennent fidèlement les positions de la FNSEA, sur l’Anses, notamment. Aucun de ces amendements n’est sourcé, mais rien n’oblige les députés à le faire. « C’est là que le bât blesse, pour le lobbyiste citoyen. Cette opacité pose une question de transparence démocratique. »

    Coup de téléphone à François Bayrou

    Outre cette influence rédactionnelle, l’organisation agricole a fortement poussé pour accélérer l’examen du texte. Mi-mars, Arnaud Rousseau téléphonait directement à François Bayrou afin de mettre la proposition Duplomb en haut de l’agenda parlementaire.

    Avec succès. « Alors qu’on croule sous les textes à examiner, qu’on peine à trouver du temps pour débattre de l’énergie ou de la fin de vie, on arrive à débloquer une semaine entière pour étudier ce texte, s’agace la députée écologiste Marie Pochon. Et ce, alors même que des textes qui parlent plus directement des revenus agricoles, comme celui baptisé Egalim 4, ont été remis aux calendes grecques. »

    Dernier point de pression, et non des moindres : nombre de députés ont reçu lettres, courriels et coups de fil de représentants agro-industriels les incitant à voter le texte. L’association nationale des producteurs de noisettes a par exemple écrit aux parlementaires du Sud-Ouest en dénonçant « les situations de distorsion de concurrence auxquelles ce texte pourrait mettre fin ». Lors d’une rencontre avec les élus de la Loire, la FNSEA leur a remis une « note d’analyse » — que Reporterre a consultée — sur la proposition de loi, rappelant la position « favorable » du syndicat sur ce texte.

    Lire aussi : Pesticides : la fuite en avant des cultivateurs de noisettes

    Une force de frappe inégalée par les associations écologistes. Tandis que certaines ONG ne sont jamais reçues par le ministère de l’Agriculture, « le syndicat majoritaire a ses entrées dans le bureau d’Annie Genevard », illustre Henri Clément, membre de l’Union nationale de l’apiculture française.

    Pour l’apiculteur, le poids de la FNSEA tient aussi à ses muscles. « Ils peuvent bloquer des routes avec leurs tracteurs, mettre le bazar jusque dans des ministères [comme le saccage du bureau de Dominique Voynet en 1999], rappelle-t-il. Et bien souvent, ils ne sont pas — ou peu — poursuivis. »

    « Ces revendications n’émanent pas de la base »

    Qu’il soit discret ou offensif, « il y a un fort lobbying de la FNSEA », constate Pierrick Courbon, député socialiste de la Loire et apiculteur amateur. Avec un discours bien rôdé : « Tandis qu’ils minimisent fortement les enjeux autour des néonicotinoïdes, ils sur-dramatisent la portée de ce texte, observe-t-il, avec des propos comme “si vous êtres contre ce texte, c’est que vous êtes contre apporter une réponse à la crise agricole”. »

    D’après l’élu, l’effervescence autour de la loi Duplomb tient surtout de « la mobilisation corporatiste ». En clair : le texte est davantage porté par la direction nationale de la FNSEA plutôt que par une volonté paysanne. « On entend partout que la loi répondrait aux demandes des agriculteurs, mais je n’ai pas entendu d’agriculteurs réclamer plus de néonicotinoïdes ou d’élevages industriels, abonde Marie Pochon. Ces revendications n’émanent pas de la base. »

    « La FNSEA et les sénateurs de droite savent qu’ils ont l’oreille attentive de la ministre de l’Agriculture, donc ils foncent »

    Un avis partagé par le sénateur socialiste de la Loire Jean-Claude Tissot, lui-même agriculteur : « Est-ce que le fait de supprimer toutes les avancées environnementales va apporter du revenu aux agriculteurs ? Pas du tout », nous disait-il en janvier. Le texte ne propose rien sur les prix agricoles, rien non plus sur le changement climatique. Selon un sondage du collectif Nourrir, seuls 4 % des agriculteurs répondants se disent préoccupés par « l’interdiction et la réduction de l’usage des phytosanitaires », quand ils sont 21 % à s’inquiéter du dérèglement climatique.

    Alors, pourquoi une telle offensive ? « C’est une politique de la terre brûlée, estimait Jean-Claude Tissot en janvier. La FNSEA et les sénateurs de droite savent qu’ils ont l’oreille attentive de la ministre de l’Agriculture, donc ils foncent. » Pour Marie Pochon, les défenseurs de l’agroproductivisme entendent également surfer sur la vague réactionnaire. « Il existe une “internationale fasciste” qui a une lourde capacité d’entraînement et d’influence, dit-elle, avec des relais politiques et médiatiques qui sont des fabriques de l’ignorance et des fake news. »

    Des décennies de bataille

    Apiculteur retraité, Henri Clément connaît bien la FNSEA, pour avoir ferraillé contre elle depuis trente ans. « C’est l’agrobusiness qui pilote le syndicat, estime-t-il. Et c’est le syndicat qui copilote les politiques agricoles en France depuis des décennies. » Pour lui, la loi Duplomb n’est donc qu’un énième épisode dans une bataille de longue date.

    « Dès la fin des années 1990, le syndicat agricole et ses antennes, comme l’Association générale des producteurs de maïs, ont tout fait pour défendre les néonicotinoïdes, se souvient le défenseur des abeilles. Ils n’ont jamais cessé de se battre contre leur interdiction. »

    Dit autrement, les dirigeants syndicaux profitent d’un contexte favorable à leurs idées productivistes pour pousser leur avantage. Mais cette machine apparemment bien huilée n’avance pas sans embûches. Le 7 mai, la commission développement durable de l’Assemblée a vidé de sa substance la proposition de loi, en supprimant toutes les mesures controversées. Bien que cette instance n’ait été saisie que « pour avis », « c’est une première victoire, insiste le député insoumis Sylvain Carrière. Il y a un fort rejet de ce texte, parmi la population et parmi les députés. »

    Le texte doit désormais être examiné les 13 et 14 mai par la commission des affaires économiques, dont la version sera soumise en séance plénière à la fin du mois.

  • Sur notre terrain

    Je précise tout de suite que le "notre terrain" n'est qu'une vision administrative, résultant d'un passage chez le notaire et par là même l'encaissement de son chèque par l'état. Si encore, je pouvais savoir à quoi cet argent va servir...

    Bref.

    On a donc acheté une maison et un hectare de terrain dans ce qui est dénommé "L'Ardèche verte". Plus vraiment verte en ce moment et qui le sera de moins en moins année après année. 

    On est resté quatre ans dans la Creuse et en quatre ans, on a planté des dizaines d'arbres, creusé une mare, organisé un potager bio.

    Au niveau biodiversité, quand on est arrivé, c'était la misère. En dehors des mouches, on ne voyait pas grand-chose. Quand on est parti, ce terrain aurait fait le bonheur d'un entomologiste ou celui d'un ornithologue. Le terrain grouillait de vie.

    Quant au potager, entièrement paillé, broyat, compost, multicultures, le sol était devenu en quatre ans, un concentré de vie. 

    On recommence tout à zéro ici. Le terrain n'était qu'un jardin d'agrément. On a déjà planté une vingtaine d'arbres et à l'automne, ça sera une cinquantaine de plus. Le potager est en place, entièrement couvert par des paillasses pour être à l'ombre. Dans deux ans, il sera ombragé par les robiniers faux-acacias dont la croissance est très rapide.

    Pour ce qui est de la biodiversité, c'est très pauvre. On amende le sol autant que possible. Les engrais verts sont à la base de tout.

     

    Engrais verts : comment enrichir et protéger le sol naturellement

     

    Conseils

    https://engrais-biocorn.fr/engrais-verts-enrichissement-sol/

    Un sol vivant et fertile est essentiel pour obtenir un jardin productif et des cultures en bonne santé. Pourtant, entre deux cultures ou pendant la période hivernale, il peut être mis à rude épreuve : érosion, perte de nutriments, compactage… Pour éviter ces désagréments et améliorer la structure du sol, les engrais verts constituent une solution naturelle et efficace.

    Cette technique agricole utilisée depuis des siècles permet d’enrichir le sol, de fixer l’azote, de stimuler la biodiversité et de préserver l’humidité.

    Mais comment choisir les engrais verts adaptés à votre terrain ? À quel moment et comment les semer pour en tirer tous les bénéfices ? Voyons en détail comment intégrer cette méthode dans un jardin bio.

    Pourquoi utiliser des engrais verts ?

    Améliorer la fertilité du sol

    Les engrais verts jouent un rôle clé dans l’enrichissement du sol. En poussant, ils captent les éléments minéraux disponibles et les restituent lors de leur décomposition. Ils constituent ainsi un apport de matière organique naturel qui améliore la structure du sol et favorise le développement des micro-organismes bénéfiques.

    En fonction des plantes utilisées, ils peuvent également fixer l’azote atmosphérique, un élément essentiel pour la croissance des cultures suivantes. C’est notamment le cas des légumineuses comme la féverole ou le trèfle.

    Protéger le sol de l’érosion et du compactage

    Pendant l’hiver ou lors des périodes de jachère, un sol nu est vulnérable. Le vent, la pluie et les écoulements d’eau peuvent entraîner une perte importante de matière organique et de nutriments.

    Les engrais verts couvrent rapidement le sol, limitant ainsi l’érosion et le lessivage des éléments minéraux. Leurs racines, en pénétrant profondément, structurent le sol et le rendent plus perméable, limitant ainsi le compactage dû aux intempéries ou au piétinement.

    Limiter la prolifération des adventices

    Un sol couvert est un sol où les mauvaises herbes ont plus de mal à s’installer. En occupant l’espace, les engrais verts empêchent les adventices (les plantes non désirées ou mauvaises herbes pour certains) de germer et de proliférer.

    Certains engrais verts, comme la moutarde ou le seigle, sécrètent même des substances qui ralentissent la germination d’autres plantes. Cette action allélopathique (interactions biochimiques réalisées par les plantes) est un atout supplémentaire pour réduire naturellement la pression des adventices sans recourir à des herbicides.

    Attirer les auxiliaires et stimuler la vie du sol

    Les engrais verts ne profitent pas qu’au sol : ils sont également bénéfiques pour la biodiversité du jardin. En fleurissant, certaines espèces attirent les insectes pollinisateurs et nourrissent la faune locale.

    Sous terre, la présence de racines stimule la vie microbienne et favorise le développement des vers de terre, qui améliorent encore la structure et l’aération du sol.

    Les différents types d’engrais verts

    Il existe plusieurs catégories d’engrais verts, chacun ayant des propriétés spécifiques. Selon votre sol et vos objectifs, vous pouvez choisir l’un ou plusieurs types de plantes.

    Les légumineuses : fixatrices d’azote

    Les légumineuses sont des engrais verts de choix pour enrichir naturellement le sol en azote. Elles ont la capacité de fixer l’azote atmosphérique grâce aux bactéries présentes sur leurs racines.

    Quelques exemples :

    Trèfle blanc, rouge ou incarnat : idéal pour améliorer un sol pauvre en azote.

    Luzerne : très utile pour les sols compactés, grâce à son système racinaire profond.

    Féverole et vesce : riches en biomasse et adaptées aux rotations culturales.

    Les graminées : protectrices du sol

    Les graminées sont particulièrement intéressantes pour stabiliser le sol, limiter l’érosion et piéger l’azote.

    Exemples :

    Seigle : très résistant au froid, il couvre efficacement le sol en hiver.

    Ray-grass : pousse rapidement et protège efficacement contre le lessivage.

    Avoine : idéale pour améliorer la structure des sols lourds et humides.

    Les crucifères : biofumigation et restructuration

    Certaines crucifères, comme la moutarde ou le radis fourrager, sont utilisées pour lutter naturellement contre les parasites du sol grâce à leurs propriétés biofumigantes. (voir notre précédent article sur le sujet)

    Elles sont aussi efficaces pour améliorer l’aération du sol grâce à leurs racines pivotantes qui brisent les couches compactes.

    Comment semer et utiliser les engrais verts ?

    Périodes idéales de semis

    Le choix du moment pour semer dépend de votre objectif :

    En automne : pour couvrir le sol pendant l’hiver et limiter le lessivage.

    Au printemps ou en été : pour structurer le sol et enrichir la terre avant une culture principale.

    Méthode de semis et densité

    Semez vos engrais verts à la volée sur un sol légèrement préparé. Ratissez ensuite pour enfouir légèrement les graines et arrosez régulièrement en cas de sécheresse.

    Veillez à respecter les densités recommandées afin de garantir une bonne couverture végétale.

    Quand et comment les enfouir ?

    Les engrais verts doivent être broyés et incorporés au sol avant leur floraison, pour éviter qu’ils ne montent en graines et deviennent envahissants.

    Après la coupe, laissez sécher les résidus quelques jours avant de les enfouir légèrement pour favoriser leur décomposition.

    Bonnes pratiques et erreurs à éviter

    Choisir la bonne espèce : adaptez votre engrais vert à votre type de sol et à vos besoins.

    Ne pas laisser fleurir : les engrais verts doivent être enfouis avant la floraison pour conserver leur efficacité.

    Varier les espèces : alterner les engrais verts en fonction des saisons améliore la structure du sol et limite les maladies.

    Ne pas oublier l’arrosage : certains engrais verts, comme la luzerne, ont besoin d’un sol légèrement humide pour se développer correctement.

    Les engrais verts sont une solution simple, économique et écologique pour améliorer la fertilité et la santé du sol. En les intégrant dans vos rotations culturales, vous optimisez la structure du sol, limitez l’érosion et stimulez la biodiversité de votre jardin.

    Que vous soyez jardinier amateur ou maraîcher bio, l’utilisation des engrais verts est un excellent moyen d’entretenir votre sol naturellement tout en préparant les prochaines récoltes.

  • Pétition contre la loi Duplomb

    Résultats ce soir : 608 808 signatures.

    Dont la mienne, bien évidemment.

    Et maintenant ? 

     

    Contestation de la loi Duplomb : la pétition contre le texte a dépassé les 500 000 signatures nécessaires à l'organisation d'un nouveau débat

    La pétition contre la loi Duplomb a réuni plus de 500 000 signatures en quelques jours. Conformément au règlement de l'Assemblée nationale, elle peut désormais déboucher sur un nouveau débat, sans vote.

    809 commentaires

    Article rédigé par franceinfo - Matthias Troude

    Radio France

    Publié le 19/07/2025 08:39 Mis à jour le 19/07/2025 16:02

    Temps de lecture : 2min Les opposants à la loi Duplomb, adoptée début juillet, rassemblés le 27 mai près de l'Assemblée nationale. (photo d'illustration) (LEO VIGNAL / AFP)

    Les opposants à la loi Duplomb, adoptée début juillet, rassemblés le 27 mai près de l'Assemblée nationale. (photo d'illustration) (LEO VIGNAL / AFP)

    À peine adoptée à l'Assemblée, et déjà une mobilisation pour l'abroger. La loi Duplomb fait l'objet d'une des pétitions les plus plébiscitées de l'histoire : quelques jours après avoir été initiée par une étudiante sur la plateforme de l'Assemblée nationale(Nouvelle fenêtre), elle a dépassé samedi 19 juillet le cap des 500 000 signatures. Selon le règlement de l'Assemblée nationale, la Conférence des présidents de l'Assemblée peut donc désormais organiser un débat public dans l'hémicycle. La Conférence décide seule et aucun recours n'est possible.

    Dans un message sur X (ex Twitter), le président du groupe socialiste à l'Assemblée, Boris Vallaud, "demande à Yaël Braun-Pivet et aux autres présidents de groupe l'inscription de cette pétition sur la loi Duplomb à l’ordre du jour de l’Assemblée dès la rentrée."

    La loi Duplomb, adoptée la semaine dernière, réintroduit un pesticide interdit depuis 2018, favorise les élevages intensifs et le stockage de l'eau dans des mégabassines. Elle est largement dénoncée par les associations environnementales et les partis de gauche. 

    : à lire aussi Loi Duplomb : la façade de la permanence du député écologiste Jean-Louis Roumégas vandalisée à Montpellier par la Coordination rurale

    Le succès de la pétition traduit "une colère qui n'a fait que monter depuis quelques mois", assure Nadine Lauverjat, déléguée générale de Générations Futures, association de défense de l'environnement, invitée de franceinfo samedi matin. D'ordinaire la plateforme de pétitions sur le site de l'Assemblée nationale "ne fonctionne pas tellement, peu de pétitions réussissent à vraiment franchir des caps assez importants", rappelle-t-elle. Pour Nadine Lauverjat, un débat serait déjà "une étape importante qui [permettrait] de remettre de la démocratie et de la discussion, faire valoir des arguments qui sont forts, amener d'autres élus à déposer une proposition de loi pour [la] contrer". 

    Une pétition qui recueille 100 000 signatures obtient le droit d'être affichée sur le site de l'Assemblée et se voit attribuer une commission, en l'occurrence la commission des Affaires économiques. Puis, si elle atteint 500 000 signatures dans au moins 30 départements ou collectivités d'outre-mer, elle peut être débattue dans l'hémicycle, sans vote, si la Conférence des présidents l'accepte, ce qui n'est jamais arrivé. Jusqu'ici, la pétition "pour la dissolution de la Brav-M" était la seule à avoir dépassé les 100 000 signatures à l'Assemblée. 

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    Plateforme des pétitions de l’Assemblée nationale

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    Liste des pétitions

    Aide

     

    Non à la Loi Duplomb — Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective.

     

    Date limite de recueil des signatures 17/07/2026

    Pétition

    La plateforme des pétitions de l'Assemblée nationale permet aux citoyens d'adresser des pétitions à l'Assemblée nationale et de signer des pétitions déjà déposées.

    Chaque pétition est attribuée à l'une des huit commissions permanentes de l'Assemblée nationale, en fonction de la thématique qu'elle aborde. Les pétitions ayant recueilli au moins 100 000 signatures sont mises en ligne sur le site de l'Assemblée nationale pour plus de visibilité.

    Après attribution de la pétition à une commission, les députés de la commission désignent un député-rapporteur qui propose ensuite soit d'examiner le texte au cours d'un débat faisant l'objet d'un rapport parlementaire, soit de classer la pétition.

    La Conférence des présidents de l'Assemblée nationale peut également décider d'organiser un débat en séance publique sur une pétition ayant recueilli au moins 500 000 signatures, issues d'au moins 30 départements ou collectivités d'outre-mer.

    608 808/500 000 SIGNATURES

    Non à la Loi Duplomb — Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective.

    Avatar Eleonore PATTERY

    10/07/2025

    Identifiant: N°3014

    Je m'appelle Eléonore PATTERY, j’ai 23 ans, et je suis actuellement en Master QSE et RSE (Qualité, Sécurité, Environnement / Responsabilité Sociétale des Entreprises).

    En tant que future professionnelle de la santé environnementale et de la responsabilité collective, j’apprends chaque jour à appliquer ce que vous — législateurs — refusez aujourd’hui de respecter vous-mêmes.

    La Loi Duplomb est une aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire.
    Elle représente une attaque frontale contre la santé publique, la biodiversité, la cohérence des politiques climatiques, la sécurité alimentaire, et le bon sens.

    - Cette loi est un acte dangereux.
    Pour les travailleurs, les habitants, les écosystèmes, les services écosystémiques, et pour l’humanité tout entière.
    Elle fragilise les réseaux trophiques et compromet la stabilité de notre environnement — dont nous dépendons intégralement.
    Nous sommes ce que nous mangeons, et vous voulez nous faire manger quoi ? Du poison.

  • Loi Duplomb

    Est-ce qu'il est nécessaire de dire ce que j'en pense ?

    En tout cas, si je venais à apprendre qu'un des votants "pour" est atteint un jour d'un cancer, je sais que je n'aurais absolument aucune compassion pour lui ou elle.

     

    Loi Duplomb : découvrez si votre député a voté pour ou contre ce texte controversé sur l'agriculture

     

    Cette proposition de loi, censée répondre aux revendications de la profession, prévoit notamment la réintroduction d'un pesticide de type néonicotinoïde. Elle a été définitivement adoptée malgré l'opposition d'une partie des députés du "bloc central".

    Mathieu Lehot-Couette

    Publié le 08/07/2025 19:37

    L'Assemblée nationale a définitivement adopté, mardi 8 juillet, la proposition de loi "visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur", déposée par les sénateurs Laurent Duplomb (LR) et Franck Menonville (UDI). Les députés ont voté, à 316 voix pour et 223 voix contre, ce texte défendu par les principaux syndicats agricoles, dont la FNSEA, mais très décrié pour plusieurs mesures dénoncées par ses opposants comme des reculs en matière d'environnement et de santé publique. Il prévoit notamment la réintroduction de l'acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes interdit en France depuis 2018, mais autorisé ailleurs en Europe jusqu'en 2033.

    : à lire aussi Néonicotinoïde, mégabassines, élevage intensif... Les mesures clés de la proposition de loi Duplomb, controversée mais définitivement adoptée

    Comment le député de votre circonscription s'est-il positionné sur ce texte controversé ? Utilisez le moteur de recherche ci-dessous pour le découvrir. Les députés Michel Castellani et Estelle Youssouffa, membres du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot), ont fait savoir après le vote, auquel ils n'ont pas participé, qu'ils avaient voulu voter contre.

    Comment votre député a-t-il voté sur la proposition de loi Duplomb ?

    Franceinfo ne conservera pas votre adresse.

    Pour

    Xavier Breton

    Xavier Breton

    Droite Républicaine

    1ère circonscription de l'Ain (01)

    Pour

    Romain Daubié

    Romain Daubié

    Les Démocrates

    2ème circonscription de l'Ain (01)

    Non-votant

    Olga Givernet

    Olga Givernet

    Ensemble pour la République

    3ème circonscription de l'Ain (01)

    Pour

    Jérôme Buisson

    Jérôme Buisson

    Rassemblement National

    4ème circonscription de l'Ain (01)

    Pour

    Marc Chavent

    Marc Chavent

    Union des droites pour la République

    5ème circonscription de l'Ain (01)

    Pour

    Nicolas Dragon

    Nicolas Dragon

    Rassemblement National

    1ère circonscription de l'Aisne (02)

    Pour

    Julien Dive

    Julien Dive

    Droite Républicaine

    2ème circonscription de l'Aisne (02)

    Pour

    Eddy Casterman

    Eddy Casterman

    Rassemblement National

    3ème circonscription de l'Aisne (02)

    Pour

    José Beaurain

    José Beaurain

    Rassemblement National

    4ème circonscription de l'Aisne (02)

    Pour

    Jocelyn Dessigny

    Jocelyn Dessigny

    Rassemblement National

    5ème circonscription de l'Aisne (02)

    Utilisez la barre de recherche au dessus pour faire apparaître les résultats de votre recherche.

    Source : Assemblée nationale - 17e législature, scrutin n°2957 - Crédit : franceinfo

    La répartition des votes entre groupes parlementaires montre une fracture attendue entre d'un côté la droite et l'extrême droite, qui ont largement soutenu le texte, et de l'autre côté les groupes de gauche, qui ont massivement voté contre. Les députés du "bloc central", en revanche, ont voté en ordre plus dispersé. Si les groupes Ensemble pour la République, Horizons et MoDem ont tous majoritairement approuvé le texte, une partie de leurs membres se sont abstenu et d'autres ont même voté contre, comme certains l'avaient annoncé en amont.

    Répartition des votes des députés par groupe parlementaire

    Pour (316)

    Contre (223)

    Abstention (25)

    Non-votant (13)

    Il y a 316 Pour , 223 Contre , 25 Abstention , 13 Non-votant .

     

    Nombre de votes

    Le groupe La France insoumise a voté : contre à 71 voix.

    Le groupe Gauche Démocrate et Républicaine a voté : contre à 17 voix.

    Le groupe Ecologiste et Social a voté : contre à 38 voix.

    Le groupe Socialistes et apparentés a voté : contre à 65 voix. 1 n'a pas voté.

    Le groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires a voté : pour à 12 voix. contre à 3 voix. 6 se sont abstenus. 2 n'ont pas votés.

    Le groupe Les Démocrates a voté : pour à 26 voix. contre à 9 voix. 1 s'est abstenu.

    Le groupe Ensemble pour la République a voté : pour à 64 voix. contre à 14 voix. 10 se sont abstenus. 5 n'ont pas votés.

    Le groupe Horizons & Indépendants a voté : pour à 26 voix. contre à 3 voix. 4 se sont abstenus. 1 n'a pas voté.

    Le groupe Droite Républicaine a voté : pour à 47 voix. 1 s'est abstenu.

    Le groupe Union des droites pour la République a voté : pour à 16 voix.

    Le groupe Rassemblement National a voté : pour à 119 voix. 2 se sont abstenus. 2 n'ont pas votés.

    Le groupe Députés non inscrits a voté : pour à 6 voix. contre à 3 voix. 1 s'est abstenu. 2 n'ont pas votés.

    Source : Assemblée nationale - 17e législature, scrutin n°2957 - Crédit : franceinfo

    En première lecture, le 26 mai dernier, la proposition de loi avait fait l'objet d'une motion de rejet qui avait empêché son examen à l'Assemblée nationale. Le texte avait ainsi terminé en commission mixte paritaire où quatorze députés et sénateurs se sont entendus sur une version commune, celle qui a été votée mardi. Plusieurs mesures ont été édulcorées à cette occasion. L'Anses, l'agence de sécurité sanitaire, dont l'indépendance au sujet de l'évaluation des pesticides était menacée, est davantage préservée dans la version finale. Une réglementation qui risquait de mettre en péril les zones humides a également été écartée à cette occasion.

    Pas de quoi satisfaire les opposants qui dénoncent une "loi poison". Les parlementaires insoumis, écologistes et socialistes ont annoncé qu'ils déposeraient des recours devant le Conseil constitutionnel, estimant pour certains que la loi contrevient aux principes de précaution et de non-régression environnementale.

     

     

     

     

     

  • L'animisme

     

    Jarwall le gardien du livre

    En envoyant Jarwal le lutin en Colombie, dans la Sierra Nevada, là où vivent les Indiens Kogis, l'idée était bien d'explorer cette vision du monde et de la part d'un lutin, c'était une voie incontournable. 

    Jarwal le lutin : la Création

    Le 03/01/2012

     

    "Jarwal était surpris de ce bien-être qui l’envahissait à de brefs instants, de cette joie indéfinissable qui survenait sans aucune raison apparente. Cette idée que le monde qui l’environnait était extérieur à lui devenait absurde. Il n’y avait pas de rupture entre son observation et l’élément observé, ni entre lui, l’observateur et le Monde. Tout cela formait un Tout. Il en devinait même une impression encore plus fascinante. Le Monde existait à travers ses regards tout comme lui s’inscrivait dans ce Monde. L’un et l’autre se nourrissant. Deux éléments constitués de la même matière, animés de la même énergie, juste séparés en apparence par des formes multiples.

    Il était un lutin entouré d’un Monde infini mais rien, en dehors de cette imagination illimitée de la Création, ne séparait les œuvres. Il y avait en lui, tout comme au cœur des arbres, des animaux, du ciel, de l’eau des éléments identiques. La Vie avait peut-être créé les formes pour accueillir des esprits capables d’observer la Vie.

    La Vie s’observait à travers sa Création et elle existait par conséquent pour elle-même à travers l’attention que lui portaient toutes les formes créées. Les Kogis, les Maruamaquas, Gwendoline, le Petit Peuple, les oiseaux, les poissons, les arbres, les fleurs, les papillons et les chevreuils, les scarabées et les renards, tout ce qui vibrait au cœur de la Vie permettait à la Vie de se réjouir d’elle-même.

    Peut-être ces formes innombrables n’étaient-elles que la matérialisation de la joie de la Vie pour elle-même, des émotions magnifiques qu’elle tenait à voir évoluer au cœur d’une nature mirifique. Les êtres humains et le Petit Peuple étaient peut-être nés de ses émotions les plus fortes. Peut-être représentaient-ils l’apogée de son amour pour elle-même. Et dès lors ces créatures portaient en elles l’ultime tentative de la Vie, l’apogée de son amour. L’objectif de ces formes animées, de ces âmes magnifiées consistait à honorer la Vie pour cet amour d’elle-même.

    Tout ce qui vivait du flux originel portait un Amour ineffable. Seuls les hommes s’étaient séparés de cet Amour, avaient éteint cette conscience de la Vie en eux. Comme une création aléatoire, une tentative avortée, une esquisse inachevée. Les hommes devaient apprendre à devenir ce que la Vie leur proposait. Au risque de ne jamais devenir des êtres humains.   

    Un sourire intérieur et cette envie irrépressible de serrer la main de Gwendoline. Un partage indispensable.

    Elle le regarda intensément, une certaine surprise et puis cet abandon au bonheur qui devenait si simple. Des mots d’amour dans le silence brillant des yeux."

     

     Publication de l'Ecole Jungienne de Psychanalyse Animiste - 

     

    "L’animisme, ou le seul langage qui nous relie encore au monde

    Réapprendre à écouter la terre plutôt que l’interpréter

    « Les animistes sont des personnes qui reconnaissent que le monde est peuplé de personnes, dont beaucoup ne sont pas humaines, et que la vie se vit toujours en relation. »

    — Graham Harvey, Animism: Respecting the Living World (trad. personnelle)

    Le vertige d’un monde délié

    Nous vivons une époque paradoxale. Jamais nous n’avons été aussi informés, connectés, outillés. Et pourtant, jamais nous n’avons été aussi seuls. Déliés de la terre, séparés du ciel, méfiants vis-à-vis des eaux, sourds aux messages du vent, nous habitons un monde désenchanté. Ce n’est pas un monde sans dieux : c’est un monde sans liens.

    Les anciennes cosmogonies, les mythes, les saisons — tout cela, que nous reléguons au folklore — portaient en réalité une grammaire relationnelle. Le sol n’était pas un sous-sol, mais une matrice. L’arbre n’était pas un objet paysager, mais un être. Et la nature, loin d’être un décor, était un vis-à-vis.

    L’animisme, ce qui reste quand on cesse de régner

    Le mot « animisme » est souvent mal compris. On l’associe à des superstitions primitives, à des peuples lointains, à des pratiques chamaniques plus ou moins ésotériques. Mais l’animisme n’est pas une religion. C’est un mode de relation. C’est le nom donné à cette expérience directe que tout est vivant.

    L’animisme ne demande pas d’y croire. Il demande d’écouter.

    « Nous sommes des êtres spirituels, et nous avons besoin de spiritualité plus que jamais. Nous devons comprendre que la nature nous a donné naissance, qu’elle est notre maison et notre source de bien-être. »

    — David Suzuki, The Sacred Balance (trad. française de l’édition 2009, Les Éditions Ecosociété)

    La clé de cette spiritualité n’est pas une croyance imposée. Elle est une perception retrouvée.

    Le chamanisme n’est pas la réponse : il est une mémoire

    Le retour massif du chamanisme dans les sociétés occidentales interroge. Pourquoi des cadres, des thérapeutes, des artistes se tournent-ils vers la Mongolie, la Sibérie ou l’Amazonie pour trouver ce qui leur manque ?

    Parce que nos terres ont été dépossédées de leurs mythes, et que notre langue n’a plus les mots pour dire l’âme du monde.

    Mais attention : importer le chamanisme tel quel ne suffit pas. Car ce n’est pas notre mémoire, ce ne sont pas nos rythmes. Ce sont les rêves d’un autre peuple, les chants d’un autre monde. Le chamanisme peut être un miroir, une inspiration, un tison pour rallumer le feu. Mais il ne saurait devenir notre propre parole.

    Ce que nous avons à retrouver, c’est notre propre façon d’être en lien avec le vivant, ici et maintenant, sur cette terre, avec cette langue, avec ces saisons.

    Nos anciens savaient

    Nous avons été animistes. Cela n’est pas réservé aux peuples dits “premiers”. L’Europe elle-même fut tissée de présences. Il y avait des esprits dans les sources, des génies dans les arbres, des nymphes dans les montagnes. Le monde était habité.

    Les druides, les sages, les femmes-herboristes, les conteurs de veillées… Tous vivaient dans un monde peuplé, dans un monde où chaque chose avait une parole à offrir.

    Puis est venue l’époque du soupçon, de la désacralisation, de la pensée-machine. Mais l’âme ne meurt jamais : elle se retire. Et aujourd’hui, elle nous appelle à la rejoindre là où elle s’est réfugiée : dans la douceur d’une lumière matinale, dans le chant d’un merle, dans la patience d’un ruisseau.

    Rythme du monde, rythme de l’âme

    Il ne s’agit pas seulement d’écologie. Il s’agit de rythme. Le grand désaccord de l’homme moderne, c’est qu’il ne bat plus au même tempo que le monde. Il s’est désaccordé.

     

    L’animisme n’est pas un regard passéiste sur le monde. C’est un art d’habiter le présent dans sa densité vivante. C’est un recentrage. Une respiration. Une manière de se souvenir que nous ne sommes pas des cerveaux embarqués dans une machine biologique, mais des êtres traversés par des souffles plus vastes.

    Le monde nous parle, mais savons-nous encore l’écouter ?

    Les peuples animistes ne croient pas que la nature est sacrée. Ils savent qu’elle l’est. Cette connaissance n’est pas métaphysique. Elle est intime, sensorielle, quotidienne.

    L’arbre ne se demande pas s’il doit pousser. Il pousse. La pluie ne justifie pas son action. Elle tombe. Le renard ne joue pas un rôle. Il suit sa nature. Le monde agit selon sa nécessité vivante, et c’est cela qui est juste.

    « Chaque chose étant ordonnée à elle-même en faisant ce qu’elle sait faire, chaque chose étant dans son énergie propre, tout est juste. »

    — Bertrand Vergely, Dieu veut des dieux, Le Passeur éditeur, 2018

    Et nous ? Savons-nous encore ce que nous savons faire, profondément ? Sommes-nous encore capables de vivre dans notre propre rythme, et non dans celui imposé par la machine, le calendrier, le marché ?

    Vers une spiritualité incarnée

    L’animisme ne réclame pas de temples. Il réclame des lieux d’écoute. Il nous invite à faire silence, à ouvrir la main au lieu de la refermer, à consentir à ne pas tout comprendre. Il nous invite à redevenir élèves du monde.

    Il ne s’agit pas de croire que la pierre a une âme. Il s’agit de laisser l’âme venir à soi quand on touche la pierre. Il ne s’agit pas de parler aux animaux. Il s’agit de les regarder dans les yeux et se souvenir de ce que nous avons oublié.

    Le retour au vivant n’est pas une option

    Nous vivons une époque où l’homme cherche un sens à son existence alors que le monde entier cherche un sens à la présence de l’homme. L’animisme est la seule réponse possible, non parce qu’elle est à la mode, mais parce qu’elle est fondamentale, oubliée, refoulée.

    L’Occident ne retrouvera pas le lien par la technologie, ni par la psychologie seule, ni par la consommation éthique. Il le retrouvera en se tenant de nouveau humblement devant ce qui est, et en acceptant que le monde est sujet, pas objet.

    Nous ne sommes pas au centre. Nous sommes dans le tissu. Et cela change tout."

     

  • Ascension

     

    On marche, Là-Haut.

    Je ne tombe pas, mon corps suit le rythme, ma cheville tient, les mollets durcissent au fil des kilomètres mais j'ai appris à les détendre en visualisant l'enroulé du pied, jusqu'à la poussée totale des orteils, la musique dans les oreilles, les yeux rivés sur les pierres, sur les racines ou levés vers les sommets quand le chemin est plus facile. Des sorties de cinq, six heures, plus de mille mètres de dénivelée, les mains qui serrent les bâtons, les épaules qui poussent dans les montées ou supportent les appuis dans les descentes, on court parfois et il m'arrive d'en rire intérieurement.

    Je suis Là-Haut, rien d'autre ne compte. Je continue l'ascension dans ma vieillesse, celle qui s'ajoute jour après jour mais qui ne peut éteindre la joie de l'effort, la sueur sur mon front, la brûlure de mes cuisses, le bonheur de l'eau du torrent, les cieux ouverts depuis les cimes.

    J'ai vécu un moment très intense dans une descente raide, technique, des sangles rocheuses, couvertes de pierres qui glissaient sous les pieds. Dans un appui sur la cheville gauche, celle qui est devenue fragile, alors que rien ne le justifiait, j'ai eu un coup au ventre, l'impression que le pied allait se défausser et que j'allais tomber et j'ai senti la douleur dans mon corps, une électrification extrêmement précise, comme si la cheville se tordait, le craquement, la chute. Invraisemblable.

    Je sais, depuis le temps, combien le corps garde en mémoire les traumatismes et ça n'est pas la première fois que surgit ainsi un souvenir traumatique. Je n'ai eu aucune pensée qui aurait pu raviver la peur, aucun déséquilibre, rien qui ne vienne justifier ce choc émotionnel. Et pourtant...

    Je suis convaincu que tous nos traumatismes devraient être pris en charge pour être épurés. Nous gardons en mémoire des charges dangereuses. Cette peur fulgurante aurait pu m'amener à prendre un mauvais appui, à me priver de ma concentration pendant un quart de seconde, le temps suffisant pour plonger en avant.

    Là, il ne s'agissait que du souvenir de la dernière entorse, rien de bien dramatique au regard des hernies discales. Ou de la menace générée par la sténose.

    La puissance de l'inconscient est redoutable. Cette mémoire incontrôlable, ce chaos intérieur, il faut l'étreindre, l'explorer, l'ausculter, le disséquer parce qu'il est mortifère et qu'il porte atteinte à la vie. Je n'existe pas dans ce passé mais j'en ai gardé des traces. Je n'existe pas dans la menace de la sténose mais il arrive qu'elle impose sa présence dans l'instant. Cette gestion du temps, je l'apprends en montant Là-Haut. Ni passé, ni futur, juste le pas en cours, celui que je dois réussir, celui sur lequel je dois offrir toute mon énergie. Pour rester debout. 

    P8140136

     

     

  • Paul-Emile VICTOR : 1973

    Il est malhonnête de dire que nous ne pouvions pas prévoir. 

    Page d’aide sur l’homonymie

    Pour les articles homonymes, voir Victor.

    Paul-Émile Victor

    Portrait d'après photo

     

     

    modifier - modifier le code - modifier WikidataDocumentation du modèle

    Paul Eugène Victor, dit Paul-Émile Victor ou PEV, né le 28 juin 1907 à Genève et mort le 7 mars 1995 à Bora-Bora, est un explorateur polaire, scientifique, ethnologue, écrivain français, fondateur et patron des expéditions polaires françaises durant vingt-neuf ans.

    Biographie

    Jeunesse et débuts de carrière (1907-1934)

    Paul Eugène[1] Victor naît le 28 juin 1907 à Genève en Suisse, de parents français immigrés d'origine juive d'Europe centrale. Il est le fils d'Erich Heinrich Victor Steinschneider, issu d'un milieu aisé de juristes et d’industriels originaires de Bohême, et de Maria Laura Baum, issue d’une famille bourgeoise polonaise établie à Vienne, installés dans le Jura à partir de 1906. C’est le 10 juin 1907 qu'Erich Heinrich Victor Steinschneider obtient de la lieutenance générale impériale et royale du royaume de Bohême l’autorisation de changer son nom en « Éric Victor ». Soucieux de s'intégrer dans sa nouvelle patrie, cette francisation (en choisissant son troisième prénom comme patronyme) lui permet de masquer la consonance germanique de son nom dans un pays encore marqué par la guerre de 1870[2].

    Les parents choisissent Genève, où ils connaissent une doctoresse réputée, pour qu'y naisse leur premier enfant, Paul, déclaré de nationalité autrichienne à sa naissance. Sa sœur Lily Marguerite naît le 30 novembre 1908.

    Paul passe une partie de son enfance en France à Saint-Claude dans le Jura où son père possède une usine de pipes en bruyère, les « Établissements E.H.Victor »[3].

    En 1916, ses parents déménagent à Lons-le-Saunier, toujours dans le département du Jura, où son père crée une nouvelle usine de pipes qui se diversifie en 1928 dans la fabrication de stylos, l'Angleterre, son principal pays débouché s'étant réservé le monopole de la vente de pipes sur son territoire[4].

    Très jeune, Paul-Émile se réfugie dans le grenier, loué avec l'appartement de la « Villa Bernard »[5], propriété de la famille Bernard-Genin, où il se plonge dans une collection de livres et de revues, d'affiches et de récits d'aventures, d'exploration et d'ethnologie, qui éveillent en lui des rêves et la passion des voyages polaires et polynésiens[6]. Il entre aux Éclaireurs de France (où il devient « Tigre Souriant »[7]) dont il sera responsable local et avec qui il gardera des liens tout au long de sa vie. Il revient sur cet épisode de sa vie dans son livre de souvenirs « La Mansarde ».

    En 1925, ayant obtenu les baccalauréats sciences-langues-math-philo, il poursuit une formation d’ingénieur à l'École centrale de Lyon qu'il quitte en fin de troisième année sans diplôme, pour passer et réussir le concours d'entrée de l'École nationale de navigation maritime de Marseille, dont il sortira diplômé le 26 novembre 1928. Il fait ensuite son service militaire dans la Marine nationale : incorporé en mai 1929 à Toulon, le matelot de deuxième classe Victor devient après ses classes élève officier sur le bateau-école cuirassé Voltaire puis aspirant sur le porte-avions Béarn. La Marine, dont il se fait une idée plus poétique, le déçoit[8].

    En 1931, il obtient un brevet de pilote d'avion, grâce à son instructeur et ami, Claude de Cambronne. Les deux années suivantes, il est employé aux Établissements E.H. Victor mais rapidement, son désir d'aller explorer les îles polynésiennes l'en détourne. Arrivé à Paris en septembre 1933, il obtiendra bientôt le diplôme de l'Institut d'ethnographie du Trocadéro de Paris[9].

    Premières expéditions au Groenland (1934-1939)

    Demande de mission au Groenland par Paul-Émile Victor, mars 1934. Archives nationales.

    Affiche pour une conférence de Paul-Émile Victor, Théâtre municipal de Lons-le-Saunier, 12 mars 1938.

    En 1934, à la suite d'une rencontre décisive avec le célèbre et très médiatique commandant et explorateur polaire français Jean-Baptiste Charcot, il organise sa première expédition polaire grâce au Musée d'Ethnographie du Trocadéro de Paris et son directeur, Paul Rivet. Il embarque sur le Pourquoi-Pas ? du célèbre commandant et se fait débarquer avec trois compagnons, le médecin et anthropologue Robert Gessain, le géologue Michel Pérez[10] et le cinéaste Fred Matter-Steveniers, sur la côte est du Groenland pour sa première expédition polaire chez les « Eskimos » de la localité d'Ammassalik. Au cours de cette première année passée avec les inuits, il apprend à parler couramment leur langue.

    En 1935, à son retour en France, fort de son aura et de son sens de la communication exceptionnel, il acquiert une notoriété médiatique grâce à de nombreuses conférences et articles sur ses aventures, dans des revues diverses.

    En 1936, il réalise l'exploit de traverser le Groenland en traîneaux à chiens, d'ouest en est, avec ses compagnons Robert Gessain, Michel Pérez et le Danois Eigil Knuth. Arrivé à l'est, il reste quatorze mois seul à Kangerlussuatsiaq au sein d'une famille Inuit « comme un Eskimo parmi les Eskimos ». Aventure durant laquelle il a une liaison avec Doumidia, une « ravissante » jeune inuit de dix-neuf ans (il en a vingt-neuf).

    À son retour en France à bord du Quest de Gaston Micard, il rencontre un nouveau grand succès médiatique et scientifique grâce à ses nombreuses conférences et articles de presse et de revue diverses et publie pour le Musée de l'Homme les résultats de son étude ethnologique et ses nombreuses notes et dessins sur la culture traditionnelle groenlandaise entièrement organisée autour du phoque.

    En 1938, avec Michel Perez et le lieutenant Jacques Flotard (armée des Alpes, futur chef de corps de l’Ecole Militaire de Haute Montagne ), il effectue un raid transalpin Nice / Chamonix en traîneaux à chiens pour démontrer, avec succès, que les techniques polaires peuvent pallier les problèmes de transport d'hommes et de matériel en cas d'hiver rigoureux.

    En 1939, il réalise une étude ethnologique en Laponie norvégienne, finlandaise, suédoise avec ses amis les docteurs Michel Latarjet et Raymond Latarjet.

    Pilote de l'US Air Force (1941-1946)

    Paul-Émile Victor, lors de la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, est mobilisé dans la marine française basée à Stockholm en Suède. Il est à la fois officier de renseignement et officier de liaison avec la Finlande alliée jusqu'à l'armistice de 1940. Il quitte la France à l'automne 1940 et séjourne au Maroc puis en Martinique dans le cadre de missions ethnologiques, et arrive aux États-Unis en juillet 1941.

    En 1942, il s'engage dans l'US Air Force comme GI, avant de devenir, grâce à sa connaissance du milieu polaire, lieutenant-instructeur, pilote et parachutiste. Il prend par la suite le commandement d'une des escadrilles « recherche et sauvetage » de pilotes perdus en milieu polaire pour l'Alaska, le Canada et le Groenland et obtient à ce titre la double nationalité française et américaine.

    Rentré en France en décembre 1945, il est démobilisé en juillet 1946 et se marie le 30 juillet, avec Éliane Decrais (1918-2017) dont il a un premier fils le 30 mai 1947, Jean-Christophe[11] puis les jumeaux Stéphane et Daphné le 6 novembre 1952. Le 30 septembre 1971, il aura un autre fils Teva (sculpteur) avec sa seconde femme Colette[12].

    Chef des Expéditions polaires françaises (1947-1976)

    Article connexe : Expéditions polaires françaises.

    Les populations Inuits sont restées peu connues avant les récits des premiers explorateurs.

    Le 28 février 1947, après 13 ans d'exploration et d'ethnologie, Paul-Émile Victor s'oriente vers les expéditions scientifiques en créant les Expéditions Polaires Françaises - EPF - Missions Paul-Émile Victor[13] grâce à son charisme, à son don pour les relations publiques et avec l'appui entre autres des médias, du gouvernement et du député et ministre André Philip.

    De 1947 à 1976, il dirige les Expéditions polaires françaises. Au cours de ces vingt-neuf années, 150 expéditions sont menées, dix-sept d'entre elles qu'il vit et dirige personnellement en Terre Adélie en Antarctique et quatorze au Groenland en Arctique avec, entre autres, comme cadreur Samivel.

    Il est également chef de l'Expédition glaciologique internationale au Groenland (EGIG), président du Scientific Committee on Antarctic Research (SCAR), président du Comité antarctique français pour l'Année géophysique internationale (AGI).

    Paul-Émile Victor réalise en 1956 son premier voyage en terre Adélie. Il y installe, trois ans plus tard, la base antarctique Dumont d'Urville et la base Charcot 320 km vers l'intérieur du continent Antarctique. Pour progresser sur les zones glaciaires il fait fabriquer par l'intermédiaire de la Someto des chenilles spéciales dessinées par M. Cousin.

    À partir de 1962, il s'intéresse puis se passionne pour la défense de l'homme et de son environnement et devient en 1968 délégué général de la Fondation pour la Sauvegarde de la Nature, créée par Louis Armand.

    Le 1er mars 1965, il épouse en secondes noces à Tahiti, Colette Faure, une hôtesse de l'air qui vit dans une péniche voisine de la sienne, amarrée sur la Seine à Paris, dont il a un fils : Teva[14], né le 30 septembre 1971. C'est Colette qui lui fait découvrir le livre Printemps silencieux (Silent Spring) de l'océanographe américaine Rachel Carson, ouvrage qui le décide à s'investir pleinement dans le mouvement écologiste[15].

    En 1974, il crée le « Groupe Paul-Émile Victor pour la défense de l'homme et de son environnement » avec notamment, Jacqueline Auriol, Alain Bombard, Jacques-Yves Cousteau, Haroun Tazieff, les professeurs Louis Leprince-Ringuet et Jacques Debat, groupe dont les travaux fourniront la matière de son livre Jusqu'au cou… et comment s'en sortir publié en 1979 chez Nathan, où il aborde ce que l'on appelle aujourd'hui le « développement durable » dans une perspective globale et pratique.

    En 1976, à 69 ans, il prend sa retraite et transmet la direction des EPF à ses compagnons, notamment Jean Vaugelade et Gaston Rouillon, et devient membre du Conseil consultatif des TAAF (Terres australes et antarctiques françaises).

    Les Expéditions Polaires Françaises, après avoir été intégrées dans l'Institut Français pour la Recherche et la Technologie Polaires (IFRTP), ont laissé la place, au début des années 2000, à l'Institut polaire français Paul-Émile-Victor (IPEV [archive]), basé à Brest.

    Retraite en Polynésie (1976-1995)

    Bora Bora, où demeure Paul-Émile Victor de 1977 à sa mort.

    En 1977, il réalise son second rêve d'adolescent : avec sa femme Colette et leur fils, ils s'installent en Polynésie française sur leur motu, vierge, le Motu Tane (« l'île de l'homme » en langue tahitienne) à Bora-Bora, où il passe sa retraite à rédiger ses mémoires et des articles tout en dessinant beaucoup et en jouant encore, à l'occasion, de son énorme aura médiatique dans des causes diverses, et en recevant le gotha scientifique planétaire de passage dans cette île paradisiaque.

    Les 5 et 6 octobre 1982 a lieu à l'hôtel Drouot la vente de sa bibliothèque polaire et de voyages. Le catalogue comporte une intéressante introduction de Paul-Émile Victor expliquant les raisons de la vente : « il n'est guère possible de faire venir mes 125 mètres linéaires de ma bibliothèque polaire » et « raison profonde… je ne veux pas qu'ils aillent se noyer dans une bibliothèque de Musée… »[16].

    En 1987, pour fêter ses 80 ans, il retourne en février en terre Adélie, accompagné de quatre adolescents, son fils de 15 ans et trois étudiants français qui ont gagné un concours organisé par les Explorations polaires françaises et le journal Science et Vie[17]. Puis, le 5 mai, il pose pour la première fois le pied au pôle Nord avec l'expédition polaire en ULM de Hubert de Chevigny et Nicolas Hulot.

    En 1988, sur son île, il est frappé par un accident vasculaire cérébral qui le paralyse à moitié, mais dont il récupère en grande partie.

    En janvier 1989 est inauguré le « musée polaire Paul-Émile-Victor » à Prémanon, près des Rousses à 30 km de Saint-Claude, dans le Jura franc-comtois de son enfance, où il effectue de nombreux séjours lorsqu'il est en France. Ce musée fondé avec son ami jurassien Pierre Marc devient en 1998 le « Centre polaire Paul-Émile Victor », qui fermera définitivement ses portes le 31 mars 2016 pour faire place à l'Espace des Mondes Polaires Paul-Émile Victor.

    Il fut « consul » du royaume d'Araucanie et de Patagonie à Bora-Bora[18].

    Le 7 mars 1995, il meurt sur le Motu Tane à l'âge de 87 ans et, selon ses dernières volontés, est immergé en haute mer avec les hommages de la Marine nationale à bord du bâtiment de transport léger de la classe Champlain, le Dumont d'Urville.

    Paul-Émile Victor est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages scientifiques, techniques, de vulgarisation et d'aventures, et de très nombreuses revues et articles. Il obtient le prix de l'Académie française en 1973 pour l'ensemble de son œuvre littéraire, la grand-croix de la Légion d'honneur et le titre de Satrape du Collège de 'Pataphysique.

    Écrivain, dessinateur, protecteur de la nature avant l'heure, homme de cœur, de contact et de communication, « PEV » (comme l'appellent ses amis) a laissé en héritage - outre un institut polaire et un musée - un état d'esprit, celui qui a guidé sa vie d'explorateur et d'humaniste passionné, ouvert sur le monde et sur les autres. Depuis son plus jeune âge, il a porté et défendu des valeurs partagées avec le scoutisme telles que :

    l'esprit d’équipe, le sens du partage et de l’intérêt général, voire de l'intérêt national ;

    le sens de la responsabilité, personnelle et planétaire ;

    l'intégrité, l'indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques et financiers ;

    la curiosité, l'ouverture, la confiance en l’autre ;

    le sens de la transmission, l'écoute et le soutien aux générations futures…

    C'est pour pérenniser sa mémoire, son œuvre, ses convictions et ses valeurs que ses quatre enfants ont créé le fonds de dotation Paul-Émile-Victor, appelé, entre autres, à initier, monter ou soutenir tout projet, sportif ou non, polaire ou non, en concordance avec ces valeurs, fondamentalement humaines.

  • "Les scientifiques sont coupables"

    "Tandis que tous les efforts se portent sur la recherche des survivants, un début de polémique émerge : pourquoi les services météo n'ont-ils pas anticipé l'intensité des pluies de vendredi matin ?"

    Cette phrase tirée d'un article concerne le bilan humain des inondations au Texas et la recherche des "coupables". Car bien évidemment, les lyncheurs sont de sortie et les spécialistes météorologiques sont clairement pointés du doigt. Dans une population américaine qui a élu un climatosceptique notoire, il est de bon ton de s'en prendre aux "scientifiques qui auraient dû alerter sur les risques."

    Franchement, être un lanceur d'alerte aujourd'hui, c'est compliqué. Si vous dites qu'il faut un changement radical planétaire pour lutter contre le réchauffement climatique, c'est à dire une anticipation sur le pire à venir, vous êtes conspués et si vous n'avez pas su prévenir les populations des risques immédiats, vous êtes coupables d'incompétence.

    Mais il faut se souvenir que TrumpMusk ont déclenché des licenciements massifs et des pertes de budget. 

     

    Les prévisions météo globales face à des vents contraires sous l’administration Trump

     

    ouragan Dorian

    L'ouragan Dorian en 2019. Les centres de la NOAA homologués par l'OMM, comme le US National Hurricane Center à Miami, partagent avec le monde de précieuses données prévisionnelles. Keystone

    Donald Trump mène une offensive inédite contre tout ce qui touche aux questions environnementales et climatiques. Le président américain s’en prend à certaines agences scientifiques américaines avec des coupes qui pourraient détériorer la prévision météorologique et climatique partout sur la planète. Les milieux scientifiques et l’Organisation météorologique mondiale (OMM) tirent la sonnette d’alarme.

    Ce contenu a été publié sur 11 juin 2025 - 10:00

    11 minutes

    Le second mandat de Donald Trump a débuté sur les chapeaux de roues par une vertigineuse série de décrets, directives, licenciements et retournements politiques. Et les questions relatives à l’environnement et au climat sont depuis le début dans sa ligne de mire. L’une de ses premières mesures a été d’amorcer le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat – pour la deuxième fois.

    Mais Donald Trump s’en prend aussi à la recherche scientifique, notamment par des suppressions d’emplois massives dans certaines agences fédérales. C’est le cas de l’Administration nationale des océans et de l’atmosphère (NOAA), une agence dont les travaux de recherche et les données sont indispensables à l’Organisation météorologique mondiale (OMM), sise à Genève, ainsi qu’aux services de prévision météorologique partout sur la planète.

    La période est troublée pour la NOAA, l’une des principales agences dans le monde chargées de la prévision météo, de l’analyse du climat et de la conservation des milieux marins. Plus d’un millier de scientifiques et de spécialistes y ont été licenciés ou ont démissionné. Presque autant devraient bientôt connaître le même sort. Ces réductions représenteraient près de 20%Lien externe de l’effectif de la NOAA, qui emploie environ 13’000 personnes.

    Manifestation NOAA

    Manifestation devant un bâtiment de la NOAA à Boulder, dans le Colorado, le 3 mars dernier, pour dénoncer les licenciements au sein de l’institution par l’administration Trump. Reuters

    La NOAA, qui abrite aussi le service météorologique national des États-Unis, devrait encore voir ses moyens réduits ces prochaines années. Une propositionLien externe publiée par la Maison Blanche le 2 mai appelle le Congrès à diminuer le budget de l’agence d’au moins 25%, à 1,5 milliard de dollars pour 2026. L’administration Trump souhaite en outre tirer un trait sur la division de la NOAA chargée de la recherche océanique et atmosphérique et réduire les moyens destinés à la modélisation et la surveillance, par satellite notamment.

    Ces réductions s’inscrivent dans une tentative de couper toutes les dépenses liées au Green New Deal de l’ancien président Biden et de cibler certains programmes particuliers de la NOAA accusés par l’administration Trump d’avoir financé des actions pour «radicaliser» les élèves et «propager l’alarme environnementale».

    Les coupes dans le domaine de la prévision météorologique auront un impact mondial

    Les voix critiques avertissentLien externe que ces réductions pourraient affecter sévèrement le public américain tout comme les capacités de prévision météorologique en général. Il y aura en effet moins de spécialistes pour scruter le ciel.

    «Le personnel du service météorologique national sera dans l’incapacité de maintenir le niveau de services actuel, ont déclaré cinq ex- responsables dans une lettre ouverte. Notre pire cauchemar est qu’avec des bureaux de prévisions en tel sous-effectif, des vies soient inutilement perdues.»

    Les conséquences de ces coupes se feront également sentir à l’échelle mondiale.

    Pour l’OMM, qui célèbre cette année son 75e anniversaire, le leadership des États-Unis en matière de météorologie, de climat, d’hydrologie, d’océanographie et des sciences de l’atmosphère est d’une grande importance. La NOAA est un membre et un contributeur clé de l’OMM et de ses réseaux d’échange de données et d’observation, qui impliquent 193 pays. Les États-Unis contribuent à hauteur de 18 millions de dollars (15 millions de francs) au budget ordinaire de l’OMM, soit 22% du total.

    Contenu externe

    Made with Flourish

    L’OMM estime qu’il est trop tôt pour savoir si des programmes spécifiques seront affectés par les coupes américaines. Il est certain en revanche que les enjeux sont élevés.

    «Les États-Unis fournissent des données et une expertise essentielles en matière de météo, de climat et d’eau, toutes nécessaires au bien-être national et global dans un monde interconnecté», explique Clare Nullis, porte-parole de l’OMM.

    À titre d’exemple, les États-Unis fournissent jusqu’à un quart du flux de données satellitaires météorologiques utilisées à l’échelle de la planète. Et produisent 3% des observations météorologiques de surface partagées au niveau mondial et 12% des profils de radiosondage en altitude, qui sont des observations depuis le sol indispensables à la prévision météorologique.

    Les centres, satellites, études et renseignements de la NOAA reconnus par l’OMM permettent le suivi des phénomènes météorologiques extrêmes en Europe. Ils sont utilisés pour coordonner les secours en cas de catastrophe dans les Caraïbes et protéger les populations contre les cyclones tropicaux. Le US National Hurricane Center de Miami fournit des données prévisionnelles qui ont permis de «sauver des milliers de vies», selon l’OMM. Les centres de la NOAA suivent aussi la déforestation et les effets de la crise climatique dans la forêt amazonienne et fournissent un soutien à des secteurs économiques clés comme l’aviation et l’agriculture, aux États-Unis comme dans le reste du monde.

    lac de Brienz

    La police évacue les débris du lac de Brienz après qu’un violent orage a déclenché une coulée de matériau et endommagé bâtiments, véhicules, routes et infrastructures de transport public, le 13 août dernier. Keystone / Alessandro Della Valle

    Une «attaque frontale» contre la recherche sur le climat

    Partout sur la planète, des scientifiques s’expriment plus directement sur les impacts de ces coupes. Quelque 3300 expertes et experts de 34 pays ont signé une lettre ouverteLien externe adressée aux responsables du Congrès ainsi qu’au Secrétaire au commerce, Howard Lutnick. Ils les exhortent à mettre un terme à «l’assaut actuel» contre la NOAA.

    Ces scientifiques dénoncent les attaques incessantes contre cette agence et d’autres institutions scientifiques américaines de premier plan. Des attaques qui, selon eux, ravagent des décennies de précieuse recherche scientifique. A leurs yeux, ces coupes signifieraient en outre une abdication du leadership américain en matière de science du climat et une érosion du statut de puissance scientifique des États-Unis.

    Climatologue à la Cornell University, Natalie Mahowald, l’une des signataires de la lettre ouverte, parle d’une «attaque frontale» contre la recherche sur le climat.

    «Ils menacent de réduire la collecte de données des stations météorologiques et les prévisions météo. Cela signifie qu’elles seront dégradées et que nous perdrons des volumes de données de long terme nécessaires à la compréhension du climat. Qui plus est, toutes les recherches de la NOAA sur le climat sont menacées. Celles menées au sein des installations propres de la NOAA aussi bien que les financements aux universités, explique-t-elle. Tous le travail de l’OMM en sera affecté.»

    Scientifique de l’environnement à l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), Jacopo Riboldi met lui aussi en garde contre les conséquences néfastes pour la prévision météorologique, l’OMM et la recherche sur le climat global.

    «Les coupes budgétaires de l’administration Trump vont entraîner une incroyable perte d’expertise… De précieuses données utilisées par des scientifiques du monde entier risquent de devenir inaccessibles. Les logiciels pourraient ne plus être entretenus et dysfonctionner. Cela aura un impact sur les recherches à l’avenir, car il faudra redévelopper des outils et collecter à nouveau des données.»

    >>Écoutez ici le dernier épisode du podcast «Inside Geneva» qui traite de l’avenir de la coopération climatique sans les États-Unis (en anglais).

    L’OMM joue un rôle crucial pour la promotion de la recherche climatique et la coordination des partenariats public-privé dans le domaine de la météo, selon Jacopo Riboldi. Des États-Unis «non coopératifs et disruptifs» impactent l’ensemble du monde et risquent de dévaluer les valeurs intrinsèques de l’agence onusienne, ajoute-t-il.

    Des prévisions météorologiques dégradées

    Une série d’articlesLien externe de presse relèvent que les coupes au sein de la NOAA pourraient rendre les prévisions météo américaines moins fiables. Avec des conséquences indirectes qui inquiètent les professionnels ailleurs dans le monde.

    Des scientifiques australiens jugentLien externe que la réduction des effectifs aux États-Unis et le gel des collaborations internationales aura un «effet paralysant» sur la recherche climatique. Et pourraient «gravement dégrader» l’aptitude de l’Australie à prévoir la météo avec précision.

    La Société météorologique du Japon se déclareLien externe «profondément préoccupée» par ces reculs américains et leurs conséquences «non seulement pour les États-Unis mais aussi pour les agences météorologiques internationales».

    Dans la Confédération, MétéoSuisse, l’organisme météorologique national, utilise indirectement les prévisions et analyses américaines via l’échange de données mondial. «Si ce partage est limité, moins de données seront intégrées dans les modèles météorologiques. Théoriquement, cela influera sur la qualité des prévisions», indique Marco Gaia, chef Précision et conseil à MétéoSuisse.

    >>À lire aussi: les scientifiques s’appuient sur une constellation croissante de satellites et sur l’intelligence artificielle pour obtenir des informations plus précises sur les émissions de gaz à effet de serre:

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    Chercheuse kenyane au Grantham Institute for Climate Change de l’Imperial College de Londres, Joyce Kitumai juge «profondément troublants» les licenciements massifs et les réductions de financement aux États-Unis.

    «Des décennies durant, les contributions de la NOAA ont permis d’améliorer la précision des prévisions, de notre compréhension des tendances météorologiques extrêmes et des projections climatiques à l’échelle du monde. Ses systèmes d’observation de la planète, ses programmes satellitaires et ses réseaux de surveillance des océans sont l’épine dorsale de nombreuses collaborations internationales. Une NOAA affaiblie – par la perte de personnel ou de production scientifique, la réduction du partage de données et les coupes financières – fait planer une détérioration de la qualité, de la cohérence et de la disponibilité de ces informations cruciales», détaille-t-elle.

    Joyce Kitumai travaille aussi pour le département météo du Kenya. Elle souligne la gravité de la situation pour son pays, très vulnérable à des phénomènes extrêmes comme les inondations et les sécheresses.

    «Si la NOAA réduit ses capacités ou restreint l’accès à ses données et à ses outils de modélisation, cela aura des répercussions dans notre région, note-t-elle. En particulier pour les prévisions saisonnières et à long terme, essentielles à la planification et à la prévention des catastrophes.»

  • Contre la montre

     

     

    Au plus près de la réalité, seul le présent compte.

    Je pense que j'en suis là. Mais il y a un paramètre personnel qui a joué un rôle considérable. Depuis plusieurs années, je ne devrais pouvoir me déplacer que très difficilement, voire avec une canne et surtout souffrir jours et nuits. Et puis, non, finalement. Et la médecine n'y comprend rien.

    Donc, à travers cette épreuve quotidienne, je me suis retiré sans pour autant jamais cesser de lire et de m'informer mais avec cette distanciation liée à mon état. La priorité, c'était de continuer à pouvoir marcher et à monter sur les sommets. L'état du monde me devenait secondaire parce que de toute façon, si je mourais intérieurement, cloîtré dans mon lit, ce monde n'existerait plus du tout pour moi. Mais je marche encore et c'est ce qui contribue à ce que je continue à m'intéresser à cette humanité déliquescente.

    Par contre, je n'ai aucune visée pour autrui, aucun désir d'apporter quoi que ce soit. J'écris et je partage mais sans aucune intention. Que chacun et chacune en fasse ce qu'il veut. Non pas que ça ne m'intéresse pas mais juste que je n'ai aucun droit sur personne. 

    J'ai bien assez à tenter de gagner le contre la montre dans lequel je suis engagé, tout en sachant que je ne le gagnerai pas. L'idée est contraire à celle d'un contre la montre où l'individu doit aller d'un point A à un point B le plus vite possible, en courant de toutes ses forces. Moi, je vise la durée la plus longue possible et je sais que pour mettre toutes les chances de mon côté, je dois rester serein, contemplatif de cette vie qui m'anime encore et me permet de bouger. Et d'user des forces disponibles sans les brûler. Il s'agit d'avancer, sans s'occuper du temps que ça me prend. Je peux me réveiller demain avec un mal de dos épouvantable, un blocage complet, l'impossibilité de lancer ma jambe gauche en avant. Et il faudrait que je concentre mon énergie à tenter de comprendre le chaos de ce monde humain, à tenter d'y apporter des pistes de résolution ?  

    Et d'ailleurs, comment pourrais-je envisager de pouvoir changer les choses alors que les forces destructrices en action existent depuis des millénaires et n'ont jamais cessé de se renforcer et d'étendre leur pouvoir ? Dois-je m'épuiser dans cette lutte commune alors que j'ai besoin de toute mon énergie intérieure pour rester valide ? Non, bien évidemment. Et quand la colère revient devant l'immense impéritie des gouvernants, j'éteins tout et je vais m'asseoir dans l'herbe pour l'écouter pousser où je monte lentement au sommet d'une montagne ou je m'allonge et je regarde les nuages. On pourrait penser que c'est une fuite quand c'est bien au contraire la concentration des forces vitales. Pour continuer à exister tout autant que de sonder le monde en marche. 

  • Mutation des pouvoirs

    Une personne dont j'apprécie beaucoup les analyses. 

     

    Tchamé Dawa

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    Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai demandé à quel moment notre société allait enfin toucher le fond. Je disais "enfin", comme si ce moment allait être le début d'une période où le bon sens et la justice reviendraient, comme si les causes de l'effondrement allaient produire autre chose. Comme si le monde, au terme d'une période de décadence initiatique allait se remettre à l'endroit, la conscience éclairée, et ne plus laisser place aux absurdités qui ont ravagé notre société.

    Mais plus nous avançons, plus j'observe et plus je me rends compte que les temps actuels correspondent à une recomposition des pouvoirs, bien plus qu'à l'avènement d'une émancipation générale des forces du capital et de la souffrance qu'elles engendrent.
    Je ne vois pas disparaître le pouvoir des élites économiques, technocratiques ou militaro-financières, bien au contraire. Ce que je vois c'est que ces pouvoirs mutent dangereusement vers des formes plus autoritaires, épaulées par des technologies révolutionnaires (il n'y a plus que les technologies qui sont révolutionnaires de nos jours). Ce à quoi nous assistons impuissants est une redistribution des rôles, en Europe, aux USA, au Moyen Orient, en Afrique, etc. dont les populations locales subissent les conséquences sans en tirer de bénéfices.

    Les peuples sont les dindons de la farce, et je me demande comment on a pu imaginer qu'il y aurait "un monde d'après", ce "monde d'après" qui a tant fait fureur pendant la crise Covid, dont on disait qu'il allait nécessairement émerger car on saurait tirer les leçons du tragique épisode de 2020/2021. Mais que s'est-il passé ? Tout l'inverse du "monde d'après" fantasmé: recul de la démocratie, enrichissement honteux des plus grandes fortunes mondiales, mainmise de l'Europe sur les souverainetés nationales, piétinement du droit, invalidation d'élections ou même déni du résultat des urnes, comme en France.

    La protection sociale et toutes les institutions d'état dédiées au bien public sont systématiquement détruites, la précarisation est généralisée, et le contrôle social s'étend dangereusement. Les opposants sont broyés, menacés, tandis que certains meurent dans d'étranges circonstances. Les pouvoirs en place mais aussi les partis, avec l'aide des médias, instrumentalisent les mécontentements populaires et les divisions sont telles, la haine croît à une telle vitesse, qu'on envisage mal comment nous allons éviter une guerre civile. Chaque fête populaire vire à l'émeute.

    Comment sortir par le haut d'une situation pareille? On voit bien la spirale infernale: l'effondrement (économique, climatique, sécuritaire) est repris dans le narratif du pouvoir pour justifier des mesures qui respectent l'agenda des requins de la finance et provoquent encore plus de dégâts dans nos vies. Les politiques publiques servent avant tous les intérêts privés.

    Car le pire de tout ceci est sans doute la perte complète de souveraineté du peuple. Les grandes décisions sont prises sans lui et ne font l'objet d'aucun débat public. la constitution est instrumentalisée, détournée de son esprit et la représentation nationale est pervertie par des logiques partisanes de conquête du pouvoir, de carrière, voire de soumission à des intérêts économiques spécifiques. Les syndicats sont moribonds et n'ont pas plus d'effet que des organisateurs de kermesse. Quant aux élections, elles ne sont plus qu'un rituel obligatoire pour entretenir l'illusion d'un changement possible. Elles ne servent qu'à la mobilisation de militants au service de partis qui ont besoin pour durer que le système perdure, et qui font mine de le combattre. Formidable arnaque du militantisme partisan qui a leurré un certain temps un très grand nombre d'entre-nous. Formidable perte d'énergie populaire que ce militantisme, réducteur de la pensée, adepte du spectacle et des slogans, et qui en tout contradicteur reconnaît un ennemi.

    Tout ça pour dire que l'idée d'une issue positive à cet effondrement induit une sorte d'attente qui pourrait s'avérer extrêmement douloureuse. Car le gros des troupes en est là: tout le monde attend. Résister à cet effondrement, à l'oppression incessante que ce monde exerce sur chacun d'entre nous semble ainsi se limiter à "tenir le coup", c'est à dire à supporter l'impuissance, à étouffer les colères, à calmer les angoisses et gérer les coups de mou, bref, à tenir jusqu'au moment où... le "monde d'après" surgira ! Et cette attente d'un changement est paradoxale, en ce sens qu'elle doit à peu près tout à la paralysie qui naît de la peur du changement dans sa propre vie. Bouger, on voudrait bien, oui...mais c'est risqué ! Eternel dilemme.

    Nous voici donc à tourner en rond dans notre impuissance consentie, car quoique nous fassions, quelles que soient nos victoires sur la pesanteur ambiante, vient toujours le moment où il nous faut nous confronter de manière récurrente, à une forme de l'oppression nouvelle. On refait alors le tour de la cage dans laquelle nous nous sommes retrouvés enfermés. Prison technologique car nous voilà livrés à l'œil des caméras de surveillance et aux lecteurs de QR codes, et aliénation mentale, due à un déferlement d'images, de slogans et d'injonctions qui conduisent à la perte de concentration et d'attention, à l'abrutissement progressif et généralisé.

    Dans ces conditions, on le comprend, résister consiste évidemment en premier lieu à ne pas perdre la tête, ni le moral, à survivre économiquement, à comprendre ce qui se passe et à faire confiance au temps qui passe. D'autant plus qu'il y a au cœur de chacun d'entre-nous cette dangeureuse et irrationnelle conviction que le temps finira par jouer pour nous, parce que tout ceci est tellement absurde que cela ne peut pas durer éternellement et qu'ainsi, quelque chose DOIT et VA nécessairement arriver. Quoi ? Nul ne le sait. On lit des essais, on écoute les spécialistes auxquels on accorde un pouvoir visionnaire, mais force est de constater que certains voire la plupart se perdent en conjectures, et que ces brillants esprits n'ont pas eux-mêmes la moindre idée de ce qui vient. Pourtant, la certitude subsiste, un peu dingue, que quelque chose va se produire et qu'avec le temps, tout finira par passer: les salauds seront défaits, les guerres s'arrêteront et les mômes de Gaza ne seront plus mis en pièces ou abattus comme du gibier.

    Mais vu d'aujourd'hui, le "monde d'après" a vraiment une sale gueule et tout semble réuni pour qu'il devienne encore plus laid. L'effondrement pourrait très bien accoucher du pire s’il n’est pas accompagné d’un véritable projet alternatif crédible et motivant, dont personne n'a encore imaginé les modalités ou le contenu. C'est urgent, car comme l'écrivait Walter Benjamin, « derrière chaque fascisme, il y a une révolution manquée ». J'ai malheureusement bien peur qu'avec les Gilets jaunes, nous ayons raté le coche."

  • "Au fait, c’est quoi la biodiversité"?

     

     

    Au fait, c’est quoi la biodiversité (et pourquoi on devrait en parler plus) ?

     

    https://bonpote.com/au-fait-cest-quoi-la-biodiversite-et-pourquoi-on-devrait-en-parler-plus/

    Publication :

    19/03/2025

    Mis à jour :

    19/03/2025

    Picture of Philippe Grandcolas

    Philippe Grandcolas

    Biodiversité vignette Bon Pote Epandage de pesticide

    ©Crédit Photographie : Epandage pesticides CC BY-SA 3.0 Wikipedia

    Le mot biodiversité a dû être créé de toutes pièces en 1986, parce que nos sociétés n’avaient aucun concept de la diversité du vivant ni aucune dénomination vernaculaire de ce concept.

    En effet, nos représentations culturelles occidentales sont très souvent incomplètes ou biaisées : certains concepts sont bien identifiés et définis tandis que d’autres sont plutôt méconnus ou incompris.

    Ainsi, la notion de climat nous est plutôt familière : nous entendons très tôt ce mot dans notre cercle familial. Nous sommes donc conscients de sa signification, nous l’avons incorporé dans nos représentations, au point d’en user dans des métaphores comme par exemple lorsque nous évoquons un « climat social ».

    Par conséquent, nous sommes en théorie capables de nous approprier ce que la science nous dit de l’évolution du climat et de son dérèglement sous les pressions humaines. Ce n’était pas le cas de la diversité du vivant il y a encore seulement 40 ans !

    Sommaire

    C’est quoi la biodiversité ? 

    Pourquoi parle-t-on d’une crise de la biodiversité ?

    La crise actuelle de la biodiversité est inédite

    Quelles sont les cinq causes de l’effondrement de la biodiversité ?

    Les risques liés à l’effondrement de la biodiversité

    Solutions et leviers d’action

    C’est quoi la biodiversité ? 

    Encore aujourd’hui, la plupart de nos enfants n’ont qu’une familiarité toute relative avec ce concept de biodiversité formulé trop récemment. Nous avons bien sûr des mots génériques pour désigner des groupes d’organismes, les oiseaux, les poissons, les plantes, les bactéries, etc. 

    Nous avons des mots vagues et chargés d’a priori, comme la « nature » de laquelle nous nous considérons généralement comme distanciés et à laquelle nous revenons donc éventuellement. Ou nous avons encore le mot générique « vivant », comme dans les « sciences du vivant », qui ne désigne que les points communs à tous les organismes vivants et se focalise surtout sur les organismes de laboratoire, rats blancs ou drosophiles. 

    Il nous manquait donc le mot biodiversité, qui désigne la diversité génétique des individus de la même espèce, la diversité des espèces issue de l’évolution, et enfin la diversité des assemblages d’espèces, autrement dit des écosystèmes.

    Nos sociétés ne s’étaient donc pas approprié cette notion de manière globale. Il a ainsi fallu attendre le milieu du XIXe siècle voire le début du XXe siècle pour prendre enfin conscience de dimensions fondamentales de la biodiversité, comme par exemple l’existence des microbes, de l’évolution biologique et des interactions écologiques. Le mot écosystème, certes plus ancien que biodiversité, ne date en effet que de 1935.

    On doit donc revenir sur chaque dimension d’observation de la biodiversité, pour bien comprendre quelles en sont les caractéristiques.

    Importance de la diversité génétique

    Une espèce n’est pas une collection fermée d’individus tous identiques. Les mécanismes moléculaires et cellulaires de la génétique font que les individus sont tous un peu différents. Les différences entre individus importent particulièrement car elles permettent parfois à certains d’entre eux de mieux survivre ou de mieux se reproduire face à des aléas environnementaux variés et de transmettre ces différences à des descendants ; c’est ce que l’on appelle l’adaptation. L’évolution biologique se produit de cette manière : à chaque génération, des individus un peu différents peuvent apparaître et se perpétuer … ou pas !

    On observe là une propriété essentielle de la biodiversité, celle de ne pas se perpétuer à l’identique, et d’être donc capable de faire avec des situations environnementales assez variées. 

    Nos procédés de domestication ou de culture doivent respecter cette diversité génétique, au risque sinon de fabriquer des populations trop homogènes et donc très vulnérables à tout changement environnemental (aléa climatique, survenue d’un pathogène, etc.)

    Importance de la diversité spécifique

    La plupart du temps, nous oublions que les espèces sont innombrables, y compris dans notre environnement immédiat : le seul territoire français métropolitain abrite ainsi 40 000 espèces d’insectes, 6 000 espèces de plantes, 1 500 espèces de vertébrés dont nous n’avons guère connaissance ou conscience au quotidien.

    Nous nous préoccupons ainsi beaucoup plus des espèces charismatiques qui nous fascinent parce qu’elles sont grandes, féroces ou mignonnes. Ces espèces charismatiques nous cachent l’essentiel de la biodiversité, invisible ou peu attractive.

    Pire encore, nous méprisons des espèces discrètes ou qui nous déplaisent du fait de futiles critères d’apparence ou d’agacement immédiat, sans nous rendre qu’elles assument des fonctions souvent irremplaçables au sein des écosystèmes.

    Exemple de la complexité de la biodiversité : ls coléoptères bousiers recyclent les faeces de mammifères ; faute de bousiers ad hoc, l’Australie a dû en importer en regard de ses troupeaux de bovins domestiques, pour restaurer l’état de ses prairies. Photo Rafael Brix, CC BY 2.5

    Les coléoptères bousiers recyclent les faeces de mammifères ; faute de bousiers ad hoc, l’Australie a dû en importer en regard de ses troupeaux de bovins domestiques, pour restaurer l’état de ses prairies. Photo Rafael Brix, CC BY 2.5

    Importance de la diversité des écosystèmes

    Un écosystème n’est pas juste une liste d’espèces présentes au même endroit, c’est un réseau d’interactions extraordinairement complexe et bien structuré. Aucune espèce ne vit sans interagir avec de nombreuses autres, avec lesquelles elle a évolué en établissant souvent des relations durables : nous pesons ainsi 2 kg d’indispensables bactéries intestinales, chaque arbre a des champignons mycorhiziens autour de ses racines, la plupart des plantes ont leurs pollinisateurs, etc. 

    Considérer une espèce en isolement parce qu’elle serait charismatique, n’a donc aucun sens. Nous nous vautrons dans la facilité avec des céréales pollinisées par le vent … mais nous oublions que la productivité de leur culture dépend quand même des bactéries, des champignons ou des vers de terre du sol ! Nous sous-estimons l’importance des relations entre espèces, comme si l’on pouvait suppléer à toute carence en la matière, qu’il s’agisse de pollinisation, de fertilité des sols ou de sylviculture.

    Les écosystèmes sont en outre emboités les uns dans ou contre les autres : par exemple, forêts et prairies communiquent à travers leurs lisières, et les fonctions des uns (par exemple, génération d’un microclimat local) permettent bien souvent aux autres de se maintenir.

    Toutes ces incompréhensions nous amènent à provoquer l’effondrement de la biodiversité en négligeant ces trois dimensions de la biodiversité. Qui plus est, nous prenons difficilement conscience de cet effondrement et de ses conséquences.

    Pourquoi parle-t-on d’une crise de la biodiversité ?

    L’effondrement de la biodiversité a été maintes fois constaté depuis le début du XXe siècle, mais il a cependant été caractérisé plus précisément à la fin du XXe siècle. Le rapport global du GIEC de la biodiversité, la plateforme intergouvernementale pour la biodiversité et les services écosystémiques – l’IPBES – a fait la synthèse des milliers de publications scientifiques en 2019

    On a ainsi constaté que nombre de populations d’espèces s’effondrent : la natalité ne compense plus la mortalité causée par les pressions humaines. A l’extrême, quand les pressions sont trop fortes ou trop longues, les espèces s’éteignent et disparaissent complètement.

    C’est la raison pour laquelle cette crise de l’effondrement de la biodiversité a été qualifiée de sixième crise d’extinction, en référence aux cinq grandes crises d’extinction des temps géologiques. 

    La crise actuelle de la biodiversité est inédite

    Cette crise actuelle est cependant beaucoup plus rapide que les crises spontanées précédant l’humanité : les dinosaures ont ainsi mis un million d’années à disparaître lors de la crise Crétacé-Tertiaire et encore en est-il resté les oiseaux qui se sont rediversifiés a posteriori. 

    Actuellement, en l’espace de 30 ans, nous risquons de perdre un million d’espèces vivantes, 30% des vertébrés du monde entier (oiseaux, batraciens, poissons, mammifères), plus de 40% des arbres européens. Le constat est donc terrible.

    source : IPBES, 2019 le GIEC de la biodiversité

    source : IPBES, 2019

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    Quelles sont les cinq causes de l’effondrement de la biodiversité ?

    D’après l’ensemble des travaux scientifiques publiés, cette crise est causée par cinq grands types de pressions humaines globales : la suppression des habitats, les prélèvements excessifs au sein des populations, le changement climatique, les pollutions, les espèces exotiques envahissantes. 

    Chacune de ces pressions est colossale : presque 4 millions d’hectares de forêt disparaissent chacune de ces dernières années, les trois quarts des zones humides ont été supprimées depuis le début de l’époque industrielle. Plus près de nous, 20 000 km linéaires de haies continuent à disparaître chaque année en France métropolitaine tandis que l’on en replante péniblement quelques milliers de km.

    Les prélèvements sont également démesurés : la moitié des poissons pêchés débarqués dans les ports français sont toujours issus de la surpêche et ne respectent donc pas les stocks ; 500 millions d’animaux sont l’objet de trafics illégaux chaque année, l’extraction de bois des forêts a augmenté de 45% depuis 1970, etc.

    Crise de la biodiversité : augmentation de la surpêche mondiale (Source FAO)

    Augmentation de la surpêche mondiale (Source FAO)

    Le changement climatique n’est pas la première cause de disparition de la biodiversité

    Le changement climatique dessèche ou inonde, tue la biodiversité, qu’il s’agisse des bourdons durant les étés trop secs en Europe, des feux dans les forêts humides desséchées en Australie, des plantes dont la floraison est déphasée avec leurs insectes pollinisateurs, des récifs coralliens blanchissant et mourant dans des eaux trop chaudes ou trop acides, etc.

    L’importance des pollutions devient phénoménale : plus de quatre millions de tonnes de pesticides hyper-toxiques sont épandus chaque année dans le monde, 400 000 substances chimiques de synthèse ont été déjà déversées dans l’environnement, avec notamment 5 milliards de tonnes de déchets plastiques issus de la chimie pétrolière ; dans tous les environnements agricoles industriels, la biodiversité – insectes, oiseaux, faune du sol – s’effondre dramatiquement. 

    Rigal, S. et al., 2023. Farmland practices are driving bird population decline across Europe. Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A. 120, e2216573120

    On compte ainsi environ 30% d’individus d’oiseaux en moins dans les populations européennes depuis 30 ans et à peu près 70% de baisse d’effectifs pour les populations d’insectes. Les pesticides – insecticides, herbicides, fongicides – peuvent tuer immédiatement leurs cibles mais peuvent également nuire de manière chronique sur le long terme à de nombreux organismes, y compris ceux qui ne sont pas ciblés : des insecticides désorientent les abeilles butineuses, des herbicides détruisent le microbiote intestinal des vers de terre, des fongicides font un effet cocktail avec des insecticides multipliant leur toxicité par 100, etc.

    Enfin, nos transports humains ont déplacé volontairement ou involontairement plus de 30 000 espèces, les emmenant dans des écosystèmes où elles n’auraient jamais pu se trouver spontanément. A leur arrivée, elles peuvent se retrouver sans antagonistes (prédateurs, parasites ou pathogènes) et affecter gravement les espèces locales.

    C’est le cas d’au moins 3 000 d’entre elles à ce jour, que l’on qualifie donc d’envahissantes parce qu’elles pullulent dans leur zone d’introduction : des rats ou des chats vont ainsi prédater sans merci les oiseaux vulnérables qui nichent au sol dans les îles sans prédateurs terrestres, les frelons asiatiques vont tuer en masse des abeilles européennes « naïves », les moustiques tigres très nuisibles pour les humains vont se développer rapidement sur des substrats artificialisés et survivre aux hivers doux dans des espaces urbains avec peu de prédateurs, etc.

    Des causes de déclin qui peuvent s’additionner ou se multiplier

    Ces différents types de pressions agissent de concert ou successivement selon les endroits et il est assez vain de comparer leur importance, d’autant que leurs effets s’additionnent ou se multiplient à terme. Par exemple, un champignon pathogène exotique transmis aux chauves-souris de la côte Est aux USA les a décimées, provoquant une augmentation des populations d’insectes agresseurs des cultures et donc des traitements pesticides polluants, ces derniers amenant à une hausse conséquente de la mortalité infantile dans la région en question.

    Il faut également sortir de la croyance selon laquelle la biodiversité ne souffrirait unilatéralement que du changement climatique.

    Non seulement il existe ces cinq grands types de pressions sur la biodiversité mais en outre, l’effondrement de la biodiversité exerce des rétroactions sur le dérèglement climatique : des arbres stressés par la sécheresse ou détruit par l’exploitation forestière ou encore des planctons océaniques malportants ne font plus de photosynthèse et ne captent donc plus de gaz carbonique, ce qui aggrave dramatiquement un bilan déjà très mauvais en matière de gaz à effet de serre.

    Les risques liés à l’effondrement de la biodiversité

    Bien évidemment, nous ne devrions pas accepter de faire disparaître des espèces qui ne nous appartiennent pas et que nous ne pourrons même pas léguer à nos enfants.

    Comment expliquer par exemple à des collégiens d’aujourd’hui que les lions, les éléphants et les girafes, espèces charismatiques et aujourd’hui omniprésentes dans nos médias ou dans nos représentations auront quasiment disparu des écosystèmes africains dans 40 ans et ne seront plus que des souvenirs désuets, au même titre que le loup de Tasmanie ou le dodo de l’île Maurice ?

    Mais il serait très naïf également de ne considérer la crise de la biodiversité que sous l’angle de la perte éthique, alors que toutes les populations d’organismes qui s’effondrent assument des rôles cruciaux dans les écosystèmes dont nous dépendons ! 

    On examinera successivement trois exemples de risques naturels considérablement aggravés ou causés par la crise de la biodiversité et par des effondrements de populations.

    Effondrement et baisse de productivité agricole

    Une des conséquences les plus évidentes du déclin de la biodiversité est la baisse de la productivité agricole.

    Plusieurs facteurs sont en cause : suppression d’habitats et pesticides font fortement décliner les pollinisateurs et les autres auxiliaires ; pesticides et engrais nuisent à la faune du sol (vers de terre, bactéries, champignons) et diminuent fortement sa fertilité (25% des sols arables européens sont dégradés), la baisse de la diversité génétique et variétale diminue la rusticité des cultures, les cycles culturaux industriels et simplistes (sans assolement, sans associations de cultures entre parcelles adjacentes, etc.) sélectionnent pour des vulnérabilités et des agresseurs virulents.

    En conséquence de quoi, on a des pertes de productivité allant de 5 à 80% selon les cultures, avec par exemple moins 30% sur de banales parcelles de culture européenne de colza conventionnel faute de pollinisateurs !

    Ces pertes tentent d’être compensées par l’injection de coûteux intrants ou d’irrigations ou par des subventions publiques absurdes surtout lorsqu’elles concernent des cultures non vivrières (alimentation pour le bétail ou agrocarburants), peu compétitives ou aux terribles externalités environnementales (pollutions des nappes phréatiques, risques pour la santé humaine, etc.) 

    Risque  biodiv : perte de productivité dans le corn belt en Amérique du Nord, causée par la dégradation du sol

    Perte de productivité dans le corn belt en Amérique du Nord, causée par la dégradation du sol

    Trop souvent, notre amnésie environnementale nous empêche de nous rendre compte que les productivités actuelles sont parfois assez faibles, même si nous pensons par ailleurs étaler les risques d’autrefois liés aux agresseurs des cultures aujourd’hui brutalement maîtrisés.

    Effondrement et perturbation du cycle de l’eau

    Nous avons tellement supprimé la végétation terrestre, artificialisé et endommagé les sols arables que nous avons profondément altéré le cycle de l’eau. Ces pressions viennent s’ajouter au dérèglement climatique et déterminent un risque important auquel plus d’un quart de la population humaine sur le globe terrestre est maintenant soumis.

    Il est étonnant de voir combien nous attribuons la présence de l’eau uniquement aux pluies, alors que plus de la moitié d’entre elle est stockée dans la végétation : quand cette dernière est dégradée, sécheresse ou ruissellement sont donc exacerbés.

    On perçoit à quel point cet enjeu est incompris lorsque l’on entend les critiques de certains élus sur la loi française zéro artificialisation nette qui visait à baisser seulement de moitié l’artificialisation sur plusieurs décennies. 

    Ces critiques devraient tomber immédiatement, lorsque l’on constate les effets des pluies ou des fontes glaciaires qui se soldent de plus en plus souvent par des ruissellements torrentiels dramatiques détruisant des agglomérations entières.

    Effondrement et émergence de maladies infectieuses

    Malgré les progrès exceptionnels de la médecine, nous sommes toujours affectés par de nombreuses maladies infectieuses dont les réservoirs, les vecteurs ou les agents pathogènes sont des parties de biodiversité. 

    A cet égard et depuis le milieu du XXe siècle, une maladie infectieuse apparaît en moyenne tous les 14 à 16 mois. Ce sujet a été mis en avant puis remisé tour à tour sous l’influence de discours spéculatifs voire passablement complotistes suite à l’irruption de la covid-19, alors que l’émergence croissante de zoonoses est un sujet récurrent et connu dans l’histoire humaine récente et scientifiquement validé.

    Le mécanisme sous-jacent de cette émergence est tout simplement le morcellement des milieux naturels (par exemple, des forêts tropicales), amenant à une plus grande promiscuité entre humains et animaux réservoirs de pathogènes.

    Cette promiscuité permet de nombreux contacts entre pathogènes et humains, amenant à des passages fortuits de pathogènes malheureusement compatibles avec les organismes humains, ou à leur évolution progressive vers une compatibilité. 

    Risque de maladie de zoonose avec l'effondrement de la biodiversité

    source : Allen, T., Murray, K.A., Zambrana-Torrelio, C., Morse, S.S., Rondinini, C., Di Marco, M., Breit, N., Olival, K.J., Daszak, P., 2017. Global hotspots and correlates of emerging zoonotic diseases. Nature Communications 8, 1124.

    Les milieux naturels morcelés sont en outre souvent nantis de réseaux trophiques simplifiés dans lesquels les réservoirs animaux peuvent proliférer ou voir leur santé se dégrader. On le constate par exemple actuellement avec l’emballement de la maladie de Lyme (borréliose) en France métropolitaine, avec 5 000 à 10 000 cas humains par an, du fait de la pullulation des hôtes (rongeurs, cervidés) et de l’agent pathogène faute de prédateurs (notamment les renards chassés sans merci du fait de leur mauvaise réputation). 

    De nombreuses émergences ont ainsi été constatées au XXe siècle – HIV, Nypah, SRAS, Ebola, etc. – du fait de ce mécanisme. Il a été quantifié que les risques les plus importants d’émergence sont situés géographiquement dans des régions riches en biodiversité, où le morcellement des milieux forestiers est le plus important et où les populations humaines sont en croissance forte. 

    Le risque est en outre accru du fait de la promiscuité et de l’abondance des animaux domestiques qui font relais ou sélectionnent pour compatibilité les pathogènes entre faune sauvage et humains.

    Solutions et leviers d’action

    Il peut sembler simple de préconiser une levée ou une diminution des cinq grands types de pressions exercées sur la biodiversité. Mais encore faut-il que de puissants leviers d’action soient mis en place face aux raisons d’être de ces pressions, agriculture industrielle, urbanisation et artificialisation des substrats, développement de circuits longs absurdes. 

    C’est la raison pour laquelle l’IPBES recommande de considérer des changements transformateurs, c’est à dire de forts changements structurels de production et d’organisation forts au sein de nos sociétés, en amont des pressions en question.

    Les solutions fondées sur la nature

    Fondamentalement, ce changement transformateur se produira avec la mise en œuvre systématique de solutions fondées sur la nature (SFN). On appelle ainsi des manières d’interagir avec l’environnement qui maximisent les bénéfices pour les humains ET pour le reste de la biodiversité.

    Il s’agit donc de rompre par là avec la tragédie des communs, selon laquelle des espaces ou des fonctionnalités sans propriétaire particulier sont maltraités par des acteurs ne se souciant pas du bien commun. Les sols, les nappes phréatiques, l’atmosphère ou les fonctions écosystémiques d’une forêt ou d’une zone humide sont autant de biens communs, exploités sans vergogne, parce que personne ne les possède, eux ou leurs fonctionnalités.

    En termes de SFN, il faut donc relocaliser une production agricole vivrière, agroécologique ou bio, avec une production de viande très fortement diminuée, en élevage extensif sur herbages ou associée à des cultures végétales locales, notamment pour leur fertilisation. 

    Le dernier rapport de l’IPBES explique en outre que ce type de transformation peut se mettre en marche grâce à la mobilisation de toutes les parties prenantes (par exemple, agences des eaux, villes et cantines scolaires) dans une stratégie de cobénéfices, avec diminution de la pollution des nappes et des émissions de gaz à effet de serre (circuits courts locaux), amélioration de la santé humaine (avec une alimentation saine) et de l’état de la biodiversité et de ses fonctions (pollinisation, fertilité des sols, etc.)

    D’autres leviers d’action sont tout aussi importants, comme la végétalisation des villes et la désartificialisation des terres, avec là encore des cobénéfices importants en matière de santé humaine, d’atténuation climatique, de diminution des risques « naturels » et d’état de la biodiversité.

    L’Accord de Kunming-Montréal et la mise en réserve de territoires

    Ces leviers d’action complètent mais ne suppléent pas à la mise en réserve de territoires – une des SFN les plus connues – dans lesquelles on diminue réellement les pressions humaines et qui permettent à la biodiversité de perdurer dans des territoires qui lui sont plus dévolus. 

    L’accord de Kunming-Montréal et le cadre mondial pour la biodiversité (COP16 biodiversité, 2022) stipulait ainsi un objectif de 30% d’aires protégées sur terre et en mer, objectif coûteux financièrement et qui tarde à être atteint ou mis en place, y compris sur le territoire français qui comporte de nombreuses aires protégées … non protégées ! 

    Il faut raison garder concernant les aires protégées qui doivent l’être réellement, sans pour autant en expulser ignominieusement des populations humaines, ce qui implique de résoudre des conflits d’usages éventuels. Ces aires sont un pendant obligatoire aux territoires exploités ou densément peuplés par les humains, dans lesquels la biodiversité sera soumise à plus de pressions, même dans le cadre d’une bonne gestion durable.

    En finir avec les pratiques consuméristes

    Bien évidemment, la mise en place de telles SFN – agroécologie, désartificialisation, mise en place d’aires protégées – suppose également une diminution des pratiques consuméristes stériles provoquant le développement incontrôlable de circuits longs dans toutes les productions qui nuisent à la biodiversité. 

    Qu’il s’agisse de vêtements, d’objets en bois, d’extraction minière y compris du sable ou du ciment, des transports de biens amenant des espèces exotiques, etc., tous ces procédés doivent être réduits et limités. Tous les écosystèmes du globe terrestre ne suffiront pas à produire le nécessaire pour les humains et à conserver 30% d’aires protégées si ces mêmes humains ont l’empreinte écologique des pays développés (Europe, Amérique du Nord, etc.)

    Il est extrêmement important également que ces stratégies soient intégrées au plan territorial, national et international, de manière à réaliser les bons compromis en matière de transition énergétique et agroécologique ; on voit encore trop souvent des infrastructures productrices d’énergie « bas carbone » installées en détruisant des puits de carbone biologiques (par exemple, des forêts naturelles), ce qui n’a évidemment aucun sens en terme de bilan carbone, et moins encore en terme de bilan écosystémique complet.

    Changer notre rapport à la biodiversité ne passera pas seulement par la compréhension de tous ces éléments au plan rationnel mais aussi par une envie de changement ! Cette envie sera donnée grâce à la promesse d’un bonheur et d’un équilibre, non pas seulement égoïste mais aussi collectif : bien manger de bons produits en circuits courts locaux de saison et bio, c’est se faire plaisir, se faire du bien et savoir que l’on fait aussi du bien à la biodiversité !

    Cela sera possible d’en prendre conscience si notre familiarité avec la biodiversité est suffisante et si nous ne vivons pas dans un environnement entièrement artificialisé ! D’où l’importance de toutes les activités éducatives ou ludiques qui nous permettent de maintenir ou de retrouver cette familiarité.

    Pour en savoir plus :

    Grandcolas, P., Marc, C., 2023. Tout comprendre (ou presque) sur la biodiversité. CNRS Editions, Paris.

    Grandcolas, P., 2024. Fake or not – Biodiversité. Tana Editions.

  • Fleur Breteau : "cancer colère"

     

     

    « Voter la loi Duplomb, c’est voter pour le cancer » : Fleur Breteau, malade et en colère

     

    https://reporterre.net/Voter-la-loi-Duplomb-c-est-voter-pour-le-cancer-Fleur-Breteau-malade-et-en-colere

    «<small class="fine d-inline"> </small>Voter la loi Duplomb, c'est voter pour le cancer<small class="fine d-inline"> </small>» : Fleur Breteau, malade et en colère

    « En six mois, je suis devenue nonagénaire. » Fleur Breteau, 50 ans, est malade d’un cancer. Horrifiée par la proposition de loi Duplomb et le champ libre laissé aux pesticides, elle a fondé le collectif « Cancer Colère ».

    À couvert sous une casquette Carhartt, un homme se hasarde à un timide coup d’œil. Juste une seconde. Peut-être moins encore. Une valse assez furtive pour assouvir sa curiosité, sans s’enliser dans une gênante intrusion. Raté. « Les passants me dévisagent en permanence, murmure Fleur Breteau. Mon corps a tellement changé que je peine à me reconnaître. » Malade d’un deuxième cancer du sein, la Parisienne porte sur son crâne l’absence de ce que la chimiothérapie lui a dérobé. Cette nudité, symptôme visible « d’un système en train de se retourner contre nous ».

    « Prenons par ici plutôt. » Guidée par ses petits rituels, Fleur Breteau engloutit le kilomètre à pied la séparant de la gare de Lyon, et saute dans une rame de la ligne 14 du métro. Direction l’institut de cancérologie Gustave Roussy, à deux pas de la capitale, pour une onzième séance de chimiothérapie. Accroché à son tailleur de velours, un pin’s « Cancer Colère » évoque le collectif du même nom, fraîchement créé par la quinqua. Son dessein ? Politiser cette maladie, à l’heure où la proposition de loi Duplomb prévoit de réautoriser l’acétamipride — un pesticide interdit depuis 2018.

    La littérature scientifique a déjà commencé à établir une corrélation claire entre l’exposition aux néonicotinoïdes et l’augmentation du risque de cancer. « Ces saloperies perturbent la duplication de nos cellules, métamorphosant des maladies en véritables phénomènes de société, s’insurge Fleur Breteau. Le scandale du cadmium est révélateur. Même nos tartines et céréales du petit dej’ sont devenues des cancérogènes notoires à cause des engrais. » Dépliant une ombrelle pour abriter son épiderme à la sensibilité décuplée, elle ajoute : « J’en ai marre de me taire. Les politiques parlent du cancer comme une notion abstraite. Alors que non, ça n’a rien d’abstrait. »

    Strass et brouillard

    Début janvier, quelques jours avant d’entamer son traitement médicamenteux, Fleur Breteau avait invité une poignée de proches à déguster la galette des rois. Une épiphanie singulière, où ses amis firent vrombir la tondeuse. À mesure que tombaient ses cheveux, comme des feuilles en automne, fleurissait dans ses pupilles la lueur d’une force neuve. « Une fois mon crâne rasé, ma nièce et ma filleule m’ont maquillée. Un make up de star, avec des strass, se réjouit-elle. Prendre ainsi les devants a été un moment fort. Désormais, mon neveu de 3 ans rit parce que j’ai de petits poils sur la tête. »

    Au crépuscule du printemps, l’allant qu’elle affichait hier a fini par s’éroder. Injecté en intraveineuse, le Paclitaxel — molécule attaquant les cellules cancéreuses — grignote aussi ses nerfs, causant de douloureux fourmillements. À cela s’ajoutent les souffrances articulaires et musculaires, les saignements de nez, la perte de goût et d’odorat, les vertiges et les éruptions cutanées.

    «  Une fois mon crâne rasé, ma nièce et ma filleule m’ont maquillée. Un make up de star, avec des strass  », un moment fort, raconte Fleur Breteau. © Cha Gonzalez / Reporterre

    « Mes ongles noircissent et se décollent, d’où ce vernis violet, dit-elle encore en écartant les doigts. Mes rétines aussi sont affectées, et aucune paire de lunettes n’y peut rien. Je vois flou. Lire est devenu laborieux, et plus question de grimper sur un vélo. » L’inventaire n’est pas terminé que, pétrie d’humilité, elle corrige : « Je ne m’en sors pas si mal. Je n’ai pas de vomissements, ni d’aphtes. Certains patients en ont tellement que manger est pour eux un calvaire. »

    À l’ouverture des portes du métro, la silhouette frêle de Fleur Breteau s’engouffre dans le dédale de verre et d’acier de la station Gustave Roussy, à Villejuif. Un labyrinthe de 32 escaliers et 16 ascenseurs, où elle s’est égarée plus d’une fois. « Ce brouillard permanent est le plus frustrant. Chaque seconde, j’ai le sentiment de me réveiller d’un sommeil profond. Comme si seul un sac plastique errait inlassablement dans mon cerveau. » Tantôt ne plus parvenir à envoyer un mail, tantôt mettre à chauffer une poêle sans savoir pourquoi, ou encore acheter deux billets de trains identiques à une demi-heure d’intervalle. Les lèvres ourlées d’un rictus amer, elle conclut : « En six mois, je suis devenue nonagénaire. »

    Cancer comedy club

    Née en 1975, Fleur Breteau a grandi à Paris et Levallois-Perret. Sûrement doit-elle à sa mère, figure de résistance à l’édile républicain Patrick Balkany, son âme opiniâtre. À son oncle François, qu’elle voyait débarquer au dîner de Noël accompagné de personnes sans-logis, son humanisme. Et à sa sœur puînée, sa fibre écologiste : « À cinq ans, elle plantait déjà les épluchures de légumes dans la jardinière de géraniums de maman », se remémore-t-elle, amusée. Son poignet tatoué porte aussi le souvenir indélébile d’un défunt cousin, amoureux des montagnes disparu dans les Alpes.

    Fleur Breteau a tracé son chemin loin des lignes droites. Des études de lettres et de cinéma, vite délaissées pour plus d’autodidaxie, lui ont toutefois inculqué le goût des livres — King Kong Théorie de Virginie Despentes, et Rabalaïre d’Alain Guiraudie, notamment. La Parisienne a orchestré la campagne de communication de la PlayStation 2, lancée une marque de vêtements éthiques et travaillé dans un sex shop. Les confessions intimes de la clientèle, parfois embarrassantes, parfois émouvantes, lui ont inspiré un premier livre rock’n’roll, L’amour, accessoires (ed. Gallimard), applaudi par Les Inrocks.

    Puis, ce fût le temps du « Cancer Comedy Club ». Des tumeurs à répétition dans son entourage. À commencer par sa sœur, et son meilleur ami, Nicolas Krameyer, historien des luttes et défenseur des droits à Amnesty International. Il y eut d’abord les courses-poursuites en fauteuils roulants dans les couloirs de l’hôpital, puis les adieux déchirant entre cet homme et sa fillette de 9 ans : « Ça a été la chose la plus terrible qu’il m’ait été donné de vivre, murmure Fleur Breteau. Il est décédé à 42 ans, le jour où mon oncologue m’a diagnostiqué un deuxième cancer du sein. C’est ça la réalité de ces maladies. »

    Un « tsunami » de cancers à venir

    D’un bout à l’autre de l’allée menant à l’institut, des autocollants « Cancer Colère » ont été placardés sur les pylônes métalliques. L’hôtesse d’accueil lui tend un bracelet blanc, que Fleur Breteau enfile aussitôt. Elle a croisé ici des dizaines de trombines chahutées par les traitements chimiques. Une mère isolée, atteinte d’un cancer du sein et dont le fils de 10 ans a contracté une tumeur au cerveau. « Et il n’est pas le seul, précise-t-elle. Dans son école de Seine-et-Marne, deux autres gamins en sont victimes. »

    Trois hommes, tous âgés d’une cinquantaine d’années et boulangers dans ce même département, ont aussi côtoyé les bancs de cette salle d’attente. « Le 77, ce sont les terres d’Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, syndicat agricole à l’origine de cette loi Duplomb. Le cynisme n’est pas un mot assez fort pour qualifier une telle injustice. »

    Le 27 janvier, l’adoption de la proposition de loi par les sénateurs a constitué l’ultime électrochoc. « Mon sang n’a fait qu’un tour, poursuit Fleur Breteau. C’était d’une violence terrible. » En pleine séance de chimio, l’ancienne artisane couturière a griffonné un logo sur un morceau de papier. Cancer Colère venait de naître.

    Le collectif Cancer Colère a rapidement produit différents visuels, comme celui-ci à propos du scandale du chlordécone aux Antilles. © Cha Gonzalez / Reporterre

    Le 3 février, le professeur Fabrice Barlesi, à la tête de l’institut Gustave Roussy, alertait du « tsunami » à venir de cancers chez les jeunes adultes. « Ce n’est plus une maladie, c’est une épidémie, se désole la quinqua. Et que se contente de déclarer Emmanuel Macron ? Qu’il n’a pas de leçon à recevoir sur l’écologie. Il y a cinq ans, il parlait de guerre à l’heure du Covid. Désormais, il se mure dans le silence pour mieux préserver les intérêts économiques des plus riches. »

    Aux yeux de Fleur Breteau, se réfugier derrière l’espoir de meilleures guérisons à l’avenir est insultant. « Ça m’a glacé le sang d’entendre le président s’en réjouir. Il ignore les terribles épreuves que nous, malades, traversons. Il ignore l’enfer des rechutes. À quoi bon guérir si une autre tumeur apparaît l’année suivante ? »

    Surtout, cette rhétorique constitue une échappatoire : « Il évite à tout prix de parler des coupables. La science est pourtant catégorique : les pesticides sont des cocktails d’hydrocarbures, d’antibiotiques et de métaux lourds, déversés partout par l’agrochimie. Certaines substances interdites depuis 40 ans sont encore détectées dans les cheveux des enfants. Comment croire une seconde que nos corps n’en sont pas affectés ? »

    « Voter la loi Duplomb, c’est admettre que chaque pomme croquée sera une nouvelle intoxication »

    Dans la chambre 158 de l’aile baptisée « Nouvelle-Calédonie », une femme termine son injection. Retirant les gants et chaussons réfrigérés — censés ralentir le décollement des ongles, elle commente d’un sourire complice : « Un véritable attirail de boxeuse. » Puis, sa perruque enfilée, elle disparaît. Vêtue d’une blouse blanche, Ruth, l’infirmière du jour, tend le même équipement à Fleur Breteau et lui enfonce une aiguille dans le thorax, à la hauteur d’un petit boîtier sous-cutané : « Ça s’appelle une chambre implantable, précise la patiente. Grâce à elle, le produit file directement vers l’artère. Si l’on procédait à une simple piqûre au bras, celui-ci brûlerait mes veines, moins robustes. »

    Forte de son collectif naissant, Fleur Breteau cherche désormais à interpeller les législateurs. Céderont-ils à la pression des lobbies ? Voteront-ils pour que le cancer devienne « un rituel inévitable dans nos vies » ? Ces questions la hantent. « Voter la loi Duplomb, c’est voter pour le cancer. Ni plus, ni moins, enchaîne-t-elle, inépuisable dans l’art de convaincre. Voter la loi Duplomb, c’est admettre que chaque pomme croquée sera une nouvelle intoxication et qu’un grand nombre de nouveaux-nés naîtront avec de lourdes pathologies. »

    «  Certaines substances interdites depuis 40 ans sont encore détectées dans les cheveux des enfants. Comment croire une seconde que nos corps n’en sont pas affectés  ?  » © Cha Gonzalez / Reporterre

    L’esprit égaré, la patiente effleure du bout des doigts le minuscule cétacé suspendu à son oreille. « Lorsque mon sein droit m’a été retiré, j’ai refusé la reconstruction, murmure-t-elle. Une soignante m’a demandé comment je comptais trouver un mari avec une telle poitrine. J’ai halluciné. » Douze ans plus tôt, au Groenland, Fleur Breteau avait croisé le regard d’une baleine à bosses entre les icebergs. Des larmes avaient gelé sur ses joues. « Les scientifiques les identifient à leurs cicatrices. J’ai décidé d’accepter les miennes. »

    Goutte à goutte, le Paclitaxel continue de couler. Dès la chimio définitivement achevée, Fleur Breteau filera à Noirmoutier, marcher pieds nus dans la pinède et sentir l’eau de la mer caresser son corps. « Mon rêve ? Apprendre à bivouaquer et être réveillée à l’aube par le chant d’une grenouille, ourdit-elle. Seulement, avant ça, j’ai un moratoire sur les pesticides à obtenir. »

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  • Canicule et agriculture

    On demande aux agriculteurs de s'adapter. Qu'est-ce que ça signifie ? Tout simplement que le système productiviste ne ralentira jamais. A chacun d'en subir les conséquences et de chercher des solutions. Quand il y en a ...

    Est-ce que les gens ont bien conscience que l'alimentation de base est en danger ? On ne parle pas de chaleurs intenses au travail, à l'extérieur ou dans les bureaux, dans les écoles, dans tous les logements qui sont des bouilloires. On parle de ce qui nous nourrit, on parle de survie alimentaire. Est-ce que les gens ont conscience que la hausse des prix depuis les dix dernières années n'est rien au regard de ce qui nous attend ? Est-ce que tous les urbains qui ont besoin d'acheter leur nourriture réalisent que ça va devenir très compliqué ? Quand je fais du vélo, je regarde parfois les jardins, tous ces jardins d'agrément dans lesquels il n'y a rien à manger. Est-ce que ces gens ont conscience du gâchis, est-ce qu'ils savent vers où on va ? Des pelouses tondues à ras et des fleurs que les propriétaires arrosent. Les fleurs sur un terrain, c'est pour attirer les pollinisateurs dont le potager et le verger ont besoin. Pas uniquement pour faire joli.

    On a déménagé en mars, on a acheté un hectare de terrain. Entièrement clôturé. Je sais qu'un jour, il est possible que je sois obligé de "protéger" mes cultures et mes fruits. Et pas simplement avec un grillage.  

     

    CANICULE ET AGRICULTURE

    Après un week-end caniculaire, les très fortes chaleurs reviennent, notamment dans le centre et le sud de la France, ce qui entraîne des conséquences directes sur les cultures, comme l’« avortement floral ». « 20 Minutes » vous explique

    Canicule : Moins de tomates… C’est quoi l’avortement floral dont souffrent les végétaux ?

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    Elise Martin

    Propos recueillis par Elise Martin

    Publié le 24/06/2025 à 07h37 • Mis à jour le 24/06/2025 à 18h20

    L'essentiel

    Les températures dépassant 40 °C deviennent de plus en plus fréquentes en France. Mardi, il fera jusqu’à 42 °C aux alentours de Perpignan.

    En plus des conséquences sur l’être humain, ces fortes chaleurs ont des impacts sur les cultures et les écosystèmes.

    Stress thermique fort, avortement floral… Le docteur en agrométéorologie Serge Zaka est revenu pour 20 Minutes sur les effets des canicules sur l’agriculture.

    Les températures vont une nouvelle fois dépasser les 40 °C à certains endroits de la France ce mardi. A Perpignan ou Carcassonne, entre 42 et 43 °C sont prévus. « Ces prévisions sont franchement inquiétantes », alerte le docteur en agrométéorologie Serge Zaka.

    Si pour l’être humain, les conséquences des canicules sont préoccupantes, elles le sont aussi pour « les cultures, les animaux d’élevage et les écosystèmes », souligne le fondateur d’Agroclimat 2050. Avortement floral, stress thermique et changement de variétés… Le spécialiste est revenu pour 20 Minutes sur les effets des fortes chaleurs sur nos cultures et les dangers pour l’agriculture à l’avenir.

    Pourquoi les prévisions de mardi, avec 42 °C vers Perpignan, sont-elles inquiétantes pour vous ?

    Les températures vont être très élevées vers Perpignan mais aussi dans la partie centrale de la France. On a déjà eu ces températures-là dans le siècle passé, en 1947 ou en 1983 par exemple. Mais depuis les années 2000, on dépasse régulièrement les 40 °C. C’est devenu banal. On a dix-neuf fois plus de stations qui enregistrent les 40 °C qu’avant. Et ça arrive également de dépasser cent fois les 40 °C en un an. C’est donc un phénomène qui devient récurrent, intense, qui touche presque tout le territoire et qui est de plus en plus précoce [il n’arrive pas qu’en juillet et août mais aussi en juin, ainsi qu’en septembre parfois]. On se retrouve donc avec tous les facteurs de stress pour les végétaux. Car historiquement, on plante et on réfléchit nos cultures pour qu’ils ne subissent pas de canicules.

    Si jusqu’à présent, avec 38 °C, certains végétaux étaient en phase de « résistance », au-delà de 40 °C, on entre dans un seuil de « stress thermique fort » ce qui entraîne des dégâts.

    Qu’est-ce que ces températures ont comme effets sur les cultures ?

    Les végétaux ont une réponse à la température qui est différente en fonction des régions, c’est d’ailleurs pour ça à l’origine que chaque territoire produit en fonction de son climat. Ainsi, un noisetier ou un blé arrête sa croissance quand il fait 35 °C. Un olivier la stoppe plutôt au bout de 42 °C.

    Mais avec les températures attendues ce mardi, on dépasse le seuil de résistance physiologique des végétaux, induit dans l’ADN de chaque espèce de plante, qui ne peut plus se défendre. C’est ce qu’on appelle le « stress thermique fort ». Autre risque de ces fortes chaleurs, la possibilité d’avortement floral pour tous les légumes du potager. A cause des températures hautes, la reproduction qui se passe à l’intérieur de la fleur pour faire un fruit est altérée. Sans fruit sur cette fleur, elle sera stérile et va tomber.

    On se retrouve alors avec des écosystèmes qui sont fatigués par la sécheresse, par les gels tardifs, par la perte des feuilles en été, par des brûlures répétées, qui subissent un contexte de changement climatique induit par l’humain.

    Quelles sont les conséquences d’un stress thermique ou d’un avortement floral ?

    Les conséquences sont des défoliations pour un arbre, des brûlures qui apparaissent sur les fruits. Par exemple, en ce moment les tomates et les courgettes [et tous les légumes du soleil] sont en début de floraison. Or, à partir de 34 °C, la tomate commence à avoir des problématiques de reproduction parce qu’il fait trop chaud, à partir de 36 °C, on diminue de 70 % la capacité de la fleur à produire un fruit. A 38 °C, toutes les fleurs présentes vont subir un avortement floral et vont tomber en deux ou trois jours, parce qu’elles n’auront pas supporté ces températures-là.

    Autre exemple : on a eu 36 à 40 °C pendant trois jours du côté du Poitou-Charentes, de Nantes, des Pays-de-la-Loire, du nord de l’Aquitaine. On a alors des problématiques de remplissage du grain sur l’orge de printemps et sur le blé d’hiver. En effet, sa croissance commence à ralentir vers 32 °C et à 38 °C. Ça veut dire que le grain - qui doit être récupéré pour être mangé derrière – va être plus petit parce qu’on a eu des vagues de chaleur pendant ce remplissage qui ont réduit la taille et le poids des grains. Au final, ces températures impactent aussi le rendement et donc le revenu des agriculteurs.

    Et ce qui est vrai pour les végétaux, l’est aussi pour les animaux. La canicule peut entraîner une baisse de production de lait, une baisse de ponte, et une baisse de croissance. En résumé, on a vraiment tous les ingrédients pour passer un mauvais été.

    Les prévisions du site agroclimatologie.fr qui permet de traduire les données météo des jours à venir, en impact économique sur les vergers, potagers, des cultures des particuliers et des agriculteurs.

    Les prévisions du site agroclimatologie.fr qui permet de traduire les données météo des jours à venir, en impact économique sur les vergers, potagers, des cultures des particuliers et des agriculteurs. - Capture d'écran agroclimatologie.fr

    Comment s’adapter face à cette situation ?

    Pour s’adapter, on peut miser sur l’irrigation car on va avoir de plus en plus de problématiques d’eau. Cette option permet de sécuriser la production et d’éviter d’acheter à l’étranger. Mais il ne faut pas que les retenues soient la solution : il faut aussi retravailler les sols, reverdir le paysage et que ce soit accompagné de révolutions du système agricole.

    Mais ça dépend des territoires. Quand dans la région de Carcassonne, on atteint les 40-42 °C, l'une des voies d’adaptation, ce n’est pas de l’ombrage ou de l’irrigation. On dépasse le seuil de résistance des espèces présentes sur le territoire, donc, si on veut rester dans l’agriculture, il faut changer d’espèces. Et ainsi passer à de l’olivier, à des agrumes, qui peuvent résister jusqu’à 45 °C avant d’avoir des brûlures sur leurs feuilles. Mais changer d’espèce induit un changement de filière, de toute son économie, d’AOC, d’IGP, de consommation sur le territoire, d’installations d’entreprises, de matériel de stockage, de séchage… Mais c’est un profond changement qui prend vingt ans minimum et qui doit être accompagné par de la pédagogie, de l’éducation sur les évolutions territoriales. Ce sont donc des réflexions qu’on aurait dû avoir il y a longtemps. Le changement climatique est beaucoup plus rapide que la réflexion sur l’évolution.

    Dans le Nord, on peut encore travailler sur la même espèce mais on va changer de variété, ce qui permet de s’adapter à ces températures et à ces nouvelles conditions. C’est « plus simple » car on change « juste » de goût, le calibre. C’est acceptable à court terme.

    Notre dossier sur le réchauffement climatique

    Et à long terme ?

    En 2050, avec le réchauffement climatique, les scénarios prédisent 45 à 50 °C plus fréquemment. Dans ce cas-là, on sera dans une impasse. Quand on atteint ces températures sur des territoires qui ne les ont jamais eues, il n’y a pas de solution. On ne peut que constater un dépérissement de nos arbres. Donc, après 2050, la principale solution, c’est de ne pas atteindre ces températures et de diminuer les gaz à effet de serre drastiquement à l’échelle mondiale.

     

  • Runaway train

    RUNAWAY TRAIN 

     

    Synopsis :

     

    Manny et Buck parviennent à s'échapper de prison. Leur fuite est très compliquée et dangereuse car ils sont au beau milieu de l'Alaska, région aux conditions climatiques glaciales. Toutefois, ils rejoignent une gare et montent à bord d'un train. Malheureusement pour eux, le conducteur est victime d'une crise cardiaque et les freins du convoi ne répondent plus ! La vitesse ne cesse d'augmenter et personne ne semble capable de la faire redescendre...

     

    Nous sommes les participants enthousiastes ou réfractaires d'un business planétaire et nous ne pouvons pas en sortir. Et c'est justement parce que nous n'avons plus la possibilité d'en sortir que ce business planétaire court à sa perte. Par épuisement des ressources, par une dévastation effrénée.

    Ça prendra un certain temps mais c'est inéluctable. Personne, d'ailleurs, n'est en mesure d'identifier une date précise pour une raison toute simple : il y a trop de paramètres. 

    Il ne nous reste qu'à nous y préparer et en fait pas grand monde, actuellement, n'a idée de ce que ça signifie. 

    L'explication est très simple.

    Le business. Nous sommes les proies du business et en même temps son moteur. Et c'est en cela que c'est effroyable. Car pour nous sauver, il faudrait que nous nous amputions de nous-mêmes tellement ce business est devenu une partie de nous. Ceux qui en profitent et ceux qui en rêvent, les pays "développés" et ceux qui luttent pour leur développement. Et ce terme est effroyable puisqu'il contient les raisons du désastre en cours. Un développement mortifère, celui sur lequel nous avons bâti notre prédominance, celui qui nous offre un confort que toutes les générations précédentes cherchaient à atteindre. Nous ne mourons pas de faim, nous bénéficions de soins médicaux qui ont su considérablement progresser, nous vivons dans des maisons avec l'eau courante et l'électricité, nous pouvons nous déplacer rapidement. Oui, je sais, un très grand nombre de personnes ne peuvent pas en dire autant, et même dans nos pays "développés". Les différences de niveau dans ce "confort", des plus nantis aux plus démunis, sont considérables.  Mais c'est ainsi que nous vivons, dans cette quête de ce que nous considérons comme la seule qualité de vie possible.

    Et moi aussi.

    Même si nous avons un potager qui nous nourrit, que nous l'arrosons avec l'eau de pluie récupérée dans des citernes et désormais une source, que nous ne mangeons pas d'animaux, que nous ne prenons pas l'avion, que nous voyageons uniquement en France et sur des distances très faibles, que nous portons les mêmes vêtements depuis bien longtemps (sauf les chaussures de montagne que nous usons très, très rapidement), que nous n'allons pas en ville pour faire les magasins et que lorsque nous devons inévitablement y aller, c'est une journée gâchée, que nous cherchons à dépenser le moins possible, que nous recyclons, que je récupère plus de choses que je n'en jette ou donne etc... il n'en reste pas moins que je participe à un phénomène de masse considérablement puissant. Je me chauffe au bois, j'utilise l'électricité, je consomme de l'eau potable pour les wc, la vaisselle, la machine à laver, je brûle du pétrole avec la voiture ou le fourgon, je consomme l'essentiel mais je fais partie du système. 

    Il n'y a pas de solution. Nous allons donc poursuivre sur cette voie jusqu'à ce que la Nature vienne entraver le convoi.

    Le problème, c'est que ce convoi ne supporte aucunement l'entravement. Il ne sait pas ralentir, il sait encore moins s'arrêter. Il a donc décidé d'aller jusqu'au déraillement. Coûte que coûte. Persuadé que le progrès contient en lui-même la résolution aux problèmes qu'il génère.

    L'humanité vit hors sol et s'imagine que le convoi taille sa route dans une Nature qu'il dominera toujours, qu'il pourra indéfiniment l'exploiter, qu'il trouvera des solutions à tous les problèmes  liés à "l'environnement". Ce fameux "environnement". Comme s'il y avait nous, les humains et puis le reste. Pure folie. Il n'y a qu'une réalité. C'est le Tout. Nous nous en sommes extraits, nourris par la puissance du business, nourris par le progrès.

    La Nature n'a pas besoin de nous. Elle est un Tout mais elle peut se passer d'une partie. De nous.

    Il faudrait nous alléger, réduire la vitesse de ce chaos en marche, nous retirer autant que possible, non seulement pour les générations à venir mais pour nous épargner aussi, ceux tout du moins qui ont une part de conscience, de crever de honte un jour prochain car nous serons tous responsables aux yeux de nos descendants.

    Mais est-ce que ce retrait est envisageable à grande échelle ? Prenons la situation dans son ensemble : il y a deux problématiques. Celle qui me restent de ma formation en sophrologie, suivie il y a bien des années déjà.

    Une personne peut souffrir intérieurement au regard de l'interprétation qu'elle a de la réalité, une interprétation liée à son histoire personnelle et bien entendu à son enfance. Nous portons ce que nous avons traversé et nous réagissons à travers des filtres multiples jusqu'à considérer, parfois, que les situations nous sont défavorables quand elles ne sont dans leur réalité intrinsèque que des interprétations. Il s'agit donc pour cette personne de parvenir à se relier à l'instant sans lui apporter le moindre "commentaire", c'est à dire à rester ancré dans la réalité sans l'alourdir.

    Dans le cas de l'état de la planète, il n'y a aucune interprétation. Ce sont des faits, pas des interprétations. Il est donc inopportun de chercher à saisir la réalité. Il n'y a pas d'autre réalité.

    Deuxième situation. La personne souffre de la réalité, sans pour autant lui apporter des interprétations erronées, elle est lucide, clairvoyante, ses états d'âme sont justifiés. Elle n'a qu'une solution : quitter cette situation pour s'inscrire dans une autre réalité.

    Dans le cas de l'état de la planète, c'est bien évidemment impossible puisque cette situation est planétaire. Qu'elle parte vivre au Canada ou en Australie, au Groenland ou en Patagonie, les effets du réchauffement climatique et du dépassement des limites écologiques seront les mêmes dans leur ampleur. Il n'y a pas d'autre réalité.

    Nous avons choisi le développement matériel, technologique, scientifique, c'était un réel besoin, il y a un certain temps. La quête de l'avoir. Et nous nous sommes tellement investis dans cette quête que nous avons délaissé, jusqu'à en oublier la nécessité, la quête de l'être. L'éthique également, au regard de la planète. Nous sommes devenus les maîtres, c'est à dire en fait les prédateurs. 

    Nos gesticulations actuelles, notre recherche d'équilibre, de sobriété, d'économie dans le sens premier du terme, tout ce que nous pouvons tenter de faire désormais, il faut bien comprendre que c'est trop tard. Nous ne stopperons pas le train, et même si nous parvenons à le freiner, il continuera sa route. Et cette route sera de plus en plus chaotique.

    Non, je ne suis pas défaitiste ou déprimé, ni même en colère. Tout ça est déjà consumé. Je suis dans le train et je regarde les paysages. Je n'écoute plus vraiment les paroles des autres passagers, tout ce fatras d'idées, ces opinions qui se combattent, je ne cherche plus à faire entendre ma voix et même ce texte que je partage, je l'ai d'abord écrit pour moi. Pour être au clair parce que j'ai besoin d'écrire pour saisir la réalité. 

  • Carte IGN au 25/000 ème

    En mode exploration, voilà notre bonheur en montagne. Loin, très loin du tourisme de masse...

    Prendre une carte au 25/000 ème, chercher un itinéraire avec les petits pointillés noirs, lire les courbes de niveau, repérer les reliefs, les vallons, les crêtes, les sommets, les prairies alpines, les forêts, les ruisseaux, une croix, une balise, une fontaine et puis chercher, chercher, suivre les sentes des animaux, trouver parfois une trace de peinture, des rochers usés, des marques de chaussures dans la terre, une faille, une brèche, un "pas", les fameux "pas" découverts par les Anciens. Des journées entières Là-Haut. 

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  • TOUS, SAUF ELLE : coma.

     

    Dans la rubrique THÈMES, il faudrait que je crée une page qui regrouperait tous les extraits de mes romans dans lesquels les personnages vivent une expérience de conscience modifiée.

    De VERTIGES à JARWAL, ils contiennent tous cette dimension, cette exploration, cet espace que nous n'avons pas encore parcouru, cartographié, identifié et qui me fascine. 

     

    TOUS, SAUF ELLE

    Hôpital sud de Grenoble, service de neurochirurgie.

    «  Lieutenant Bréchet. »

    Théo montra sa carte au Docteur Flaurent auprès duquel il avait obtenu un bref échange.

    « Docteur, vous pouvez me donner des nouvelles de madame Bonpierre ? Une enquête est en cours. »

    Théo regretta immédiatement le ton de sa voix. Trop directe, autoritaire, trop intrusive. Toujours ce manque de diplomatie qu’on lui reprochait, la courtoisie qu’il était incapable d’adopter quand l’urgence l’emportait. Il se fustigeait régulièrement mais ne parvenait jamais à respecter ses promesses. Il avait même fini par réaliser que ses relations extra-professionnelles souffraient parfois de cette fâcheuse tendance à paraître présomptueux. Lui savait qu’il n’en était rien. Il ne s’expliquait cette rudesse relationnelle que par sa méfiance chronique envers l’humain.

    Le docteur était plus petit que Théo et il releva légèrement la tête, pour plonger les yeux dans ceux du lieutenant. Il n’aimait pas cette attitude de cow-boy. Il n’aimait pas la police en général. Trop d’arrogance.

    « Mademoiselle… lieutenant. Pas madame. Je sais que le terme est désuet mais pour un homme de mon âge, il a toujours la même valeur.

    –Ah, désolé. »

    Le chirurgien faillit dire qu’il ne lisait pas correctement ses fiches mais il se retint.

    « Coma profond, continua-t-il, un hématome conséquent, il faut que je l’opère demain matin. Pour l’instant, il s’agit de la stabiliser et de la préparer. C’est une opération délicate, des zones cérébrales majeures.

    –Il peut y avoir des séquelles ?

    –Elle peut même mourir. Mademoiselle Bonpierre a certainement passé plusieurs heures dans cette voiture avant d'être secourue. C'est un paramètre inquiétant. Pourquoi y a-t-il une enquête ?

    –Il y avait deux flics avec elle, deux collègues. Un est mort et l’autre est dans le coma, alors vous voyez, on aimerait être sûr qu’il s’agit bien d’un banal et tragique accident. 

    –Vous aimeriez donc que je vous prévienne lorsqu'elle se réveillera ? Et vous imaginez sans doute qu’elle sera en état de tout vous raconter. Alors, écoutez, lieutenant, Laure Bonpierre ne sera peut-être plus de ce monde dans quelques heures ou alors, elle sera dans un état végétatif, ou elle aura toutes ses capacités mais peut-être plus celle de la parole, ou elle sera totalement amnésique, ou frappée d’amnésie partielle et je pourrais continuer la liste des hypothèses encore un moment. Il s’agit de neurochirurgie pas d’une appendicite. »

    Regards croisés. Tensions similaires.

    « OK, Docteur, désolé si je me suis montré incorrect. Disons que j’ai l’impression qu’on pourrait apprendre quelque chose de capital. Et j’aimerais vraiment comprendre ce qui s’est passé pour mes deux collègues.

    –Si je juge, qu'un jour, Mlle Bonpierre est apte à vous aider, je vous préviendrai.»

    Théo salua le docteur en lâchant un « Merci » qu'il chercha à envelopper dans un sourire appuyé.

    Laure Bonpierre.

    Il rejoignit sa voiture en regrettant de n'avoir pas pu la voir.

    La lumière dans son corps, un rayonnement d’une douceur infinie, comme une caresse d’ange. Elle n’avait aucune douleur puisque son corps n’était plus que lumière. Elle sentait en elle l’agitation des atomes, rien ne lui appartenait, la lumière l’avait désintégrée et ses molécules dansaient dans le flot. Elle ne comprenait pas comment il était possible de sentir quelque chose en soi quand on n’a plus de matière. À moins, qu’elle soit devenue de la lumière. Non, ça n’était pas elle, mais en elle, elle n’était pas la lumière mais la lumière lui permettait de rester là, de ne pas s’engager plus loin dans le canal des âmes. Oui, c’était ça.

    Elle avait regardé la lumière investir le corps penché devant elle, elle l’avait vu tressauter, comme un mécanisme ranimé, une clé tournée pour relancer les engrenages. Elle se souvenait de l’allégresse de la vie dans les étincelles qui l’enveloppaient. Une intensité lumineuse sur la poitrine. Elle avait entendu le premier souffle ranimé, une longue inspiration et un profond relâchement, comme un soulagement merveilleux, un délice, une renaissance.

    La tête du conducteur penchait par contre d’une façon incompatible avec la vie. La lumière ne l’avait même pas effleuré. Une intervention inutile.

    Des crépitements, comme des sarabandes endiablées d'étoiles électriques. Elle avait été enveloppée.

    Elle avait très clairement perçu le renforcement de l’intensité lumineuse à l'intérieur, le rayonnement qui parcourait les réseaux de son cerveau, elle avait vu les effluves comme des risées disparates à la surface de l’océan. Elle avait trouvé cela très beau. Comme un plongeur éclairant de sa lampe le plafond d'une grotte marine, elle avait parcouru l'intérieur de son crâne dans une apesanteur magique, fascinée par l'acuité étrange de son regard : elle ne voyait pas les choses, elle en ressentait l'énergie.

    Elle était tombée en admiration devant cette complexité miraculeusement organisée à l'intérieur d'elle. Pouvoir contempler la vie en soi et se réjouir du miracle. Elle avait pensé qu'elle avait une chance inouïe.

    Puis, son regard s’était tourné vers une paroi translucide, des mouvements rapides qui effaçaient des débris et elle avait croisé des yeux effarés, un visage penché comme à travers une lucarne. Elle avait perçu de l’effroi, un courant d’air glacé.

    Et tout s’était éteint.

    Maintenant, elle entendait les voix autour d’elle. Elles parlaient toutes d’un cerveau très abîmé. Elle aimait le parfum de fleurs qui accompagnait la voix d’une femme. Elle se souvenait d’un Indien. C’était étrange tout ce blanc à l’intérieur.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • A travers le tunnel

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    Les expériences de mort imminente

    Publié le samedi 24 mai 2025

    Des personnes dans un tunnel ©Getty

    Provenant du podcast Carnets de santé

    Steven Laureys est l'un des plus grands spécialistes mondiaux du cerveau et du coma. Passionné par les expériences de mort imminente, il a cherché à comprendre ce qui se passait scientifiquement en se soumettant à des expérimentations.

    Avec

    Steven Laureys, neurologue, directeur de recherche au Fonds de la recherche scientifique (FNRS) et fondateur du Coma science Group au centre de recherche de l’université de Liège

    Que se passe-t-il dans le cerveau d’une personne dans le coma ? Que comprend-elle ? Qu’entend-elle ? Quel espoir de réveil, de récupération ? Peut-on d’emblée prédire ses possibilités et donc adapter la prise en charge du patient ? Bien sûr, les connaissances, notamment grâce aux nouvelles technologies d’imagerie cérébrale, ont progressé, mais cet état reste encore très mystérieux et continue à la fois d’inquiéter et de fasciner.

    Les expériences de mort imminente sont-elles de pures hallucinations ?

    Marina Carrère d'Encausse s'entretient avec Steven Laureys, qui, tout au long de sa carrière, a exploré l'esprit humain, nos pensées, nos perceptions et émotions. Ses travaux portent sur le coma, mais aussi sur les commotions cérébrales, l’anesthésie, le rêve, l’hypnose, la transe, la méditation.

    La conscience reste un des grands mystères pour la science

    D’une spécialité que certains considéraient comme ésotérique, les choses ont évolué et aujourd’hui, selon le neurologue : « on a une vision beaucoup plus dynamique avec la neuroplasticité (c’est-à-dire le fait de pouvoir développer de nouvelles connexions et de nouveaux réseaux pour que le cerveau continue de fonctionner, même si des zones ont été abîmées.) Il y a des patients, certainement les jeunes, traumatisés crâniens, où ces milliers de milliards de connexions arrivent, et cette plasticité, peut assurer une récupération fonctionnelle. De plus, la neuroimagerie nous a permis de mieux documenter et d'être plus précis dans le diagnostic et aussi dans le pronostic, et même de proposer de nouvelles pistes thérapeutiques. »

    Mais malgré les avancées médicales, le directeur fondateur du Coma Science Group à l'Université de Liège reste prudent : « la conscience reste un des grands mystères pour la science. » […] Finalement, le cerveau, l’on dit que c'est une fonction émergente à travers ces connexions, cette dynamique entre le thalamus qui est profond et ces deux réseaux de la conscience. »

    4 à 5% d’expérienceurs, c’est-à-dire de personnes qui ont vécu une EMI

    Il y aurait dans le monde 4 à 5% d'expérienceurs, ces personnes qui ont vécu une EMI. Pour comprendre ces personnes, le spécialiste du cerveau et de la neurologie de la conscience, a tenté d'en vivre une : « Je me suis fait injecter de la psilocybine dans mes veines, lors d’une IRM à Londres. Je n'avais plus de corps, j'étais un avec l'univers. J’ai eu cette vision du tunnel, et j'ai perdu connaissance. Et entre-temps j’ai vécu toutes les caractéristiques, y compris la décorporation».

    Que se passe t-il dans notre cerveau lorsque l'on fait une EMI ?

    Cela fait 25 ans que l'on étudie ces états modifiés de conscience, le coma, ce qui se passe aux soins intensifs. 15% des personnes au CHU de Liège qui survivent ont une expérience de mort imminente. Mais l’EMI n'est pas la mort cérébrale car jamais une personne avec les critères de mort cérébrale n’est revenue pour dire ce qu'elle avait vécu. A l’avenir, le Professeur en est convaincu : « des médecins vont proposer une théorie de la conscience, des pensées, des perceptions, des émotions. Entre temps, on a une série de données expérimentales, d'hypothèses ». Et de conclure que : « Comprendre notre univers intérieur, cela nécessite des scientifiques un peu rebelles qui osent remettre en question les vérités d'aujourd'hui. »

    L'EMI, est-ce la preuve de la vie après la mort ou une pure hallucination ? La conscience réside-t-elle uniquement dans le cerveau ? Steven Laureys a tenté de comprendre ces patients qui racontaient leur expérience et a tout fait pour en vivre une. Le neurologue explique la façon dont ses connaissances et ses hypothèses ont évolué au fil de ses travaux.

     

    TOUS, SAUF ELLE

     

     

    CHAPITRE 2

    Des visages sans relief. Des peaux lisses qui l’observaient scrupuleusement, la détaillaient intérieurement. Elle sentait leurs regards sur son âme, comme des brises tièdes qui l’enveloppaient. Elle ne savait dire ce qu’elle était malgré le flot puissant de ressentis. Elle avançait sans aucun mouvement, elle n’était plus qu’un souffle d’air, un rayon de lune, l’éclat tremblotant d’une étoile naine et pourtant, chacune de ces âmes rencontrées la parcourait comme le flux sanguin de la vie. Elle les voyait et simultanément elle les sentait en elle.

    Elle ne possédait pourtant plus aucune enveloppe. C’était une certitude. Mais tout était là. L’air sur sa peau, le son du silence, le toucher des parois circulaires qui crépitaient et tous ces visages lisses qu’elle croisait. Où que se pose son regard, elle ne discernait qu’une myriade de présences.

    Elle avançait à des vitesses stupéfiantes dans une immobilité absolue. Une aimantation vers le fond de l’univers. Un plongeon intemporel vers les étoiles. Elle était subjuguée par ce puits vertical et elle aurait été incapable de préciser le sens de son déplacement. Comme s’il n’y avait plus d’espace, pas plus que de temps.

    C’est là que Figueras s’était interposé et avait stoppé sa progression. Elle avait reconnu le sourire flamboyant de ses prunelles. Les mots avaient résonné quelque part en elle.

    « Tu n’as pas fini ton parcours. Retourne d’où tu viens. Réintègre ta matière. Tu te souviendras de ce que tu es quand tu ne seras plus ce que tu crois être. »

    Tout était là sans qu’elle n’y comprenne rien.