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Pourquoi ?
- Par Thierry LEDRU
- Le 29/09/2024
- 0 commentaire
Pourquoi les états n'agissent-ils pas drastiquement contre le déréglement climatique anthropique ? Pourquoi condamnent-ils par leurs discours mensongers des millions d'individus dans les décennies à venir ?
Parce que cela n'impacte pas encore la croissance, l'économie, le PIB, le fonctionnement marchand. On peut même envisager que les dégâts occasionnés par les cyclones, les tempêtes, les inondations sont de précieuses occasions pour les entreprises chargées de la reconstruction.
Non, je ne suis pas en train d'envisager un complot issu des hautes sphères. Je considère qu'il s'agit juste d'un fait. Les gouvernants et les financiers n'ont encore, pour l'instant, aucune raison de s'inquiéter pour la sacro-sainte croissance. Ils savent très bien que les dégâts sont importants, ils n'ont pas décidé de les ignorer, ils peuvent même être compatissants, déclencher des mesures de catastrophe naturelle, des ministres peuvent même aller serrer les mains des survivants ou des sauveteurs... C'est bon pour l'image...
Si je reprends les réactions des états au regard de l'épidémie de covid, leurs réactions ont été très fortes parce que cette épidémie empêchait le fonctionnement des marchés, parce qu'elle impactait l'économie, parce qu'elle immobilisait une partie consdiérable de la masse travailleuse. Il ne s'agissait pas de limiter le nombre de morts mais de limiter le ralentissement économique en limitant le nombre de personnes atteintes.
Le réchauffement climatique ou son déréglement n'ont pas encore ces effets. Il y a bien des phénomènes surpuissants et des dégâts considérables mais ils sont réparables... Et les vies perdues ne ralentissent pas le rouleau compresseur des marchés. Croire que les états vont se soucier si fortement des vies perdues qu'ils vont se décider à agir est utopique et très naïf...
Le réchauffement climatique sera pris en compte par les gouvernants le jour où la croissance sera impactée. Pas avant. Mais ça sera trop tard.
Alors, que faire ? Je ne vois qu'une solution : que les peuples eux-mêmes optent pour la décroissance, avant même que les états ne la jugent nécessaire. Et c'est là que, de nouveau, je sais que c'est utopique. Parce que les populations disposant déjà d'un confort de vie honorable ne l'abandonneront jamais et que les populations des pays en voie de développement rêvent d'une vie plus douce et confortable. Et que cette imagerie populaire d'une vie douce passe par l'accession au confort le plus vaste possible. Je ne parle pas des besoins vitaux mais de tout ce qui apporte le supplément. Les Américains n'abandonneront jamais leurs 4X4 et les Chinois continueront à alimenter leurs climatiseurs avec une électricité produite par le charbon et les Européens continueront à voyager en avion pour aller passer les saisons froides sous les tropiques et la mondialisation continuera à lancer sur les océans des milliers de cargos chaque jour et les croisièristes continueront à construire des paquebots de plus en plus gigantesques et les gens à consommer de la viande d'élevage etc etc etc. Quelques exemples. Il y en a d'autres, des milliers.
Un degré, deux degrés, quatre degrés… Au cours du siècle à venir, la température de la planète va continuer de monter. Plus l’humanité émettra de gaz à effet de serre, plus le réchauffement climatique sera important.
Les rapports du GIEC alertent sur cette situation et les conférences internationales comme la COP26 promettent des solutions.
Mais en quoi ce dérèglement du climat est-il un problème ? Pourquoi doit-on se soucier de quelques degrés de plus ?
Naturellement, la hausse des températures va avant tout entraîner des canicules de plus en plus fréquentes et meurtrières. Et ces épisodes de chaleur s’accompagneront de sécheresses très problématiques pour l’agriculture.
Mais ce n’est pas tout. Un autre mécanisme risque d’être mis à rude épreuve : le cycle de l’eau. Entre la fonte des glaciers, la montée des eaux et les inondations, les conséquences pourraient bien être meurtrières pour les humains, mais aussi pour l’ensemble de la biodiversité.
Cette vidéo, conçue en collaboration avec Rodolphe Meyer (de la chaîne Le Réveilleur : https://bit.ly/3k2eoIA), présente certaines des conséquences les plus problématiques du changement climatique et permet de comprendre pourquoi c'est un défi majeur du XXIe siècle.
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La beauté et la mort
- Par Thierry LEDRU
- Le 25/09/2024
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LES ÉGARÉS
Ce livre-là n'est pas un roman, c'est une autobiographie.
La nuit dernière, j'ai rêvé d'un grand cèdre. C'était doux, apaisant, il était immense, ses branches me surplombaient et je m'y sentais en sécurité. Et puis, ça s'est arrêté.
Je savais avec certitude que je l'avais déjà vu. Et le souvenir m'est revenu. C'était à l'hôpital. Je veillais mon frère.
J'ai retrouvé le passage.
Pourquoi est-ce que j'ai rêvé de cet arbre ? Est-ce dû à mon état actuel, à ces flots de questions sur le fonctionnement mortifère de l'humanité ?
Mortifère... La mort. Ce que j'ai vécu là-bas s'est ancré en moi. Et, plus tard, les hernies discales qui me tuaient ont nourri cette présence de la mort. J'ai connu des périodes où je n'étais plus conscient de rien, sinon de la douleur physique et de la soufrance morale. Comme un condamné qui creuse son trou.
Mais la beauté de la nature a toujours été l'élément salvateur. La beauté des arbres, la beauté du ciel, la beauté des femmes, quelques-unes.
Celle que j'ai croisée sur un trottoir de Brest, je pourrais la croiser aujourd'hui et la reconnaître.
J'espère que le cèdre est toujours debout.
LES ÉGARÉS
27 août. Le jour de son anniversaire, dans la chambre d’hôpital, au chevet de son frère.
Ses parents lui avaient donné de quoi acheter un disque. Keith Jarret. The Köln Concert. Il en rêvait depuis longtemps.
« Vas-y mon chéri, prends ton temps, promène-toi, écoute des disques, ça fait si longtemps que tu es là. »
Cette voix adorée.
« Merci Maman. »
Il avait glissé le billet dans sa poche. Il avait embrassé ses parents.
« À tout à l’heure Christian, avait-il dit en se tournant vers son frère. Je vais chercher Keith Jarret. »
Il espérait qu’intérieurement l’évocation du piano cristallin le réjouisse, que la pureté des notes l’investisse, adoucisse ses luttes.
« T’inquiète, je te le prêterai ! »
Deux mois qu’il n’avait pas quitté son frère, deux mois qu’il n’était pas sorti de l’hôpital. Il avait veillé son frère comme on surveille une bougie et il avait fait de son amour pour lui une réserve de cire, l’interdiction de l’usure des forces, l’interdiction de l’affaiblissement de la flamme. Il ne savait pas si cela avait contribué au maintien de la lumière dans l’âme de Christian mais il percevait dans son propre espace intérieur l’émergence d’une force qui le bouleversait, une révélation dont il ne pouvait encore mesurer l’importance.
En quittant le couloir des urgences, il avait réalisé qu’il allait sortir de l’enceinte de l’hôpital. Depuis combien de jours, depuis combien de semaines, était-il là ?
Il s’était arrêté, le cœur battant. Il avait réalisé alors que cet espace ne se mesurait pas en temps mais en émotions. Combien d'émotions s'étaient-elles fossilisées en lui ? Voilà l'exploration qu'il aurait dû entreprendre. Mais il n'en avait aucunement conscience.
Une autre vie.
Un autre monde.
Des gens heureux, affairés, perturbés, inquiets, amoureux, insouciants, des voitures, des vitrines, le bruit de la ville, les couleurs, des odeurs.
Plus de murs aux peintures délavées, les effluves écœurants des désinfectants, les blouses des infirmières, les visages abattus des visiteurs, les voix mesurées ou les pleurs, le roulement des chariots, les appels dans les chambres, les sonneries sur le panneau lumineux des salles de veille, les émanations rebutantes des nourritures industrielles, les fenêtres closes, les horizons limités, le silence interminable des nuits, l’ombre invisible de la mort.
Une nuit, il avait imaginé être dans la mort elle-même. La vie luttait à l'intérieur pour survivre, se reproduire et s'étendre... La vie était comme un cancer pour la mort. Elle la rongeait. Il était fier de participer à cette lutte, à cette multiplication acharnée des cellules vivantes dans le corps de la mort.
Il avait traversé le parc de l'hôpital puis l’immense parking. Son trouble avait enflé conjointement à la rumeur des rues. Il avait pensé au prisonnier qu’on lâche dans la ville après des années d’enfermement.
Premier trottoir.
Il s’était dirigé vers le centre-ville.
Un autre monde.
Tous ces gens pressés qui ne savaient rien de l’hôpital, qui ne voulaient sûrement pas en entendre parler, qui géraient leurs existences agitées comme si tout devait durer.
Un groupe de jeunes croisés sur un passage-piétons. Ils riaient. Il suffisait pourtant d’un chauffard pour que certaines vies s’arrêtent, que d’autres soient projetées dans un monde de douleurs, d’opérations, de rééducations, de médicaments, de dépendance, de dépressions. Ils ne savaient rien de la vie. Parce qu’ils ignoraient que la mort les guettait. Et pire que la mort encore : la souffrance.
Il avait senti avec une force immense qu’il n’appartenait plus à ces groupes humains, à cette frivolité juvénile, qu’il ne pouvait plus supporter cet aveuglement entretenu, il avait eu envie de crier, de leur dire de se taire, de penser à tous les corps brisés qui luttaient jours et nuits sans connaître l’issue du combat, qui s’accrochaient désespérément au goutte à goutte suspendu au-dessus du lit, l’attente d’une opération de la dernière chance, le corps qui se morcelle, la lucidité de l’esprit qui enregistre chaque dégradation, chaque symptôme, la moindre douleur autopsiée, les médecins qui défilent avec leurs contingents d’adorateurs, leurs dossiers et leur suffisance, leur inhumanité diplômée.
Il n’était plus de ce monde.
C'est de ce jour qu'il avait toujours marché en ville les yeux baissés et les yeux levés dans la nature.
Tous ces gens mourraient un jour, demain ou dans vingt ans, quelle importance. La mort était déjà dans leurs cellules, elle les dévorait, insidieusement. Nous n’étions jamais seul. La mort, en nous, était une compagne fidèle.
À moins, comme il l'avait imaginé, que nous naissions au cœur de la mort et que nous devions apprendre à y survivre. Certains ne tenaient pas longtemps et nourrissaient très vite le terreau des cimetières. D'autres s'acharnaient. Par défi. Vivre de toutes ses forces et épuiser la mort de l'intérieur.
Centre-ville, rue de Siam. Il descendait vers le port militaire. Des parfums iodés. Le cri d’un goéland par-dessus les toits.
C’est là qu’il l’avait vue.
Elle marchait vers lui. Une tenue, une grâce, une fluidité qui l’avait bouleversé. Un choc inattendu, inespéré, comme si elle évoluait au cœur du monde sans en être aucunement atteinte, comme si le monde n’avait aucune emprise sur elle. Toutes les pensées avaient jailli comme un éclair, une fulgurance qui avait effacé en lui deux mois de cauchemar.
Une longue robe blanche, une chemisette bleu ciel, froissée comme du papier crépon, elle marchait les yeux baissés, de longs cheveux blonds flottant sur ses épaules, le balancement mélodieux de ses bras, la rondeur de ses seins sous le tissu, pieds nus dans des sandales à lanières qui remontaient sur ses chevilles, dix mètres, il allait la croiser, il s’était arrêté pour retarder l’échéance, le souffle coupé, plus de bruits, plus de mouvements, la ville avait disparu, il ne restait qu’une bulle protectrice, un espace protégé, elle avait levé le visage, elle l’avait regardé, la profondeur d’océan de ses yeux, immenses, bleus, lumineux, il n’avait plus bougé, catalepsie contemplative, elle avait souri, un soleil sur la peau lisse de ses joues, une fleur épanouie, le galbe rosé de ses lèvres, toute la beauté du monde, une envie immense de pleurer, de tomber dans ses bras et de pleurer, de vider toute cette horreur accumulée auprès de son frère, là, sur l’épaule de cette jeune fille, sans bouger, respirer le parfum de sa peau, s’enivrer de douceur, laisser couler les douleurs et s’abandonner à la quiétude, aucun désir, juste la paix, tout oublier.
« Bonjour. »
Elle était passée en l’enlaçant de sa voix.
Le miel de ses notes avait ruisselé en lui et s’était lové au creux de sa mémoire.
Il pourrait la retrouver aujourd’hui au milieu d’une foule, juste sa voix, deux notes comme une mélodie soyeuse, une caresse indicible, au-delà des choses connues.
Il s’était adossé à une vitrine, les jambes tremblantes, il ne savait même pas s’il avait répondu, il l’avait regardée s’éloigner, elle flottait au milieu des arabesques de sa robe, suspendue par la grâce, intouchable, intemporelle, une fée.
Un cadeau d’ange.
Retour.
Il avait acheté le disque tant désiré. Il avait demandé à en écouter les premières notes dans le magasin.
Dom… dom… dom, dom, dom…
Cristallin.
Les bâtiments de l’hôpital. Si grands.
Il s’était arrêté dans la traversée du parking. Il avait levé les yeux.
Combien d’âmes en souffrance, combien de corps brisés, de vies sur le départ ? Certains en sortaient, aussitôt remplacés, certains y restaient, on les descendait à la morgue, la famille venait chercher le corps, une camionnette noire, le cimetière, des fleurs, des prières, le trou dans la terre, les proches qui pleurent.
Évaluer le nombre de fenêtres. Le nombre de patients. Deux par chambre, le plus souvent.
Combien allait mourir avant la fin de la journée ?
Il avait repris son avancée vers la ligne de front, le couloir d’entrée des urgences puis l’escalier vers le service de neurochirurgie.
Les cris, les pleurs, les drames, les horreurs, tout était contenu dans les murs blancs, il le sentait, rien ne disparaîtrait jamais.
Il faudrait raser et brûler chaque pierre, tout réduire en poussière puis tout disperser dans l’océan. Et puis planter des arbres et que les oiseaux viennent y chanter.
Il marcha dans les couloirs. La jeune fille flottait dans son âme.
Elle dansait sur les notes de piano.
La grâce d’un ange.
Septicémie.
La broche qui consolidait le fémur. Infection nosocomiale. Les chirurgiens avaient décidé de recommencer. Nouvelle anesthésie. Combien Christian en avait-il eue ? Sept, huit, dix ? Il ne savait plus. Nouvelle attente, les poings serrés. Cette concentration des forces.
Il savait désormais parfaitement s’y prendre.
Aucune déperdition d’énergie, une limitation des pensées, juste le maintien du contact avec Christian, il était avec lui, en lui, au cœur de sa survie, dans le courant de son sang, chaque pulsation de son âme, une sollicitation constante de son esprit, ne pas le laisser partir.
« Je suis là Christian, je suis là, avec toi, je t’attends. »
Il avait imaginé se glisser dans une artère et remonter au cerveau, murmurer au cœur des cellules la nécessité de tenir, de ne rien lâcher, il était là, à l’intérieur, sa vie comme un don, son énergie comme une réserve inépuisable, une offrande, enlacer la vie éreintée de Christian, la réconforter, lui prodiguer tout son amour, toute sa force, établir un barrage contre la Mort, dresser des murailles, consolider les brèches, être à l’intérieur comme un guerrier farouche. Le sabre de l’amour prêt à trancher les armées de la Faucheuse.
Il s’était installé dans le parc, sur un banc. Face à un cèdre majestueux. Adossé, les jambes étendues, il avait basculé la tête en arrière, les yeux fixés sur l’horizon vertical, une échappée par-delà les murs immenses des bâtiments, le ciel translucide semblait imiter les espaces océaniques, quelques risées écumeuses, des courants résistants à la dilution dans le corps immense, des chapelets de récifs cotonneux, la rumeur de la ville montait comme une houle indocile, quelques éclats parfois comme des vagues à l’assaut des écueils, des oiseaux blancs dérivaient sur les grands fonds, leurs arabesques lentes suivaient les vents solaires, des chemins invisibles qu’ils savaient deviner, tant de paix, cette douceur du monde par-delà les enceintes.
Christian ne pouvait pas partir, il devait replonger dans cet amour, goûter encore aux bonheurs simples, à la vie câline, sans intention, juste la contemplation, l’abandon, la quiétude des émotions originelles, la connivence, l’osmose.
« Ne pars pas Christian, je t’en prie. La vie a besoin de toi.»
Toutes ces prières, cette force diffusée, cet attachement fraternel qu’il maintenait.
Le cèdre lançait vers la lumière son sommet tabulaire, enivrant l’espace de senteurs résinées, des peuples de branches s’étalaient sur des plages de vide, dominaient la pesanteur comme des tapis suspendus, les aiguilles avides captaient les jus nourriciers, le tronc fiché dans la terre jaillissait telle une aiguille rocheuse, une colonne végétale, massive, compacte, dressée contre le temps, des arrondis de racines couraient sous la surface, étendant leurs ancrages, tellement de forces, tellement de vie. Née d’une graine infime. Il avait pensé au germe de vie que ses parents avaient créé, Christian unifié dans le secret intime de sa mère, la fusion émotionnelle de deux amours au service de la vie. Il était impossible que ça s’arrête. Pas maintenant.
Christian était remonté du bloc. Placé immédiatement dans une chambre stérile. Ils ne pouvaient aller le voir que deux heures par jour. Ils enfilaient une longue blouse, des chaussons en papier, ils cachaient leurs cheveux sous un fichu, portaient un masque devant la bouche. Tout devait être jeté à chaque fois. Christian ne réagissait à aucune sollicitation, il maigrissait, cinquante kilos pour un mètre quatre-vingt-seize. Branché sur des perfusions aux aiguilles épaisses.
Charlotte passait prendre des nouvelles.
« Ne désespérez pas, il est bien suivi. On sait traiter ce genre de problème désormais. Mes collègues m’ont dit que les médicaments étaient efficaces. »
Ils ne la croyaient pas vraiment.
Ils regrettaient les crises de folie. Christian y était plus vivant que dans ce sommeil mortuaire.
L’épuisement de ses parents. Tous ces allers-retours, leur travail, les heures d’angoisse, l’inquiétude d’une sonnerie téléphonique, un appel qu’ils avaient sûrement imaginé. Ils les avaient vus vieillir, perdre le sourire, le goût de la vie.
La masse solide de son père fléchissait, les épaules tombaient, le visage sombre, abattu.
Sa mère semblait tendue à se rompre, aux aguets, comme un filament fragile, juste préservé par la vie suspendue de Christian.
Comme un cordon ombilical restauré et le refus de la lame qui le tranche.
Tenir, tenir. Ne pas couler en entraînant les autres, ne pas être celui qui perd pied, tenir, tenir, pas de faiblesse, l’interdiction de sombrer. On ne coule pas devant un rescapé. On le veille, on lui transmet son énergie, on résiste à tous les courants sombres, on lutte, on se bat, on le maintient à la surface.
Cette impression de flotter au milieu d’un océan d’incertitudes et de ne pas avoir le droit de s’enfoncer. Penser constamment à celui qui reste, à la détresse de sa solitude intérieure, à cette lutte viscérale contre l’invasion morbide.
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Acidification des océans
- Par Thierry LEDRU
- Le 23/09/2024
- 0 commentaire
Tout comprendre sur : l'acidification des océans
L'excès de dioxyde de carbone a des effets profonds dans l'eau, et met notamment en danger les animaux à coquille.
https://www.nationalgeographic.fr/environnement/tout-comprendre-sur-lacidification-des-oceans
L'acidification de l'océan entraîne un stress supplémentaire pour les créatures marines.
PHOTOGRAPHIE DE Cassie Jensen, National Geographic Your Shot
Les océans deviennent de plus en plus acides et le changement se produit plus rapidement qu'à tout autre moment de l'histoire géologique.
C'est une mauvaise nouvelle pour la plupart des créatures qui vivent dans l'océan, dont beaucoup sont sensibles aux changements subtils de l'acidité de leur habitat aquatique.
C'est particulièrement problématique pour les coraux, les huîtres et d'autres créatures dont la coquille ou le squelette carboné est délicat, et qui sont fragilisés par des changements, même minimes, de l'équilibre acide de l'océan, un peu comme les pluies acides corrodent les gargouilles de pierre et les bâtiments en calcaire.
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Environnement 101 : les océans
Le coupable de l'acidification est le dioxyde de carbone supplémentaire que l'Homme a fait s'accumuler dans l'atmosphère en brûlant des combustibles fossiles, en abattant des forêts... entre autres.
LE COUPABLE, C'EST LE CARBONE
Les océans ont toujours absorbé et rejeté du dioxyde de carbone, faisant la navette entre l'atmosphère et l'eau. Mais l'échange se fait lentement, généralement sur des milliers voire des dizaines de milliers d'années.
L'Homme a perturbé ce lent échange. Depuis le début de la révolution industrielle, au milieu du 18e siècle, les humains ont ajouté quelque 400 milliards de tonnes de carbone dans l'atmosphère. C'est un sous-produit des grandes quantités de combustibles fossiles que nous avons brûlées pour produire de l'énergie, des arbres qui ont été abattus, du ciment que nous avons produit, etc.
La majeure partie de ce carbone, sous forme gazeuse de dioxyde de carbone (CO2), reste dans l'atmosphère, où il piège la chaleur et contribue au réchauffement planétaire. Mais chaque année, l'océan absorbe environ 25 % de tout le CO2 supplémentaire émis. Au cours des dernières centaines d'années, environ 30 % de tout le dioxyde de carbone supplémentaire que les humains ont ajouté à l'atmosphère se sont infiltrés dans les océans.
C'est une bonne chose pour l'atmosphère. Sans cette réduction supplémentaire de dioxyde de carbone, la planète se serait réchauffée encore plus qu'elle ne l'a déjà fait. Mais c'est une mauvaise nouvelle pour les océans.
UN CLIN D'ŒIL À L'ÉCHELLE DES TEMPS GÉOLOGIQUES
À la fin des années 1700, les océans s'étaient équilibrés pour être légèrement alcalins, avec un pH d'environ 8,1 – à peu près le même niveau d'acidité qu'un blanc d'œuf. (Les choses plus acides se situent plus bas sur l'échelle du pH. L'eau parfaitement distillée a un pH d'environ 7 ; le jus de citron et le vinaigre ont un pH de 2 à 3).
Diaporama
Le pH de l'océan a changé à l'échelle du temps géologique. Pendant les phases froides de l'histoire de notre planète, le pH a augmenté (est devenu plus alcalin) d'environ 0,2 unité, et il a diminué (est devenu plus acide) d'environ la même quantité lorsque la planète s'est réchauffée. Mais il a fallu des dizaines de milliers d'années pour que ces changements se produisent - beaucoup de temps pour que les créatures vivant dans les mers s'adaptent au changement.
Les eaux de surface des océans ont enregistré une baisse d'environ 0,1 unité de pH depuis le début de la révolution industrielle - un clin d'œil dans les temps géologiques ou évolutifs. Même si 0,1 unité ne semble pas être un grand changement, c'est significatif : l'échelle de pH étant logarithmique (comme l'échelle de Richter pour les tremblements de terre), ce petit changement signifie en fait que l'eau est environ 28 % plus acide qu'auparavant.
UN AVENIR SOMBRE
Ce changement rapide est un véritable stress pour tout ce qui vit dans la mer. Il ramollit les coquilles des coquilles Saint-Jacques. Il ralentit la mue des crabes et des homards. Il affaiblit les coraux. Il trouble les poissons, perturbant leur sens de l'odorat. Il peut même modifier la façon dont les sons se transmettent dans l'eau, rendant les environnements sous-marins légèrement plus bruyants.
L'avenir nous réserve encore plus de défis. D'ici 2050, les scientifiques prévoient que 86 % de l'océan mondial sera plus chaud et plus acide que jamais dans l'histoire moderne. D'ici 2100, le pH de l'océan de surface pourrait chuter à moins de 7,8, soit plus de 150 % par rapport à l'état déjà corrosif d'aujourd'hui, et potentiellement encore plus, dans certaines parties particulièrement sensibles de la planète, comme l'océan Arctique.
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Réchauffement des océans
- Par Thierry LEDRU
- Le 23/09/2024
- 0 commentaire
Dans les océans, les records de chaleur menacent la vie marine
https://reporterre.net/Dans-les-oceans-les-records-de-chaleur-menacent-la-vie-marine?
Les eaux de surface des océans du globe atteignent sans interruption, depuis mars 2023, des températures jamais enregistrées auparavant.
Voilà maintenant un an que l’océan global ondule en terrain inconnu. Depuis le 13 mars 2023, la température moyenne à la surface des océans bat quotidiennement des records, selon les données de l’Agence atmosphérique et océanique américaine (NOAA), traduites en courbes sur la plateforme Climate Reanalyzer de l’Université du Maine (États-Unis). Le 10 mars 2024, les eaux de surface mondiales atteignaient, toujours selon la NOAA, 21,2 °C. Du jamais-vu à cette période de l’année.
Les services météorologiques européens tirent eux aussi la sonnette d’alarme. Dans un communiqué publié jeudi 7 mars, l’observatoire Copernicus constate que la température moyenne de surface des eaux, au mois de février, s’est élevée à 21,06 °C. Un niveau supérieur au précédent record mensuel (20,98 °C), établi en août 2023.
Un coup d’œil à la carte mise au point par les experts donne une idée de la gravité de la situation : du Pacifique à l’océan Indien, en passant par la Méditerranée et la mer des Caraïbes, l’immense majorité des eaux tirent vers l’orange, traduisant une température moyenne supérieure, voire « très supérieure », à celle habituellement enregistrée en février au cours de la période 1991-2020. De très larges zones sont couvertes de rouge, indiquant le dépassement d’un record de chaleur.
Les écarts de température de la surface des océans en février 2024 par rapport à la moyenne de 1991-2020. climate.copernicus.eu
L’Atlantique nord, en particulier, a connu une année hors norme. À la fin du mois d’août, ses eaux de surface dépassaient les 25 °C, avec des anomalies de température supérieures de 1,3 °C à la moyenne 1982-2011. Les eaux irlandaises et britanniques ont été frappées par des canicules marines stupéfiantes, les températures pouvant dépasser de 5 °C les normales estivales.
« Une année complète comme ça, avec des records journaliers, c’est exceptionnel », note Thibault Guinaldo, chercheur en océanographie spatiale au Centre national de recherches météorologiques (CNRS-Météo France). Le changement climatique en est le principal responsable, explique-t-il : « Les océans absorbent une très grande partie de l’excès de chaleur dans l’atmosphère, ce qui se traduit par leur réchauffement constant d’une année sur l’autre. »
L’évolution quotidienne de la température mondiale à la surface des océans, de 1981 à 2024. climatereanalyzer.org
À ce dérèglement d’origine humaine s’est superposée, en 2023, la perturbation naturelle El Niño. Ce phénomène climatique, qui réapparaît tous les trois à sept ans, s’est traduit par un réchauffement du Pacifique tropical. El Niño devrait normalement s’éclipser à la mi-2024, faisant légèrement redescendre le thermomètre. Du moins à court terme. « Tant qu’on émettra des gaz à effet de serre, l’océan continuera de se réchauffer » , dit Laurent Bopp, océanographe et chercheur au Laboratoire de météorologie dynamique.
« On perturbe le fonctionnement du système climatique »
Le réchauffement des océans a des conséquences majeures sur les sociétés humaines, le système climatique et la biodiversité. Il est notamment parmi les principaux responsables de l’élévation du niveau des mers, souligne Thibault Guinaldo : « Lorsqu’un fluide se réchauffe, il prend davantage de volume. Et donc, plus l’océan se réchauffe, plus son niveau augmente. »
« Lorsque l’eau est plus chaude, il y a davantage d’évaporation, dit également Laurent Bopp. Il y a un lien entre la température de l’eau de mer, l’abondance de l’eau dans l’atmosphère et donc, les épisodes de précipitations extrêmes sur les continents. » Ce phénomène est notamment documenté en Méditerranée. La hausse des températures modifie également les grands courants océaniques, qui redistribuent l’énergie entre l’Équateur et les pôles. « On perturbe le fonctionnement du système climatique », note-t-il.
La vie marine paie elle aussi un lourd tribut. Plus l’eau est chaude, moins elle peut contenir d’oxygène. Cela peut durement affecter le développement des poissons. Lorsque la température des eaux de surface augmente, elles deviennent par ailleurs moins denses, et se mélangent donc plus difficilement avec les eaux plus froides et lourdes situées en profondeur. Ce phénomène, appelé « stratification de l’océan », freine les échanges de chaleur, de carbone et d’oxygène entre les différentes couches d’eau salée. « Plus l’océan est stratifié, moins les éléments nutritifs de l’océan profond peuvent être amenés en surface et fertiliser le plancton », alerte le chercheur.
« Peut-être les prémices d’un bouleversement de l’habitabilité de l’océan »
À cela s’ajoutent les épisodes de blanchiment massif des coraux. Dans une étude publiée l’été dernier dans la revue scientifique Global Change Biology, une équipe d’une soixantaine de chercheurs internationaux a montré que les canicules marines qui ont frappé la région entre 2015 et 2019 avaient provoqué des « mortalités massives » chez une cinquantaine d’espèces de poissons, d’éponges, d’algues ou encore de mollusques, jusqu’à 40 mètres sous la surface de l’eau. « C’est comme si l’on se trouvait en face d’une forêt cramée », expliquait en juin 2023 à Reporterre Joaquim Garrabou, chercheur à l’Institut des sciences de la mer de Barcelone et co-auteur de cette étude.
Lorsque les eaux de surface deviennent trop chaudes pour eux, les organismes qui y vivent peuvent être contraints de migrer vers les pôles. Ce phénomène pourrait n’être « que la partie émergée de l’iceberg », selon le chercheur Météo-France au Centre national de recherches météorologiques Roland Séférian. Une étude à laquelle il a contribué, publiée en 2022 dans la revue scientifique Nature Climate Change, suggère que les écosystèmes situés à plus de 50 mètres de profondeur pourraient eux aussi être bouleversés par l’accumulation de chaleur dans l’océan.« Ce qu’on voit aujourd’hui, ce sont peut-être les prémices d’un bouleversement complet de l’habitabilité de l’océan. »
Seul espoir de mettre au pas ce phénomène meurtrier : « couper nos émissions de gaz à effet de serre », rappelle Thibault Guinaldo. « C’est la principale cause du réchauffement, et celle sur laquelle on peut jouer. »
Océan de surface, océan profond, quelle différence ?
L’océan est divisé en plusieurs couches. En surface, sa température peut être suivie de manière très précise et régulière grâce aux satellites. Ces derniers sont cependant incapables de mesurer la température de l’eau au-delà d’une certaine profondeur. Pour étudier le réchauffement de la zone située à plus de 200 mètres de fond, les scientifiques ont recours à un réseau de bouées autonomes. Leurs données suggèrent que l’océan profond se réchauffe lui aussi, quoique moins vite et de manière plus hétérogène que l’océan de surface, décrit Laurent Bopp.
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THÈME : le climat (18)
- Par Thierry LEDRU
- Le 23/09/2024
- 0 commentaire
Un thème que je devais créer pour retrouver les articles. De tout archiver dans ce thème-là est vraiment essentiel. Il faut compiler les données, les études, les écrits pour pouvoir dans dix ans, vingt ans, trente ans relire ce qui avait annoncé.
Changement climatique : depuis 30 ans
Chronologie du changement climatique d'origine humaine
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Global warning et climatosceptiques
- Par Thierry LEDRU
- Le 23/09/2024
- 0 commentaire
Déni de réalité : pourquoi le climatoscepticisme progresse
Les discours niant le dérèglement climatique foisonnent. À force d’outils efficaces, les climatosceptiques prospèrent et sont loin de vouloir s’arrêter, explique le chercheur Albin Wagener.
Albin Wagener est chercheur associé à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco, Plidam) et au laboratoire Prefics de l’université Rennes 2.
C’est un paradoxe de notre époque : alors que les effets du changement climatique sont de plus en plus couverts par les médias et n’ont jamais été aussi saillants pour les populations, le climatoscepticisme reprend lui des forces au gré de l’actualité climatique. D’après un sondage mené par Ipsos et le Cevipof en 2023, ce sont 43 % de Français qui refusent de « croire » au réchauffement du climat.
Plusieurs fois annoncé comme dépassé ou cantonné à des sphères complotistes, le climatoscepticisme n’en finit pas de se régénérer. Si les origines de ce courant remontent aux États-Unis, il prospère chez nous aujourd’hui via des incarnations bien françaises, comme l’a montré le récent documentaire La Fabrique du mensonge sur le sujet. Tâchons donc de revenir un peu en arrière pour comprendre le succès actuel de ces discours niant le dérèglement climatique.
Une narration efficace
Dans les années 1980, aux États-Unis, l’émergence et la propagation d’une « contre-science » du climat ont résulté de la mobilisation de think tanks liés au parti républicain et au lobbying de grandes entreprises, principalement dans le secteur de la production pétrolière, en s’inspirant par ailleurs des pratiques de l’industrie du tabac.
Le terme de « climatoscepticisme » est, à cet égard, lui-même aussi trompeur que révélateur : en liant « climat » et « scepticisme », le terme donne l’impression d’une posture philosophique vertueuse (notamment la remise en question critique et informée), et induit en erreur. Car il s’agit ici bien moins de scepticisme que de déni, voire de cécité absolue vis-à-vis de faits scientifiques et de leurs conséquences, comme le rappelle le philosophe Gilles Barroux.
Mais qu’importe : au moment de l’Accord de Paris et du consensus de plus en plus large sur le climat, le climatoscepticisme semblait réduit à portion congrue : en France, en 2019, la Convention citoyenne pour le climat montrait que le sujet pouvait être pris au sérieux tout en donnant lieu à des expérimentations démocratiques. Puis en août 2021, la loi Climat et Résilience semblait ancrer un acte politique symbolique important, bien qu’insuffisant.
« Je ne crois pas au changement climatique », a écrit l’artiste Banksy sur une façade d’un immeuble de Londres, près d’une eau stagnante rappelant une inondation. Flickr/CC BY-NC 2.0 Deed/Dunk
Pourtant, malgré ces évolutions politiques, le climatoscepticisme prospère aujourd’hui en s’éloignant de son incarnation et champ originel, puisqu’il constitue désormais une forme de discours, avec ses codes, ses représentations et ses récits. C’est précisément en cela qu’il est si dangereux : du point de vue linguistique, narratif et sémantique, il utilise des ressorts hélas efficaces, qui ont pour objectif d’instiller le doute (a minima) ou l’inaction (a maxima).
« Préserver la domination de l’Homme sur ce que l’on appelle abusivement la « Nature » »
Plus clairement, les sphères climatosceptiques vont par exemple utiliser des termes aux charges sémantiques équivoques (climatorassurisme, climatoréalisme, etc.), remettre en question la véracité des travaux du Giec [1], mettre en exergue les variations du climat à l’échelle du temps géologique (la Terre ayant toujours connu des périodes plus ou moins chaudes ou froides), ou bien encore expliquer que toute action mise en œuvre pour lutter contre le changement climatique relèverait en fait de l’autoritarisme liberticide. En d’autres termes, le doute est jeté sur tous les domaines, sans distinction.
De ce point de vue, il est important de noter que le climatoscepticisme peut prendre plusieurs formes : déni de l’origine anthropique du réchauffement, mise en exergue de prétendus cycles climatiques, remise en cause du rôle du CO2 ou technosolutionnisme chevronné sont autant de variables qui donnent sa redoutable vitalité au climatoscepticisme.
Lire aussi : Christophe Cassou : « Le climatoscepticisme a la couleur de l’extrême droite »
Mais que cachent les discours climatosceptiques ? Outre les intérêts économiques, on retrouve également la préservation d’un ordre social et de systèmes de domination spécifiques : domination de l’Homme sur ce que l’on appelle abusivement la « Nature » (incluant les autres espèces, l’intégralité de la biodiversité et les ressources), exploitation des ressources nécessaires à l’activité industrielle et économique, mais aussi domination de certaines communautés sur d’autres — notamment parce que les femmes ou les populations indigènes sont plus vulnérables au changement climatique, tout en représentant également les populations les plus promptes à proposer des innovations pour contrer ses impacts.
Des cibles et intérêts marqués
Au-delà de sa pérennité, les recherches ont montré à quel point le climatoscepticisme restait efficace pour retarder l’action politique. Il ne s’agit pas ici de dire que la classe politique est climatosceptique, mais qu’un certain nombre d’acteurs climatosceptiques finissent par diffuser des discours qui font hésiter les décideurs, retardent leurs actions ou font douter quant aux solutions ou alternatives à mettre en place.
La France n’échappe pas à cette tendance : entre les coups médiatiques de Claude Allègre, l’accueil de Greta Thunberg à l’Assemblée nationale ou encore les incursions de divers acteurs climatosceptiques (se désignant eux-mêmes comme climatoréalistes ou climatorassuristes), le paysage médiatique, politique et citoyen se retrouve régulièrement pollué par ce type de discours.
Doté de solides ressources financières, ce mouvement a pu contester les résultats scientifiques dans la sphère publique, afin de maintenir ses objectifs économiques et financiers.
Le Giec en a, par ailleurs, fait les frais de manière assez importante — et encore aujourd’hui ; régulièrement en effet, des scientifiques du Giec comme Jean Jouzel ou Valérie Masson-Delmotte, qui se sont engagés pour porter de manière pédagogique les travaux collectifs dans l’espace médiatique, se sont retrouvés la cible de critiques, notamment sur la véracité des données traitées, ou la raison d’être financière du groupement scientifique mondial. Cela est notamment régulièrement le cas sur les réseaux sociaux, comme le montrent les travaux de David Chavalarias.
Prôner les certitudes d’un « vieux monde inadapté »
Au-delà de ces constats informatifs, une question émerge : pourquoi sommes-nous si prompts à embrasser, de près ou de loin, certaines thèses climatosceptiques ? Pourquoi cette forme de déni, souvent mâtinée de relents complotistes, parvient-elle à se frayer un chemin dans les sphères médiatiques et politiques ?
Pour mieux comprendre cet impact, il faut prendre en considération les enjeux sociaux liés au réchauffement climatique. En effet, cette dimension sociale, voire anthropologique est capitale pour comprendre les freins de résistance au changement ; si la réaction au changement climatique n’était qu’affaire de chiffres et de solutions techniques, il y a longtemps que certaines décisions auraient été prises.
En réalité, nous avons ici affaire à une difficulté d’ordre culturel, puisque c’est toute notre vie qui doit être réorganisée : habitudes de consommation ou pratiques quotidiennes sont concernées dans leur grande diversité, qu’il s’agisse de l’utilisation du plastique, de la production de gaz à effet de serre, du transport, du logement ou de l’alimentation, pour ne citer que ces exemples.
« Il est le symptôme d’autodéfense d’un vieux monde qui refuse de mourir »
Le changement est immense, et nous n’avons pas toujours les ressources collectives pour pouvoir y répondre. De plus, comme le rappelle le philosophe Paul B. Preciado, nous sommes dans une situation d’addiction vis-à-vis du système économique et industriel qui alimente le changement climatique ; et pour faire une analogie avec l’addiction au tabac, ce ne sont jamais la conscience des chiffres qui mettent fin à une addiction, mais des expériences ou des récits qui font prendre conscience de la nécessité d’arrêter, pour aller vite. Cela étant, le problème est ici beaucoup plus structurel : s’il est aisé de se passer du tabac à titre individuel, il est beaucoup plus compliqué de faire une croix sur le pétrole, à tous les niveaux.
Paradoxalement, c’est au moment où les effets du changement climatique sont de plus en plus couverts par les médias que le climatoscepticisme reprend des forces, avec une population de plus en plus dubitative. Ce qui paraît paradoxal pourrait en réalité être assez compréhensible : c’est peut-être précisément parce que les effets sont de plus en plus visibles, et que l’ensemble paraît de plus en plus insurmontable, que le déni devient une valeur refuge de plus en plus commode. Il s’agirait alors d’une forme d’instinct de protection, qui permettrait d’éviter de regarder les choses en face et de préserver un mode de vie que l’on refuse de perdre.
Si le climatoscepticisme nous informe sur nos propres peurs et fragilités, il est aussi symptomatique du manque de récits alternatifs qui permettraient d’envisager l’avenir d’une tout autre manière. En effet, pour le moment, nous semblons penser la question du changement climatique avec le logiciel politique et économique du XXe siècle. Résultat : des récits comme le climatoscepticisme, le greenwashing, le technosolutionnisme (le fait de croire que le progrès technique règlera le problème climatique), la collapsologie ou encore le colibrisme (le fait de tout faire reposer sur l’individu) nous piègent dans un archipel narratif confus, qui repose plus sur nos croyances et notre besoin d’être rassurés, que sur un avenir à bâtir.
De fait, le climatoscepticisme prospère encore, car il est le symptôme d’autodéfense d’un vieux monde qui refuse de mourir. Sans alternative désirable ou réaliste, alors que nos sociétés et nos économies sont pieds et poings liés par la dépendance aux énergies fossiles, nos récits sont condamnés à tourner en rond entre déni, faux espoirs et évidences trompeuses.
C’est bien là tout le problème : si les chiffres sont importants pour se rendre compte de l’importance du changement et de ses conséquences (y compris pour mesurer les fameux franchissements des limites planétaires), ce n’est pas avec des chiffres seuls que l’on met en mouvement les sociétés et les politiques. Les tenants du climatoscepticisme ont parfaitement compris cette limite, en nous proposant les certitudes confortables d’un vieux monde inadapté, face aux incertitudes paralysantes d’un avenir qui sera radicalement différent du monde que nous connaissons, mais que nous avons le choix de pouvoir écrire.
Cette tribune a été initialement publiée sur le site The Conversation.
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Solastalgie
- Par Thierry LEDRU
- Le 21/09/2024
- 0 commentaire
Non, je ne suis pas anxieux, je ne suis pas dépressif, je n'ai peur de rien au regard des années à venir. Pour une seule raison : je n'y peux rien.
La haute montagne m'a enseigné le contrôle. Si je décide d'aller risquer ma vie sur un sommet, je dois être dans le contrôle. Il n'y a pas d'anxiété car je suis dans l'action.
Dans le cas de la dégradation continuelle du Vivant, je pourrais être anxieux puisque je ne peux pas agir sur le réchauffement climatique planétaire. Oui, mais je peux agir dans mes choix de vie. Et c'est ce qui me maintient dans un état d'esprit qui ne laisse pas de place à l'éco-anxiété ou à la solastalgie. Il m'arrive par contre d'être en colère ou d'être triste mais ça ne dure pas. Ma colère contre certains, elle ne les changera pas et ma tristesse envers le Vivant ne le soignera pas. Ce sont des émotions qui n'ont pas d'intérêt et par conséquent, je les laisse s'éteindre en ne leur accordant pas mon attention. Elles passent doucement et s'éteignent.
Il n'empêche que lorsque j'avais 17 ans, je n'aurais jamais imaginé que des années plus tard, je sois en train de m'interroger sur la pérénnité du Vivant.
J'étais insousciant et surtout considérablement naïf au regard de la confiance que j'accordais a priori à l'espèce humaine.
Mais, ça, c'est fini.
Qu’est-ce que la solastalgie ?
Le terme solastalgie, ou « dépression verte », provient du mot latin solacium qui signifie « réconfort » et du suffixe grec algia relatif à la douleur. La solastalgie renvoie à la douleur liée à la perte de ce qui nous réconforte, en l'occurrence, notre environnement.
En effet, les personnes atteintes de solastalgie sont dans un processus de prise de conscience par rapport à l’état de la planète en raison de différents maux :
dérèglement climatique ;
migration de populations ;
perte de la biodiversité ;
coût d’extraction grandissant des énergies fossiles ;
système interdépendant ;
effondrement ;
etc.
La solastalgie est une expérience immédiate s’illustrant par des émotions négatives intenses telles que :
la tristesse ;
l’impuissance ;
la dépression.
À l’inverse, l’éco-anxiété est une peur par anticipation qui renvoie à une réaction émotionnelle et ne peut pas donner lieu à une pathologie telle que la solastalgie. Ainsi, toute personne ayant conscience de l’ampleur de l’enjeu écologique actuel, présente de l’inquiétude quant à l’état de la planète et souffre donc d’éco-anxiété. L’incertitude, c’est-à-dire le fait de ne pas réussir à se projeter, ni à imaginer son avenir, fait également partie des symptômes de l’éco-anxiété.
Quels sont les symptômes de la solastalgie ?
La solastalgie, qui touche des millions de gens, impacte psychologiquement et physiquement les personnes qui en sont atteintes.
Différentes émotions, troubles et questionnements sont rattachés à l’état de solastalgie, tels que :
le sentiment d’impuissance ;
le sentiment de perte de contrôle ;
le sentiment de perte de sens ;
le sentiment d’injustice ;
le sentiment de frustration ;
la colère ;
la peur de l’avenir ;
la tristesse ;
le regret ;
l’anorexie ;
l’angoisse ;
le pessimisme ;
les troubles anxieux allant d’une anxiété chronique à des attaques de panique ;
l’insomnie ;
le questionnement autour du projet d’enfant ;
la dépression.
Cette multitude d’émotions et de questionnements peuvent apparaître de façon progressive ou soudaine. Le développement des symptômes de la solastalgie sont liés à un stress dit pré-traumatique.
Qui est touché par la solastalgie ?
La solastalgie peut concerner tout un chacun. Néanmoins, certaines personnes sont plus susceptibles d’être touchées, telles que :
les personnes ayant été directement exposées aux répercussions du réchauffement climatique : inondation, incendie, canicule, etc. ;
les personnes ayant vécu un choc tel qu’un paysage complètement différent comparé à ses souvenirs ;
les climatologues, qui côtoient quotidiennement les catastrophes écologiques et qui sont à l’origine d’un vaste mouvement sur Twitter avec le hashtag #solastalgie en vue de sensibiliser la population ;
la jeune génération qui se montre particulièrement inquiète quant à son avenir.
Il apparaît aujourd’hui que 85 % des Français sont inquiets face au réchauffement climatique et, parmi eux, 29 % se montrent très inquiets. Un chiffre qui monte à 93 % parmi les jeunes âgés de 18 à 24 ans.
Comment faire face à la solastalgie ?
Dans tous les cas, la solastalgie n'est pas à minimiser. Si le besoin s'en fait sentir, elle peut faire l'objet d'un suivi psychologique.
Voici quelques conseils pour faire face à la solastalgie :
Prendre du recul sur la situation
La première chose à faire lorsque les symptômes de la solastalgie se font ressentir est de prendre du recul sur cette situation que nous ne maîtrisons pas. Il est essentiel de ne pas tout prendre à cœur et d’accepter le fait qu’il est impossible d’endosser l’entière responsabilité de la lutte contre le réchauffement climatique. Agir à son échelle constitue déjà un premier pas de taille que ce soit par des actions concrètes ou en sensibilisant son entourage.
S’engager pour l’environnement
Chaque individu préoccupé par la situation climatique peut s’engager en rejoignant une ONG environnementale par exemple. Cette solution permet, non seulement de sensibiliser le plus grand nombre pour faire avancer la cause environnementale, mais aussi de vivre en cohérence avec ses valeurs.
Adopter des écogestes
Que ce soit au sein de sa vie quotidienne, comme sur son lieu de travail. Par exemple : se déplacer via des transports vertueux tels que le bus, le train, le vélo, la trottinette, la marche à pied ou encore le covoiturage ; réduire le gaspillage et diminuer la production de déchets ; maîtriser son impact numérique ; consommer mieux et moins en refusant, réduisant, réutilisant, recyclant et rendant à la terre, c'est-à-dire en compostant ; changer sa manière de voyager notamment en réduisant les vols en avion.
Réduire son empreinte carbone
En s’informant sur les causes du réchauffement climatique, à savoir une trop forte émission de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, afin de mieux les limiter en adoptant notamment les écogestes précédemment évoqués.
Valérie Dollé
Journaliste scientifique