L'esprit de tribu

 

C'est le fond du roman que j'écris depuis des mois..."Le désert des Barbares"

Dans le scénario d'un effondrement de la société, c'est l'esprit de "tribu" ou de "communauté" qui deviendra le seul moyen de survivre.

 

 

Peut être une image de 5 personnes et plein air

Lionel Dupont

"Quand nous avons cessé d'être des tribus, l'unité a craqué. Nous pensions que le couple, ou le noyau familial allaient suffire, tandis que les amitiés et les cercles d'appartenance nous donnaient les miettes de cohabitation éphémères.

La tribu est bien plus que des amis et des frères de sang. La tribu est l'appartenance spirituelle à une fraternité qui soutient et nous invite à soutenir. La tribu est l'endroit où les rôles naturels sont partagés, échangés et interagis.

Les mères aujourd'hui maternent seules sans le groupe de confinement et de soutien. Les enfants ont des frères qui sont toujours les mêmes, ceux du sang, et les frères spirituels qui sont nombreux devraient jouer ensemble, en train de cocréer. Nous nous séparons en petites propriétés privées, courant d'un côté à l'autre pour trouver la subsistance du noyau familial.

Le naturel c'est de se regrouper et pendant que certains sèment, d'autres éduquent, d'autres construisent, d'autres cuisinent, et au bon moment nous nous réunissons pour manger, célébrer, continuer à tribuer.

Sans tribu, c'est comme un corps humain démembré essayant de fonctionner, chaque membre séparément.

Nous devons retourner dans les tribus où les grands-parents sont dignes et les oncles sont tous. Le commerce, la propriété privée et l'individualisme nous ont arrachés comme des branches du tronc qui nous unit.

Dans la tribu tous les dons sont les bienvenus, et les rôles rotatifs ne créent ni ennui ni saturation. Dans les tribus il y a tellement de frères et sœurs que le partage est délicieux et les modèles alternent.

Maintenant, on commence à utiliser le vieillissement entre amis, et c'est apprécier la tribu. Nous pouvons commencer plus tôt et donner aux enfants un environnement sain où le partage est naturel et où il y a de nombreuses références à apprendre.

La tribu : c'est pour créer l'amour."

 

 

 

LE DESERT DES BARBARES

Martha dormait, la tête sur l’épaule de Moussad.

« Ils sont morts, annonça-t-il en murmurant lorsqu’il rejoignit le groupe. Martha s’était cachée. »

Tristan prit la petite fille dans ses bras, son corps lourd, profondément endormi. Anne posa la main sur son épaule.

« On va l’installer dans la chambre. Je vais la veiller.»

Kenza enlaça Moussad qui déposa un baiser dans son cou.

« Je vais bien, » souffla-t-il à son oreille. 

Il déposa le sac qu’il avait porté sur la poitrine, il sortit la gourde et se déshydrata.

« Tout était fini là-bas, il n’y avait plus personne, raconta-t-il au groupe. Ils ont mis le feu à la maison, je pense que les corps de Jean et Delphine y étaient, je ne les ai pas trouvés. Martha était cachée à l’orée de la forêt, elle m’a reconnu. Elle m’a dit qu’il y avait quatre voitures, des 4X4 et le dernier avait une remorque. Jean a dit à Martha de partir se cacher dans la forêt. Elle a entendu des coups de feu. Elle avait une cabane où elle allait jouer parfois. Elle s’y est cachée. Elle les a attendus puis elle s’est endormie et ce matin, elle est retournée à la ferme. Elle m’a vu quand je tournais sur le terrain. Ils ont tué et emporté toutes les chèvres, c’est pour ça qu’ils avaient une remorque. J’ai trouvé les corps des deux chiens. Martha voulait qu’on les enterre. Je m’en suis occupé. La petite était épuisée, elle a beaucoup pleuré. Elle a compris que ses parents sont morts. Elle a du courage. »

Ils s’étaient tous regroupés dans la salle commune. Tristan avait pris son tour de garde.

« Ils viendront ici aussi, on est connu dans le coin et les pillards sont toujours des gens du pays. En tout cas, au début. Ils vont chercher tous les lieux où ils pourront trouver de la nourriture et tout ce qu’ils pourront revendre. Le carburant, le matériel agricole, les voitures, les groupes électrogènes, les batteries des panneaux solaires. En ville, il ne doit plus y avoir grand-chose à voler. C’est maintenant que ça va devenir le plus dangereux pour nous. »

Sophie avait pris la parole et comme à chaque fois, Tian observa le groupe. Il était fasciné par l’écoute de tous.

«  Ils cherchent de la nourriture, c’est facile de s’en prendre aux fermes isolées. Mais ils ne savent pas qu’on est tous armés. Jean n’avait que son fusil de chasse. Aucune chance contre un groupe entier. »

Quelques instants de silence. Chacun dans les pensées sombres, un scénario dramatique qu’ils ne voulaient pas connaître.

« Il faudra deux gardes en permanence. Un à mi-parcours de la piste, au niveau du dernier virage, un autre à l’entrée du hameau. Si un groupe passe, le premier guetteur laisse passer le dernier véhicule et il déclenche les hostilités. Pas de sommations. Il faut les prendre tout de suite entre deux feux. C’est eux ou nous. Dites-vous qu’un mort parmi eux, c’est un vivant parmi nous. Le premier guetteur devra prendre la radio, le second poste restera ici sur écoute en permanence. Didier, tu surveilles l’alimentation des deux.»

Louna était estomaquée. Non pas par les paroles de Sophie mais par l’adhésion totale du groupe à tout ce qu’elle disait. Elle réalisa combien elle admirait cette femme, sa détermination, son pouvoir de décision, la clarté de ses interventions. Là, dans le scénario détaillé, comme dans tout ce qu’elle avait pu entendre depuis qu’elle était arrivée.

Sophie écoutait les remarques, les analysait, les commentait mais au final, c’est ce qu’elle proposait qui était toujours retenu.

« Je rappelle à tous qu’en plus de votre arme à feu, vous devez toujours avoir un poignard avec vous et que vous ne devrez avoir aucune hésitation à vous en servir. Rappelez-vous toujours ce que Moussad nous a appris. Dans une situation de combat, celui qui hésite est mort. Si vous disposez de deux secondes pour tuer un ennemi, n’en prenez pas trois.

-Sophie ?

-Oui, Tian.

-Louna et moi, on n’a pas d’arme à feu et on n’a jamais appris à tirer.

-Moussad vous donnera un pistolet et des balles mais il est trop tard pour apprendre. Des coups de feu seraient entendus. On ne peut pas prendre ce risque. En cas de coup dur, vous resterez à l’abri avec Martha. Est-ce que vous avez un poignard ?

-On a un couteau chacun mais c’est pareil, on n’a jamais appris à se battre.

-Moussad, tu t’occuperas de leur donner quelques rudiments.

-Ok, on commence aujourd’hui, répondit Moussad. 

-Louna et Tian, reprit Sophie, j’ai bien conscience que vous puissiez être choqués par mes propos. Vous n’avez certainement jamais envisagé de devoir vous battre pour survivre. Pour nous, c’est une évidence que ça devait arriver et on s’est préparé à ça. Ce que vous avez vu jusqu’ici, c’est l’aspect tranquille du mode survivaliste. L’autonomie alimentaire, énergétique, l’eau, l’élevage, l’entraide, le bricolage, la récupération. Tout ça, c’est bien joli, ça fait un peu baba-cool et nouveau monde, ça fait rêver. Mais il y a un autre aspect qui ne doit pas être occulté. Et c’est malheureusement ce que Jean et Delphine n’ont pas voulu entendre. Ne survivront que ceux qui sont en groupe parce que dans le chaos, il y a inévitablement des bandes armées qui ne respectent plus rien. Si Martha avait été attrapée, il faut imaginer qu’elle aurait été violée avant d’être tuée et j’espère que Jean et Delphine ont été rapidement abattus.»

Une voix monocorde, le silence dans la salle.

« On s’est regroupé ici pour survivre ou en tout cas se donner une chance d’y parvenir. Le monde a basculé dans le chaos, c’est une certitude, nous avons des informations suffisantes pour n’avoir aucun doute. Le monde d’avant est en train de disparaître. Je sais Louna que tu pleures ta mère mais maintenant, il faudra te battre pour ne pas pleurer ton père ou Tian. Et nous ferons tout notre possible pour ne jamais avoir à te pleurer. Voilà ton monde désormais. Notre groupe, rien d’autre. »

 

 

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