Vol de nuit

J'ai écrit ce texte en 2013.

Il s'est passé beaucoup de choses depuis. 

Des événements qui contribuent à nourrir cette interrogation :  Qui étais-je ?

La nuit dernière, j'ai rêvé que je volais. J'étais au-dessus des montagnes, je sentais l'air sur moi, je possédais une vision d'une puissance incroyable, j'ai vu des fleurs alors que je planais à des centaines de mètres du sol, j'ai passé des cols enneigés et je voyais des hardes de chamois. Il n'y avait aucune émotion sinon une parfaite tranquillité.

Puis j'ai passé une ligne de crêtes entre deux sommets et j'ai plongé vers une vallée verdoyante, une rivière coulait en son milieu, des forêts immenses, des prairies, des champs de fleurs et puis j'ai vu une femme qui marchait dans l'herbe et je suis descendu vers elle. Je me suis posé devant elle. Et à cet instant, je suis redevenu un homme. Elle est venue vers moi, je n'ai pas vu son visage ou je ne m'en souviens pas.

Elle m'a dit  :"Il n'y a plus personne."

Et je me suis réveillé.

Je ne compte plus les rêves dans lesquels je vole. Comment est-il possible de ressentir une situation aussi improbable avec une telle acuité. Je sens le mouvement de mes ailes et leurs effets sur le vol, je contrôle parfaitement mes trajectoires et je dispose d'une vue aussi large que précise, une capacité à englober la totalité des horizons tout autant que les éléments les plus infimes.

Un rêve ancien...

On a passé l'été à courir les montagnes dans tous les sens en vivant dans notre petit fourgon. Toujours cachés dans les forêts, sur les pistes, dans les chemins. Jamais de camping, jamais à côté de quelqu'un d'autre, une recherche constante de solitude. Au bord d'un torrent où on se baigne, au bord d'un lac ou au fond des bois. Levés à sept heures, parfois plus tôt, six, sept parfois dix heures de marche, 2000 mètres de délivelée, des sommets isolés, une solitude parfois stupéfiante, une journée entière sans rencontrer une seule personne mais des bouquetins,  des chamois, des marmottes, des aigles, des vautours et le silence de l'altitude ou le vent, cette lumière si particulière, cette lente dispersion des pensées anarchiques, un cheminement intérieur qui ramène à l'essentiel, l'effacement des manques, l'élaboration scrupuleuse des besoins essentiels, de l'eau, un peu de nourriture et beaucoup d'attention...

Peut-être est-ce l'explication de ce rêve qui est revenu. Comme un retour aux sources, à une vie ancienne et les valeurs qui me concernent le plus profondément.

Je sais qu'il s'agissait de moi et pourtant je voyais le personnage, très précisément. Un vieil homme, un teint basané, comme un Indien, debout, nu. Dans une grotte taillée, comme une kiva indienne. Une lumière violette autour de lui-moi. Une aura très douce. Devant lui-moi se tenait allongé, en apesanteur, une femme nue, elle aussi. Totalement détendue, les bras le long du corps. Je la massais puis je l'ai pénétrée, doucement, longuement et je savais qu'il n'y avait rien de sexuel dans cet acte mais une volonté de guérison...

J'étais un chaman.

Le corps de la femme s'est auréloée d'une lumière violette, similaire à celle qui émanait de moi. Mon sexe agissait comme un diffuseur d'énergie et cette énergie se diffusait dans le corps de la femme. Il n'y avait aucune parole, aucun bruit, aucune interférence, la grotte embaumait l'espace d'une paix ineffable puis mes mains se sont posées sur son ventre et l'ont massé dans un mouvement circulaire. Son ventre était dur, comme marqué par d'anciens traumatismes, strié de cicatrices fossilisées. Lentement, ces marques se sont effacées, comme absorbées par les tissus. La lumière violette continuait à grandir autour de lui-moi puis elle a illuminé l'intérieur du ventre de la femme.

Je n'éprouvais aucune émotion, aucun plaisir, aucune intention, aucune volonté. Rien. je faisais juste ce que je devais faire.

Je n'ai distingué à la fin que cette lumière.

Je me suis réveillé.

Qui étais-je ?

J'ai eu ce sentiment étrange, sur un des nombreux chemins de montagne où nous avons marché que j'étais déjà venu là. Une certitude, une évidence. Comme si je reposais mes pas dans des empreintes mémorisées dans la pierre.

Il y a quelques années, après avoir regardé un documentaire sur l'hypnose, j'ai proposé à mon plus jeune garçon de tenter l'expérience...

Il m'a fallu cinq minutes pour qu'il soit totalement dans un état "second". Ma femme était là. Nous nous sommes regardés, interloqués.

J'ai "réveillé" mon garçon et nous n'avons jamais recommencé.

Je ne compte plus les occasions pendant lesquelles, j'observe parfois dans le regard de certains interlocuteurs une étrange absence au bout de quelques instants, comme s'ils n'étaient plus vraiment là. Je n'ai jamais aimé cela. 

Qu'est-ce que ce rêve essayait de me dire ?

J'ai rêvé, lorsque j'étais cloué au lit, avec mes hernies discales d'auras bleutées qui me parlaient, comme des paroles d'anges qui me susurraient d'avoir confiance...

"Tu n'es pas au fil des âges un amalgame de verbes d'actions conjugués à tous les temps humains mais juste le verbe être nourri par la Vie divine de l'instant présent".

Qu'on ne vienne pas me dire qu'il puisse s'agir de paroles communes à nos rêves habituels...

Je ne suis pourtant pas monté à huit mille mètres cet été...Je n'ai pas consommé de champignons hallucinogènes.

Je ne pense pas être fou...

Qui étais-je ?

 

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