Jarwal et les Kogis : Kalén
- Par Thierry LEDRU
- Le 02/03/2011
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Un extrait du tome 2.
La rencontre entre Jarwal et Kalén.
Jarwal a rejoint Marine, Rémi et Léo et leur raconte une nouvelle histoire de sa longue vie.
CHAPITRE 2
« Jarwal et les Kogis. » annonça le lutin.
Ce matin-là, Gwendoline avait décidé de s’occuper du potager.
Elle félicitait les tomates et les salades pour leur énergie, caressait les feuilles, aérait la terre, s’excusait auprès des quelques herbes envahissantes qu’elle devait arracher, elle répondait au rossignol qui chantonnait à ses côtés, prenait délicatement les limaces gourmandes et allait les déposer sous les arbres, tout ce travail empli d’amour et de bénédiction, d’hommages appuyés envers la terre nourricière.
Dans l’atelier attenant la maisonnée en pierres, Jarwal travaillait à la confection de potions. Il avait récolté de beaux champignons, cèpes jaunes des mélèzes, des entolomes livides, quelques chanterelles, des trémelles gélatineuses et douze morilles. Il avait bien entendu gardé les morilles pour une belle omelette. Gaspardine et ses trois copines se chargeraient bien de leur offrir quelques œufs bien frais quand elles daigneraient arrêter de se gaver de vers de terre et autres limaces dans les sous-bois.
Le lutin mit bien de côté chaque espèce de champignons. Pas question de se tromper ou de mélanger par mégarde la moindre lamelle toxique. Il attrapa sur les étagères les nombreux pots de plantes, graines, carapaces d’insectes, chrysalides abandonnées, mues de moustiques, de libellules et de serpents, lambeaux d’écorces, sève de bouleaux, résine de pins cembro, fientes de corneilles, pelotes de réjection, boules de gui, de houx et de genévrier, argile verte, poussières de météorites, gélatine d’œufs de grenouilles, coquilles d’escargots, écailles de poissons, duvets d’aigles et autres éléments naturels, il ouvrit le grimoire des recettes et potions magiques et entreprit de confectionner quelques nouvelles mixtures stimulantes, baumes de guérison, tisanes apaisantes, grains de croissance, cataplasmes régénérant, mélanges expérimentaux de son cru.
Reproduire les connaissances ancestrales ne le satisfaisait pas pleinement. Il tenait à découvrir, à s’aventurer dans une démarche créatrice, un progrès à diffuser, à partager, une amélioration continue.
Il finissait l’ajout d’un accélérateur de particules à une ancienne potion lorsque sa bien aimée entra dans l’atelier.
« J’ai fini mon travail au potager lutin de mon cœur. Et toi ?
-Plus qu’à laisser macérer ma potion pendant deux jours et je pourrai la tester.
-Et de quoi s’agit-il ?
-Hum…J’espère avoir réussi à stimuler la pousse des plantes dans n’importe quel endroit, sans même qu’il y ait de terre pour accueillir les graines. Il suffirait que ça soit un élément vivant afin que les semences se servent du flux vital.
-Tu peux être plus clair ?
-Ces graines n’auraient pas besoin de sol pour pousser. Elles se serviraient de l’énergie originelle de l’élément receveur.
-Tu veux dire qu’elles pourraient pousser au cœur de n’importe quoi de vivant ?
-Exactement. Elles utiliseront ce qui constitue la vie elle-même pour croître.
-Elles pourraient donc pousser en les plaçant dans une souche d’arbre ?
-Tout à fait. Si cet arbre est encore vivant, elles aspireront la vie qui est en lui. Et d’un arbre qui finirait peut-être par mourir jaillirait une nouvelle plante sans même qu’un contact avec la terre nourricière soit nécessaire. Les racines se développeront par la suite et atteindront le sol pour que la croissance continue.
-Tu m’étonneras toujours mon amour.
-Tu voulais me demander autre chose ?
-J’aimerais bien aller faire une promenade près de la mare aux chevreuils. Juste pour m’asseoir avec toi au bord de l’eau.
-Mais volontiers ma belle. Je range un peu mon atelier et on y va. »
Il rejoignit Gwendoline qui se coiffait d’un chapeau en feuilles de fougères tressées. Une robe à bretelles en toile de lin agrémentée de fleurs séchées laissant paraître ses chevilles et ses sandales de lianes, un collier de pierres de lacs que lui avait fabriqué Jarwal.
« Tu es vraiment la plus belle des lutines ma princesse. Ce chapeau te va à merveille mais sans toi dessous, il ne serait pas aussi beau.
-Et toi, tu es le plus gentil et le plus attentionné des lutins. Mais alors, par contre, tu es aussi élégant qu’un coq déplumé. Je veux que tu me donnes ce soir tes braies et ton gilet, que je recouse toutes ces pièces déchirées.
-Bouh ! Tu sais bien que j’aime bien mes habits comme ça, je suis un lutin des bois moi et je n’ai pas besoin d’être élégant.
-Et bien, moi, ça me déplait que mon compagnon de vie soit fagoté comme un asticot en vadrouille ! »
Jarwal marmonna dans sa barbe.
« Et j’aimerais bien aussi que tu tailles ta barbe ! C’était bien plus doux quand tu l’entretenais davantage. Je sais bien que tu travailles beaucoup ces temps-ci mais tout de même. Un peu d’entretien ne te ferait pas de mal. Et puis ça gratte vraiment beaucoup pour les bisous dans le cou ! » ajouta la lutine, espiègle.
Jarwal lui prit la main.
« C’est promis. »
Ils s’engagèrent dans le sous-bois. Gwendoline chantonnait et sa voix cristalline montait dans les feuillages comme une vapeur translucide, des flocons si légers qu’ils retournaient vers les nuages, comme des mélodies d’anges. Jarwal se laissait envoûter par ces notes sublimes, ces communions enchanteresses avec les arbres et le vent dans les frondaisons, les frémissements de feuilles comme des chorales délicates, cette impression merveilleuse d’entendre respirer la Terre sur le tempo du cœur de Gwendoline, comme un accord inexplicable au cœur de l’amour.
Gwendoline aimait la Terre autant que la Terre l’aimait.
Un échange indissociable, un partage constant, un respect ineffable, indéfini.
Jarwal repensait secrètement à ce chagrin incommensurable de Gwendoline lorsque cette tempête effroyable avait abattu des dizaines d’arbres. L’an passé. Un grondement de montagnes qui s’écroulent, des hurlements barbares, comme des cris interminables, les craquements répétés des arbres vaincus, des branches fouettant les murs lacérés de la maison, des heures durant. Elle n’avait pas quitté les bras de Jarwal, sursautant à chaque coup de tonnerre, pleurant douloureusement, sans un mot. Des trombes d’eau sur le toit, des cascades verticales tombant des nuages éventrés.
Dès le lendemain, elle avait parcouru la forêt, se couchant contre les troncs brisés et pleurant contre les écorces, caressant les fûts couchés, enlaçant les jeunes arbustes écrasés par leurs aînés, s’allongeant contre les racines mises à nu, mêlant ses larmes à l’humidité de la terre ravagée.
Un désastre dont elle n’avait pu guérir totalement tant cette certitude que les hommes étaient responsables l’avait hantée jours et nuits, cette impression terrifiante que la Terre connaîtrait de plus en plus de sursauts colériques et destructeurs, comme si la présence et les dégâts irrémédiables de cette humanité envahissante condamnait le vaisseau terrestre et que la Terre incessamment agressée ne pourrait étouffer en elle la multiplication de crises dévastatrices, comme des rebellions incontrôlables, des courroux insoumis, des hystéries aussi puissantes que son désarroi et sa détresse. Elle imaginait les catastrophes à venir, une croissance exponentielle, comme si ce désamour des humains envers la planète ne pouvait que s’amplifier et la désillusion de la Terre se renforcer. Il fallait tenter de contrer ce phénomène dévastateur par un amour amplifié, préservé, partagé, des bénédictions et des hommages quotidiens, des paroles et des actes emplis d’un respect infini. C’était la seule solution, comme un antidote au poison diffusé par certains hommes.
Elle avait pleuré autant de larmes que tous les flocons d’hiver. Elle avait murmuré pendant des lunes entières tout l’amour qu’elle portait, elle avait cajolé la nature comme on câline un nouveau-né, priant pour la mémoire des arbres tombés, des animaux écrasés, des fleurs hachées.
Cette tristesse au fond de ses yeux, comme un cœur noyé.
Il avait fallu que leurs amis des bois interviennent pour lui redonner le sourire. Les farfadets dans leurs habits de fougères avaient dégagé les arbustes blessés du poids faramineux des troncs couchés ; munis de haches de pierre, ils avaient taillé dans les fûts des réserves de bois de chauffage, remerciant chaque bûche des chaleurs à venir. Des gnomes, sortis de leurs terriers, armés de leur mauvais caractère légendaire, entreprirent de mettre un peu d’ordre, trop de galeries effondrées, trop de repaires éventrés, un capharnaüm insupportable qui les rendaient encore plus grognons qu’à l’accoutumée. Des elfes aux ailes translucides se regroupèrent pour soulever des hêtres centenaires, des bouleaux enchevêtrés, des châtaigniers tourneboulés. Les ondines des cours d’eau dégagèrent les barrages de végétaux, nettoyèrent les mares et les bassins, d’autres lutins des bois se joignirent à l’armée des travailleurs, un chantier immense pour lequel tout le Petit Peuple s’organisa, dans une communion immédiate. Ils acceptèrent même que Jarwal et Gwendoline supervisent le travail, guident les groupes, établissent des priorités.
Cette solidarité bienfaisante avait eu un effet régénérateur sur Gwendoline. Comme un rêve de complicité planétaire, l’exemple parfait de ce que les hommes pouvaient réussir s’ils étaient capables de s’entendre et non uniquement se supporter pour des enjeux lucratifs. Mais pour s’entendre, il convient au préalable de faire taire en soi, le tohu-bohu des pensées vénales. Le Petit Peuple savait le faire. Tous ses membres comprenaient que le maintien de la Nature était vital. Les intérêts personnels ou de castes n’avaient aucun droit.
Jarwal avait aidé sa bien-aimée à dégager les arbres qui n’étaient pas tombés mais qui supportaient des troncs brisés et pliaient douloureusement, ils avaient replanté ensemble des graines variées et des potions de croissance leur étaient venues en aide mais tout ça ne cautérisait pas la plaie et cette inquiétude néfaste d’un avenir chargé de deuils et de noirceurs.
Le village du Pontet avait d’ailleurs été balayé par une coulée de boue en pleine nuit et beaucoup d’humains avaient disparu.
Personne, malgré ce désastre, ne voulait voir la vérité. La Terre était en souffrance. L’humanité ne voulait pas ouvrir ses yeux ni encore moins son cœur.
Que serait le prochain millénaire ? Ils en avaient longuement parlé. Ni l’un, ni l’autre ne parvenait à imaginer ce que le Progrès apporterait comme nouvelles dérives. Comme autres désolations.
« Je sais à quoi tu penses mon amour, murmura Gwendoline.
-Oui, je sais bien.
-Nous faisons ce que nous pouvons.
-Et nous ne pouvons rien faire de plus. Ce qui importe, c’est que nous soyons fidèles à nos valeurs et que nous ne sombrions pas dans les pensées sombres au point de tout abandonner.
-L’avenir n’est qu’une illusion de nos pensées, c’est ça ?
-Oui, mon amour, acquiesça Jarwal. Le Temps n’existe pas. Ni le passé, ni le futur. La vie est là et maintenant. Il est inutile de regretter l’harmonie ancienne, ni craindre les temps à venir. Demande à un arbre ce qu’il fera demain. Il sera incapable de te répondre. Les humains sont les seuls à se fourvoyer dans ces angoisses malsaines. Nous ne devons pas les imiter.
-Mais si nous ne tentons pas de prévenir les calamités, elles surviendront immanquablement.
-Pas si nous nous appliquons dans l’instant présent. Il ne s’agit pas de vouloir préserver ce qui reste en imaginant que ça peut disparaître mais d’honorer ce qui est là. Et parce que cette Nature se sentira aimée, elle oeuvrera elle-même à son maintien. L’idée d’un temps à venir est la mort préméditée de l’instant qui est là.
-Oui, mon prince, tu as raison. Je dois penser à aimer ce qui est là. »
Ils arrivèrent au bord de la mare aux chevreuils et abandonnèrent les pensées. Ils s’installèrent, côte à côte au bord de l’eau et laissèrent l’immobilité de l’étendue couverte de nénuphars envahir leur esprit silencieux. Une eau limpide sur un fond de galets.
Des hydromètres et des gerris glissaient sur la surface lisse, tournoyant autour des tiges de potamots, cherchant allègrement quelques denrées à saisir. Un foisonnement d’insectes au milieu d’une végétation luxuriante. Quelques libellules chassant sans répit, une aeschne bleue scintillant dans un rayon de soleil, un papillon vagabondant dans des arabesques sautillantes. Le murmure léger du filet d’eau glougloutant à l’extrémité de la mare et vidant le trop plein.
« Je t’aime Jarwal.
-Moi aussi Gwendoline. Et je suis immensément heureux que la vie nous ait réunis.
-Tout à l’heure, tu disais que nous devions œuvrer à vivre l’instant présent mais il me reste toujours cette obligation que je m’impose à tenter d’améliorer la situation, à protéger cette nature que j’aime.
-Bien sûr et je ne le conteste pas. Je pense simplement qu’une fois que tu as fait ce que tu penses être juste, il est inutile de t’alourdir de la projection temporelle qui voudrait que tes actes aboutissent. Ce qui importe, c’est que tu agisses. Le reste n’est pas de ton domaine. Il est celui de la vie.
-Inutile que je m’inquiète envers mes actes dès lors qu’ils sont justes, c’est bien cela ?
-Dès lors que tu penses avoir fait ce que tu penses être juste. C’est encore différent.
-Parce que les conséquences de mes actes ne seront pas forcément justes, c’est cela ?
-Exactement. Mais là encore, dès lors que tu as agi en ton âme et conscience, dans une absolue lucidité, tu n’as pas à te reprocher la tournure des évènements. Par exemple, nous avons replanté des arbres après cette tempête mais en le faisant, nous avons peut-être perturbé la pousse des arbres qui avaient survécu, nous avons créé une injustice en aidant nos graines avec des potions de croissance. Les arbustes qui n’en ont pas bénéficié vont peut-être se retrouver dépassés par ces nouvelles pousses et ils vont devoir lutter pour user de tout leur potentiel. Nous avons agi par amour pour la forêt. Mais en voulant rétablir une communauté d’arbres, nous avons peut-être troublé un ordre naturel. Ce qui était bon à nos yeux ne l’était pas forcément pour tous. La forêt nous le montrera et nous devrons en tirer les leçons. D’ailleurs, je m’inquiète peut-être inutilement. Il est dès lors vain que j’y pense. La vie sera le juge de paix. C’est toujours ainsi. »
Gwendoline posa sa joue sur l’épaule du lutin et serra sa main. Une bouffée d’amour en elle, comme une chaleur remontant du plus profond de ses fibres.
Jackmor…Une pensée subite dans l’esprit du lutin, comme une intrusion violente, sans aucun prémices, un temps qui ne s’effacerait sans doute jamais, des images ancrées dans une mémoire fossilisée. Et puis cette inquiétude sourde qui jaillissait ponctuellement, nourrie par ce combat lointain, cette certitude inexplicable que Jackmor ne pouvait pas disparaître, qu’il trouverait quelque part, un jour, dans les ego tourmentés des hommes l’énergie sombre, nécessaire à son retour.
Gwendoline serra la main de Jarwal, une intuition, elle devinait ses pensées. Cette raideur de son dos, comme une menace, il était prêt à bondir, elle sentait ses muscles tendus, des cordes d’arc.
Une risée sur l’eau attira son regard, des ridules discrètes puis une agitation amplifiée, un courant d’air glissant entre les plantes, les insectes surpris cherchant un abri entre les racines des lentilles et des nénuphars, sous les feuilles étalées, une ombre courant sur l’eau comme un nuage chutant des firmaments, un vol de colombes s’enfuyant dans un claquement d’ailes. Une spirale inexplicable se forma sur la surface troublée, un tourbillon qui accéléra, des vaguelettes ondulant en courbes régulières.
Jarwal s’était redressé, les sens aux aguets.
Une colonne d’eau s’éleva soudainement, au centre de la mare, dans un silence absolu, un cylindre de la taille d’un homme, un tube vertical dans lequel les particules liquides tournoyaient frénétiquement, comme animées par une force inconnue, aimantées par l’espace, libérées de la pesanteur, aspirées vers le ciel. Jarwal et Gwendoline, fascinés, virent à travers les parois de la colonne une forme s’installer, une ombre s’épaissir, une ébauche qui se matérialisait progressivement. Ils se levèrent et reculèrent de quelques pas, subjugués par le spectacle, ébahis par ce placenta vertical à travers lequel ils distinguaient clairement une silhouette humaine. Le tournoiement des molécules d’eau s’amplifia et un bourdonnement apparut, remplacé aussitôt par des martèlements réguliers, comme un tambour imitant des pulsations cardiaques, un gonflement des parois s’installa au rythme des battements, des contractions qui tendaient le tube comme un ventre, les mouvements de l’eau augmentèrent encore, des courants ascendants croisaient des cascades puis dans une gerbe tonitruante, comme le cri condensé de toutes les particules, le tube explosa.
Jarwal et Gwendoline se protégèrent de l’averse avec leurs bras.
Quand ils relevèrent la tête, au milieu de la mare, se tenait un jeune garçon. De l’eau jusqu’à la taille.
Ils se regardèrent intensément.
Lui. Le teint mât, les cheveux longs, noirs comme la nuit, ruisselant, tombant sur ses épaules, des yeux sombres. Il était bien bâti et il était difficile de lui donner un âge. Quinze ans peut-être. Mais une attitude particulière, une tenue singulière, un port de tête altier, un regard transperçant.
Il entreprit de sortir de l’eau, de monter sur la berge.
Jarwal et Gwendoline ne bougèrent pas. Cette intuition qu’ils ne risquaient rien. Trop de dignité, cette élégance princière, cette grâce que portent les hommes bons. Aucun mépris. Mais une force intérieure immense.
Il se posta devant eux.
Ils devaient lever les yeux pour croiser son regard.
Il posa un genou au sol, comme un chevalier devant son suzerain et sa reine.
« Je m’appelle Kalén. Ça veut dire être autre, différent.
-Je suis Jarwal et voici Gwendoline, ma compagne.
-Je sais vous êtes. »
Un accent inconnu et des difficultés dans la langue. Un voyageur au long cours.
« Je viens voir vous de très loin. Pays des Kogis. Par-dessus la grande eau.
-Comment se fait-il que tu connaisses notre langue ?
-Je suis fils de Izel, l’Unique, le chaman des Kogis. Izel a dit comment savoir.
-Comment es-tu arrivé ici ?
-L’eau est partout et les Kogis vont avec l’eau. »
Il se releva et alla s’asseoir dans un rond de soleil.
« Soleil chauffe Kalén. »
Il secoua sa chevelure. De longs fils noirs comme le charbon. Un large sourire.
« Kalén heureux avoir trouvé vous. »
Une outre en bandoulière. Une longue tunique blanche, un pantalon dans la même toile souple et des sandales à lanières.
« Tu veux venir à notre maison Kalén ? Nous t’offrons l’hospitalité. »
Un haussement d’épaules du jeune garçon, un froncement des sourcils, un visage interrogateur.
« Pour manger et dormir. Et parler, expliqua Jarwal.
-Oui, Kalén vient vous avec. »
Le jeune garçon se retourna vers la mare, joignit les mains et s’inclina respectueusement.
« Un remerciement, » pensa Jarwal.
Jarwal l’invita d’un signe de main, un bras tendu en avant. Gwendoline à ses côtés.
Il marchait comme un félin. Une fluidité fascinante. Le balancement de ses bras comme une danse.
« Je sais étrange pour vous. Kalén expliquer.
-Dans notre langue, tu peux dire « je » quand tu parles de toi. Pas Kalén mais « je ».
-Très bien, je comprends.
-Comment Izel t’a appris notre langue ? C’est difficile.
-Izel était le plus grand chaman du peuple des Kogis. Il disait la langue s’apprend dans l’amour. Pas vouloir apprendre mais vouloir aimer. Il faut aussi un sens, une direction, un objectif. Une mission. Des mots importants pour Izel.
-Pourquoi parles-tu de lui au passé ? Qu’est-il devenu ?
-Jackmor a tué mon père. »
Un choc effroyable, un coup de sabre comme un éclair fulgurant, le corps pétrifié. Jarwal figé comme un fossile. Un vent glacial dans ses veines. Une mort en visite.
Gwendoline qui se blottit contre lui. Qui lui serre les bras, comme si la peur soudaine risquait de l’emporter.
« Je viens voir vous pour Jackmor. »
Cette certitude que le monstre reviendrait un jour le tourmenter, que cet esprit malsain ne pouvait pas disparaître, qu’il reprendrait forme ailleurs, dans un autre temps, que les noirceurs des humains nourriraient sa haine, qu’il retrouverait l’énergie nécessaire à sa soif de pouvoir, de soumission, de manipulation.
Kalén s’était arrêté aussi et observait le lutin.
« Beaucoup de choses je dois expliquer à toi. »
Le silence, le regard lointain de Jarwal, tellement de souvenirs, cette validation de ses inquiétudes, il savait que rien n’était fini. Jackmor trouverait toujours dans la partie sombre des humains l’énergie destructrice, les forces malsaines, la puissance nécessaire à sa matérialisation. Gwendoline craignait que les méfaits des hommes n’accroissent les désordres de la Nature. Jackmor, pour sa part, en rêvait.
Jarwal se força à bouger, comme pour échapper à l’emprise de Jackmor, à sa peur, à tout ce qu’il imaginait.
Ils rejoignirent la maison sans un mot. Gwendoline ne lâcha jamais la main de son compagnon. Elle savait ce qui le hantait.
Ils s’installèrent sur un banc accolé au mur de pierres. Gwendoline alla chercher du pain et de la confiture, une cruche d’eau, un tissu pour que Kalén se sèche un peu. Elle le lui tendit.
Il déclina la proposition avec un sourire.
« Non, je pas besoin. Pas enlever l’eau, l’eau partir quand elle décidera. Un Kogi n’efface pas l’eau. Mais je prends bien de la nourriture. Merci.»
Il joignit les mains et inclina la tête devant la tartine de pain à la confiture de myrtilles que Gwendoline lui tendit. Il remerciait la nourriture autant que celui qui la donnait.
Jarwal pensa qu’il ne s’était pas trompé. Ce jeune garçon portait en lui une infinie sagesse. Malgré son âge. La curiosité l’emporta sur sa torpeur, il délaissa ses sombres pensées, il repoussa les souvenirs de Jackmor.
Léontine, attirée par l’odeur de confiture de myrtilles, arriva comme un bolide vrombissant et vint se poser sur l’épaule de Gwendoline. Celle-ci trempa un doigt dans le pot et l’offrit à la mouche bleue.
« Tu as beaucoup de choses à nous raconter Kalén. Acceptes-tu de répondre aux questions qui se bousculent dans ma tête. Et tu rajouteras ensuite ce qui est important pour toi.
-Oui, Jarwal, c’est très bien comme ça.
-Tu as dit qu’Izel t’avait appris notre langue. Mais comment ton père la connaissait-il ?
-Mon père connaissait ce qu’il aimait connaître. Et il disait toujours que cet amour était la nourriture essentielle pour apprendre. Il voulait connaître les autres langues pour communiquer avec les peuples qui traversent la grande eau et viennent dans nos montagnes. Les Espagnols, les Portugais.
-Qui sont ces gens ?
-Des Conquistadors. Mon père pensait qu’il était possible de lier amitié avec eux. Alors, il voulait apprendre. Et il a m’appris. Et maintenant que je suis là, je vais apprendre tout. Parce que je pense comme vous. Ici, je suis Kogi mais je suis d’abord celui qui apprend.
-Tu veux dire que quand tu penses, tu le fais en Français et pas en Kogi ?
-Oui, c’est ça.
-Mais, il faut tout de même une grande mémoire pour y parvenir. Je pense que tout le monde ne peut pas faire ce que tu réussis.
-Je sais. Je suis chaman. Et mon père était le plus grand chaman de l’histoire de mon peuple.
-Donc, si j’ai bien compris, demain tu parleras encore mieux que maintenant ?
-Pas demain. Maintenant. Tes phrases corrigent les miennes. »
Aucune prétention dans son attitude. Une simplicité naturelle. Ce qu’il disait n’avait rien de supérieur pour lui et ne lui donnait aucun droit de domination sur les autres.
Rémi leva la main, comme s’il était en classe.
Jarwal arrêta sa lecture en souriant.
« Oui Rémi ?
-Tu as parlé des Conquistadors mais alors cette histoire se passe à peu près en 1500 si je me souviens bien de ce que j’ai lu là-dessus ?
-C’est tout à fait ça Rémi. Nous sommes exactement en 1501 et Vasco Nunez de Balboa, un aventurier espagnol a entrepris avec son armée de conquérir tous les territoires qu’on appelle aujourd’hui la Colombie et le Venezuela.
- Mais alors ça fait à peu près deux cents après ta première histoire ?
-Oui, c’est encore exact.
-J’ai toujours du mal avec des durées de vie pareilles !
-Ben moi aussi, lança Léo, ébahi.
-Vas-y Jarwal continue, » coupa Marine, impatiente.
Le lutin se concentra de nouveau sur le texte et reprit sa lecture.
« Comment es-tu venu jusqu’ici Kalén ?
-C’est l’eau le chemin. Les Kogis vouent une adoration absolue à l’eau. Elle est la vie et la vie est partout. Chez les Kogis, un chaman sait utiliser l’eau pour aller où il veut. Nous avons beaucoup d’eau dans notre corps, comme dans tous les corps vivants. Les animaux, les plantes, les humains. La Terre est entourée d’eau. Les nuages, la vapeur, l’atmosphère. Il y a de l’eau partout. Mais pas en quantité égale. Izel m’a appris à fragmenter mon corps dans les molécules d’eau et à rejoindre les particules d’eau qui entourent la Terre. »
Jarwal et Gwendoline étaient stupéfaits de la vitesse avec laquelle le jeune garçon augmentait sa connaissance de la langue. Comme des années d’apprentissage en quelques minutes. L’impression que leurs propres pensées servaient d’instructeur à Kanél.
« Oui, Jarwal, effectivement, même les pensées peuvent emprunter ce canal de transmission. C’est comme ça que j’apprends. C’est comme ça aussi que Izel a su où tu étais. »
Le jeune garçon lisait donc dans les pensées…
« Non Jarwal, je ne lis pas dans les pensées. Ce sont les pensées qui viennent se dire en moi.
-Je ne comprends pas, dit Jarwal. Les pensées peuvent voyager en empruntant les molécules d’eau ?
-Oui. C’est cela. Izel avait rencontré plusieurs fois Jackmor. Et Jackmor pense très souvent à toi. Avec une colère immense. Les pensées de Jackmor sont comme des cris de haine.»
Une révélation, une surprise totalement inattendue. Jackmor aussi n’avait rien oublié. Il lui en voulait. Au point que ses pensées se lisaient.
« Il était facile pour mon père de savoir où tu étais, continua Kalén. Il voulait venir te rencontrer mais il ne trouvait pas le temps. La souffrance de mon peuple est trop grande. Il ne pouvait pas s’absenter. Izel était le seul à tenir tête à Jackmor. Jackmor était fasciné par les connaissances de mon père.
-Jackmor est fasciné par la savoir. Et son ambition est sans limite. Pourquoi Izel voulait-il me voir ? Je ne pouvais pas l’aider dans le voyage de l’eau.
-Il espérait que tu l’aiderais à vaincre Jackmor une fois que notre peuple serait à l’abri dans les montagnes. Il ne voulait pas laisser Jackmor et les hommes blancs détruire la forêt.
-J’ai entendu parler des pays de l’autre côté de l’océan Atlantique, c’est comme ça ici que s’appelle la grande eau. C’est là-bas que tu es ?
-Oui, les hommes blancs ont appelé notre terre la Colombie. Ils sont là pour tout voler. L’or en premier. Et rien ne les arrête. Même pas le crime et la destruction de notre peuple et de notre terre. »
Jackmor et les Conquistadors. Le monstre avait trouvé des alliés à sa mesure. Des hommes sans scrupules, avides, destructeurs, violents, sans aucune morale. La puissance de Jackmor devait être immense désormais.
« Explique nous davantage cet usage de l’eau Kalén, c’est fascinant.
-Là où il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de vie. Ou une vie très réduite, infime, comme dans les grands déserts. Dans nos montagnes, l’eau est partout et la vie est florissante. Nous, les chamans, avons appris à comprendre l’eau. Elle contient tout le mystère. Et ce mystère est en nous car nous sommes constitués d’eau. »
D’entendre parler autant de l’eau donna soif à Rémi qui sortit sa gourde. Jarwal s’arrêta.
« Même qu’un adulte a 60% d’eau dans son corps, ça fait environ quarante-deux litres pour une personne de soixante-dix kilos, annonça Léo qui profitait de l’intermède, lui aussi, pour boire une longue gorgée.
-Tout à fait exact Léo. Et les Kogis le savaient déjà, commenta Jarwal.
-Je n’avais jamais entendu parler de ce peuple, s’étonna Marine.
-Ces peuples sont oubliés de tous parce qu’ils représentent ce que les hommes ont perdu. L’amour de la Terre. Alors, ne comptez pas sur votre monde moderne pour vous les présenter ou même les donner en exemple. Ils seront plutôt rabroués, rabaissés, on vous dira que ce sont des peuples primitifs, des sauvages. A mes yeux, les sauvages sont ceux qui détruisent, pas ceux qui protègent et respectent. Il y a une effroyable manipulation. Mais la raison en est simple et en même temps inavouable. C’est la honte. Une honte tellement forte que les peuples modernes ont tout fait pour l’étouffer sous les artifices de ce fameux progrès. Et le conditionnement a si bien fonctionné qu’aujourd’hui, plus personne ou presque ne parvient à voir l’erreur. Il se dit que les peuples qui exploitent la Terre sont des peuples évolués et que ceux qui vivent en respect avec elle sont des peuples primitifs.
-On est en droit de se demander par conséquent si l’humanité a bien fait de progresser.
-Oui, Marine, mais ça n’est pas le progrès l’ennemi mais l’avidité que certains hommes ont laissé croître en eux au point de faire du progrès une arme de destruction massive.
-C’est donc l’homme le problème essentiel.
-Ceux-là ne sont pas encore des hommes Rémi. Ce sont des ébauches, des prototypes. L’homme réel n’existe pas encore.
-Comment pourrait-on le définir alors ?
-On en reparlera les enfants. Mais, il vaut mieux d’abord que je finisse mon histoire.
-Oh, oui, pardon Jarwal, on s’emballe, on s’emporte mais tout ça est tellement passionnant. Continue, s’il te plaît. »
Un sourire du lutin.
« Je vous aime très fort tous les trois. »
Les yeux des enfants qui brillent, des étoiles scintillantes dans leur univers intérieur, des sourires gênés, un parfum de bonheur autour d’eux. Comme des pensées qui embaument.
Le lutin reprit sa lecture.
« Il est possible de retourner à l’origine de la vie, dans l’état où elle s’est développée. L’eau couvrait la Terre aux temps anciens. Et puis, elle a libéré les premières formes de vie. Parce que c’était en elle et que les conditions étaient réunies pour que ce gigantesque potentiel se développe. Tout est toujours enregistré en elle. Elle est la mémoire de la vie et son avenir. C’est dans le présent que nous l’oublions.
-Il te fallait donc un espace liquide pour te matérialiser après ce voyage ? Tu avais besoin de cette mare ?
-Exactement Gwendoline. C’est pour cela qu’il est si délicat pour les hommes de vivre dans le désert. Il n’y a pas assez d’eau pour cela. Non seulement pour la vie quotidienne mais pour se matérialiser également.
-Tu veux dire que les esprits ont besoin de la présence de l’eau pour incorporer une enveloppe matérielle, que ça soit un animal, une plante ou un humain ?
-Tu vas plus vite que mes explications Jarwal. Mais c’est exactement ça. Tout embryon de vie est constitué d’eau. Chez les humains, le bébé baigne même dans l’eau. Pour descendre dans ce calice, il faut que l’esprit suive un chemin constitué d’eau. Pendant mon voyage, dans l’atmosphère, j’ai croisé d’innombrables esprits en attente. Des plantes, des animaux, des humains.
-C’est fascinant, commenta Gwendoline. Je sais bien que les arbres, comme tout ce qui vit dans cette forêt, possèdent un esprit mais je ne savais pas qu’ils avaient besoin de l’eau pour trouver une enveloppe pour les accueillir.
-Moi non plus, ajouta Jarwal.
-Les Kogis le savent depuis toujours. Nous voulons diffuser ce savoir. Mais les Conquistadors ne veulent que notre or. Certains disent même que nous ne sommes que des animaux sans âme parce que nous ne croyons pas dans leur Dieu. Nous ne comprenons pas cette idée. Dieu, c’est la Nature. Et la vie qu’elle propage. Dieu est un brin d’herbe, un oiseau ou un humain. Nous sommes tous Dieu puisque la Nature est en nous.
-Que s’est-il passé pour ton peuple ?
-Jackmor est arrivé un jour, avec des soldats, des armes à feu, des épées, des armures. Nous ne sommes pas des guerriers. Nous n’avons rien pu faire. Mon peuple maintenant est prisonnier et travaille jusqu’à la mort dans les mines d’or de nos montagnes. Nous prenions l’or des montagnes en petite quantité, pour faire des bijoux, des talismans, nous ne cherchons pas la richesse comme les hommes blancs. L’or est solide, il est beau, il ne s’abîme pas. C’est tout ce que nous aimons chez lui. Mais les Conquistadors en veulent toujours plus. Ils l’emportent chez eux, ils ont commencé par voler nos bijoux mais ça n’est jamais assez. Ils sont toujours inassouvis, ils se disputent même entre eux. Et surtout ils nous frappent, nous enchaînent, nous exploitent jusqu’à la mort.
-Que s’est-il passé avec Izel ?
-Jackmor a compris que mon père n’espérait plus rien des hommes blancs et qu’il allait entreprendre de sauver son peuple. Mon père voulait utiliser ses connaissances pour transporter par le chemin de l’eau mon peuple dans les montagnes. Très haut, très loin des hommes blancs. Mais il avait besoin d’énormément d’énergie pour parvenir à emporter tout le monde en même temps. Il ne pouvait pas le faire progressivement car Jackmor se serait vengé sur les derniers. Il fallait transporter tout le monde en même temps ou personne. Mon père avait besoin de s’isoler pour préparer ce voyage, il a refusé d’aller à la mine. Il devait rester près du torrent pour invoquer les forces de l’eau. Jackmor n’a pas accepté cette désobéissance, il a eu peur que ça déclenche une révolte. Il s’est senti humilié devant ses hommes. Alors il a poignardé mon père. Devant nous tous. Il savait qu’en tuant le chaman, les Kogis seraient prisonniers. »
Les yeux perdus du jeune garçon, des images gravées à jamais dans son cœur.
« Tu ne peux pas encore effectuer ce transport de ton peuple, c’est ça Kalén ? »
Le visage du jeune garçon qui s’obscurcit, les épaules qui s’affaissent, comme une immense tristesse qui l’écrase.
« Je ne suis pas encore assez puissant. »
Une honte invalidante, une paralysie, tout le poids de son peuple sur ses épaules.
« Je ne peux pas les sauver. »
Gwendoline posa une main sur son bras. Elle ressentait toute sa détresse. Trop de douleurs pour une si jeune âme. Son père assassiné sous ses yeux, un héritage de connaissances qu’il ne parvenait pas encore à utiliser pleinement, son peuple en péril.
Trop de douleurs.
« Alors, tu as décidé de venir me voir pour que je t’aide ?
-Oui, Jarwal. Tu as déjà vaincu Jackmor. Tu es le seul à y être parvenu. Mon père disait que tu pouvais nous aider. Avec les esprits de la Nature.
-Je ne sais pas utiliser les pouvoirs de l’eau.
-Mais tu peux apprendre. »
Le jeune chaman souleva sa tunique et dénoua une lanière. Il gardait à l’abri une besace en peau de bête.
« J’ai ici le parchemin qui donne accès à la connaissance de l’eau. Il te suffira d’en connaître le cheminement. Mon père disait que tu as l’énergie en toi.
-Tu voudrais que j’aille chez toi ? »
Un regard transperçant. Le corps droit, la force de la jeunesse, les certitudes comme ferments, une détermination sans faille, comme si le jeune garçon cherchait à transmettre à Jarwal les résolutions nécessaires.
« Ça n’est pas moi qui le souhaite Jarwal. C’est mon peuple en moi. Je porte la mémoire de mon père, je porte l’avenir des miens, je porte la survie de mes forêts, de mes montagnes, de la terre que j’aime. Je porte le refus de la destruction, le refus de l’exploitation. C’est notre mère à tous que les hommes blancs sont venus saccager. Ma maman m’a porté dans son ventre mais nous avons tous une mère commune. C’est la Terre. Si nous ne la sauvons pas, nous condamnerons les mamans et les pères, les enfants à venir, les animaux, les plantes, les océans et les nuages. »
Des larmes qui envahissent les yeux de Gwendoline, ce désir d’enlacer le jeune garçon, de lui prodiguer tout son amour, cet infini respect, cette joie incommensurable devant la sagesse incarnée.
Comme un tourbillon de forces vives dans le corps de Jarwal. La nécessité de la lutte. La foi qui n’agit pas n’est pas sincère. Se contenter de croire, d’avoir des convictions, de les commenter, ça n’est que du verbiage.
Il se devait de partir.
« Tu as pris un risque en partant de ton village ? Ton absence risque d’être remarquée ?
-Non Jarwal, j’avais cinq jours devant moi. Jackmor s’est absenté pour aller rejoindre un nouveau contingent de soldats. Les pertes sont nombreuses chez les Blancs. Ils ne sont pas adaptés à la vie de nos forêts. Ils ne regardent pas où ils posent les pieds et les serpents n’aiment pas qu’on leur marche dessus. Et il y a les fièvres, les moustiques, l’eau qu’ils boivent. Leurs organismes sont fragiles. Mais ils nous contaminent également par les maladies qu’ils transportent. Mon peuple subit aussi un lour
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