Pute fonctionnaire
- Par Thierry LEDRU
- Le 17/10/2012
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Les éditeurs veulent du sexe ?
Pas de problème, j'ai ça en rayon.
JUSQU'AU BOUT
Il chercha le numéro de téléphone du sex-shop et l’appela.
« Sex-shop du sans-souci, à votre service.
- Bonsoir, c’est moi qui vous ai déposé une pellicule photo, il y a quelques jours et vous m’avez parlé de rencontres qui pourraient m’intéresser.
- Des photos, j’en développe pas mal. Alors il faudrait être plus précis si vous voulez que je vous remette.
- Un mec, il avait failli dire un curé, avec une fille qui le pompait dans une bagnole. Ca vous suffit.
- Ah oui ! ça y est je vous remets, s’exclama l’homme d’une voix enthousiaste. Des beaux clichés. Ca vous intéresse alors mes petites rencontres ?
- Oui, c’est possible.
- C’est simple, ça se passe dans un manoir à trente kilomètres de Rennes. Les proprios sont super sympas. Ils nous prêtent le parc, la piscine et quelques pièces pour tourner des films pornos amateurs. Tous les acteurs sont payés et je suis certain que vous leur plairiez. Ils cherchent toujours des jeunes d’allure sportive. Les cassettes sont vendues en magasin, au black, si vous voyez ce que je veux dire. Et le tarif pour les acteurs augmente avec les spécialités.
- C’est à dire ?
- C’est 250 francs de l’heure pour les hétéros, 300 pour les homos, 400 les bi et 600 les transsexuels. On ne fait pas le sado maso et tout le reste. Les proprios n’aiment pas. Venez nous rendre visite le week-end prochain, on fait un nouveau tournage. Je parlerai de vous. Ca ne vous engage à rien mais je suis certain que votre physique intéressera l’équipe. Et quand vous verrez l’ambiance, je suis certain aussi que ça vous plaira.
- Et vous, là-dedans, quel est votre rôle ?
- Moi je fais des photos et je les vends. Mon truc, c’est toujours de mâter. »
Il donna son nom, écouta quelques consignes pour accéder au manoir et raccrocha.
Il pensa au voyage au Canada.
Plus rien ne l’arrêterait. Il le savait.
Il se présenta à la grille du parc à quatorze heures. Il sonna. Une soubrette à la plastique splendide vint lui ouvrir. Il donna son nom et celui du sex-shop. Aussitôt, la jeune fille lui ouvrit. Il gara le fourgon sous les arbres et suivit la demoiselle. Il pensa que si toutes les actrices avaient cette allure, il pourrait aligner dix heures d’érection.
Ils gravirent un escalier extérieur et en suivant le perron en granit rose, contournèrent le manoir. L’argent suintait de tous les murs. Par les fenêtres immenses, il aperçut des intérieurs rutilants.
« Baiser dans des lits à baldaquins ou des fauteuils Renaissance devrait avoir un certain charme. »
Des arbres centenaires encadraient la totalité du parc. Il n’en voyait même pas les limites. Quand ils franchirent l’angle de la bâtisse, le spectacle qui s’offrit à ses yeux le cloua sur place. Une dizaine de personnes, nues, installées sur de grands matelas de toile bleue, forniquaient. Par deux, trois ou davantage, les corps étaient mêlés dans toutes les positions. Certains participants portaient un masque. Deux caméramans et un photographe circulaient alternant les prises rapprochées avec des plans plus larges. Quatre jeunes hommes imbriqués attiraient pour l’instant toutes leurs attentions.
« Avec ou sans masque ? interrogea la jeune fille imperturbable.
- Pardon ?
- Vous pouvez mettre un masque si vous voulez rester anonyme. Ce film est destiné à être vendu. Des personnes de votre entourage pourraient vous reconnaître.
- Ça m’étonnerait beaucoup que parmi mes connaissances, il y ait des amateurs de films pornos.
- Détrompez-vous monsieur. Vous pourriez être très étonné. Certains de nos anciens acteurs ont connu, parfois, quelques sérieuses difficultés. Dans leur travail notamment. Et parmi tous les gens que vous rencontrez dans votre vie professionnelle, je peux vous assurer qu’il y a beaucoup de monde à avoir une sexualité très débridée mais secrète !
- Oui, c’est possible… Avec masque alors », finit-il par dire sans quitter des yeux les corps agités.
Elle le guida vers un coffre en bois sculpté et lui proposa de choisir. Il trouva un visage de chimpanzé rieur qui l’amusa.
« Si vous voulez participer aujourd’hui, vous vous déshabillez et vous rentrez dans le champ des caméras, c’est tout. Vous n’avez pas à vous présenter aux autres participants. Tous les gens admis ici sont immédiatement acceptés par les groupes. Vous n’avez qu’à faire part de vos préférences pour trouver vos partenaires. Personne ne vous posera aucune question sur votre vie privée. C’est la règle établie par les propriétaires. Je vous sers une boisson ?
- Un jus de fruits, s’il vous plaît. Merci. »
Le ton de la fille était resté identique du début à la fin. Poli et impersonnel. Une hôtesse de hall de gare.
Elle revint avec un verre immense. Il regardait un couple très actif et bruyant. La femme à la poitrine abondante l’attirait particulièrement. Les seins lourds dansaient à chaque coup de boutoir.
Il vida son verre rapidement et se déshabilla. Il coiffa son masque de singe et descendit dans la mêlée.
Il quitta le manoir vers vingt-deux heures. Personne n’était autorisé à dormir sur les lieux.
Il ne l’avait pas remarqué en arrivant mais, légèrement à l’écart des groupes, un homme d’une quarantaine d’années avait tenu les comptes. Il notait le temps « d’action réelle » sur le tournage.
Il fut crédité de cinq heures avec l’étiquette « bisexuel. » Le rôle avait l’avantage de laisser deux possibilités à l’acteur. C’était plus rentable. Il avait d’ailleurs appris par cet homme que les propriétaires avaient grandement apprécié ses doubles prestations et qu’il serait contacté pour le prochain tournage. Celui-ci aurait lieu lorsque toutes les cassettes auraient été vendues et les bénéfices comptabilisés.
Il avait donc reçu deux mille francs mais il en avait dépensé la moitié pour l’achat de résine de cannabis. Le joint qu’on lui avait proposé pendant une pause en contenait et il avait trouvé les effets foudroyants et particulièrement puissants. Un des acteurs lui avait expliqué que l’usage de stupéfiants était fréquent pendant les tournages. Il n’avait jamais senti une telle chaleur dans son sexe. Il avait eu l’impression de labourer sa partenaire aux gros seins avec un tisonnier ! Depuis quelques temps, les simples joints de cannabis ne lui procuraient plus le même plaisir. La découverte de la résine l’avait enthousiasmé. Il avait par contre été incapable de conduire. Il s’était installé dans un chemin à deux kilomètres du manoir.
Avant de s’endormir, il compta le nombre de soirées nécessaires au paiement d’un séjour au Canada. Il s’avoua néanmoins que même sans un tel projet, il y retournerait avec plaisir.
Il pensa à Anne et se dit qu’elle le traiterait certainement de putain ou de n’importe quel autre nom du même genre si elle apprenait quelque chose. Venant d’elle, il sut que ça ne le toucherait pas et que ça serait même un très bon moyen pour la décider à le quitter.
C’est elle, d’ailleurs, qui jouait la pute pour l’éducation nationale, pensa-t-il, amusé. Elle vendait son esprit et son énergie, se couchait devant les programmes et les directives ministérielles et elle jouissait, pour une fois, quand l’inspecteur lui attribuait une bonne note ! Et avec un salaire en plus ! Pute fonctionnaire, quel beau titre ! Elle acceptait cela en défendant des idées sur lesquelles elle n‘avait jamais réfléchi, des dogmes qui s’étaient infiltrés en elle à travers des années d’école, des concepts moraux et religieux qui l’avaient pénétrée insidieusement, avec de délicates caresses, de longs préliminaires et de multiples partenaires. Jusqu’à ce qu’elle finisse par s’offrir langoureusement, sans aucune résistance, avec le sentiment du devoir accompli, heureuse du rôle qu’on lui proposait, de la confiance qu’on lui accordait, laissant ruisseler en elle la semence intellectuelle et perverse de ses formateurs, persuadée de tenir sa vie entre ses mains, épanouie par des années de soumission passive et rémunérée. Et non seulement, elle se faisait prendre mais elle entraînait les enfants avec elle. C’était de la pédophilie ! Et maquée avec un ministre ! Cotisation retraite et sécurité sociale ! De toute façon, toute cette vie en société était une vie de pute. On passait son temps à se coucher. Enfant, on se couchait devant ses parents pour obtenir un câlin, un bonbon ou un jouet, puis devant ses enseignants pour une bonne note, un bon carnet scolaire et devant ses patrons pour un bon salaire et une promotion.
Il n’y a que devant la mort qu’on se couchait pour rien… Là, c’était l’arnaque totale !
Ou peut-être le seul moment où on arrêtait d’être une pute. Le premier et le dernier combat vraiment gratuit !
« Moi, au moins, je regarde la prison dans laquelle je survis. Je l’observe, je la scrute, je cherche ses faiblesses. Je prends du recul au maximum, je m’appuie contre un des murs et j’observe ce qui se passe dans les trois autres parties de la pièce. Je connais les autres prisonniers, je connais les règles, les techniques d’embrigadement et je sais que la seule porte de sortie, c’est la mort. Mais les gardiens ne contrôlent pas mon esprit. J’ai des échappatoires. La nature, le sport, le cannabis et le sexe. Les enfants représentent ma mission. Eux seuls peuvent me permettre d’atteindre la porte de sortie, fier et droit. Et libre. Et j’y parviendrai. Je ne mourrai pas en pute soumise. »
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