Harcèlement scolaire (3)

J'ai eu droit à ce harcèlement scolaire, pendant mes années de collège. J'étais asthmatique et à l'époque, le traitement, c'était la cortisone, à dose de cheval et interdiction de sport. "C'est trop dangereux pour lui, il pourrait faire une crise." Voilà ce que disait le médecin de famille et mes parents l'écoutaient. A 14 ans, je pesais 68 kilos. 

"Alors, bouboule ça roule!

-Ledru gros cul

-Gros tas, tu veux finir mon assiette ? "

Constamment, les chefs de bande et les autres qui suivaient. 

J'étais dispensé de sport, j'allais en classe d'étude. 

"Alors, bouboule, t'as pas trop transpiré ? 

-Tu veux que je te porte ton cartable l'handicapé?"

Un de ces caïds est entré dans les toilettes pendant une récréation. J'étais en train d'uriner. Il a ouvert un robinet et a mis sa main pour diriger le jet sur moi. Je me suis fait arroser. Et là, j'ai senti une rage folle m'emporter, toutes ces heures d'humilation. Le gars criait "Ledru s'est pissé dessus ! "

Je suis allé vers lui, il me dépassait d'une tête, il était en troisième et moi en cinquième (je redoublais, détruit par le harcèlement). Je l'ai frappé de toutes mes forces, un coup de poing énorme, je lui ai cassé le nez puis j'ai balancé mon pied dans ses testicules. Il s'est écroulé, la figure en sang. D'autres garçons ont vu la scène et sont sortis des toilettes en criant. 

J'ai été emmené chez le proviseur. Il a téléphoné à ma mère. Elle est venue.

J'ai été renvoyé trois jours mais comme il s'agissait de harcèlement, ça n'a pas été notifié dans mon dossier scolaire : circonstances atténuantes.

De ce jour, plus personne ne m'a jamais humilié.

Et c'est là que j'ai décidé de jeter tous les médicaments dans les WC puis j'ai dit à mes parents : "Maintenant, ça passe ou ça casse". Ma mère était paniquée. Je ne me souviens pas de la réaction de mon père. Quelques jours plus tard, ma mémé Crédou m'a donné son solex dont le moteur avait rendu l'âme. Je suis rentré avec en pédalant. Dix-huit kilomètres. Je suis arrivé épuisé mais heureux. J'ai pulvérisé le moteur à grand coups de masse. J'avais un vélo ! Et je me suis mis à pédaler, comme un mort de faim, puis à courir, des heures. Des milliers d'heures. Trois passages à l'hôpital dans les mois qui ont suivi : crise d'asthme de grande ampleur. Sous oxygène et sous surveillance. J'avais juste envie de vomir pour rejeter les médicaments. Je savais qu'une fois dehors, je recommencerai. Je me suis inscrit dazns un club de vélo à Saint-Evarzec, que des adultes, des sorties de plus de cent kilomètres tous les dimanches matins. Un jour, sur le trajet du retour, après avoir quitté le groupe, je me suis endormi contre un talus, toujours assis sur ma selle. Une autre fois, je me suis trompé de maison. Je rentrais hagard, décomposé mais empli d'une joie que je n'aurais pour rien au monde refusée. J'étais heureux. le sport m'avait sauvé. 

Je n'ai jamais arrêté. J'ai 60 ans, je pèse 55 kilos. Je cours, je pédale, je marche, je skie, je nage, des milliers de kilomètres tous les ans. Je n'ai plus d'asthme. Tout ça a disparu. A 17 ans, j'étais au sommet du Mont-Blanc.

 Oui, j'aurais pu mettre fin à ce harcèlement en parlant. Je ne savais pas le faire. J'étais un taiseux, solitaire. Je le suis toujours d'ailleurs. 

 

 

TEMOIGNAGE. Adolescent obèse et harcelé devenu triathlète, le parcours de Sylvain, jeune homme sauvé par le sport

 

Publié le 30/03/2023 à 18h05 • Mis à jour le 31/03/2023 à 10h36

Écrit par Josette Sanna

Sylvain Dhugues, un jeune montpelliérain de 22 ans, se mobilise contre le harcèlement scolaire dans les écoles de la métropole. Aujourd'hui triathlète, il raconte son parcours et comment il s'est sauvé grâce au sport de haut niveau pour aider les jeunes à lutter contre l'obésité.

Sylvain Dhugues, un jeune montpelliérain de 22 ans, se mobilise contre le harcèlement scolaire dans les écoles de la métropole. Aujourd'hui triathlète, il raconte son parcours et comment il s'est sauvé grâce au sport de haut niveau pour aider les jeunes à lutter contre l'obésité. • © S. Dhugues

Montpellier

Hérault

Occitanie

Sylvain Dhugues, 22 ans, se mobilise contre le harcèlement scolaire dans les écoles de Montpellier. Aujourd'hui triathlète, il raconte son parcours et comment il s'est sauvé grâce au sport de haut niveau pour aider les jeunes à lutter contre le harcèlement et l'obésité.

C'est un grand gaillard affûté avec une bouille d'enfant aux yeux bleus. Sylvain Dhugues n'a que 22 ans mais il a déjà vécu plusieurs vies. Celle d'un enfant maltraité qui s'est réfugié dans la solitude et la nourriture. Celle ensuite d'un adolescent obèse, harcelé au collège, celle enfin d'un triathlète qui vise les championnat du monde d'Iron man.

J'étais Fat man (l'homme gros), je suis devenu Iron man (l'homme de fer).

Sylvain Dhugues.

Triathlète

De l'âge de 10 ans jusqu'à ses 16 ans, Sylvain Dhugues comble son mal-être et sa solitude par la nourriture. Tous les jours, "le gros" essuie les moqueries, les bousculades, les coups sans rien dire à personne. 

Le harcèlement. On n'ose pas parler parce qu'on a honte.

Sylvain Dhugues

Sylvain Dhugues, adolescent obèse devenu triathlète se mobilise contre le harcèlement dans les écoles à Montpellier.

Sylvain Dhugues, adolescent obèse devenu triathlète se mobilise contre le harcèlement dans les écoles à Montpellier. • © DR

La honte, la solitude, les envies de suicide. Son calvaire va durer six ans. Un jour il finit par se confier au CPE (Conseiller principal d'Education) de son lycée. La machine est lancée. Ses agresseurs seront exclus du lycée. "Pour s'en sortir, il faut en parler. Ne pas rester seul", assure Sylvain Dhugues face aux élèves l'école Winston Churchill à Montpellier, où il a lui même effectué toute sa scolarité.

"C’est une revanche personnelle d’avoir traversé le harcèlement scolaire, les violences physiques et familiales. C’est une vraie revanche d’aller toucher des enfants en commençant par ceux de mon ancienne école primaire", sourit le jeune homme.

Harcèlement : sables mouvants

Etre victime de harcèlement, c'est comme être dans des sables mouvants. On s'enfonce encore plus si on se débat seul.

Guillaume Lahouze

Directeur de l'école Winston Churchill ( Montpellier)

On ne peut s'en sortir que grâce à une aide extérieure, une main tendue", ajoute Guillaume Lahouze, le directeur de l'école.

Un enfant sur 10 est victime de harcèlement scolaire.

Effet de groupe

Impliqué dans la prévention contre le harcèlement scolaire, il a connu Sylvain lorsqu'il était enfant. Il l'a naturellement invité pour évoquer son parcours devant les élèves de l'école. "Il faut aussi casser l'effet de groupe", ajoute l'enseignant. "Une personne harcelée est seule contre un groupe. Il faut faire prendre conscience aux élèves de ce phénomène. Casser cette situation en amont pour ne pas avoir de  résultats dramatiques".

Son histoire, Sylvain Dhugues, il la raconte aux enfants pour lutter contre le harcèlement scolaire et l'obésité. S'il s'en est sorti, il veut à présent aider les autres. "Si je peux en sauver un ou deux, je serai content".

Sylvain Dhugues lors de son intervention auprès des scolaires à l'école primaire Winston Churchill à Montpellier.

Sylvain Dhugues lors de son intervention auprès des scolaires à l'école primaire Winston Churchill à Montpellier. • © J. Sanna/FTV

Le déclic

Un jour devant sa télé, Sylvain Dhugues tombe sur l'Iron man. Une épreuve sportive de très haut niveau. D'une distance totale de 226 kilomètres, c'est une course multidisciplinaire consistant à enchaîner 3,8 km de natation, 180,2 km de cyclisme puis un marathon de 42,195 km. Ce jour-là, il a le déclic. Le lendemain, dans la cour de récréation, je réponds à une énième moquerie : "Vous verrez, celui qu'on a longtemps appelé FATMAN deviendra IRONMAN".

 "J'avais 16 ans, 1m67 et 98,8 kilos. Un copain m'a proposé d'aller courir avec lui. 

J'ai couru un, puis deux puis trois kilomètres. Je suis entré dans un cercle vertueux. Je me suis dit que j'étais capable. Que je pouvais tout accomplir.

Sylvain Dhugues

Triathlète

Fat man va devenir Iron man. "Deux ans plus tard, le 22 Mai 2022, "je termine l'Ironman d'Aix en Provence après 13h36 de sueur et de larmes".

Courir contre le harcèlement

Sylvain Dhugues se livre et raconte son parcours aux enfants. Il a créé une association : Agir pour devenir". Ce mercredi 30 mars, il a organisé un cross "contre le harcèlement", avec le centre de loisirs Alain Savary à Montpellier. Objectif : toucher 1000 jeunes en quatre jours.

durée de la vidéo : 00h02mn25s

Sylvain Dhugues, 22 ans, se mobilise contre le harcèlement scolaire dans les écoles de Montpellier. Aujourd'hui triathlète, il raconte son parcours et comment il s'est sauvé grâce au sport de haut niveau pour aider les jeunes à lutter contre le harcèlement et l'obésité. • ©J.Sanna et C.Monteil/ FTV

Championnats du monde d'Ironman

En parallèle, il s'entraîne sans relâche en espérant se qualifier pour les championnats du monde Ironman (l'épreuve reine des triathlons longue distance) l'an prochain à Hawaï. Au delà du défi sportif, il veut délivrer un message : "se dépasser pour se reconstruire et toujours croire en soi".

Les mots d'encouragement des enfants rencontrés qu'il fera graver sur son maillot, vont certainement lui donner des ailes pour vaincre. Une fois de plus.

 

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