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    • Thierry LEDRU
    • Presle
  • Les 50 ans d'un chef d'oeuvre : The Köln concert

     

    Un disque qui a pour moi une importance considérableLES ÉGARÉS : L'Ange et la mort (12)

     

     

    Les cinquante ans du Köln Concert : Keith Jarrett à l’opéra

     

    Publié le vendredi 24 janvier 2025 (première diffusion le mardi 24 janvier 2023)

    The Köln Concert, un succès colossal. - Oliver Berg/picture alliance via Getty Images

    Provenant du podcast MAXXI Classique

    Ce n'est ni un opéra, ni un récital lyrique et pourtant il a été enregistré à l'Opéra de Cologne il y a 50 ans, le 24 janvier 1975. Une chronique dans les coulisses du "Köln Concert" de pianiste Keith Jarrett, un disque légendaire.

    Sol ré do sol la. Cinq notes. Cinq notes et des sourires. Dans la salle, tout le monde reconnait dans ce motif musical la sonnerie annonçant le début de chaque concert donné à l’Opéra de Cologne. Du parterre aux balcons où il ne reste plus aucune place de libre, personne en revanche ne peut imaginer que ces cinq notes vont être le point de départ d’une improvisation qui durera une soirée entière.

     

    Quand il monte sur la scène de l’opéra, Keith Jarrett n'est pas dans une très grande forme. Cela fait plusieurs jours qu’il enchaîne les concerts et il est épuisé. La veille, il était à Lausanne et il n’a pas dormi depuis vingt-quatre heures. Une fois arrivé à Cologne, après dix heures de route, il découvre que le piano que l’opéra lui a réservé est un vieux Bösendorfer qui n’a pas été révisé depuis très longtemps et qui sonne, selon l’aveu-même de Jarrett « comme un mauvais clavecin ou un piano dans lequel on aurait mis des punaises. »

    Il parait que l’art naît de contraintes. Ce qui est sûr, c’est que ces difficultés matérielles et l’état de fatigue dans lequel se trouve Keith Jarrett ont eu des conséquences sur son concert. Parce que ce piano possède des aigus qui ne lui plaisent pas et une sonorité peu intéressante, le pianiste décide de solliciter au maximum le registre grave et médium du piano. Dans cette grande improvisation structurée, il privilégie également un jeu plutôt rythmique, composé de petits motifs et d’accords aérés.

     

    Un jeu épuré donc, parfois à la limite de la musique minimaliste ou d’une chanson sans paroles. Une esthétique qui explique certainement la popularité jamais démentie de cet album. Mais ce n’est pas tout. Quand on entend, les rumeurs du public, Keith Jarrett chanter par-dessus la ligne mélodique du piano et métamorphoser progressivement un thème et son accompagnement hypnotique, on a l’impression d’être dans la salle de concert mais aussi dans la tête du pianiste. On assiste à la naissance d’une œuvre, on effleure du doigt le mystère de la création.

    Avec environ quatre millions de ventes à ce jour, le Köln Concert est l’album du label ECM, de Keith Jarret et de piano jazz le plus vendu de tous les temps. Un concert qui a donné lieu à une transcription, une partition écrite et éditée. Mais cet objet ne nous aide pas à percer le mystère du jeu de Jarrett. Aussi précise soit-elle, la partition ne pourra jamais nous aider à comprendre ce qui s’est passé ce soir-là dans la tête de Keith Jarrett. Reste le disque, la photographie la plus fidèle d’une œuvre sans lendemain et  immortelle.

     

  • "Do it" de Jerry Rubin

     

    Do it par Rubin
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    EAN : 9782020006798
    271 pages

    Seuil (01/05/1973)

    3.99/5   42 notes

    Résumé :

    À travers les luttes de ces dernières années, sur les campus, contre le Pentagone, à Chicago en 1968, Jerry Rubin (jadis jeune Américain sage) est à l'origine de cette synthèse entre le courant hippie et le gauchisme des jeunes révolutionnaires blancs américains : le mouvement "yippie" dont ces pages sont à la fois le Manifeste, l'épopée, le manuel et la bande dessinée.
    "Le mythe devient réel quand il offre aux gens une scène sur laquelle ils viennent jouer leurs rêves et leurs désirs... Les gens essayent de réaliser le mythe ; c'est là qu'ils tirent le meilleur d'eux-mêmes.
    Invente tes propres slogans. Proteste contre ce que tu voudras. Chacun est son propre yippie.
    Notre message, c'est : ne grandissez pas. Grandir, c'est abandonner ses rêves.
    Source : Points, Seuil

     

    J’ai lu ce livre quand j’étais jeune et c’était réjouissant.

    La rébellion, la contestation, l’engagement, les convictions, des idées fortes mises en actes. J’aurais aimé connaître Woodstock, pour l’ambiance, le partage, la libération, la foi en l’avenir, un monde meilleur.

    Rubin n’était pas hippie mais yuppie. Pour moi, la distinction essentielle, c’est que la lutte physique s’alliait aux luttes morales. Rubin était ami avec Eldridge Cleaver, figure incontournable des Black Panters. Attention, ça ne rigolait pas…

    J’ai connu une période quelque peu agitée dans ma jeunesse, la contestation contre le projet de centrale nucléaire à Plogoff. J’ai beaucoup tiré au lance-pierres, des billes de plomb qui faisaient très mal, j’ai beaucoup couru, j’étais au tribunal à Quimper quand les CRS ont chargé dans l’enceinte, c’était violent, vraiment violent. 

    JUSQU'AU BOUT : Plogoff

    Les manifestations avec les agriculteurs à la préfecture de Quimper, les manifestations contre les subventions accordées à l’école privée. J’ai pulvérisé la vitre arrière de la voiture d’Alliot-Marie, secrétaire d’état à l’enseignement. Et j’ai couru.

    Je n’avais pas peur de la violence, du combat.

    Mais un jour, je me suis fait peur. J’ai envoyé à l’hôpital deux « copains » de mon grand frère qui était revenu du royaume des morts. J’étais passé dans leur bistrot pour leur demander de passer voir mon frère. Ils ont rigolé en disant qu’ils préféraient attendre qu’il vienne leur payer un coup. Je les ai défoncés avec un pied de chaise que j’avais d’abord fracassée sur eux.

    Là, j’ai réalisé à quel point la rage pouvait me mener au drame. Et j’ai tout arrêté.

    Je raconte ça pour expliquer pourquoi je ne participe plus aux luttes communes. Je ne supporte pas la vue des « forces de l’ordre », les megabassines, il ne faut pas que j’y aille, ni dans aucune manifestation de ce type. Et je n’ai rien fait pendant la crise des gilets jaunes.

    Maintenant, je reviens à Jerry Rubin. Lui et ses amis n’avaient peur de rien. La marijuana tournait à plein régime et les idées fusaient dans tous les sens mais tout ça avait du sens. C’était l’époque du Vietnam. Les universités représentaient soit la contestation, soit l’adhésion au « rêve américain ». Rubin, Hoffman et d’autres luttaient, physiquement, contre l’enrôlement des jeunes, contre le racisme envers les noirs, contre la société de consommation, contre l’embrigadement des enfants, contre le matérialisme, contre la politique corrompue (époque de Nixon), contre le capitalisme. Ils ont fait de la prison, inculpés pour atteinte à la sécurité de l’état, pour incitation à la révolte. Dans les tribunaux, ils venaient déguisés, portant l’uniforme des soldats de la guerre d’indépendance, ils ont présenté un cochon comme candidat aux élections présidentielles. Ils se couchaient sur les rails de chemin de fer pour arrêter les trains qui convoyaient les jeunes qui devaient partir au Vietnam. Des flics sont morts dans les manifestations, des manifestants sont morts sous les coups des flics. Non, ça ne rigolait pas.

    Ça ne rigole toujours pas d’ailleurs chez les cowboys. Encore moins en ce moment.

    Ce livre est décousu, d’une qualité d’écriture très faible, avec des informations difficiles à saisir pour un non Américain, une flopée de personnages, des idées qui ne sont pas suffisamment étayées, approfondies. Ils étaient « défoncés » à longueur de journée, Rubin le répète sans cesse. Mais c’est l’époque qui importe, le fond et non la forme, cette contestation puissante qui allait mener à Woodstock. L’histoire des USA, on le sait, se projette toujours bien au-delà de ses frontières.

    Aujourd’hui, avec le recul, la relecture de ce livre génère chez moi un profond dépit. Parce que le constat est sans appel : toutes les contestations ont échoué, toutes les révoltes, les révolutions, les tentatives de changement de paradigme, rien n’a abouti. Le capitalisme reste le maître absolu.

    Il faut savoir que Jerry Rubin est devenu un chef d’entreprise, un des premiers investisseurs d’Apple et les propos qu’il a tenus alors en paraissent risibles, voire pitoyables au regard de son passé… Il est mort renversé par une voiture. Hoffman est mort d’une overdose. Le parcours de Cleaver mériterait un film hollywoodien. Des retournements de veste d’une ampleur saisissante. A croire que la cocaïne et tous les autres cocktails qu’ils ont ont avalés leur ont cramé les fils.

    A lire toutes ces histoires, on se demande ce que signifie le terme d’engagement…

    J’en retire là aussi que la lute contre le système, que ça soit une lutte armée ou intellectuelle, c’est dangereux. Vraiment dangereux. Qu’il est risqué de vouloir confronter ses convictions au système. Parce que le système n’est pas humain, il a sa propre inertie, sa propre existence et que les hommes et les femmes qui le maintiennent en état et qui pensent avoir une certaine importance ne sont que des rouages d’une machinerie qui peut les broyer au jour où ils ne sont plus utiles. D’autres hommes ou femmes s’en chargeront. Pour le système.

    Rubin s’est fait avoir, Cleaver tout autant, Hoffman a lâché l’affaire dans un dernier trip. Et combien d’autres. Les anciens de Woodstock qui ont fini patron d’un McDo.

    Ce livre plaide de nouveau pour le choix que j’ai fait. Me retirer au maximum. Parce que j’ai conscience de la violence dont je suis capable et parce que je ne crois aucunement aux mouvements de masse.

    Aucun humain n’arrêtera le système, il se détruira de lui-même par épuisement des ressources, par épuisement de la nature, par le dérèglement général que le système a engendré et entretient. Jusqu’ici, ça va encore, à peu près.

    Voyons la suite. 

    On ne lutte pas contre le système, on en sort. Au mieux, ou au moins pire. 

    Se souvenir de Nietzsche : "Quand tes yeux plongent dans l'abîme, l'abîme aussi plonge en toi."

  • Une guerre haut perchée.

    Au vu de l'actualité entre ces deux pays, il est intéressant de remonter dans l'histoire et je trouve cet article passionnant. Quand il s'agit de démontrer les raisons d'un conflit qui date des années 1990...Dans un cadre rude et magnifique, des hommes s'entretuent. Rien de nouveau. Quand on voit l'importance funeste du traçage des frontières dans un labyrinthe de montagnes et de glaciers, on peut en conclure que les humains parviendront toujours à trouver des prétextes pour la guerre. Pour la paix, c'est plus compliqué.

     

    Magazines

    Histoire

    Reportage au Cachemire, sur le champ de bataille le plus haut du monde

    Un minuscule correctif apporté à une carte par un organisme américain a mis l'Inde et le Pakistan sur le pied de guerre, sur le champ de bataille le plus haut du monde, au Cachemire. Mais qui a décidé ce changement ? Et pourquoi ?

     

    De Freddie Wilkinson, National Geographic

    Photographies de Cory Richards

    Publication 11 mars 2021, 12:20 CET

    Des soldats affectés à la 62e brigade de l’armée pakistanaise font une pause au pied des ...

    Des soldats affectés à la 62e brigade de l’armée pakistanaise font une pause au pied des Tours de Trango, au bout du glacier du Baltoro. «C’est un terrain accidenté, explique l’un d’entre eux. Mais nous devons défendre chaque pouce de notre patrie. »

    PHOTOGRAPHIE DE Cory Richards

    Le major Abdul Bilal, des services spéciaux de l’armée pakistanaise, se blottit avec son escouade sous un affleurement rocheux, au cœur de la chaîne du Karakorum. Ce 30 avril 1989, en fin d’après-midi, des bourrasques de neige enveloppent les onze hommes, qui portent de vestes de camouflage blanches et des armes automatiques en bandoulière. Ils respirent avec difficulté un air raréfié, à plus de 6 500 m d’altitude.

    Le K2, le deuxième point le plus élevé de la Terre, se dresse à 80 km au nord-ouest. Mais la plupart des sommets alentour n’ont jamais été escaladés. Ils ne sont identifiés sur les cartes que par des chiffres indiquant leur hauteur.

    Cette montagne-ci s’appelle 22158 – son altitude, en pieds. Pour grimper jusqu’à la position des soldats, il aurait fallu escalader un versant de roches et de glace sujet aux avalanches. Quatre hommes sont morts en s’y essayant.

    Mais Abdul Bilal et ses soldats ont été amenés par hélicoptère et déposés à 450 m sous le sommet. Puis, pendant une semaine, ils ont fixé des cordes et reconnu le terrain en surplomb, afin de se préparer à ce moment décisif.

    Quelques hommes suggérèrent de s’encorder. « Si vous vous attachez et que l’un de nous est touché, nous allons tous dévisser, répond Bilal. Mettez des crampons, mais pas de cordes. »

    Chacun vérifie que les pièces mobiles de son arme n’ont pas gelé. Le vent hurle. Et alors, juste avant le crépuscule, Bilal mène sa petite colonne, qui gravit une crête en direction du sommet.

    Soudain, les visages brûlés par le soleil de deux sentinelles indiennes les fixent, du haut d’un mur de neige servant de poste d’observation. Bilal leur crie, en ourdou : « Vous êtes cernés par des soldats de l’armée pakistanaise! Posez vos armes ! »

    Les deux Indiens se baissent derrière le mur de neige. « L’armée indienne va vous faire tuer en vous envoyant ici ! », crie encore le major. Il perçoit le cliquetis de kalachnikovs que l’on arme.

    C’est Bilal qui raconte l’histoire, trois décennies plus tard, chez lui, à Rawalpindi. « Nous n’étions pas des tueurs aveugles, assure-t-il. Nous voulions simplement protéger notre territoire. Nous étions prêts à le défendre à tout prix. [...] C’était notre devoir patriotique. »

    Une chose est sûre : les Indiens ont tiré les premiers. L’escouade de Bilal a riposté. Un Indien est tombé. Les Pakistanais ont cessé le feu.

    Bilal a appelé l’autre Indien : « Fiche le camp d’ici. [...] Nous ne te ferons pas prisonnier et nous ne te tirerons pas dans le dos. » Le soldat indien s’est levé. Bilal l’a regardé s’éloigner péniblement, jusqu’à ce que le brouillard l’engloutisse.

    La «bataille du pic 22158» est le combat mortel à la plus haute altitude de toute l’histoire.

    Les équipes s’assurent avec des cordes pour traverser certains reliefs. Des soldats pakistanais de la 323e ...

    Les équipes s’assurent avec des cordes pour traverser certains reliefs. Des soldats pakistanais de la 323e brigade sont attachés afin de réduire le risque de disparaître dans un gouffre, lors de la traversée du glacier du Gyong, à 5 300 m d’altitude. Nombre de crevasses portent le nom de soldats morts dans leurs profondeurs.

    PHOTOGRAPHIE DE Cory Richards

    Vingt-huit ans après, le photographe Cory Richards et moi nous traînons sur la neige d’un héliport, à 7 km environ de là où l’Indien est mort.

    Tous deux alpinistes, nous avons gravi des sommets du Karakorum. Nous savons ce que survivre ici exige d’efforts et de compétences.

    Depuis plus de trente ans, l’Inde et le Pakistan envoient là de jeunes soldats, qui restent pendant des mois d’affilée à surveiller une région sauvage, isolée et inhabitée, aux confins de l’Inde, du Pakistan et de la Chine. On appelle cet affrontement le conflit du glacier Siachen.

    Les deux camps déplorent des milliers de victimes depuis 1984. Un cessez-le-feu a été conclu en 2003. Mais des dizaines de soldats meurent encore ici chaque année – glissements de terrain, avalanches, accidents d’hélicoptère, mal de l’altitude, embolies... Néanmoins, tous les ans, des soldats indiens et pakistanais se portent volontaires pour servir ici. « C’est considéré comme une grande marque d’honneur », me déclare un responsable pakistanais.

    Les multiples écrits sur le conflit soulignent souvent l’absurdité de se battre pour un territoire aussi inutile et décrivent deux ennemis aveuglés par la haine. Ce que Stephen P. Cohen, analyste à la Brookings Institution, résume ainsi : «une dispute entre deux chauves pour un peigne ». 

    Or les circonstances qui ont mené à ce conflit n’ont jamais été entièrement élucidées. Depuis quatre ans, je consultais des documents déclassifiés, interrogeais des responsables, des universitaires et des militaires en Inde, au Pakistan et aux États-Unis. Cory et moi étions au Pakistan pour constater de nos propres yeux les conséquences pouvant résulter de cet acte a priori simple : tracer une ligne sur une carte.

    LE GÉOGRAPHE

    Le 27 juin 1968, le courrier diplomatique confidentiel A-1245 a été expédié par avion au Bureau du géographe, une unité peu connue du département d’État américain, à Washington. Il a atterri sur la table de Robert D. Hodgson, le géographe adjoint, âgé de 45 ans.

    Signée par le chargé d’affaires de l’ambassade des États-Unis à New Delhi, la lettre commençait ainsi : « À diverses occasions [...], le gouvernement indien a protesté officiellement auprès de l’ambassade au sujet des cartes du gouvernement américain qui ont été distribuées en Inde, cartes montrant le statut du Cachemire comme “en litige” ou distinct, en quelque sorte, du reste de l’Inde. » Elle se terminait en demandant conseil quant à la façon de représenter les frontières de l’Inde sur les cartes américaines.

    Pour l’Inde et le Pakistan, pays nés de l’effusion de sang qui accompagna la partition de l’Inde britannique, ces cartes étaient une question d’identité nationale. Pour le Bureau du géographe, c’était une question professionnelle.

    Le gouvernement américain publiait des milliers de cartes par an. La responsabilité du marquage des frontières politiques internationales incombait au Bureau du géographe. Celui-ci détenait l’autorité ultime pour figurer le tracé des frontières politiques du monde d’après la politique officielle des États-Unis – ce qui influait aussi sur la façon dont les autres pays les voyaient.

    Des soldats de l’armée pakistanaise déchargent un hélicoptère Mi-17 au poste administratif du pic Paiju. Les ...

    Des soldats de l’armée pakistanaise déchargent un hélicoptère Mi-17 au poste administratif du pic Paiju. Les provisions essentielles vont des fûts de kérosène aux barres d’armature de construction et aux œufs frais.

    PHOTOGRAPHIE DE Cory Richards

    Les États-Unis reconnaissaient 325 frontières terrestres de pays à pays environ. Les questions cartographiques les plus épineuses revenaient à Hodgson et à ses collègues géographes. Ces casse-tête exigeaient la précision d’un arpenteur et une approche de spécialiste de la recherche.

    « Nous ne dessinons pas des lignes à partir de rien, souligne Dave Linthicum, récent retraité, qui a travaillé pendant plus de trente ans comme cartographe pour le Bureau du géographe et la CIA. Nous tentons de retrouver où les limites se situaient en 1870 ou 1910, ou à un autre moment, à l’aide de vieilles cartes, de vieux traités. »

    Aujourd’hui, Dave Linthicum et ses confrères consacrent une bonne part de leur travail à scruter des images satellitaires en haute définition. À titre de comparaison, Hodgson avait entamé sa carrière de « récupérateur de cartes » pour le département d’État alors qu’il était stationné en Allemagne, de 1951 à 1957. L’activité impliquait alors de fouiller dans des archives abritant des cartes sur du papier moisi et de vérifier physiquement l’emplacement des villes et des points de repère géographiques à travers le pays. Au début de la guerre froide, une erreur cartographique risquait d’avoir des conséquences cataclysmiques : en cas de conflit, des avions américains pouvaient être envoyés pour bombarder la mauvaise ville, voire le mauvais pays, si une carte présentait une erreur de quelques kilomètres ou si l’on avait donné à un nom de lieu une orthographe légèrement différente.

    Linthicum ne sait que trop bien à quel point se tromper est facile. Il y a dix ans, on l’a chargé de tracer la frontière entre le Nicaragua et le Costa Rica, qui suit le fleuve San Juan jusqu’à la mer des Caraïbes. Mais la frontière qu’il a tracée longeait un ancien cours au lieu du lit actuel du fleuve, attribuant à tort au Nicaragua une île de quelques kilomètres carrés. Google Maps a adopté le tracé de Linthicum, et le Nicaragua a bientôt envoyé des soldats occuper l’île.

    « Parfois, au travail, avec mes collègues, on se demande pourquoi passer autant de temps sur tel petit [segment de frontière], explique Linthicum, et puis, deux semaines plus tard, voilà que cet endroit minuscule se révèle être tout à fait décisif ou extrêmement important. »

    Hélas pour Hodgson, l’ensemble de problèmes géopolitiques et frontaliers qui ont atterri sur son bureau par le courrier A-1245 constituait l’un des plus insolubles du monde : le différend sur le Cachemire. Un «cauchemar cartographique», selon l’expression d’un géographe.

    Après la Seconde Guerre mondiale, lorsque les Britanniques perdirent le contrôle du sous-continent indien, ils décidèrent à la hâte de diviser la région en deux États, fondés sur les deux religions dominantes : l’Inde pour les hindous, le Pakistan pour les musulmans.

    Des commissions nommées par le vice-roi britannique, Lord Louis Mountbatten, et composées de représentants des deux partis politiques les plus influents, le Congrès national indien et la Ligue musulmane, furent convoquées pour décider des nouvelles frontières.

    Mais la tâche était impossible. Depuis des millénaires, des cultures et des empires s’étaient imbriqués en Asie du Sud, brassant des populations d’hindous, de musulmans et de sikhs.

    Le 15 août 1947, à minuit, l’Inde et le Pakistan obtinrent l’indépendance. Des violences éclatèrent tandis que des millions d’habitants, terrifiés, tentaient de franchir les nouvelles frontières pour rejoindre leurs coreligionnaires. Le conflit fut extrêmement sanglant au Pendjab, le cœur agricole du sous-continent. Pas moins de 2 millions de personnes périrent dans ce chaos.

    Au champ de tir de Sarfaranga, non loin de Skardu, des soldats pakistanais nettoient leurs fusils ...

    Au champ de tir de Sarfaranga, non loin de Skardu, des soldats pakistanais nettoient leurs fusils G3A3 et mangent des bananes, lors d’un entraînement.

    PHOTOGRAPHIE DE Cory Richards

    Au nord du Pendjab, un royaume montagneux, appelé officiellement l’État princier de Jammu-et-Cachemire, fit face à un dilemme particulier. Le Cachemire, en grande majorité musulman, était gouverné par un maharaja hindou. Et il avait le droit de choisir à quel pays il se joindrait.

    Plusieurs semaines après l’indépendance, des milices des tribus pachtounes, appuyées par l’armée pakistanaise, commencèrent à se diriger vers le palais du maharaja, à Srinagar, réclamant le rattachement du Cachemire au Pakistan. Pris de panique, le maharaja signa un document d’adhésion à l’Inde. L’Inde mit en place un pont aérien militaire et arrêta les milices. En quelques semaines, les nouveaux pays étaient en guerre.

    Une fois l’effervescence retombée, les armées adverses se retrouvèrent face à face, le long d’une ligne de cessez-le-feu vallonnée serpentant au milieu du Cachemire. En 1949, un traité fut négocié sous l’égide des Nations unies. Des équipes d’arpenteurs militaires indiens et pakistanais, sous supervision onusienne, entreprirent alors de déterminer la ligne de cessez-le-feu.

    Les deux parties convinrent qu’il s’agirait d’un espace réservé jusqu’à ce que de nouvelles négociations fixent une frontière permanente. Mais les années s’écoulèrent, sans aucun progrès. Et, en 1962, la Chine s’empara de l’Aksai Chin, une zone désertique, à la pointe est du Cachemire. Ce qui embrouilla davantage la situation.

    Lorsque le courrier diplomatique lui parvint, en 1968, Hodgson fut confronté à une question complexe : comment les États-Unis devraient-ils traduire sur leurs cartes cet état de fait déconcertant ? S’il en croyait les autorités indiennes, le Cachemire tout entier appartenait légalement à l’Inde, grâce au document d’adhésion signé par le maharaja. S’il suivait la résolution 47 des Nations unies – et l’avis du Pakistan, le Cachemire était une entité distincte, encore en attente d’un référendum populaire pour décider à quel pays adhérer. Et si Hodgson représentait la situation réelle sur le terrain, le Cachemire serait coupé en deux, avec un petit coin contrôlé par la Chine.

    Tout au long des années 1960, des diplomates indiens protestèrent contre la façon dont les cartes américaines indiquaient le Cachemire : un territoire occupé ou séparé du reste de l’Inde.

    Après la partition de l’Inde, les États-Unis et le Pakistan étaient devenus alliés dans la guerre froide. Aussi pouvait-on avoir l’impression que les États-Unis favorisaient le Pakistan dans le différend. Mais aucun document retrouvé à ce jour ne montre que de telles considérations politiques aient influencé le Bureau du géographe.

    En 1968, Hodgson avait déjà traité nombre de problèmes de délimitation délicats. « Il avait sa réputation, dit Bob Smith, recruté par Hodgson en 1975. Il pouvait parler aux Grecs et leur dire en toute honnêteté que leur position était intenable, puis dire la même chose aux Turcs. »

    Cependant, la ligne de cessez-le-feu passant à travers le Cachemire présentait un autre problème crucial. Elle ne séparait pas totalement l’Inde et le Pakistan. À un point de coordonnées (appelé NJ9842 lors du processus de démarcation), la ligne s’interrompait d’un coup, à près de 60 km de la frontière chinoise – un cul-de-sac unique dans toute la géographie mondiale.

    L’équipe d’arpentage ne l’avait pas prolongée, car ces derniers 60 km traversaient le cœur accidenté du Karakorum. Il ne se trouvait là ni population permanente à protéger, ni ressource naturelle connue, ni accès aisé. Les documents finaux du traité n’offraient qu’une vague indication pour la portion située au-delà de NJ9842 : « [...] de là vers le nord jusqu’aux glaciers. »

    Mais les glaciers étaient nombreux au nord de NJ9842. Le plus vaste et le plus important sur le plan stratégique était l’immense et sinueux Siachen, qui traverse l’est du Karakorum.

    « À l’époque, il y avait une sorte d’espace vide sur la carte, se rappelle Linthicum. En 1949, toutes les parties auraient trouvé absurde l’idée qu’on puisse se battre pour cette zone. »

    À l’été 1968, Hodgson consulta d’autres services du département d’État pour savoir comment faire apparaître la ligne de cessez-le-feu, ainsi que cet épineux vide de 60 km.

    Le 17 septembre, près de trois mois après avoir reçu le courrier diplomatique, Hodgson rédigea sa réponse – restée classifiée jusqu’en 2014. Elle commence ainsi : « Le département d’État a depuis longtemps reconnu les difficultés liées à la réalisation d’une carte des frontières internationales indiennes qui ne froisserait pas le gouvernement hôte sans toutefois compromettre les positions américaines établies. »

    Puis Hodgson expose ses conseils sur la façon de figurer la ligne de cessez-le-feu de 1948 sur toutes les cartes officielles américaines. Il ajoute cependant : « Enfin, la ligne de cessez-le-feu devrait être étendue au col du Karakorum afin que les deux États soient “fermés”. »

    En une phrase, Hodgson avait créé une ligne droite vers le nord-est, à travers des montagnes et un désert d’altitude, pour relier NJ9842 au col du Karakorum, un ancien itinéraire secondaire de la route de la Soie, à la frontière avec la Chine.

    Pourquoi Hodgson a-t-il agi ainsi ? Nul ne le sait. Sa lettre ne livre pas d’explication. Aucune note relative à sa décision n’a été retrouvée. Mais il devait avoir des raisons pratiques évidentes.

    Une partie de cricket offre un peu d’exercice et d’insouciance aux hommes du régiment du Pendjab ...

    Une partie de cricket offre un peu d’exercice et d’insouciance aux hommes du régiment du Pendjab de l’armée pakistanaise, au poste administratif Gora I, situé à près de 4200 m, le long du glacier du Baltoro. Le Masherbrum, un sommet de 7821 m, qui fait partie de la chaîne du Karakorum, scintille sous un couvert de neige et de glace.

    PHOTOGRAPHIE DE Cory Richards

    En 1963, le Pakistan et la Chine avaient signé un accord bilatéral. Celui-ci faisait du col du Karakorum l’extrémité sud-est de leur frontière commune au Cachemire. Nombre d’observateurs supposaient donc que ce serait aussi le point final logique d’une frontière indo-pakistanaise. Mais, comme l’Inde n’avait rien à voir avec ce traité, souligne Linthicum, «il était sans valeur».

    Il se peut que le désir pointilleux d’un cartographe de dissiper l’ambiguïté ait joué un rôle, estime Linthicum : « Certaines personnes ont le syndrome – voire l’obsession – de l’exactitude, de sorte qu’elles éprouvent le besoin de combler les lacunes. » S’il fallait que les deux pays fussent « fermés » par la ligne de cessez-le-feu, comme  l’écrivait Hodgson, cette ligne devrait aller jusqu’à la Chine. Elle formerait ainsi une frontière complète. Et le col du Karakorum était le point le plus identifiable sur la séparation.

    Hodgson n’ignorait pas que ses ajustements susciteraient des controverses. Dans une lettre à la CIA, il recommande la plus grande discrétion : « Nous préférerions que le changement se fasse progressivement, afin de réduire au minimum les complications internationales possibles. »

    L’espoir de Hodgson de dissimuler les changements de politique était peut-être un vœu pieux. « Après tout, il aurait dû se rendre à l’évidence, déclare Dave Linthicum, à savoir que les cartes seraient bientôt publiées les unes après les autres, et beaucoup d’entre elles rendues publiques, avec précisément la preuve visuelle complète du texte de la nouvelle politique. »

    L’ÉMINENT ALPINISTE

    C’est un copain d’alpinisme qui m’a parlé pour la première fois du glacier Siachen. Selon lui, les lieux abritaient certains des sommets non encore escaladés les plus fascinants du monde. « Ça se situe près de la frontière avec le Pakistan, m’a-t-il dit. Ils ne laisseront personne y monter. »

    L’été après mon mariage, nous nous sommes rendus en Inde, en quête de premières ascensions à réaliser dans la vallée de Nubra – juste à côté de la zone occupée par l’armée indienne autour du Siachen. Comme tous les alpinistes venus dans cette région depuis quatre décennies, nous marchions sur les traces de Bull Kumar.

    Narinder «Bull» Kumar, 1,65 m environ, sourcils gris plongeants et rire guttural, a vécu bien des aventures au fil d’une carrière militaire chargée d’histoire. Malgré la perte de quatre orteils à cause d’engelures, il a dirigé plusieurs expéditions d’alpinisme audacieuses tout au long des années 1960 et 1970, dont une sur l’Everest. Au passage, il a obtenu le grade de colonel de l’armée indienne et est devenu relativement célèbre.

    Avant le décès de Kumar, en décembre dernier, j’ai pu le rencontrer chez lui, à Delhi, pour évoquer sa rencontre avec deux aventuriers allemands. Ces derniers l’avaient contacté en 1977, car ils projetaient de réaliser la première descente de la rivière Nubra, qui émane du glacier Siachen. L’un des Allemands déplia une carte pour expliquer leur plan. « J’ai regardé la carte, a écrit Kumar dans ses mémoires, et mes yeux se sont soudain figés. » Il demanda à l’Allemand où il s’était procuré sa carte, et celui-ci lui répondit qu’il s’agissait d’une carte américaine, en usage dans le monde entier.

    Kumar ne dit rien, mais s’aperçut vite d’un problème criant : « La ligne de contrôle, qui s’appelait alors la ligne de cessez-le-feu et se terminait au point NJ9842, avait été [modifiée] par malice, ou par inadvertance, ou délibérément. »

    Voilà comment Bull Kumar découvrit la ligne de Hodgson. Il en informa le lieutenant-général M. L. Chibber, alors directeur des opérations militaires indiennes. Le Pakistan occupe de sa propre initiative 4 000 km2 de terres, « et nous n’en savons rien ! », tonna-t-il.

    Kumar et Chibber apprirent bientôt qu’une équipe japonaise d’alpinisme, accompagnée d’un capitaine de l’armée pakistanaise, s’était rendue dans le haut Siachen deux étés plus tôt. Kumar proposa de diriger une patrouille, sous couvert d’une expédition d’alpinisme, afin de recueillir des renseignements.

    À Gora I, un chemin bien entretenu mène à une terrasse rocheuse dédiée à la prière. ...

    À Gora I, un chemin bien entretenu mène à une terrasse rocheuse dédiée à la prière. «Nous ne parlons jamais des difficultés à nos familles, raconte un soldat. Nous disons seulement que nous sommes contents et profitons de la vie. »

    PHOTOGRAPHIE DE Cory Richards

    D’autres patrouilles indiennes suivirent, à la fin des années 1970 et au début des années 1980. À la même période, le Pakistan autorisa plusieurs autres expéditions d’escalade au glacier.

    En août 1983, le chef de l’armée pakistanaise envoya une note officielle de protestation à son homologue indien : « Demandez à vos troupes de se retirer sans délai au-delà de la ligne de contrôle, au sud de la ligne joignant le point NJ9842 au col du Karakorum NE 7410. J’ai ordonné à mes troupes de faire preuve du maximum de retenue. Mais tout retard dans la libération de notre territoire créerait une situation grave. »

    L’armée pakistanaise revendiquait à présent la ligne de Hodgson comme frontière. Cette ligne avait alors été incluse dans des dizaines de cartes imprimées par de nombreux services, tous sous la houlette du gouvernement américain. Des éditeurs commerciaux en avaient repris le tracé. À partir de 1981, elle apparut sous la forme d’une Lorsque nous nous sommes assis pour notre première réunion, au cours de notre visite de quelques bases, il était évident que l’armée pakistanaise disposait d’un scénario bien rodé à raconter aux visiteurs.

    « Contre toute attente, les Défenseurs du K2 occupent les positions militaires les plus hautes du monde, nous a déclaré un capitaine de la 62e brigade. Ce serait un élément fort à insérer dans votre reportage. »

    La ligne de ravitaillement de la 62e brigade part de son quartier général, dans la ville de Skardu. Elle serpente ensuite à travers la vallée de la Braldu et jusqu’au col Conway, à près de 6 000 m d’altitude. La seconde moitié du trajet ne peut s’effectuer qu’à pied ou en hélicoptère. Pour nous permettre de nous acclimater, l’armée a décidé de nous faire marcher.

    Sur la carte, le sentier semble facile – une large vallée, presque sans arbres, parsemée de blocs rocheux et de cascades. « Pour vous, c’est un plaisir, mais nous, nous faisons ça tous les jours », m’a confié un soldat lors de notre première matinée de marche. Lorsque nous sommes arrivés au camp appelé Paiju, nos articulations étaient raides et nos pieds endoloris.

    Les conditions de vie à Paiju sont relativement confortables. Un générateur et des paraboles fournissent une connexion – peu fiable – avec le monde extérieur. Dans les quartiers des officiers, un lacis de fils reliés de façon précaire à une petite télévision permet de se distraire en soirée. « Nous l’utilisons pour regarder des films motivants, nous a expliqué un homme.

    — Comme Rambo ?, a plaisanté Cory.

    — Oui, exactement », lui a répondu le soldat, le visage impassible.

    D’autres camps n’ont pas la vie aussi facile. Urdukas, un minuscule avant-poste formé de trois igloos en polystyrène, est installé sur un perchoir spectaculaire, à 4 000 m. Seulement quatre recrues le tiennent.

    « C’est vraiment rasoir, chuchote un soldat au-dessus d’un ragoût de poulet. Il n’y a pas de téléphone portable, pas de films. »

    En hiver, Urdukas ne reçoit que quatre heures et demie de soleil par jour. Le camp est entouré de centaines de jerricans de kérosène – l’élément vital du soldat, qui fournit le combustible pour la cuisine et le chauffage.

    À l’intérieur de chaque abri, tout est couvert de suie. Ici, les seuls luxes sont le naswar, une variété grossière de tabac à chiquer, et le ludo, la version pakistanaise du pachisi indien. Le jeu, cousin des petits chevaux, se dispute sur un plateau bricolé sur place. « Quand il y a des officiers, c’est plus confortable », observe un homme.

    Le lendemain, nous rencontrons une dizaine de soldats revenant d’une patrouille de trois semaines. Ils ont l’air à la fête. Je bavarde avec un sympathique capitaine, un médecin, tandis qu’il fume une cigarette.

    « Ça a été, avec cette patrouille, dit-il. Il nous a fallu évacuer trois hommes pour des œdèmes cérébraux de haute altitude, mais c’est normal. » Jusqu’en 2003, les deux camps échangeaient régulièrement des barrages d’artillerie et des tirs de snipers. Le cessez-le-feu conclu cette même année n’a laissé aux soldats rien d’autre à faire que de se surveiller mutuellement et de survivre aux conditions météorologiques.

    « C’est comme un match de football, m’a raconté un autre capitaine, à propos de la vie en première ligne. En général, nous prévenons [les soldats indiens] en levant un drapeau rouge. Ce qui signifie : “Veuillez arrêter tout ce que vous êtes en train de faire. Nos armes sont prêtes à tirer.” En guise de réponse, ils lèvent le drapeau blanc pour dire : “D’accord, nous arrêtons.” »

    Autrement, chaque jour s’égrène au fil des cigarettes et tasses de thé, parties de volley-ball ou de cricket, prières et corvées quotidiennes.

    En trente-cinq années de guerre en montagne, l’Inde et le Pakistan ont appris comment prendre soin de leurs soldats dans cet environnement. Les médecins ont observé que des soldats sédentaires passant trop de temps dans des postes enneigés souffrent souvent d’empoisonnement au monoxyde de carbone et d’embolies.

    Les hommes doivent maintenant faire de l’exercice tous les jours. « Chaque PON [procédure opératoire normalisée] est inscrite dans le sang », affirme un colonel.

    Avant de venir ici, de nombreux soldats que nous avons rencontrés avaient pris part à des combats dans les zones tribales du Pakistan proches de la frontière afghane, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamique menée par le gouvernement pakistanais.

    « Ici, nous devons combattre la nature, et la nature est imprévisible, remarque le médecin sur un ton de regret. Les êtres humains, c’est plus simple. »

    À l’automne 1985, plus d’un an après que l’Inde se fut emparée du Siachen (et dix-sept ans après la publication de la ligne de Hodgson), un diplomate indien a envoyé une requête officielle. Celle-ci a fini par parvenir au Bureau du géographe du département d’État, qui était alors tenu par George Demko – qui, comme Hodgson, était un ancien marine et avait servi en Corée. Plus d’un an après, Demko a publié une mise à jour des orientations cartographiques. Il indiquait que le Bureau du géographe avait examiné le tracé de la frontière indo-pakistanaise sur les cartes américaines et constaté «une incohérence dans la représentation et la catégorisation du découpage réalisé par les différents organismes de production [de cartes]. »

    Pour corriger cette représentation, écrivait Demko, « la ligne de cessez-le-feu ne sera pas étendue au col du Karakorum, comme le voulait la pratique cartographique précédente ».

    La ligne de Hodgson venait d’être effacée. Bien qu’elle ait été supprimée des cartes américaines, le Bureau du géographe n’a donné aucune explication quant à la raison pour laquelle elle y était apparue en premier lieu.

    Quatre recrues tiennent le poste d’Urdukas, en surplomb du glacier du Baltoro, à 4 000 m. Les ...

    Quatre recrues tiennent le poste d’Urdukas, en surplomb du glacier du Baltoro, à 4 000 m. Les soldats s’ennuient, mais l’armée pakistanaise est fière de sa discipline. Les postes administratifs se situent le long des lignes de ravitaillement, et les postes d’observation sur les lignes de front, ou tout près, avec vue sur l’ennemi.

    PHOTOGRAPHIE DE Cory Richards

    Robert Wirsing, de l’université de Caroline du Sud, avait suivi de près le conflit du Siachen. Quelques années après la correction de Demko, il s’est mis à enquêter sur cette ligne qui était apparue sur les cartes américaines, puis en avait disparu. Ayant appris d’un général indien que le gouvernement de l’Inde avait demandé en vain des éclaircissements, Wirsing a envoyé des courriers au département d’État et à l’Agence de cartographie de la Défense, afin de connaître l’origine de ce changement.

    En 1992, William Wood, le successeur de George Demko, lui a répondu. « La politique américaine n’a jamais été de tracer une frontière de quelque nature que ce soit pour combler le vide entre le NJ9842 et la frontière chinoise », écrivait Wood. Robert Wirsing n’a pas creusé plus loin la question.

    LES SUITES

    Les responsables pakistanais refuseront toujours de nous emmener, Cory et moi, près de la ligne de front, là où nous aurions pu obtenir un aperçu du point NJ9842. J’ignore ce à quoi je m’attendais au juste, et qu’un zoom sur Google Earth ne m’aurait pas permis de distinguer. NJ9842 n’est qu’une appellation inventée par l’homme –un point isolé sur une crête glaciaire, avec, non loin, un cantonnement de l’armée indienne.

    À la place, on nous propose de nous montrer un autre endroit. Nous embarquons dans des jeeps et bringuebalons sur un chemin de terre vers la profonde vallée de Bilafond. Au-dessus de nous, des sommets de granite brillent dans le soleil matinal, bien que d’épaisses ombres obscurcissent encore le fond de la vallée. Nous nous arrêtons au bord d’un vaste champ de moraines.

    Là, peu avant 2h30 du matin, le 7 avril 2012, l’armée pakistanaise a subi son pire revers dans le conflit du Siachen. Et les Indiens n’y ont pris aucune part. Un énorme glissement de terrain a eu lieu au-dessus d’un camp servant de quartier général de bataillon, celui-là même à partir duquel Abdul Bilal avait planifié son assaut. Les soldats d’une base d’artillerie située à 2,5 km de là ont signalé un fort grondement, une grande quantité de particules de neige dans l’air et un chien solitaire aboyant désespérément.

    « Cela dépassait l’imagination», raconte le major général Saqib Mehmood Malik. Cent quarante hommes logés dans une douzaine de bâtiments ont été ensevelis sous plus de 30 m de roche, de glace et de neige. Le premier corps n’a pas été découvert avant plusieurs mois.

    Cory et moi nous frayons un chemin à traversle champ de débris encore dangereusement instable. De rudimentaires pancartes façonnées en tôle ondulée marquent les emplacements où se dressaient les bâtiments de la caserne. Sur chacune d’elles, le nombre de corps retrouvés là est inscrit à la peinture. « C’est une sensation étrange, mais une source de grande fierté que de venir ici », nous assure un officier. Mais je me pose la question: est-ce que ces gens sont morts à cause de l’erreur d’un géographe ?

    La ligne de Hodgson « a certainement joué un rôle dans ce qui a conduit à la guerre. Elle ne l’a pas provoquée, mais a sûrement été un facteur, déclare Dave Linthicum. L’expression “pistolet fumant” a été utilisée», poursuit-il – allusion au moment où il a découvert le courrier diplomatique de Hodgson enfoui dans les archives du département d’État. Linthicum a gardé pendant des années une photo de Robert Hodgson collée au-dessus de son espace de travail, « pour me souvenir de ne pas déc...ner et d’être responsable ».

    Robert Wirsing admet que la ligne a joué un rôle dans le conflit, mais ajoute : « Je n’ai aucune raison de penser que quelqu’un ait décidé sciemment de céder ce territoire au Pakistan. »

    Il n’a pas non plus de motif de croire que des accords de paix pourront être négociés sous peu. « J’ai des amis pour qui il faudrait convertir [le glacier Siachen] en parc international de la paix. » Mais les événements récents, note Wirsing, notamment la poursuite des violences au Cachemire et les tensions frontalières entre l’Inde et la Chine, font que la résolution du problème paraît improbable dans un proche avenir.

    Wirsing n’adhère pas forcément à l’analogie de la « dispute entre deux chauves pour un peigne » : « “Irrationnel” est un mot que j’ai rencontré si souvent dans les débats et écrits universitaires sur les relations indo-pakistanaises.

    Je n’attribue pas grand-chose de ce qui se passe entre l’Inde et le Pakistan à leurs émotions. [...] À mon avis, s’ils sont là, c’est pour de très bonnes raisons, y compris stratégiques, [...] étant donné la fragilité des frontières dans la région. »

    De fait, tant que l’humanité s’ingéniera à diviser notre planète en polygones réguliers, certains de ces tracés seront voués à contestation, et l’on enverra des hommes comme Abdul Bilal et Bull Kumar se battre à cause d’eux. La géographie dicte ses propres règles.

  • Il s'agira d'un épuisement

     

     

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    Je ne crois pas au hasard.

    Le damier sera renversé par l'impossiblilité naturelle que la partie continue. Et nous serons responsables de la survenue de cette impossibilité par épuisement de la nature.

  • L'imaginaire de l'impuissance

     

     

    Lorsque l'imaginaire est cadenassé, limité, filtré, sciemment, consciemment, avec une intention cachée, c'est tout le collectif qui en subit les effets. Jusqu'à en oublier tout ce que le collectif a pourtant réussi à acquérir, à travers son engagement. C'est toute la problématique de "l'impuissance apprise". 

    JUSQU'AU BOUT : l'impuissance apprise

    Impuissance acquise

    L'impuissance apprise et ses effets

     

     

    Par Aurore Nerrinck

    "Le « on ne peut rien faire », ou l’imaginaire organisé de l’impuissance ?

    Il y a dans l’époque une lassitude particulière. Pas seulement de la fatigue, mais une forme d’épuisement politique, une résignation profonde qui prend l’apparence du bon sens. On dit : « voter ne sert à rien », « les décisions sont prises ailleurs », « les puissants font ce qu’ils veulent ». Ce désespoir tranquille, ce scepticisme généralisé, ne sont pas des réactions naturelles. Ce sont les produits d’une fabrique active : la fabrique de l’impuissance.

    Comme l’écrivait David Graeber, le pouvoir moderne ne se contente pas de contraindre nos corps ; il réduit aussi nos imaginaires. Ainsi, il restreint notre capacité à penser d’autres mondes, à croire en d’autres formes de vie collective, à concevoir le changement comme possible. Il ne dit pas seulement : « ne fais pas » ; il dit : « tu peux essayer, mais ça ne changera rien ». Ce glissement est redoutable : on ne nous interdit pas d’agir - pas toujours -, on nous pousse à y renoncer nous-mêmes.

    Cela commence dès l’école, où l’on apprend à se conformer bien plus qu’à créer. Cela se poursuit dans l’information, où l’avalanche de crises et de débats creux nous donne l’illusion de la participation, alors qu’elle sature l’espace mental jusqu’à la paralysie. Cela culmine dans l’organisation matérielle de nos vies : surcharge, précarité, isolement, dépendance. Le système fabrique des citoyens épuisés, découragés, atomisés — qui n’ont plus l’énergie ni le cadre pour résister.

    Et pendant que l’on désactive les affects politiques, on falsifie le récit historique. Dans les manuels scolaires comme dans les discours institutionnels, on nous apprend que les droits ont été conquis par la raison d’État, dans un mouvement progressif, civilisé, presque naturel. On parle de la fin de l’esclavage comme d’un humanisme soudain, du droit de vote comme d’une évidence républicaine, des congés payés comme d’un progrès social voulu par le politique. Mais c’est un mensonge organisé. Quelques exemples.

    • L’abolition de l’esclavage ? Promulguée une première fois en 1794, rétablie par Napoléon, puis arrachée de nouveau en 1848 — non pas par grandeur morale de l’État, mais sous pression des révoltes, des résistances dans les colonies et des mouvements abolitionnistes portés par les personnes racisées elles-mêmes.

    • Le droit de vote universel masculin ? 1848, à la suite d’une insurrection républicaine.

    • Suppression du travail de nuit dans les boulangeries, écoles laïques pour filles, égalité des enfants légitimes et illégitimes, réquisition des ateliers abandonnés au profit des ouvriers ? 1871, la Commune de Paris, moment unique d’auto-organisation populaire, où furent mises en place des mesures sociales radicales — avant que tout ne soit écrasé dans le sang par la répression versaillaise.

    • Le suffrage féminin ? Obtenu très tardivement en 1944, après des décennies de luttes féministes, de mépris et de relégation.

    • Les congés payés ? 1936, conquis par les grèves massives du Front populaire.

    • La sécurité sociale ? 1945, construite dans l’après-guerre par un rapport de force issu de la Résistance et des mouvements ouvriers.

    • Le droit à l’IVG ? 1975, fruit d’une mobilisation longue et souvent violente, de femmes criminalisées, insultées, persécutées.

    • Le mariage pour tous ? 2013, acquis dans un climat d’hostilité, au terme de mobilisations massives et d’une stigmatisation persistante.

    Rien n’a jamais été donné. Tout a été exigé, imposé, parfois au prix de la mort. Et toujours contre les institutions d’alors, qui qualifiaient les luttes de « subversives », « irresponsables », « dangereuses pour l’ordre ».

    Mais dès que la victoire est inévitable, le pouvoir absorbe la lutte, la commémore, la vide. On sanctifie ceux qu’on criminalisait la veille. On célèbre l’émancipation comme un choix éclairé des gouvernants. On efface la rue, la base, la colère.

    Cette réécriture a un objectif : nous faire croire que l’histoire avance toute seule, que le progrès est linéaire, que l’État est notre allié naturel. Mais ce récit a toujours été un mensonge. Car l’État n’a jamais été un moteur de l’émancipation populaire : il n’a agi que contraint, sous pression, pour préserver l’ordre établi. S’il y a eu des lois sociales, ce fut pour contenir la contestation, pas pour libérer. Les droits n’ont jamais été concédés par grandeur d’âme : ils ont été extorqués.

    Et aujourd’hui, ce masque tombe plus vite, plus brutalement. Ce que l’on voit désormais, ce ne sont pas des lois d’émancipation, mais des lois de contrôle. Réformes sécuritaires, lois contre les libertés syndicales, lois sur les retraites votées en force, criminalisation du militantisme, surveillance algorithmique, répression des mouvements sociaux — mais aussi, lois qui ciblent explicitement les populations musulmanes, sous couvert de « neutralité » ou de « lutte contre le séparatisme ». Ces lois restreignent les libertés associatives, interdisent certains signes religieux, placent des lieux de culte sous surveillance, ferment des écoles, créent un climat de suspicion permanente.

    Ce n’est pas la République qui est défendue, c’est un ordre identitaire qui s’impose. L’État ne progresse pas vers l’égalité : il revient ici à sa fonction première — maintenir l’ordre au service des dominants, au prix de la stigmatisation des plus vulnérables.

    À force de vider la politique de son sens, on laisse place à une colère sans boussole. Et c’est là que se joue une autre facette de l’impuissance : son retournement en pulsion autoritaire.

    Quand plus rien ne semble possible, quand les institutions déçoivent, quand les promesses ne tiennent plus, alors certains finissent par vouloir que « quelqu’un » décide à leur place. Ce n’est pas seulement la peur ou la haine qui pousse vers l’extrême droite — c’est aussi l’épuisement. Le désespoir organisé devient le terreau du fascisme doux : un désir d’ordre, de verticalité, de fin de la complexité.

    Le système fabrique alors un cercle vicieux : il désarme, décourage, puis désigne de nouveaux ennemis à haïr quand la frustration explose. Pour ne pas rendre visibles les véritables rapports de pouvoir, il propose des boucs émissaires. Les migrants, les chômeurs, les militants, les pauvres, les minorités, deviennent la cible. La lutte des classes est effacée, remplacée par une guerre de voisinage.

    Mais des failles apparaissent. Le système craque. On voit réapparaître des solidarités souterraines, des résistances locales, des communautés de soin et de lutte, des formes de récits alternatifs. Des gens recommencent à désobéir, à expérimenter, à imaginer. Ce n’est pas spectaculaire, pas médiatisé, mais c’est là. L’impuissance, si elle est construite, peut aussi être déconstruite.

    Il faut pour cela rappeler que l’histoire n’est pas écrite d’avance, et qu’elle ne vient jamais d’en haut. Il faut redonner du poids au conflit, à l’affrontement politique, à la mémoire des désobéissances fécondes. Il faut rappeler que tout ce que nous avons, nous l’avons arraché. Et que tout cela nous est repris, peu à peu. Parce que : quelle vie voulons-nous ? Et quelle société voulons-nous pour les prochaines générations ?

    Alors, ravivons la mémoire de ce que l’on nous a fait oublier. Reprenons ce que l’on nous a pris. Osons imaginer ce que l’on nous a fait croire impossible."

  • Mortelle chaleur

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    Contre Attaque

     

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    CHALEUR : MORTEL RECORD

    - Pendant que tout le monde regarde ailleurs, les températures explosent. Littéralement. -

    Cette semaine : 48°C au Pakistan, 46°C en Irak, 49°C au Koweït. On parle de hausses de plus de 12°C par rapport aux précédents records, et on nous ne sommes qu’en avril. En Iran, même à 2000 mètres d’altitude, il n’a pas fait moins de 20°C la nuit.

    Ces chiffres ne sont pas juste spectaculaires : ils sont terrifiants. Ils mettent en tension les ressources naturelles, déstabilisent les écosystèmes, rendent la vie impossible dans des régions entières. Et bien sûr, comme toujours, ce sont les plus pauvres qui trinquent en premier. Le changement climatique tue en silence.

    Au-delà d’une certaine température, combinée à un taux d’humidité élevé, le corps humain ne peut plus se refroidir. Même en pleine forme, même jeune, c’est la mort quasi-assurée. C’est ce qu’on appelle le thermomètre mouillé : quand l’air est tellement saturé d’humidité que la sueur ne s’évapore plus. Résultat : le corps monte en température… jusqu’à ce qu’il cède. Des zones entières de l'Inde et du Pakistant pourraient ainsi devenir inhabitables dans les décennies qui viennent, déplaçant des millions de personnes.

    Tout cela, le GIEC l’a annoncé, documenté, répété. Les événements extrêmes vont se multiplier. Pas dans dix ans. Maintenant. Et ce qu’ils décrivent ressemble clairement à un monde invivable.

    En France aussi, les signaux s’emballent. Le 30 avril pourrait être le jour d’avril le plus chaud jamais enregistré, et le 2 mai est bien parti pour pulvériser un autre record. Et pourtant, dans les médias : pas un mot, ou presque. Nous n'aurons pas d'images à la hauteur des enjeux climatiques, mis à part peut-être les traditionnelles images de vacanciers en bord de mer ou d’enfants qui pataugent dans des miroirs d’eau. Sur France Info, on choisit d'interroger des commerçants qui se félicitent que leurs terrasses soient pleines grâce au beau temps. Don't look up !

    Pendant ce temps, aux USA, Donald Trump annonce qu'il veut «forer comme un malade» pour trouver toujours plus de pétrole, et donne le champ libre aux grands patrons des énergies fossiles, qui ont massivement soutenu et financé sa campagne, à hauteur de 75 millions de dollars. Il a nommé Chris Wright, «magnat du fracking» – la fracturation hydraulique – comme secrétaire à l’énergie et Lee Zeldin à l’Agence de protection de l’environnement – un climato-sceptique d'extrême droite. Trump vient aussi de signer un décret pour accélérer le forage au fond des océans. Toujours plus vite vers le désastre.

    Le changement climatique n’est pas une fatalité, une catastrophe naturelle ou bien la faute de mère nature. Ses responsables ont des noms, des adresses et savent pertinemment à quoi ils contribuent. Sacrifier la planète que se lègue toute la biodiversité depuis des millions d’années plutôt que de sacrifier ses intérêts.

    Tout cela alors que nous n’avons pas encore atteint les +2°C de réchauffement. Qui espère encore s’adapter dans un monde à +4°C

  • Panne électrique

     

     

    Témoignages

    Panne électrique géante en Espagne et au Portugal : «Il n’y a plus de resto, plus de supermarché, plus de feux de signalisation et plein de gens coincés dans les ascenseurs»

     

    Une coupure de courant générale touche l’ensemble de la péninsule ibérique depuis la fin de matinée ce lundi 28 avril, provoquant un immense désordre et de profondes inquiétudes.

    Des employés d'un supermarché de la ville espagnole de Burgos, ce lundi 28 avril 2025.

    Des employés d'un supermarché de la ville espagnole de Burgos, ce lundi 28 avril 2025. (CESAR MANSO/AFP)

    par Léonard Cassette, Arthur Louis, Margot Sanhes et Coppélia Piccolo

    publié aujourd'hui à 17h25

    Un black-out à une échelle jamais vue. L’Espagne et le Portugal subissent une coupure de courant généralisée depuis la mi-journée ce lundi 28 avril. Une partie du sud de la France a aussi été affectée quelques minutes. Alors que le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez a tenu une «réunion extraordinaire du conseil de sécurité national», le gestionnaire du réseau électrique espagnol a assuré avoir déployé «toutes les ressources pour remédier» à la panne. Si le courant est rebranché petit à petit par endroits en fin d’après-midi, le retour à la normale dans l’ensemble de la péninsule ibérique pourrait prendre des heures, voire des jours. Les autorités des deux pays enquêtent aussi sur la cause de ce dysfonctionnement géant, mais les premiers éléments sembleraient écarter la thèse de la cyberattaque. Reste que l’incident, inédit, sème chaos et inquiétudes. Libération a recueilli les témoignages de francophones touchés par cette panne de l’autre côté des Pyrénées.

    Naïra, habitante de Logroño : «J’ai essayé de chercher des tutos sur Internet pour ouvrir la porte du garage, mais Internet ne fonctionne pas non plus»

    Vers 12 h 30 ce lundi, les lumières de la maison de Naïra s’éteignent d’un coup. La mère de famille qui vit à Logroño, la capitale de la Rioja, au sud du Pays basque espagnol, ne s’alarme pas tout de suite. Mais «au bout de vingt minutes, [elle a] commencé à trouver cela bizarre» : «Je devais emmener mon chat chez le vétérinaire, mais je ne pouvais pas ouvrir la porte du garage. J’ai essayé de joindre le cabinet vétérinaire, sans succès», explique-t-elle au téléphone. La quadragénaire commence alors à s’inquiéter. «Je suis sortie de chez moi, pour voir si ma maison était la seule touchée, mais ma voisine m’a dit que c’était le cas pour tout le monde».

    Tant pis pour le rendez-vous du chat, mais cette mère de quatre enfants doit tout de même aller les chercher à l’école. «J’ai essayé de chercher des tutos sur Internet pour ouvrir la porte du garage, mais Internet ne fonctionne pas non plus». Finalement, elle trouve la commande manuelle de la porte. Dans sa voiture, elle a une bonne surprise. La radio fonctionne, elle peut enfin avoir des informations. «Apparemment, tout le pays est touché. Même l’hôpital fonctionne sur ses générateurs de secours, c’est vraiment incroyable». Les infos disent que la panne devrait durer six à dix heures. Naïra a déjà préparé les bougies pour une soirée aux chandelles : «Là, je viens d’arriver devant l’école de mon fils. Les feux de circulation ne fonctionnent plus, le trajet était vraiment chaotique».

    Elysa, employée dans un call center à Barcelone : «Il n’y a plus de 4G, plus de 5G. Nada»

    Elysa, 25 ans, explique que son entreprise, un call center d’hôtels de luxe situé à Barcelone, «est en pleine cellule de crise». Tout a commencé «en salle de réunion», lorsque les lumières se sont éteintes. A son étage d’abord, puis dans tout le bâtiment. «Le wifi a été coupé juste après. Les appels, les SMS, plus rien ne marche. Il n’y a plus de 4G, plus de 5G. Nada», détaille cette jeune Française de 25 ans par téléphone, après être parvenue à rejoindre un réseau wifi restauré.

    A l’extérieur, les feux de circulation en panne obligent certains de ses collègues à délaisser la voiture. Faute de métro, à l’arrêt, la marche reste la seule option. Selon Elysa, «tout le monde est un peu stressé, car on s’aperçoit que ce n’est pas uniquement local mais que ça touche le pays entier». L’inquiétude charrie son lot de rumeurs sur l’origine de l’incident. Rien ne montre «à ce stade» que la panne électrique qui frappe l’Espagne et le Portugal ait été provoquée par une cyberattaque, a assuré lundi après-midi le président du Conseil européen Antonio Costa.

    La jeune femme souligne toutefois que «personne ne cède à la panique». Elle a déjà envoyé des messages à toutes ses proches pour les rassurer, «avant que [s] on téléphone la lâche». «Je n’ai déjà plus que 50 % de batterie, je me demande comment je vais tenir jusqu’à ce que ça soit rétabli», ajoute-t-elle dans un éclat de rire.

    Marine et Lola, stagiaire et étudiante à Salamanque : «Tout le monde est assez démuni, personne ne sait comment faire»

    «Aux alentours de 12 h 45, le musée a été plongé dans le noir», raconte Marine, 23 ans, jointe par téléphone. En stage au musée Casa Lis, un établissement d’arts décoratifs situé à Salamanque, la jeune femme a dû «évacuer les visiteurs et fermer le musée car l’éclairage des collections ne fonctionnait plus», tout comme la vidéosurveillance. Elle décrit néanmoins les «forces de police et les pompiers [comme] ultramobilisés».

    Coïncidence, la ville du centre-est de l’Espagne célèbre ce lundi le Lunes de Aguas, la plus importante fête locale de l’année. «Pour l’instant les gens sortent mais tout le monde est assez démuni, personne ne sait comment faire, personne ne peut rien acheter. Le centre-ville est vide, les rues sont encore très calmes pour un tel jour», témoigne de son côté Lola, qui fait ses études dans cette ville d’ordinaire très festive.

    Pierre, étudiant en chirurgie dentaire à Porto : «Plus de lumière, plus de terminaux de paiement, plus rien du tout»

    À la faculté dentaire Fernando Pessoa de Porto, les cours n’ont pas été suspendus ce lundi après-midi mais se déroulent «dans les salles où il y a un peu de soleil», pour avoir un minimum de lumière. Pierre, étudiant en dernière année, décrit un réseau téléphonique qui tourne au ralenti en fonction des opérateurs. La panne électrique a touché la grande ville du nord du Portugal peu après 11 heures : «J’étais au café et la musique s’est arrêtée. Plus de lumière, plus de terminaux de paiement, plus rien du tout», retrace-t-il.

    Le jeune homme de 27 ans dépeint également des files d’attente qui commencent à se former pour acheter des denrées essentielles : «L’eau commence à couper aussi. Du coup, il y a des queues partout pour acheter des bouteilles». Avec la gigantesque coupure de courant, à Porto «tout est arrêté. Il n’y a plus de resto, plus de supermarché, plus de lumière, plus de feux de signalisation et plein de gens coincés dans les ascenseurs», égraine Pierre. Avec 30 % de batterie sur son téléphone, il nous laisse un dernier texto avec son programme du soir : «On va se faire un barbecue avec les amis avec les viandes qui étaient au congélateur».

     

    Notre dépendance à la technologie devient criante quand ça ne fonctionne plus. Nous sommes des nantis très fragiles.

    LE DESERT DES BARBARES

    Seizième jour.

    Les chasses-d’eau ne fonctionnant plus, une odeur d’excréments s’éleva bientôt des mégapoles.

    Quand des millions de personnes doivent se soulager dans les parcs, dans les jardins publics, dans les bacs à sable pour les chiens, sur les carrés d’herbe en bas des immeubles, sur la pelouse des terrains de sport, dans tous les lieux verts des cités, quand les diarrhées se multiplient par la consommation d’eau impure, les vidanges intestinales couvrent le sol comme les feuilles en automne.

    La plupart de ceux qui avaient choisi d’utiliser un seau à couvercle et d’aller le vider quotidiennement n’en pouvaient plus de l’odeur ancrée dans le récipient. À défaut de bénéficier de la proximité d’un ruisseau, d’une source, d’un cours d’eau quelconque, l’impossibilité de nettoyer le récipient rendait la pratique insoutenable. Plus d’ascenseur. Ceux qui logeaient dans des immeubles fatiguaient de devoir enchaîner les escaliers, éclairés bien souvent par une lampe de poche. Les croisements de résidents dans les couloirs, le seau à la main, ne donnaient plus à rire.

    Les pénuries de papier hygiénique ne simplifièrent pas le problème. Il fallut chercher avidement les journaux, revues et emballages abandonnés. Tous les containers jaunes de recyclage furent défoncés et vidés.

    Des gens en vinrent aux mains pour ne pas avoir à se les salir.

    Des centaines de millions de petits tas éparpillés dans les villes, succinctement couverts par des papiers de tous horizons. Des zones entières dédiées à ce soulagement journalier.

    On vit même les plantes décoratives, les arbustes puis les arbres des zones vertes, jardins publics, jardins privés et zones commerciales avec leur nature délaissée, pillés par des mains avides. Des hommes grimpaient parfois dans les frondaisons avec un sac en bandoulière et les remplissaient en allant jusqu’au faîte. Seules les orties, le houx et autres plantes revêches, survécurent à ces arrachages sauvages.

    Tout le monde se mit à redouter l’arrivée de l’automne.

    Les réticents ne supportèrent pas longtemps les douleurs ventrales de la constipation.

    Les femmes solitaires craignaient les agressions sexuelles et préféraient garder l’usage du seau à domicile. La nuit, elles jetaient le contenu par la fenêtre. Les obèses qui n'en pouvaient plus de descendre et de monter les escaliers, les vieillards, les malades, tous balançaient leurs déjections quotidiennes de la même façon. Tous les immeubles furent décorés de coulures brunâtres. Malgré la chaleur estivale, il n'était pas possible d'ouvrir une fenêtre au risque d'être envahi de mouches noires, des nuages bourdonnants. À devenir fou. 

    Les enfants, peu prudents quant à l’hygiène, attrapèrent rapidement divers maux et contaminèrent bien évidemment tous leurs proches.

    Les bactéries s’en donnaient à cœur joie.

    C’était vraiment la merde.

  • Asservir les générations futures

    La semaine dernière, j'ai supprimé de ma page Facebook, trois ami-e-s qui présentaient les photos de leurs derniers voyages lointains, des pays rejoints par les airs. Je n'en peux plus de cette violence aveugle. Je ne comprends pas qu'on puisse ignorer les effets de nos actes et pire encore en avoir pleinement conscience et pourtant continuer, je ne comprends pas que le plaisir personnel puisse encore être prioritaire quand on sait ce que les générations à venir vont connaître. J'en arrive à espérer une guerre touchant les pays producteurs de pétrole, un choc pétrolier au-delà du connu, un effondrement des économies, un chaos planétaire, j'en arrive à souhaiter que le scénario que j'écris depuis quatre ans se réalise.

     

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    David Van Reybrouck, historien, est notamment l’auteur de deux ouvrages consacrés à l’histoire coloniale ("Congo. Une histoire", et "Revolusi. L’Indonésie et la naissance du monde moderne").

    Interview au Süddeutsche Zeitung (extraits)

    "Le lien entre les colonisations d’hier et d’aujourd’hui réside dans le fait que l’on pénètre dans un espace donné et que l’on s’y comporte comme si cet espace n’appartenait à personne, et comme si l’on ne faisait de mal à personne en agissant de la sorte. Comme si l’on pouvait spolier pour servir son seul intérêt.

    Que vous appréhendiez l’espace en question d’un point de vue temporel ou géographique ne fait aucune différence. Nous traitons l’avenir comme une terra incognita.

    [En d’autres termes, nous exploitons notre propre descendance ]

    - "Nous traitons les générations futures comme nous avons traité autrefois les communautés autochtones, en les malmenant sans pitié, comme si, plus tard, elles n’allaient pas avoir besoin des ressources dont nous les privons aujourd’hui. Qu’il s’agisse d’un air pur, de sols fertiles ou encore de matières premières.

    Les sociétés occidentales se comportent toutes à cet égard d’une manière autocratique : nous prenons ce dont nous avons besoin aujourd’hui sans le moindre égard pour l’avenir du pays."

    - "L’être humain fait montre d’une capacité de refoulement tout à fait étonnante lorsqu’il s’agit de défendre son petit confort. À cet égard, je juge notre attitude plus condamnable que celle de nos ancêtres car nous, nous savons ce que nous faisons.

    Les anciens colonialistes avaient encore l’argument de dire qu’ils apportaient quelque chose aux peuples sous-développés, la civilisation, la foi, le savoir-faire, toutes sortes de justifications invoquées aujourd’hui. Ils ont fait miroiter à ces peuples une situation gagnant-gagnant.

    (...

    Nous savons que les ressources sont limitées et que notre attitude porte gravement préjudice à d’autres humains – nos propres petits-enfants. Mais, au lieu d’appuyer sur la pédale de frein, nous étendons nos colonies toujours plus loin."

  • Jung : sur la souffrance

    Mon existence intérieure depuis mes seize ans.

     

    LES ÉGARÉS

    La deuxième hernie discale. Un sursis annulé.

    Il avait trente-neuf ans. Une sciatique foudroyante, une plaie ardente courant sur sa jambe, il aurait voulu écarter les chairs et arracher le cordon brûlant, un couteau édenté planté dans le dos, des crampes comme des décharges électriques, les orteils tordus, recroquevillés, il ne contrôlait plus rien, il ne pouvait plus se lever, il rampait jusqu’aux toilettes, des jours et des nuits de pleurs, les regards impuissants de Leslie et des enfants ruisselaient en lui comme du plomb fondu, leur détresse, cette panique contenue, il se retenait de hurler, en surdose de morphine, des armées de scorpions couraient sur son ventre, déchiraient la plaie fermée de son nombril et s’enfonçaient dans les chairs, il cuisait dans des bouillons de magma où flottaient des résidus de corps, des entrailles blanchies, des femmes éventrées, des crânes brisés de bébés morts flottaient autour de lui, les yeux exorbités le fixaient horriblement, les veinules éclatées comme des réseaux de barbelés, des glaires sanguinolentes coulaient dans ses poumons, il voulait cracher mais n’en avait pas la force, il suffoquait, des scarabées voraces dévoraient son anus, dévastaient ses intestins, rejoignaient les armées de blattes qui grouillaient dans son dos et rongeaient les fibres, des tentacules de méduses enserraient son visage, il sentait parfaitement les ventouses urticantes, il étouffait, il étouffait, sans pouvoir s’enfuir, tout était dans son crâne, dans son corps violenté, la folie, la folie le gagnait, il le savait.

    Il n’a rien oublié.

     

    Il allait mourir. Aucun répit. Plus de sommeil, juste quelques plongées cauchemardesques et des réveils paniqués, le souffle haletant, les yeux écarquillés devant l’horreur qui le rongeait de l’intérieur, le membre torturé se rigidifiait inexorablement, une courbure répugnante s’installait, une arabesque figée comme une malformation dégénérative. Il ne contrôlait plus rien. Il fallait le piquer à la morphine pour que sa vessie se libère. Les reins étaient menacés.

    Les dégâts de la première opération, le nerf sciatique englobé dans la fibrose, on lui parlait de paralysie définitive.

    Il ne voulait pas d'une nouvelle opération, il la refusait de toutes ses forces. Son seuil de résistance était déjà loin derrière lui. Il avançait en terrain inconnu comme un soldat abandonné qui sent venir la fin. Mais veut y croire encore.

    Quand Leslie partait au travail et les enfants à l’école, qu’il se retrouvait seul dans la maison silencieuse, il songeait au suicide.

    La mort n’avait aucune importance au regard de la délivrance. Avaler toute les boîtes de morphine, sombrer dans le coma et partir, libérer les êtres aimés. La douleur du cimetière s’atténuerait. Ils continueraient à vivre sans lui.

    Finir dans un fauteuil roulant condamnait Leslie et les enfants à un calvaire.

    Il ne sait pas ce qui a retenu son geste.

    Il devinait parfois des regards attendris, des mots susurrés dans le caveau morbide de sa détresse, une voix apaisante qui lui parlait de patience, de confiance, d’un cheminement obligatoire.

    Ces ressentis étranges validaient en lui l’avancée insatiable de la folie, il n’en parlait à personne. Parfois pourtant, lorsque le fil ténu de sa résistance cédait, il s’y abandonnait, acceptait l’offrande et puisait quelques instants de paix, juste assez pour tenir, quitter quelques secondes le champ de ruines où il agonisait.

    Il imaginait des bénédictions d’anges gardiens, des êtres éveillés qui le guidaient dans les méandres de son calvaire.

    Comment aurait-il pu en parler ?

    Il s’arrête. Les larmes coulent, comme un trop plein qui jaillit, un barrage qui s’écroule.

    Tant de douleurs.

    La détresse de Leslie. Elle avait dû tenir, tout gérer, ne pas sombrer, elle s’était montrée indestructible, sans faille, d’une solidité granitique, elle n’avait jamais pleuré devant lui, elle avait pourtant dû le faire, ça n’était pas possible de résister aussi longtemps sans s’accorder une pause.

    Tout ce qu’il lui doit. Et tout ce qu’elle porte. Il sait que ce fardeau est toujours en elle, que la peur ne la quitte pas, que ce cauchemar ne s'éteint pas les yeux ouverts, il est toujours là, dans une mémoire tenace.

    Cette dégradation avilissante, cet envasement dans la boue brûlante des souffrances, ce temps perdu, anéanti, sali, il imagine la tumeur vivace qui entretient les souvenirs comme des ferments toxiques. La peur, la souffrance, la déchéance physique, la dépression, les larmes, les cris, la tentation de la mort.

    Il sait aujourd'hui à quel point les marques sur son visage ne sont pas les empreintes de ses rires mais bien au contraire les sillons de ses douleurs.

    Un matin, après une nuit entière de combats, il s'était aperçu qu'il ne parvenait plus à détendre son visage. Il n'était plus qu'un masque de cire durcie. Il avait demandé un miroir à Leslie.

    C'est son reflet qui l'avait convaincu.

    Il était comme un mort aux yeux atterrés.

    Un chirurgien l’avait reçu, le spécialiste de la région, des colonnes vertébrales à la chaîne.

    Il était allongé sur une civière, les ambulanciers étaient passés le prendre, Leslie l’accompagnait, elle avait parlé à sa place, il pleurait, incapable de prononcer autre chose qu’un gémissement épuisé, les sanglots étranglés de ses suppliques.

    Qu’on en finisse. Il voulait qu’on l’opère.

    S’il se réveillait paralysé, il sauterait par la fenêtre, il y arriverait, les gestes étaient en lui, il en aurait la force, ça serait fini, rien d’autre à faire, il ne voulait pas condamner Leslie, elle apprendrait à vivre sans lui et son amour de la vie la sauverait, il en était persuadé.

    Il voulait qu’on l’opère.

    Il avait fini par le crier, par implorer l’homme en blanc, ça n’était plus possible, il allait imploser.

    Il n’était que douleur.

     

  • Explorer la conscience

    Des recherches qui me passionnent depuis bien longtemps. Mon frère, annoncé par les médecins comme "cliniquement mort", m'a raconté des souvenirs qui relèvent de l'inexplicable. 

    Quant à moi, j'ai connu un état de conscience modifiée pendant lequel des entités mouvantes sont venues me parler, des propos si complexes et en même temps si raisonnés qu'ils ne pouvaient pas être issus d'une hallucination.

    J'ai souvent parlé des états de conscience modifiée dans mes romans. "Là-Haut", "A coeur ouvert", "Vertiges", "Jusqu'au bout", "Noirceur des cimes", "Kundalini" puis maintenant dans la suite de "Les héros sont tous morts".

    J'espère vivre assez vieux pour qu'enfin, la science reconnaisse que la conscience n'est pas une entité finie, dépendante de l'individu. Elle est bien plus.

     

    Des liens vers d'autres articles :

    NDE, expérience de mort approchée. (spiritualité/mort)

    L'ultime expérience : EMI

     

    "Des témoignages troublants qui bousculent" : des expériences de mort imminente relancent les débats scientifiques

     

    Sonia Barkallah, réalisatrice du film Témoins, sur les expériences de mort imminente. 

    Sonia Barkallah, réalisatrice du film Témoins, sur les expériences de mort imminente. • © Muriel Despiau

    Écrit par Mélanie Philips

    Publié le 30/03/2025 à 06h05

    Depuis plus de 20 ans, Sonia Barkallah enquête sur les expériences de mort imminente. Son docu-fiction Témoins explore ces récits troublants, interrogeant scientifiques et témoins pour relancer le débat.

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    Un homme dans le coma qui décrit une pièce secrète d’un hôpital, un aveugle qui décrit physiquement le personnel qui s’occupe de lui, une personne qui décrit ce qui se dit dans la pièce à côté… Tous ces témoignages d’expérience de mort imminente (EMI) sont à retrouver dans le docu-fiction Témoins, de Sonia Barkallah, réalisatrice de Berre l’étang (13).

    "Je me suis retrouvée à flotter dans ma chambre"

    Depuis plus de vingt ans, Sonia Barkallah s’intéresse à cette thématique des EMI. Dès son plus jeune âge, elle se questionne sur la vie et la mort. Puis son parcours est marqué par plusieurs événements forts. Âgée de 11 ans, elle perd son grand-père et sa tante lui recommande alors la lecture du livre La Vie après la vie de Raymond Moody, pionnier de l’étude des EMI. "Ces témoignages m’avaient fait beaucoup de bien", confie la réalisatrice avant de poursuivre.

    A 14 ans, j’ai vécu une expérience similaire à une EMI. Je me suis retrouvée à flotter dans ma chambre, en voyant ma chambre vue de haut, avec une expérience très particulière avec la chaîne hi-fi.

    Sonia Barkallah, réalisatrice du film Témoins

    Mais le véritable déclic a lieu en 1999. En proie à une grave dépression, elle envisage de mettre fin à ses jours. C'est alors qu'elle tombe par hasard sur un documentaire composé uniquement de témoignages d’EMI. Ces récits bouleversants la touchent en plein cœur et la sortent littéralement de la dépression. "Ça m'a fait un bien fou ! Je me revois encore pleurer à chaudes larmes. Les témoignages étaient sincères et authentiques. Ils m'ont fait renoncer à me suicider et ils ont suscité ma vocation de devenir réalisatrice", raconte-t-elle.

    "Jusqu’à ce que les arguments manquent"

    Sonia rencontre scientifiques et témoins et cela donne naissance à son premier film, Faux départ, en 2010. Comme vous l’aurez compris, l’aventure ne s’est pas arrêtée là pour la réalisatrice. "Avec Témoins, j’ai voulu rendre ce qui m’a été donné", avoue Sonia Barkallah. Sauf que cette fois, elle accorde une importance particulière à la valeur d’un témoignage corroboré. "Quelle est la valeur d’un témoignage aux yeux de scientifiques, surtout quand celui-ci est corroboré par des tierces personnes ou du personnel soignant ?", interroge-t-elle.

    Neuroscientifiques, psychiatres, psychologues, convaincus, septiques… Sonia rencontre des scientifiques de tout bord. "Cette diversité est très importante. Aujourd’hui, un documentaire objectif qui fait parler les différents points de vue, malheureusement ça n’existe plus, regrette-t-elle. Cette thématique suscite beaucoup de débats passionnants et passionnés." Le documentaire est construit comme une enquête policière, où chaque argument trouve une contrepartie.

    Sonia Barkallah, a réalisé deux films sur les expériences de mort imminente : Faux départ et Témoins.

    Sonia Barkallah, a réalisé deux films sur les expériences de mort imminente : Faux départ et Témoins. • © Muriel Despiau

    Elle détaille que lorsqu’un scientifique estime que les EMI pourraient être des hallucinations, elle présente des témoignages d’aveugles de naissance ayant décrit des scènes visuelles impossibles pour eux. Si l'on parle d'hallucinations auditives, elle montre des cas de personnes sourdes ayant perçu des sons. Des exemples, "jusqu’à ce que les arguments manquent".

    Sonia, elle, de par son expérience et ce dont elle a été témoin, pense que la conscience peut fonctionner indépendamment du cerveau.

    je me laisse aussi cette possibilité que la science n'a pas tous les outils aujourd'hui pour expliquer ce phénomène.

    Sonia Barkallah, réalisatrice du film Témoins

    Car pour l’instant, d’un côté comme de l’autre, il n’y a aucune preuve de quoi que ce soit. "Cependant, c'est intéressant de voir des témoignages inédits, des témoignages vraiment troublants qui bousculent."

    "Sortir du caractère paranormal et ésotérique"

    L'objectif de Sonia Barkallah n'est pas de prouver l’après-vie, mais d'ouvrir un véritable débat scientifique et de pousser la recherche à explorer ces phénomènes encore inexpliqués. Il n’est pas non plus question d’imposer sa propre conviction, mais de laisser aux téléspectateurs le soin d’avoir leur opinion personnelle. Des faits, rien que des faits. "Le but, c’est d’arriver à co-construire, ensemble, un dispositif scientifique qui permettra peut-être de trancher sur cette éternelle question", déclare-t-elle.

    Est-ce que ces expériences sont des hallucinations ou, au contraire, laissent-elle accès à une autre réalité ?

    Sonia Barkallah, réalisatrice du film Témoins

    Au fil des projections, le film Témoins bouleverse le public.Il apporte un apaisement aux personnes ayant perdu un proche, aide ceux qui ont vécu une EMI à se sentir compris, et suscite l'intérêt du corps médical. Plusieurs hôpitaux, dont l'hôpital Henri-Laborit, ont demandé à projeter le film pour leurs soignants. "C'est super, parce que mon but était aussi de sortir du caractère paranormal, ésotérique et New Age."

    "Loin de toute pseudoscience"

    Sonia Barkallah a même été invitée en Inde par un chef de service hospitalier pour présenter son film à des psychiatres. Cette tournée l'amène à partager ses recherches en Belgique, en Espagne, aux États-Unis, au Canada, en Allemagne et même en Iran et en Chine. "Mon travail repose sur des études publiées dans des revues scientifiques sérieuses à comité de lecture, loin de toute pseudoscience." Pour elle, tout cela montre le caractère universel des expériences de mort imminente et de l'intérêt que les chercheurs leur portent.

    En attendant que la recherche avance, Sonia Barkallah continue son chemin, portée par l'émotion et la gratitude du public. "Mon rôle de réalisatrice, c'est de provoquer des émotions et d'apporter quelque chose aux gens. Et ça, c'est magnifique." Pour y arriver et pour toucher le plus de personnes possible, elle a fait le choix de témoignages éclectiques. "Ça va résonner à chacune des personnes dans le public en fonction de leur histoire. Le film bouleverse énormément", raconte-t-elle. Actuellement en Suisse, elle raconte voir de nombreuses personnes pleurer à chaudes larmes. 

    Le film apaise les gens qui ont perdu des proches, fait du bien aux gens qui l'ont vécu et qui n'ont jamais osé en parler, et fait questionner des scientifiques.

    Sonia Barkallah, réalisatrice du film Témoins

    Exactement tout ce qu’elle recherchait. En revanche, si vous venez pour chercher une réponse, vous faites fausse route. "C’est un film qui fait se poser des questions puisqu'il ne donne pas de conclusion. Et ça, c'est important", insiste la réalisatrice.

    >>> Des séances de ciné-débat vont avoir lieu à Marseille (24 avril), Cagnes-sur-Mer (25 avril) et Berre-l’Etang (27 avril).

     

     

     

  • Diversité fantôme

    Sachant que la population planétaire continue à croître et que l'extension humaine dans les zones naturelles ne sera jamais freinée volontairement, que restera-t-il de la biodiversité dans cent ans ?

     

    "Nous avons été surpris par l'ampleur du résultat" : une nouvelle étude pointe l'impact majeur de l'homme sur la baisse de la biodiversité. Quand vous vous promenez en forêt en France, vous voyez en moyenne seulement 20 % des plantes que l'on pourrait observer s'il n'y avait pas d'activité humaine".

    L'un des sites étudié en France. 

    L'un des sites étudié en France. • © Christophe Carcaillet - CNRS

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    La diversité fantôme, ou « dark diversity », révèle l’impact mondial des activités humaines sur l’érosion de la biodiversité

    04 avril 2025

    Résultats scientifiques

    Une étude publiée dans la revue Nature, menée par l’Université de Tartu (Estonie) et impliquant plus de 200 scientifiques à travers le monde, dont plusieurs chercheurs français du CNRS, met en lumière l’effet majeur des activités humaines sur l’érosion de la biodiversité végétale. L’analyse simultanée de la diversité observée et de la diversité qui, au vu de ses caractéristiques, devrait être présente, révèle que de nombreuses espèces de plantes natives sont absentes de leurs habitats naturels, notamment dans les régions les plus impactées par l’activité humaine. 

    En résumé

    La "diversité fantôme" désigne les espèces qui pourraient naturellement occuper un environnement en raison de leurs besoins écologiques, mais qui en sont absentes pour des raisons historiques.

    Une équipe de chercheurs internationale a analysé le potentiel de la diversité végétale de plus de 5 000 sites dans le monde, en mesurant la part de diversité réellement présente, révélant l’impact inapparent des activités humaines sur la végétation.

    Dans les régions fortement affectées par les activités humaines, les écosystèmes ne contiennent que 20 % des espèces qui pourraient s’y établir, contre 35 % dans les régions les moins impactées, un écart causé par la fragmentation des habitats, favorisant la part de la diversité fantôme.

    La végétation naturelle est souvent dépourvue de nombreuses espèces qui pourraient y être présentes, en particulier dans les régions fortement touchées par les activités humaines. Une nouvelle étude coordonnée par des chercheurs de l’Université de Tartu (Estonie) et impliquant plus de 200 scientifiques du réseau de recherche DarkDivNet, dont des chercheurs français du CNRS, des universités PSL, Claude Bernard-Lyon 1, de Toulouse et de Bordeaux, a mis en lumière ce phénomène. 

    Pour réaliser cette étude, l’ensemble des espèces végétales de près de 5 500 sites répartis dans 119 régions du monde ont été recensées. Grâce à ce travail, les chercheurs ont identifié la "diversité fantôme" (dark diversity), c’est-à-dire les espèces natives susceptibles de vivre sur ces sites, mais qui en sont actuellement absentes. Cette approche permet d’évaluer le potentiel de la diversité végétale, et de mesurer la proportion de celle qui est réellement présente, soulignant l’impact inapparent des activités humaines sur la végétation.

    Dans les régions fortement affectées par la présence humaine, les écosystèmes ne contiennent que 20 % des espèces qui peuvent s’y établir. Les mesures classiques de la biodiversité, comme le simple comptage d’espèces, ne détectent pas cette différence, en raison des variations naturelles qui masquent l’ampleur des conséquences anthropiques. Celles-ci peuvent être mesurées à l’aide de l’indice d’empreinte humaine, incluant la densité des populations, l’usage urbain ou agricole des terres, ainsi que les infrastructures routières et ferroviaires. 

    L’équipe de scientifiques révèle que la diversité d’un site se retrouve négativement influencée par cet indice et la plupart de ses composantes, dans une zone pouvant atteindre plusieurs centaines de kilomètres. Ce constat alarme sur l’étendue des conséquences des activités humaines, plus importantes qu’on ne le pensait, affectant même les aires protégées. 

    La pollution, l’exploitation forestière, les déchets, le piétinement et les incendies d’origine anthropique peuvent exclure certaines plantes de leurs habitats.  Cependant, l’impact humain est moins prononcé lorsqu’au moins un tiers de la région environnante est naturelle, soutenant ainsi l’objectif mondial de protection de 30 % des terres de la planète.

    carte

    Richesse végétale en fonction de l’empreinte humaine, sur fond de carte des sites étudiés dans le projet DarkDivNet.

    Cette étude dévoile l’importance de préserver les écosystèmes au-delà des aires protégées. Le concept de diversité fantôme offre aux défenseurs de l’environnement un outil précieux pour identifier les espèces absentes pourtant adaptées à un milieu, et suivre ainsi les bienfaits de la restauration des écosystèmes.

    * Le terme dark diversity se réfère à celui de dark matter, ou matière noire en français, qui est une matière hypothétique dont les scientifiques soupçonnent la présence dans l'Univers mais qui reste indétectable à ce jour.

    Référence de la publication 

    Pärtel, M., Tamme, R., Carmona, C. P., Riibak, K., Moora, M., Bennett, J. A., Chiarucci, A., Chytrý, M., Francesco, D. B., Eriksson, O., Harrison, S., Lewis, R. J., Moles, A. T., Öpik, M., Price, J. N., Amputu, V., Askarizadeh, D., Atashgahi, Z., Aubin, I.,. . . Zobel, M. (2025). Global impoverishment of natural vegetation revealed by dark diversity. Nature. Publié le 2 avril 2025. 

    Laboratoires CNRS impliqués 

    Centre de Recherche sur la biodiversité et l’Environnement (CRBE - CNRS/IRD/Univ. Toulouse III - Paul Sabatier/Toulouse INP)

    Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux (EPOC, Bordeaux INP/CNRS/Univ. Bordeaux)

    Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA - CNRS / ENTPE / Université Claude Bernard)

    Contact

    Auréle Toussaint

     

  • "Les danseurs aux pieds nus"

    Oui, j'ai espéré que la crise des taxes douanières déclenche un frein conséquent sur la mondialisation et l'énorme commerce planétaire mais je ne considère évidemment pas le cowboy comme un défenseur de la vie, de la biodiversité, de l'écologie. Tous les produits chinois destinés aux USA sont déjà en route vers l'union européenne. On n'arrête pas les cargos...

    Je ne cible pas l'individu comme l'unique représentant du chantre de la croissance. En France aussi, nos politiciens ne comprennent que le langage de l'économie, de la création d'emplois, du développement.

    Un exemple parmi beaucoup d'autres :

     

    «Assez de ces danseurs aux pieds nus» : le département du Rhône coupe les subventions de trois associations environnementales

     

    Par , Le Figaro Lyon

    Publié le 18 avril 2025 à 17h40

     

    «Ils veulent réduire les dépenses ? On va réduire les dépenses ! Ça va être vite fait», s’est emporté le président du département, Christophe Guilloteau, avant de faire voter la suppression des subventions, approuvée à la quasi-unanimité de l’assemblée. MATTHIEU DELATY / Hans Lucas via AFP

    Le président du département, Christophe Guilloteau (LR), a annoncé la suppression des subventions accordées à trois associations environnementales qui avaient critiqué un projet de port de plaisance sur la commune d’Anse, le mois dernier.

     

    Christophe Guilloteau (LR) n’a visiblement pas goûté la critique. Visé par plusieurs associations environnementales dans une lettre dénonçant l’impact écologique d’un projet de port de plaisance, le président du département du Rhône a décidé de couper les subventions accordées à trois d’entre elles pour l’année en cours. France Nature Environnement, la Ligue de Protection des Oiseaux et Arthropologia vont ainsi perdre entre 24.000 et 29.000 euros de subsides départementaux chacune. Elles ont demandé un rendez-vous avec Christophe Guilloteau à ce sujet.

    Ce dernier s’est montré particulièrement véhément à la tribune du conseil départemental le 4 avril. Il a d’abord mentionné la lettre envoyée le 31 mars dernier qui demandait l’arrêt du projet de création du port du Boredelan, dans la commune d’Anse. Projet qui prévoit «l’artificialisation d’une surface équivalente à 30 terrains de football» sur une zone humide selon les associations contestataires. Un projet à 39,5 millions d’euros dont les signataires de la lettre interrogeaient le montant.

    «Ils veulent réduire les dépenses ? On va réduire les dépenses ! Ça va être vite fait», s’est emporté le président du département avant de faire voter la suppression des subventions, approuvée à la quasi-unanimité d’une assemblée largement acquise à sa cause. Christophe Guilloteau a vanté un «projet économique» «soutenu par tant d’hommes et de femmes» depuis «tant d’années». «Moi, je ne suis pas prêt à ce que mes enfants mangent tous des graines et fassent de la bicyclette tous les jours», a-t-il encore lancé.

    «On ne nous paie pas à rien faire les pieds nus»

    «J’en ai assez de ces associations de danseurs aux pieds nus, qui viennent nous expliquer ce que nous, élus, devons faire sur nos territoires», a encore tempêté Christophe Guilloteau, annonçant une refonte du modus operandi avec les structures subventionnées. «En tant qu’association naturaliste nous sommes dans notre rôle de contrepouvoir quand on alerte sur l’impact d’un projet qui va détruire une zone humide, rétorque Hugues Mouret, directeur scientifique d’Arthropologia, dénonçant un écolo bashing simpliste. Ces zones humides sont essentielles pour la préservation du vivant et on ne sait pas les refabriquer (sic), les compensations ne sont jamais à la hauteur de ce qu’on a détruit».

    À lire aussi Lyon : une plainte déposée par les écologistes contre Laurent Wauquiez après ses attaques envers l’OFB

    Les trois associations sont suffisamment établies pour ne pas voir leur survie menacée par cette coupe brutale. Mais certains programmes en souffriront. Pour Arthropologia, les 24.000 euros du département servaient à financer un programme scientifique d’études sur l’activité pollinisatrice des abeilles sauvage, «donc la protection alimentaire des populations», éructe Hugues Mouret. «Il ne s’agit pas de subvention de fonctionnement, poursuit-il, on ne nous paie pas à rien faire les pieds nus». Et de préciser que l’essentiel des revenus de l’association ne provient pas de fonds publics.

     

    Donald Trump réautorise la pêche commerciale dans un vaste sanctuaire marin de l'océan Pacifique

    Créé par George W. Bush et étendu par Barack Obama, le sanctuaire abrite des récifs coralliens vierges et des espèces en danger.

    Article rédigé par franceinfo avec AFP

    France Télévisions

    Publié le 18/04/2025 08:13

    Temps de lecture : 2min Donald Trump présente le décret élargissant les droits de pêche dans le Pacifique, à la Maison Blanche; le 17 avril 2025. (BRENDAN SMIALOWSKI / AFP)

    Donald Trump présente le décret élargissant les droits de pêche dans le Pacifique, à la Maison Blanche; le 17 avril 2025. (BRENDAN SMIALOWSKI / AFP)

    Il fait presque deux fois la taille du Texas. Donald Trump a signé un décret, jeudi 17 avril, visant à réautoriser la pêche commerciale dans un vaste sanctuaire marin situé au beau milieu de l'océan Pacifique et abritant l'un des écosystèmes les plus vulnérables au monde.

    Le "Pacific Remote Islands Marine National Monument" avait été créé en 2009 par le président George W. Bush, puis largement étendu en 2014 par Barack Obama(Nouvelle fenêtre). Il comprend aujourd'hui plus de 1,2 million de kilomètres carrés d'eaux protégées, autour de sept îles et atolls de l'océan Pacifique. La pêche commerciale ainsi que l'extraction de ressources, notamment minières, y étaient jusqu'ici interdites, mais la pêche traditionnelle et de loisir continuaient d'être permise.

    Selon le président américain, cette interdiction de pêche commerciale "désavantage[ait] les pêcheurs commerciaux honnêtes des Etats-Unis" en les poussant "à pêcher plus loin au large dans les eaux internationales pour rivaliser avec des flottes étrangères mal réglementées et fortement subventionnées". Et "une pêche commerciale correctement gérée ne mettrait pas en danger les objets d'intérêt scientifique et historique" protégés par le sanctuaire, a-t-il affirmé.

    Des environnements marins immaculés et vulnérables

    Les zones maritimes qui composent le sanctuaire abritent des récifs coralliens vierges ainsi que de nombreuses espèces en danger, parmi lesquelles des oiseaux de mer et certains requins et baleines, et figurent parmi les environnements tropicaux marins les plus immaculés et vulnérables de la planète, notamment face au changement climatique.

    Autant de zones qui seront, avec ce décret, désormais en partie accessibles à la pêche commerciale. L'interdiction est ainsi levée sur de larges zones au large des îles et atolls, "pour les navires battant pavillon des Etats-Unis".

    Des permis de pêche pourront également être "délivrés à des navires battant pavillon étranger pour qu'ils puissent transporter des poissons pêchés par des pêcheurs américains", est-il encore détaillé(Nouvelle fenêtre). Dans ce texte, Donald Trump demande également à son gouvernement d'"amender ou abroger toutes les réglementations contraignantes qui restreignent la pêche commerciale" dans le sanctuaire.

    Depuis son retour à la Maison Blanche le 20 janvier, le républicain, ouvertement climatosceptique, s'attaque à nombre de normes environnementales et assume mener une politique de dérégulation pour favoriser l'économie.

  • L'oppression du monde humain.

    On a vendu la maison dans la Creuse et on est arrivé dans notre nouvelle région.

    On avait besoin de faire des achats alimentaires et de bricolage. Comme on ne connaît pas encore le secteur et qu'on est à fond dans l'aménagement de la maison, on n'a pas cherché les magasins qu'on apprécie et on s'est juste contenté d'aller au plus près. Vingt kilomètres de route de montagne.

    Zone commerciale, des voitures dans tous les sens. Quand on a vécu quatre ans dans la Creuse, on en oublie qu'il ne faut surtout pas "descendre" en ville un samedi matin... Erreur d'ermites. Et là, déjà, on a commencé à se sentir mal, oppressés. 

    Magasin de bricolage, on savait ce dont on avait besoin, pas question de faire toutes les allées mais quand on passe du petit magasin local en zone rurale à un magasin de bricolage de grande surface, le choc est rude. Des gens qui déambulent dans les allées, à se demander s'ils savent pour quelles raisons ils sont là. On regarde les panneaux affichés en hauteur pour trouver le rayon qui nous intéresse. On est effaré de tout ce qui est à vendre, tous les rayons débordent de produits, les allées sont étroites et à chaque extrémité, des produits "soldés" sont présentés. On finit par passer à la caisse et on s'enfuit.

    Episode 2, le cauchemar. On entre dans un "hyper", incapables de retrouver dans nos mémoires notre dernier passage dans ce genre de lieu. Et là, c'est bien plus qu'un malaise, on bascule dans l'oppression, la sensation d'enfermement, l'étouffement. Cette profusion de produits est totalement folle, on passe au pas de charge dans les rayons boucherie, charcuterie, poissonnerie, plats préparés, des milliers d'animaux morts, des allées qui doivent faire trois kilomètres de long, avec des étagères de cent mètres de haut et des gens qui se grimpent les uns sur les autres pour attraper les produits "en promotion". Mais qu'est-ce qu'on fait là ? C'est quoi ce monde ? Qui sont tous ces gens, que font-ils là, à discuter, à regarder toutes les étiquettes, à ouvrir des compartiments, avec des caddies déjà remplis ? Et où sont les fruits et légumes ? On a juste besoin de quelques légumes. Pourquoi est-on entré ici ? C'est une jungle. Il faut qu'on sorte avant de perdre connaissance.

    On avait des cartons à déposer à la ressourcerie, des objets que les anciens propriétaires ont laissés et qui ne nous serviront pas. On reprend la route, on cherche, on suit attentivement le GPS vocal sur mon smartphone, on voit en une matinée plus de monde qu'en un mois dans la Creuse...On trouve enfin le lieu, on dépose nos cartons et on s'enfuit.

    La nausée.

    On remonte en altitude. 

    On savait déjà que nous n'étions pas "normaux". Mais on n'imaginait pas que c'était à ce point-là.

  • Trump et la décroissance

    Finalement, Trump, le climatoseptique, ne sera-t-il pas le meilleur allié du climat en effondrant l'économie mondiale ?

     

    2 400 milliards de dollars évaporés : jeudi noir à Wall Street après Trump

     

    La Bourse de New York a connu sa pire journée depuis la crise du Covid-19. Les investisseurs craignent une guerre commerciale et une récession mondiale.

    Par P.B. avec Reuters

    Publié le 04/04/2025 à 02h54

    Temps de lecture : 2 min

     

    Le grand plongeon. La Bourse de New York a dévissé, jeudi, enregistrant sa pire journée depuis juin 2020, en pleine pandémie, alors que les droits de douane annoncés la veille par le président américain Donald Trump ont exacerbé les craintes d'une guerre commerciale totale et d'une récession économique à l'échelle mondiale.

     

    Dans le détail, l’indice Dow Jones a cédé près de 4 %, soit 1 679 points, le S & P 500 a reculé de 4,8 % et le Nasdaq, l’indice des valeurs technologiques, a chuté de presque 6 %. Au total, quelque 2 400 milliards de dollars de valorisation boursière ont été effacés parmi les 500 principales entreprises cotées.

    Les Big Tech et les banques massacrées

    Alors que l'essentiel de sa production d'iPhone est basé en Chine, Apple a chuté de 9,2 %, du jamais-vu sur une séance en cinq ans pour la firme à la pomme. L'entreprise doit au total faire face à des droits de douane cumulés de 54 % : 34 % de droits réciproques imposés à Pékin, auxquels s'ajoutent des droits préexistants de 20 %. Le géant du commerce en ligne Amazon a également plongé de 9 % et le fabricant de puces graphiques Nvidia de 7,8 %.

    À LIRE AUSSI Tarifs douaniers : le scénario noir d'une « Trumpcession » pour l'économie mondiale

    Les détaillants ont particulièrement reculé, à l'image de Nike et Ralph Lauren, en repli respectivement de 14,4 % et 16,3 %, dont les principaux sites de production sont situés au Vietnam, en Indonésie et en Chine, trois pays visés par d'importants droits de douane américains.

    Les grandes banques américaines comme Citigroup et Bank of America et JPMorgan Chase & Co, particulièrement sensibles aux risques économiques, ont toutes perdu entre 7 % et 12 %.

    40 % de risque de récession

    « Les droits de douane annoncés par Donald Trump posent un risque important pour l'économie mondiale dans un contexte de croissance atone », a déclaré la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI). Kristalina Georgieva a estimé dans un communiqué qu'il était important d'éviter les mesures qui pourraient affecter davantage l'économie mondiale et a appelé les États-Unis et leurs partenaires commerciaux à travailler de manière constructive pour réduire les tensions.

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    Si les droits de douane sont maintenus, « les risques de récession augmenteront probablement de manière significative », a indiqué Deutsche Bank dans une note, tandis que Bank of America a souligné que l'économie pourrait être poussée « au bord de la récession ». « Notre indicateur de probabilité implicite de récession basé sur le marché boursier suggère que les actions intègrent déjà (environ) 40 % de probabilité d'une récession d'ici la fin de l'année », ont écrit les analystes de HSBC.

    En six semaines, le S & P 500 a perdu 12 %, impactant directement la retraite par capitalisation de millions d’Américains. Donald Trump a réagi à bord d’Air Force One : « C’est ce à quoi on s’attendait. C’était un patient malade. Il a subi une opération. Mais l’opération est terminée. Et maintenant, on le laisse se stabiliser. »

  • Coupes rases.

    Depuis quatre ans qu'on est là, on n'a jamais vu autant de coupes rases. On marche beaucoup, on court dans les bois, on roule à VTT et à vélo de route. Il n'y a pas une sortie où on tombe sur des zones ravagées. Ne pas entendre un concert de tronçonneuses, c'est devenu rare. A croire que tous les "exploitants" forestiers du pays sont ici.

    Demain, on part, on a vendu la maison. On change de région. Ici, dans dix ans, il n'y aura plus de forêts, de vraies grandes et riches forêts. Il n'y a aura que des plantations de résineux. 

    On recommence tout à zéro. On laisse 350 m² de potager, une mare et plus de deux-cents plantations.

     

    "C’est pas de la gestion forestière, c’est du pillage" : en Creuse, l'association Canopée dénonce les coupes rases

    Ce mardi, l’association Canopée est passée par la Creuse et les coupes rases qui sévissent à Châtelus-le-Marcheix et laissent les habitants dans un profond désarroi.

     

    Article réservé aux abonnés

    Par Julie Ho Hoa

    Publié le 25 mars 2025 à 20h16 • 

    A Châtelus-le-Marcheix, dans l'ouest de la Creuse, plusieurs coupes rases ont défiguré le paysage. Le même constat est fait dans le reste du département. © BARLIER Bruno

    « Ça  me donne envie de pleurer, franchement. » Régine Foltzer n’ose même pas se retourner vers la coupe rase qu’elle est venue dénoncer. Un pan de massif épluché à perte de vue, des sols retournés jusqu’aux rives du Thaurion qui coule en contrebas. Pas loin d’une dizaine d’hectares d’une forêt de feuillus coupée à blanc sur des parcelles appartenant « à un groupement forestier, des gens qui n’habitent même pas là ».

    @Bruno Barlier

    Les premières coupes ont eu lieu il y a un an et depuis « ça s’amplifie. Dans tous les coins de la commune et partout autour, partout sur la Creuse », constate cette habitante de Châtelus-le-Marcheix et ancienne adjointe. Elle a profité du passage en Creuse du chargé de campagne forêts françaises de Canopée, Bruno Doucet, pour organiser un rassemblement sur cette coupe rase « d’une ampleur impressionnante ».

    Une forêt entière de feuillus destinée au chauffage et au papier

    En longeant les grumes de chênes et de hêtres de bons diamètres, on croise les estampilles « CBB » (pour Comptoir des bois de Brive, filiale de découpe de Sylvamo), « tritu » (pour trituration c’est-à-dire broyage) ou encore « chauffage ». Ce bois est sans doute destiné, en grande partie, à l’usine papetière de Saillat-sur-Vienne (Haute-Vienne), une autre partie à faire des plaquettes ou des granulés.

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    @ Bruno Barlier

    @ Bruno Barlier


     

    « J’ai vu qu’il y avait un petit peu de hêtres, beaucoup de chênes, quelques résineux aussi plus bas. C’était une forêt qui était mélangée, qui est venue naturellement il y a peut-être 60-80 ans. Donc c’est le genre de forêt que l’on peut tout à fait améliorer, sans la détruire, avec d’autres pratiques sylvicoles », explique Bruno Doucet.

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    Châtelus-le-MarcheixEconomieEnvironnement

     

  • L'ouragan Rachid

    Humour ^^

    C'est très bien interprété et les dialogues sont ciselés.

     

     

  • L'individuation : Carl Gustav JUNG

    Quote individuation is to divest the self of false wrappings carl jung 141 0 024

     

    Je m'intéresse beaucoup au peuple Kogis et eux ne disent pas qu'il s'agit de devenir "adultes" mais de devenir "des êtres humains" quand nous ne sommes pour l'instant que des hommes et des femmes. Ils nous appellent d'ailleurs "les petits frères" ce qui sous-entend comme Jung que nous devons grandir.

     

     

    « S’il répugne à ce point à devenir conscient du problème, c’est que cela exigerait de mettre en cause cette image de la Terre inépuisable et de “s’expliquer” avec un des archétypes les plus puissants qui soient, celui de la Mère. […] Alors, nous devons nous assumer, seuls, être réellement conscients, adultes. »

    — Carl Gustav Jung, La voie des profondeurs

    Ecole Jungienne de Psychanalyse Animiste - EJPA

     

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    Devenir adulte : pourquoi l’individuation est devenue une urgence planétaire

    Il est des mots qu’on relègue, trop vite, aux marges de la pensée. Parce qu’ils semblent appartenir à une époque plus lente, ou à des sphères plus intimes. Le mot individuation fait partie de ceux-là. Long, peu sonore, presque austère, il ne séduit pas d’emblée. Il ne fait pas frémir les foules. Il n’a rien d’un mot à la mode. Il parle d’un travail intérieur, patient, profond — tout ce que notre monde, saturé de bruit et de vitesse, apprend à fuir.

    Et pourtant, c’est peut-être l’un des mots les plus essentiels de notre temps.

    Carl Gustav Jung l’écrivait déjà avec force : l’individuation n’est pas un luxe réservé aux « belles âmes », ni un privilège d’initiés. Ce n’est pas une coquetterie psychologique, ni une quête réservée à ceux qui ont « du temps pour eux ».

    C’est une nécessité vitale.

    Vitale pour l’individu, bien sûr, qui a besoin de devenir un être entier, en lien avec ce qu’il porte d’unique et de profond. Mais vitale aussi pour le monde.

    Car sans êtres individués, aucune évolution véritable n’est possible.

    On voudrait croire encore que les solutions viendront d’en haut : des décisions politiques, de la science, d’une technologie salvatrice. On voudrait croire qu’un jour, le monde se réveillera, comme par enchantement, unifié, solidaire, raisonnable.

    Mais cette croyance est une illusion dangereuse. Elle nous dispense de la transformation à faire en nous.

    Le réel, lui, ne cesse de nous alerter.

    Les signes sont là : l’épuisement des ressources, la disparition des espèces, les dérèglements climatiques. Un monde qui s’effondre lentement, et un autre qui peine à naître.

    Nous le savons — et pourtant nous agissons comme si nous ne savions pas.

    C’est là que le regard de Jung devient éclairant. Il ne s’arrête pas aux comportements, ni aux discours. Il va chercher la racine inconsciente, celle qui anime secrètement notre rapport au monde.

    Et ce qu’il pointe, c’est un archétype non intégré : celui de la Grande Mère — la Nature comme source inépuisable, comme matrice fertile et indulgente. Cet archétype est puissant, ancien, fondamental. Il a nourri l’imaginaire de l’humanité pendant des millénaires. Mais aujourd’hui, il est devenu piégeant.

    Tant que nous projetons sur la Terre l’image d’une mère toute-puissante, qui pourvoit sans jamais faillir, nous restons dans une posture d’enfant.

    Un enfant qui prend, sans penser aux conséquences. Un enfant qui exige, sans mesurer les limites.

    C’est cela que l’individuation vient renverser.

    Car s’individuer, ce n’est pas s’isoler. Ce n’est pas se retirer du monde dans une tour d’introspection.

    C’est au contraire entrer dans une responsabilité vivante, c’est oser faire face à ce qui nous habite, et en tirer les fruits les plus clairs.

    C’est quitter la dépendance à l’archétype maternel pour devenir un adulte psychique : capable de discernement, de choix, de fidélité à soi-même.

    Ce n’est pas un chemin confortable. Il demande du courage. Il demande de traverser ses zones d’ombre, d’assumer ses contradictions, d’écouter ses rêves, ses peurs, ses intuitions.

    Mais c’est le seul chemin qui rende le monde habitable autrement.

    À ce titre, l’individuation n’est pas une option secondaire.

    Elle est devenue, comme l’écrit Jung, « la condition sine qua non de la survie de l’espèce ».

    Ce sont les êtres individués qui résistent aux propagandes, aux fanatismes, aux engourdissements de masse.

    Ce sont eux qui tiennent debout quand tout vacille.

    Ce sont eux, aussi, qui peuvent faire émerger des formes nouvelles de présence au monde — des formes qui ne soient plus fondées sur la prédation, mais sur la coopération, l’écoute, le respect du vivant.

    Christiane Singer disait qu’il y a, au cœur de chacun, un lieu inviolable, un sanctuaire où « quelque chose ne meurt pas ».

    C’est ce lieu-là que le travail d’individuation permet de rejoindre.

    Et ce lieu, aujourd’hui, est notre ressource la plus précieuse.

    Il ne s’agit pas de réparer la Terre comme on colmate une fuite. Il s’agit d’aimer autrement. D’entrer en relation avec le monde depuis un autre endroit.

    Moins enfantin. Moins exigeant. Plus humble.

    Plus libre, aussi.

    Alors oui, il faut le redire, avec des mots simples mais graves :

    notre époque a besoin de femmes et d’hommes qui acceptent de devenir adultes.

    Non pas dans un sens moral ou civique, mais dans un sens symbolique, psychique, spirituel.

    Des êtres reliés. Intérieurs. Lucides.

    Non pas parfaits, mais engagés.

    Capables de faire silence en eux, pour mieux entendre ce qui appelle, ce qui meurt, ce qui espère.

    Le monde n’attend plus d’idées. Il attend des êtres.

    Et l’individuation est peut-être le plus grand acte politique et poétique qu’il nous reste à accomplir.

    « S’il répugne à ce point à devenir conscient du problème, c’est que cela exigerait de mettre en cause cette image de la Terre inépuisable et de “s’expliquer” avec un des archétypes les plus puissants qui soient, celui de la Mère. […] Alors, nous devons nous assumer, seuls, être réellement conscients, adultes. »

    — Carl Gustav Jung, La voie des profondeurs

  • JARWAL LE LUTIN : sur la peur

     

     

    Puisque la peur est un sujet récurrent et que ça n'est pas prêt de se calmer, il reste toujours la possibilité de lire ce qu'en dit Jarwal: )

    Jarwall le gardien du livre

    "Ils avancèrent avec les mêmes précautions, les sens aux aguets, suspendus au silence oppressant. Ils débouchèrent soudainement au bord d’un puits opaque. Un gouffre de ténèbres. Jarwal pointa son doigt vers le fond et n’aperçut qu’un vide insondable dans les rougeurs coulantes.

    « Sept mètres de large, précisa Maïeul. Mais pour le fond, je ne sais pas. Déjà huit mètres pour ce que ton doigt éclaire Jarwal.

    -Merci pour ces mesures, Maïeul. »

    Jarwal plongea une main dans sa besace et en sortit un petit sac noué par un lacet. Il le libéra et fit couler dans sa main une poignée de graines.

    « L’occasion rêvée pour vérifier une de mes préparations. On peut supposer qu’au fond de ce trou, il y aura un peu de terre. Ça devrait suffire. »

    Il demanda aux enfants de reculer de quelques pas.

    « Les incantations sont puissantes et il est préférable de ne pas être dans leur champ immédiat. »

    Le lutin se dressa au bord du gouffre. Il tendit la main portant les graines.

    « Helichryse, Gaulthérie, Lentisque, Ravintsara, Callophylum, Rejoignez les forces de la Terre et venez-nous en aide. »

    Jarwal vida le précieux chapelet. Personne n’entendit les graines atteindre le fond. Le lutin rejoignit ses compagnons. Ils perçurent alors quelques grattements, comme des rongeurs œuvrant à une mission d’exploration, des fouilles minutieuses puis des craquements de tiges, comme des croissances vives, des entrelacs de lianes, des racines fouissant l’humus, des frondaisons fracassantes.

    Jarwal tendit le doigt pour éclairer l’espace circulaire et les enfants virent apparaître dans une arabesque frénétique des lacis de feuillages entremêlés, des réseaux de branches grossissant à vue d’œil, s’embrassant comme une foule bigarrée et joyeuse, un mélange hirsute dansant des farandoles endiablées, dénouant des tiges comme des pollens de pissenlit dans la brise, une sarabande passionnée, des étreintes enflammées de ramures colorées.

    Le lutin attendit que les croissances se calment, que les branches s’épaississent au seuil du trou, que les arborescences fusionnent jusqu’au-dessus de leurs têtes et il invita ses amis à le suivre. Il s’engagea en équilibre sur les branches croisées et tendit la main.

    Adeline, aidée par sa vision nocturne, s’élança la première. Hoel aida Florie à saisir un bois épais et tous les autres enfants suivirent le même itinéraire.

    Arrivés au centre du puits, les pieds et les mains œuvrant à l’avancée, les corps cheminant ardemment dans le fouillis végétal, dominant les noirceurs sinistres, quelques murmures s’éveillèrent, des échanges de craintes dans le chambardement inextricable qui gênait la progression.

    « J’ai vu quelque chose qui rampait.

    -Moi aussi, je crois bien, mais ça sautait plutôt.

    -Et moi, ça grimpait vers nous. »

    Les regards affairés vers les profondeurs ténébreuses.

    « Là, un serpent ! cria Adeline.

    -Là, des rats ! ajouta Maïeul, soixante-douze exactement !

    -Moi, je vois des scarabées, quelle horreur ! cria Thibaud. Ah ! je hais les scarabées ! Vite, vite, il faut sortir de là ! »

    Jarwal, occupé à trouver un passage praticable, n’avait pas la possibilité de regarder précisément et il s’efforçait d’entraîner derrière lui les enfants paniqués. Il atteignit le bord opposé et scruta les abysses encombrés. Les branches grouillaient de bêtes, serpents, araignées, scarabées, rats, rongeurs de toutes sortes, un mélange hétéroclite et incompréhensible qui montait inexorablement. Hoel s’activait de son mieux pour sortir ses compagnons du puits.

    « Il n’y a rien, les enfants, ce sont vos peurs ! Vous faites apparaître ce que vous redoutez, reprenez-vous ! »

    Florie s’extirpa des lacis et se dressa immédiatement devant le puits. Les enfants passèrent un à un dans son dos et reculèrent dans l’ombre.

    « Vous n’êtes pas les bienvenus, chers amis, lança la petite fille en s’adressant aux ribambelles d’animaux grimpant vers eux. Vous n’avez rien à faire là. Excusez mes amis, ils se sont trompés. Je sais bien que vous n’êtes pas dangereux. Ce sont les peurs de mes amis qui vous énervent, vous n’y êtes pour rien. Pardonnez-leur, je vais leur expliquer, vous pouvez retourner chez vous, ils ne vous dérangeront plus. »

    Les serpents, les rats, les légions de scarabées et d’araignées velues se figèrent sur place, comme saisis par les paroles. Les éclaireurs firent demi-tour et entraînèrent dans leur mouvement de repli l’ensemble des troupes. En quelques secondes, les branches furent vidées de toutes présences animales.

    L’immobilité des plantes instaura le silence.

    Florie rejoignit ses compagnons en souriant.

    « Ils ne sont pas méchants, vous savez. Mais ça les met en colère quand on a peur d’eux, c’est comme s’ils ne pouvaient pas s’empêcher de faire comme on pense. Alors, ils font peur.

    -Merci Florie, pour ton aide, ajouta Jarwal. Je suis exactement du même avis que toi. J’ajouterais même que le phénomène inverse est tout aussi vrai. Si on les aime, ils ne peuvent pas s’empêcher de nous aimer aussi. »

    Les autres enfants écoutèrent attentivement.

    « Ce sont nos pensées qui font tout ça ? demanda Thibaud.

    -Ce sont elles qui créent la réalité à laquelle tu crois. C’est ça l’essentiel Thibaud. Et ta réalité n’est pas celle des autres. La réalité d’un scarabée pour Florie, c’est un remarquable insecte, solide, opiniâtre, persévérant, d’une force herculéenne pour sa taille. Ton regard n’est pas le sien et dès lors, ta réalité n’est pas la même. Pourtant, il y a une vérité identique, au plus profond, au cœur de cette vie de l’insecte, comme de tout ce qui existe. C’est l’énergie créatrice. C’est la seule réalité. Mais, c’est justement celle qu’on ne parvient pas tous à voir. C’est là tout le drame de la vie des humains.

    -Et tu la vois cette énergie ? demanda Florie.

    -Oui, chère enfant. Je suis un lutin. J’ai appris des choses différentes de vous. Nous n’avons pas les mêmes objectifs que les humains. Ce qui nous importe, c’est d’être au cœur de la vie comme elle est au cœur du nôtre. »

    Le silence dans le petit groupe, comme une concentration des pensées, le saisissement de l’essentiel.

    « Moi, je la vois cette énergie, » annonça une voix menue.

    La seule enfant qui ne s’était pas encore présentée. Jarwal éclaira le doux visage, des yeux si pénétrants qu’il en fut troublé, un sourire énigmatique, comme une âme ancienne qui s’amusait de son enveloppe juvénile.

    « Je m’appelle Ysaline.

    -Que vois-tu, chère enfant ? demanda le lutin.

    -Des bulles qui pétillent comme l’eau d’un torrent. Et le courant ne diminue jamais.

    -Où vois-tu ces bulles Ysaline ?

    -Partout. Dans toi, et les autres, et les branches, et les animaux, et les pierres, tout, partout. Elles pétillent tout le temps, elles virevoltent comme des flocons, c’est beau. »

    Cette émotion en lui, Jarwal ne l’oublierait jamais. Il s’approcha et posa un baiser sur le front de la petite.

    « Tu es un trésor Ysaline. »

    L’enfant lança un rire cristallin.

  • L'amnésie environnementale (2)

     

    La suite d'un ancien article à retrouver ici : L'amnésie environnementale

    EnquêteNature

    L’amnésie environnementale, clé ignorée de la destruction du monde

     

    https://reporterre.net/L-amnesie-environnementale-cle-ignoree-de-la-destruction-du-monde

    L'amnésie environnementale, clé ignorée de la destruction du monde

    Le climat se réchauffe, la biodiversité s’effondre, mais il est pourtant difficile de prendre conscience de l’ampleur de la crise environnementale. La raison ? Notre amnésie environnementale. Analyse d’un mécanisme psychologique essentiel mais ignoré.

    En fermant les yeux, on pourrait presque avoir l’impression d’être à la campagne. À une dizaine de mètres de la route principale, on peut encore entendre quelques grillons chanter dans les herbes hautes qui ont survécu à l’asphalte. De rares chardons griffent les pieds des passants. Le passage d’un poids lourd ou le bruit strident d’un avion au décollage ramènent cependant rapidement les visiteurs de la zone d’aménagement concerté (ZAC) des Tulipes à la réalité. Située dans le Val-d’Oise, à quelques kilomètres de l’aéroport du Bourget, cette zone industrielle s’étend sur près de 80 hectares. D’immenses entrepôts grillagés s’y étalent à perte de vue, entrecoupés par de longues artères bétonnés. Seul le ballet des camions et des voitures brise la monotonie du lieu.

    Il y a un demi-siècle, l’aspect de ce terrain, situé à cheval entre Gonesse et Bonneuil-en-France, était pourtant bien différent. Un habitant de la commune voisine de Villiers-le-Bel, âgé de 64 ans, se rappelle les « millions et millions de tulipes » qui y poussaient dans son enfance. Avant que ces champs ne soient recouverts de bureaux et de bâtiments logistiques, il allait souvent y cueillir des fleurs, ou jouer à attraper des musaraignes. Mireille et son mari, artisans traiteurs à Gonesse, se souviennent également avec émotion de cette époque. « C’était impressionnant, raconte Jacques. À mon arrivée en 1979, ça m’avait fait drôle de voir des tulipes partout. » Des plantations de fleurs sur lesquelles elle a été construite, la ZAC n’a gardé que le nom. En à peine deux générations, ces champs de tulipes ont complètement disparu de la mémoire collective des riverains. À Gonesse, la plupart des adultes ont seulement vaguement entendu parler de cette période. Les adolescents, quant à eux, expliquent « ne rien savoir » sur le passé agricole de la ZAC.

    La ZAC des Tulipes, à Gonesse.

    Cet oubli progressif de l’histoire environnementale des environs de Gonesse s’apparente à ce que le psychologue américain Peter H. Kahn nomme « l’amnésie environnementale », c’est-à-dire l’acclimatation des êtres humains, au fil des générations, à la dégradation de leur environnement. Au fur et à mesure que nos relations avec le vivant s’étiolent, nous l’intégrons de moins en moins dans notre cadre de référence. Nous finissons ainsi par considérer comme « normal » un état de dégradation environnemental avancé, explique Anne-Caroline Prévot, directrice de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et biologiste de la conservation au Muséum national d’histoire naturelle. Le biologiste marin Daniel Pauly parle quant à lui de « syndrome de la référence changeante ». Il a forgé ce concept en 1995 après avoir remarqué que les chercheurs spécialistes de la pêche prenaient comme référence scientifique la taille et la composition du stock de poissons du début de leur carrière. « Chaque génération de chercheurs oubliait que cet état qu’elle considérait comme normal était déjà dégradé par rapport aux générations précédentes, ce qui avait comme conséquence d’empêcher une prise de conscience globale de l’érosion de la biodiversité marine », précise Anne-Caroline Prévot, directrice de recherche au CNRS.

    La zone industrielle des Tulipes s’étend sur près de 80 hectares.

    On cultivait des roses à Fontenay-aux-Roses, des pêches à Montreuil, des ananas dans les serres du château de Choisy-le-Roi…

    En région parisienne, par exemple, un grand nombre de territoires fortement urbanisés étaient autrefois des hauts lieux de l’agriculture française. Au 18e siècle, explique Jan Synowiecki, historien et auteur d’une thèse sur l’histoire environnementale de Paris à l’époque moderne, « le paysage était majoritairement rural et alternait entre des espaces de céréaliculture, des villages, des pépinières et des jardins potagers ». On cultivait des roses à Fontenay-aux-Roses, des pêches à Montreuil, des ananas dans les serres du château de Choisy-le-Roi… « Les environs de Paris étaient remplis de pépinières. On y commercialisait des graines et du végétal de façon massive, qui approvisionnaient ensuite tout le royaume de France. » Les espaces de nature productive ont progressivement régressé à Paris et en proche banlieue tout au long du 19e siècle. Comme le rappelle Thomas Cormier, urbaniste à l’Institut Paris Région, l’urbanisation de la région parisienne, qui a commencé en 1920 et s’est fortement accélérée dans les années 1950, a progressivement eu raison de la majorité des espaces agricoles. Au fil du temps, ces derniers ont disparu de notre mémoire collective. Peu de Franciliens se rappellent que l’on pouvait autrefois chasser la bécassine dans le quartier du Marais, ou entendre des oiseaux chanter dans les champs de blé de la Butte-aux-Cailles. « Ces références font désormais partie du folklore, analyse Philippe J. Dubois, ornithologue et auteur de La grande amnésie écologique (éd. Delachaux et Niestlé, 2015). On finit par oublier que ces territoires étaient autrefois bien plus riches en biodiversité. »

    Les murs à pêches à Montreuil (Île-de-France) au début du 20e siècle.

    Cette amnésie tient avant tout au manque de transmission de notre mémoire environnementale, selon Philippe J. Dubois. Il évoque l’exemple d’un ingénieur agronome franc-comtois qu’il a rencontré au cours de ses recherches. Fils et petit-fils d’agriculteur, il ignorait tout de la fémeline, une race de vaches pourtant emblématique de la région, aujourd’hui disparue. Son grand-père, qui avait dû bien la connaître, n’en avait probablement jamais parlé à ses descendants. « En seulement deux générations, la fémeline avait totalement disparu de la mémoire collective », déplore-t-il. Selon lui, les individus ayant un contact intime avec le vivant sont parfois trop accablés par les changements qu’ils observent pour en parler à leurs enfants. Résultat : nous oublions peu à peu des éléments constitutifs de notre environnement, accélérant ainsi sans le vouloir sa dégradation.

    On peut ne pas remarquer que les hirondelles que l’on voyait dans notre enfance ont disparu

    L’amnésie environnementale n’est pas uniquement générationnelle : nous pouvons également en souffrir sur des échelles de temps beaucoup plus courtes, selon Philippe J. Dubois. En seulement quelques dizaines d’années, nous pouvons nous accommoder de la disparation de ce qui faisait notre environnement proche. Cela tient au fonctionnement de notre cerveau, selon le chercheur. « À l’image d’un ordinateur, notre cerveau fait continuellement des mises à jour de notre perception du monde en écrasant la version précédente. Si l’on n’est pas très attentif au vivant et à ses évolutions, on peut très vite oublier ce à quoi il ressemblait. »

    Une zone industrielle a remplacé les champs de tulipes.

    Si l’on n’a jamais vraiment prêté attention aux autres êtres vivants, par exemple, on peut ne pas remarquer que les hirondelles que l’on voyait dans notre enfance ont disparu, explique le chercheur. Le culte que notre société voue à l’immédiateté joue également contre notre mémoire : « Nous n’avons plus le temps de fixer notre attention sur des éléments qui montrent que les choses changent. On le voit avec le réchauffement climatique : les canicules sont toujours perçues comme exceptionnelles, alors qu’elles se multiplient depuis plusieurs années. »

    Afin de lutter contre l’oubli, l’importance d’« entrer en expérience avec la nature »

    L’amnésie environnementale a pourtant des conséquences « terrifiantes », selon les mots de Philippe J. Dubois. D’abord parce qu’elles nous rend indifférents à la dégradation de nos relations avec le vivant, et donc de notre qualité de vie, mais également parce qu’elle étouffe toute possibilité de changement, selon Anne-Caroline Prévot. « Si les communautés humaines ne pensent pas que la dégradation de l’environnement est importante car elles n’y font pas attention, il n’y a pas de raison que les politiques ou les institutions s’en chargent », explique-t-elle.

    «  L’éducation à l’environnement est primordiale.  »

    Afin de lutter contre cet oubli et ses effets délétères, la biologiste souligne l’importance de ce qu’elle appelle « entrer en expérience avec la nature » : « Il est important de prendre conscience de la relation que l’on a et que l’on a envie d’avoir avec la nature, d’en parler et de partager ses souvenirs. » « L’éducation à l’environnement est primordiale, ajoute Philippe J. Dubois. Elle devrait être une discipline à part entière, enseignée dès la maternelle. » Selon lui, renforcer l’éducation à l’environnement au sein des écoles pourrait permettre aux plus jeunes « d’ouvrir les yeux » sur le reste du vivant, et ainsi d’éviter qu’ils ne deviennent amnésiques. Accorder davantage d’importance à l’histoire de la biodiversité et de notre relation au monde est également essentiel, selon lui, « afin d’éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets ». Il ne s’agit pas uniquement, selon le chercheur, d’affubler les territoires dégradés de noms faisant allusion à leur passé, mais de conserver des traces concrètes de leur richesse environnementale. À la ZAC des Tulipes, par exemple, trop peu d’éléments permettent aux jeunes générations de se faire une idée de l’aspect historique de la région, et donc d’imaginer une alternative à ces alignements d’entrepôts sans âme : « Ce qu’il aurait fallu, c’est garder un petit bout de champ, qui aurait pu montrer qu’il s’agissait auparavant d’un lieu de culture de tulipes. »

    Prendre conscience de notre amnésie environnementale et de la dégradation historique du vivant peut être difficile à vivre, prévient Philippe Dubois. Elle conduit souvent à éprouver de la solastalgie, c’est à dire le sentiment douloureux de se trouver dans un environnement qui n’est plus le sien. Cette expérience est pourtant essentielle, selon le chercheur. « C’est en ayant des connaissances sur le passé que l’on peut prendre des bonnes mesures, préserver ce qui est préservable et éviter l’effondrement du vivant. La nature est comme un tsunami : la grande vague destructrice est souvent précédée de petites vagues annonciatrices. Si l’on oublie notre passé environnemental, le réveil sera d’autant plus difficile. »

  • Economie de guerre

    Pour bien comprendre dans quoi nous sommes entrés.

     

    Aux Forges de Tarbes, les commandes européennes dopent la fabrication d'obus

    information fournie par AFP •17/03/2025 à 19:43

    Un salarié fabrique des corps d'obus aux Forges de Tarbes, le 17 mars 2025 ( AFP / Ed JONES )

    Un salarié fabrique des corps d'obus aux Forges de Tarbes, le 17 mars 2025 ( AFP / Ed JONES )

    Les Forges de Tarbes, au bord de la liquidation en 2021, ploient sous les commandes, avec comme principal enjeu, augmenter la cadence de production des corps d'obus de 155 mm destinés à l'Ukraine et au réarmement des forces européennes.

    A Tarbes, sur le site de la société française Europlasma qui y emploie 80 salariés, l'objectif est de doubler le volume de production. C'est le seul centre de production en France de ces corps creux, qui sont ensuite envoyés à la société KNDS (ex-Nexter) qui dote les obus de leur charge explosive.

    "Nous sommes passés d'une production quasi à l'arrêt en 2022 à pas loin de 60.000 corps d'obus en 2024. En ce moment, notre rythme hebdomadaire est de 2.000 obus par semaine et on a l'ambition à la fin de l'année d'en produire 15.000 par mois", précise à l'AFP Jérôme Garnache-Creuillot, PDG d'Europlasma.

    Les Russes, eux, produisent 50.000 obus par jour, observe-t-il à titre indicatif.

    A Tarbes, Europlasma fabrique des obus de "155 mm standard Otan" et de "152 mm standard Pacte de Varsovie" pour des pays de l'est.

    - Pas seulement en Ukraine -

    La guerre en Ukraine depuis 2022 et les récents projets de réarmement européen invitent les industriels à redimensionner leur outil de production.

    Des corps d'obus entreposés dans les "Forges de Tarbes" le 17 mars 2025 ( AFP / Ed JONES )

    Des corps d'obus entreposés dans les "Forges de Tarbes" le 17 mars 2025 ( AFP / Ed JONES )

    Les obus pour l'Ukraine représentent une part importante de la production, mais l'activité ne dépend pas seulement du conflit entre Moscou et Kiev. Europlasma fait savoir qu'un des derniers contrats signés l'a été avec la République tchèque, pour 50.000 corps d'obus, dont 31.000 à livrer en 2025.

    La capacité des Forges de Tarbes pourra être poussée au maximum à 20.000 obus par jour, estime le PDG d'Europlasma. Ces projectiles sont utilisés par les canons français Caesar qui se sont imposés sur le champ de bataille ukrainien contre la Russie.

    "L'idée c'est de produire aux Forges de Tarbes et demain, d'être en mesure de fabriquer des obus de gros calibre à Valdunes", dans le département du Nord, où Europlasma a racheté en 2024 le dernier fabricant français de roues de trains, en faillite.

    L'entreprise est par ailleurs candidate à la reprise des Fonderies de Bretagne, sous-traitant du groupe automobile Renault implanté à Caudan (Morbihan), où elle envisage de produire chaque jour plus de 20.000 obus de moyen calibre (120 mm). "On pense que cela peut élargir la gamme de produits et capitaliser sur le modèle de l'industrie automobile", explique M. Garnache-Creuillot. "Avec le monde de l'auto, on a accès à des lignes de production automatisées, on change d'échelle. D'un point de vue stratégique, il y a un vrai enjeu".

    - Main d'oeuvre rare -

    Aujourd'hui, pour monter en puissance, les Forges de Tarbes se heurtent à des difficultés de recrutement et d'acquisition de machines-outils.

    "On a du mal à trouver de la main d'oeuvre qualifiée ou très qualifiée, on manque de chaudronniers, de forgerons, de soudeurs", regrette le PDG d'Europlasma.

    Pour les machines et les moules permettant de fabriquer les ogives, ce sont surtout les délais de livraison qui sont en cause, souvent doublés en ces temps de forte demande.

    Depuis le début du conflit, la France a livré 30.000 obus de ce type à Kiev, et l'objectif pour 2025 est d'en livrer 80.000 unités, indiquait le ministère français des Armées en janvier.

    "Il nous faut une augmentation très rapide des capacités de défense européennes. Et il nous la faut maintenant!" a lancé mardi la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen devant le Parlement européen à Strasbourg.

    L'Europe produit désormais près de deux millions d'obus par an, contre 300.000 à 400.000 avant la guerre en Ukraine, observe Léo Peria-Peigné, spécialiste de l'armement et de l'industrie de défense à l'Institut français des relations internationales (IFRI). "Il y a une volonté de montée en puissance qui est énorme. La demande est potentiellement forte, si on passe du discours aux actes, les besoins vont augmenter", estime le chercheur.