Armes de destruction massive. (école)
- Par Thierry LEDRU
- Le 05/01/2016
- 0 commentaire
Destruction planifiée et à grande échelle.
Aujourd'hui, j'en arrive à m'amuser à la lecture de ces multiples articles qui fleurissent sur l'école. En février, ça fera deux ans que j'ai quitté ma classe et tout le monde, collègues enseignants et "institution" ne voyaient dans mes propos alarmistes que les délires d'un esprit cloisonné dans "une grande confusion mentale".
Mort de rire, comme disent les "D'jeuns"
La révolution scolaire de Najat Vallaud-Belkacem
http://www.causeur.fr/reforme-college-najat-vallaud-belkacem-2-36079.html
Najat-Vallaud Belkacem est moins flamboyante que Christiane Taubira, moins « clivante » que la Garde des Sceaux, mais elle ne mène pas moins, avec constance et une réelle habileté manœuvrière, une entreprise révolutionnaire, visant à faire table rase du système éducatif français, pour lui substituer un modèle égalitariste intégral sous prétexte de lutte contre les inégalités produites, ou perpétuées, par ce système.
L’année 2016 sera celle de la mise en œuvre de la réforme du collège, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne suscite pas l’enthousiasme des principaux intéressés, enseignants, parents d’élèves, universitaires et chercheurs dans les disciplines torpillées par la réforme (langues anciennes, allemand, enseignements artistiques…). C’est une réforme foncièrement bureaucratique, conçue et imposée du sommet, pétrie d’idéologie post-bourdieusienne, dont les racines conceptuelles plongent plutôt dans feue la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne du grand timonier Mao Zedong, la terreur en moins, que dans les idéaux émancipateurs de Jules Ferry et Ferdinand Buisson.
Il s’agit de forcer la majorité du peuple, dont le souci principal est de donner à ses enfants une éducation de qualité et les armes du savoir pour affronter le monde qui vient, à accepter le principe d’une école où les meilleurs élèves, les plus doués, seront freinés dans leur progression, pour ne pas laisser ceux qui le sont moins sur le bord du chemin. Les « hussards noirs » de la République, qui se faisaient un devoir de faire accéder à l’élite ceux de leurs élèves qui montraient leur capacité à s’approprier la culture dite bourgeoise, en dépit de leur handicap social, seraient aujourd’hui plus près de la porte que de l’augmentation ! Ce que l’on exige d’eux, désormais, c’est de conduire un « groupe classe » hétérogène au maximum de la performance scolaire atteignable par le moins bon de ce groupe. Cela conduit, bien entendu, à abaisser le niveau d’exigence pour atteindre les objectifs du plan quinquennal, comme on faisait jadis dans le monde soviétique, avec les succès que l’on connaît. La dévaluation du baccalauréat, dont le destin est comparable à celui des assignats de la période révolutionnaire, n’a pas suffi à dissuader les bureaucrates et idéologues de persévérer dans leur projet de nivellement généralisé, initié dans les années 70 du siècle dernier, avec l’instauration du collège unique. Le peuple, cette engeance à qui, décidément, on ne peut jamais se fier, s’est ingénié à utiliser toutes les failles du nouveau système pour saboter la grande idée égalitariste. Il s’est levé en masse, en 1984, pour préserver le reste d’autonomie de l’enseignement privé (recrutement des élèves, enseignements supplémentaires liés au « caractère propre » de l’établissement). L’instauration insidieuse d’une hiérarchie des lycées et collèges a permis à des parents initiés (dont l’immense majorité des enseignants) à ruser avec la carte scolaire par tous les moyens, licites ou à la limite de la légalité, pour placer leurs rejetons dans les bons établissements.
C’est désormais ces failles béantes du système que Mme Vallaud-Belkacem et ses acolytes ont décidé d’obturer. Dans un premier temps, il s’est agi de traquer impitoyablement l’élitisme qui s’était installé, avec la complicité de nombreux chefs d’établissements, au sein de collèges situés dans des ZUS (zones urbaines sensibles). Mission accomplie, avec l’élimination des classes bilangues dès la sixième, des langues anciennes réduites à n’apparaître que dans le cadre des EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) avant d’être complètement abandonnées, comme l’induit la suppression, en 2013, du CAPES de lettres classiques.
Deuxième étape, en préparation, la refonte de la carte scolaire destinée à empêcher la ghettoïsation de certains collèges désertés par les enfants des classes moyennes et supérieures dans les secteurs où coexistent des quartiers populaires (entendez peuplés majoritairement de personnes issues de l’immigration) et des zones pavillonnaires où vivent les classes moyennes. Une louable initiative, qui fait écho à la mobilisation constatée dans certaines localités, où des parents maghrébins et africains réclament un « blanchiment » des collèges pour éviter leur déchéance… Sauf que cette exigence de mixité sociale entre en contradiction avec la philosophie de la réforme du collège, qui donne la primeur à la performance du groupe sur celle des individus. Comment, sauf à pratiquer la coercition, peut-on faire accepter, à des parents aimants et responsables, que leurs enfants soient enrôlés dans une entreprise altruiste (servir, par leur sacrifice, à faire progresser les moins favorisés en capital culturel) au détriment de leur propre éducation ? Najat Vallaud-Belkacem et sa garde rapprochée – la directrice de l’enseignement scolaire Florence Robine, les sociologues Pierre Merle et Agnès Van Zanten – ont beau affirmer péremptoirement que les bons élèves ne perdent rien au change, il existe une limite à l’escroquerie intellectuelle : le bon sens populaire.
Les méthodes employées pour imposer ces réformes n’ont rien à envier au dogmatisme de leur conception. Pour ce que l’on peut en percevoir, car l’éducation nationale est une institution opaque et autoritaire1, la mobilisation des acteurs de la réforme sur le terrain n’est pas optimale. Certes, les moyens classiques de manifester sa grogne, comme l’appel à la grève des syndicats opposés à la réforme n’ont pas eu le succès souhaité par leurs organisateurs. Ceux des enseignants qui ont pu préserver leur pré carré disciplinaire et faire échec aux projets les plus insensés, comme les historiens sauvés par Pierre Nora, ne rejoignent pas les grands blessés des reformes, comme les latinistes et les germanistes. Les parents croient toujours – ils ont tort – que les systèmes de débrouille individuelle, comme la fuite vers le privé, les mettra à l’abri de la tornade égalitariste. Mais la rue de Grenelle doit aujourd’hui faire face à une contestation bien plus dangereuse que celle à laquelle elle est accoutumée : les profs viennent au séances obligatoires de formation en vue de la réforme, mais ils se réfugient dans la passivité, ou dans la révolte verbale, lorsqu’ils s’aperçoivent qu’ils sont, en réalité, soumis à une entreprise de formatage rarement observée dans un régime démocratique. Dans les rectorats, comme celui de Grenoble, on est vite passé de la persuasion à la menace de sanctions contre les enseignants rebelles actifs ou passifs. Lorsque cela éclatera, du côté des parents comme des profs, il y aura du sang sur les murs…
Encercler les villes à partir des banlieues, combattre le capital culturel des dominants au lieu de le proposer, avec les moyens adéquats, à ceux qui en sont dépourvu, tel est le programme que notre souriante ministre des écoles entend mener à son terme, avant de se replier, en 2017, sur sa base rose de Villeurbanne. À moins que, dans un sursaut de lucidité, l’Élysée et Matignon ne viennent, comme dans l’affaire de l’état d’urgence, remettre les pendules à l’heure avant qu’il ne soit trop tard.
Ajouter un commentaire