LA-HAUT : le hasard et Dieu
- Par Thierry LEDRU
- Le 06/04/2012
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Un hasard pourrait expliquer une évolution aussi monstrueuse mais un Dieu ? Se peut-il qu’un Etre créateur instaure volontairement une telle forme de Vie ? Et peut-on dès lors la qualifier de supérieure ? La supériorité par la mort. Voilà donc apparue la putain du Maître. Toujours prête à se donner, à s’ouvrir, indécente, à tout ce qui passe à sa portée. Faire mourir pour vivre, il n’y pas d’autre issue. Et la douleur, comme un soldat fidèle et attentif aux ordres de son Maître, insensible aux cris de pitié, viendrait ajouter à ce goût du massacre l’insupportable plongée dans les délires de l’âme humaine lorsque plus rien ne la maintient à flot et qu’elle s’abandonne à la répugnante délectation du sang. Et Dieu se cacherait là-dedans ? Difficile à admettre.
Le sac sur les épaules, reprendre les bâtons, relancer la mécanique des pas.
Il reste une dernière solution à laquelle la main mise inconsciente des religions lui avait interdit de penser. Se pourrait-il que Dieu soit un être fondamentalement mauvais qui s’amuse à nos dépends ? Se pourrait-il que cette nature que nous adorons ne soit qu’un terrain de jeu pour un Esprit pervers ? Que la beauté du décor ne soit destinée qu’à apaiser les douleurs que le Maître du jeu s’amuse à infliger à la troupe d’acteurs ? Se pourrait-il que la complexité de l’être humain, son évolution lente et obstinée ne soit pas un progrès mais une déchéance, l’éloignement sans fin du point d’équilibre ? Croyant courir après le bonheur, l’humanité, engagée dans une fausse direction, ne serait-elle pas finalement en train de le perdre de vue, de laisser disparaître dans les horizons lointains, dans une Histoire antédiluvienne, la Vie simple et belle, immuable, sans désirs de conquêtes, juste installée dans la contemplation du lever du soleil ? Dieu n’aurait-il pas choisi de laisser en paix les créatures les plus simples, de l’amibe au ver de terre en passant par la baleine bleue et de condamner l’espèce humaine à l’angoisse du néant, l’obligeant à s’épuiser dans une quête matérialiste totalement stupide mais qui l’amuse au plus haut point ?
Ne serions-nous pas ses victimes préférées ?
Il débouche au sommet de la pente de neige qu’il avait aperçue la fois précédente. Le col au pied de l’arête des Grands Moulins se dessine devant lui à une heure de marche.
Un thé chaud. En effectuant un tour d’horizon, il devine le col de Claran sous la montagne opposée. Il se retourne et inspecte la pointe du Rognier qui pourrait servir de prochain objectif. Entre les deux sommets, en contrebas, un vaste plateau à l’architecture complexe, coule en pente douce vers les forêts. Il prend la carte et étudie les différents sentiers. Au milieu du plateau, un petit point indique la présence d’un lac. Le lac vert.
La jeune fille. Comme il serait bon, au printemps, de monter avec elle vers les eaux claires.
Elle est là, en lui, et il aimerait tant qu’elle soit également à ses côtés.
Il range la gourde et s’empresse de reprendre sa progression.
Retrouver le fil des pensées.
La science et la théologie n’auraient jamais dû se dissocier. Même s’il semble qu’il existe un abîme entre la démarche scientifique, fondée sur des expériences rigoureusement prouvées, et la démarche théologique, construite sur une hypothèse injustifiable, elles contenaient peut-être, l’une et l’autre solidaires, respectueuses et attentives, les réponses essentielles. Séparées, elles n’ont aucune chance de parvenir, à travers les millénaires, qu’à l’accroissement de leur égarement respectif, qu’elles continueront fièrement, chacune, à nommer progrès. De multiples progrès, c’est certain. Pour la médecine notamment. Mais pour la compréhension de l’Esprit, il n’en sera rien.
Et l’ensemble de la masse, abandonnée par les chercheurs et les mystiques, qui auraient pu faire office de guides spirituels, continuera à errer dans les affres de cette angoisse existentielle, toujours fiévreusement étouffée, et avec une imagination fertile, sous les artifices de la modernité.
Une pénible nausée. Un tel gâchis.
L’échéance de sa réintégration dans le monde humain l’effraie de plus en plus. Comment réussira-t-il à préserver l’incandescence de ses pensées dans le marasme des jours quotidiens ? Jamais, auparavant, il n’était parvenu aussi loin. Il ne sait si toutes ces idées ont un sens réel mais elles correspondent à la réalité que, lui, il cherche.
Se disant cela, il comprend combien il est facile de basculer dans l’élaboration d’une religion. Il ne sait si ses théories ont une logique scientifique ou si la foi, uniquement, les guide mais il serait prêt à les considérer définitivement acceptables et même peut-être transmissibles. Concevant cela, il s’aperçoit de son orgueil et donc de son appartenance à l’humanité et à ses travers. L’idée lui déplaît fortement mais étrangement elle le convainc qu’il n’a aucune raison de devoir lutter contre les sentiments amoureux. Il s’agit sans doute du même ordre de choses, d’une autre faiblesse. Il n’est qu’un humain.
Et c’est bien peu.
Dieu ne lui est pas accessible. Le Hasard non plus. L’Architecte, quel qu’il soit, n’est pas identifiable. Ni même la Vérité. Pas pour l’espèce humaine, en tout cas.
Il se demande si les animaux n’éprouvent pas davantage la réalité de la Vie que nous. N’ont-ils pas su préserver le Contact ?
L’ultime Compréhension.
Mais alors pourquoi pas nous ? De quoi avons-nous été punis ? Et s’agit-il d’ailleurs d’une punition ou d’une mission à accomplir ? Dieu nous aurait-il envoyé une épreuve afin de juger de l’intérêt de cette espèce particulière ? Si c’est bien le cas, le Créateur doit être effroyablement déçu. Dès lors, cette désillusion consommée, se peut-il qu’il soit parti voir ailleurs, désespéré et n’ayant plus aucune attente ?
Si Dieu est parti, nous errons dans le Temps à la merci de notre folie qui est sans borne ou du Hasard qui a repris la place laissée vacante.
Et si Dieu est toujours présent et que la mission qu’il nous a envoyée est bien réelle, la tâche à accomplir est d’autant plus immense que nous avons perdu l’objectif de vue, que dans la cacophonie de nos agitations frénétiques, nous n’entendons plus rien. Il n’est dès lors pas certain que l’humanité soit engagée dans la bonne direction et le progrès qu’elle vénère n’est peut-être en réalité que l’approche de la fange. Si dès lors nous nous éloignons de l’objectif que Dieu nous avait assigné, combien de temps nous faudra-t-il pour nous en apercevoir, expliquer, convaincre la masse non pensante et enfin changer de cap ?
Peut-être s’agit-il d’ailleurs d’une lutte impossible, que le mal est déjà trop ancré dans chacune des cellules qui animent chacun des individus. Que nous tombons en refusant de le comprendre entraînés par la masse colossale de l’humanité. Nous nous sommes arrachés du corps de la nature et nous dégringolons emportés par notre orgueil et notre obstination à ne rien voir.
Les églises, quels que soient leurs noms, ne peuvent plus aider les hommes. Elles ont perdu l’essence même de la Vérité. Elles ne sont plus des temples où Dieu se présente mais des maisons closes où elles ont souillé Dieu, répandant sur la Beauté du mystère leur fiel prétentieux comme une semence assassine. Toutes les règles religieuses sont essentiellement destinées à créer un ciment, à établir une morale commune et donc à contenir les libertés individuelles, à les soumettre, à les anéantir. Les églises ne favorisent en rien la quête de Dieu. Elles l’ont limitée, lui donnant une direction unique, toujours imposée aux incroyants. On connaît les massacres, passés, présents et certainement futurs, perpétrés au nom de Dieu. Il déteste les églises. Dieu, s’il existe, ne peut pas être en dehors de sa Création. Il est dans le brin d’herbe et l’eau des ruisseaux, le vol agité du papillon et les yeux verts de la jeune fille de ses pensées. Que viennent faire les églises dans ce monde sinon le salir et retirer l’homme du temple divin de la Nature ?
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