Barbarie
- Par Thierry LEDRU
- Le 25/10/2011
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Yue Yue, la petite chinoise est donc décédée et cette mort a déclenché un phénomène "médiatique" en Chine et partout dans le monde où les images ont été diffusées. Les "spectateurs" se sont dit choqués...
C'est assez choquant en fait qu'ils se montrent aussi choqués...
3 Millions d'enfants morts en Afrique depuis le début de l'année. Ah, oui, mais ça ne passe pas en boucle sur le Net.
Je me demande si cette réaction révoltée devant l'abomination de la mort de cette petitte fille n'est pas davantage dûe au fait que les images vidéos ont placé les gens devant leur indifférence quotidienne...Ca n'est pas tant la violence de ce drame qui est effroyable mais bien que ça soit devenu possible. Parce que pour en arriver là, pour que ça concerne autant de personnes en si peu de temps, il faut vraiment que cette inhumanité soit inscrite dans les fibres.
Le système occidental transposé à la Chine mais avec une pression insoutenable sur les individus les a conduits à se retrancher derrière une indifférence effroyable.
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"Un froid si terrible" sur la société chinoise
Lettre d'Asie | | 21.10.11 | 14h34 • Mis à jour le 21.10.11 | 14h35
Une petite fille en pantalon rouge se dandine sur une portion d'allée couverte, entre des boutiques de matériel de nettoyage. Des balles de marchandises si hautes qu'elles débordent d'une échoppe. On est à Huangqi, près de Foshan, un centre industrieux de la province du Guangdong.
Yueyue a 2 ans, ses parents, venus du Shandong, à l'autre bout de la Chine, tiennent l'une des 2 000 boutiques de ce marché de la quincaillerie de 400 000 m2, sorti de terre il y a dix ans à peine. En quelques secondes, c'est le drame. Une camionnette la renverse et passe sur son corps avec sa roue avant droite. Le chauffeur s'arrête un instant. Puis repart, écrasant une nouvelle fois la fillette avec sa roue arrière.
Un passant déambule sans prêter attention à Yueyue qui gît à terre. Survient un homme à Mobylette qui contourne l'enfant. Une troisième personne jette un regard sans s'arrêter. Puis une deuxième camionnette apparaît. Elle roule sur les jambes de l'enfant - essieu avant, essieu arrière. Défileront devant l'enfant blessée un cycliste encapuchonné et dégoulinant de pluie, à la monture chargée de longues tiges. Un triporteur pressé dont la benne est remplie de cartons vides. Une dame trottinant avec sa fillette. Un motocycliste qui s'arrête, perplexe, et se retourne même vers Yueyue.
Ainsi de suite jusqu'à la... dix-neuvième personne. Une petite dame sèche comme un coup de trique. Elle s'appelle Chen Xianmei et sera ensuite fêtée par les médias et couverte de récompenses. Mais, pour l'instant, ce n'est qu'une récupératrice de métaux qui arpente les allées du marché en quête d'un bout de ferraille. Quand elle voit la petite fille par terre, elle pose son baluchon et prend le corps mou comme une chiffe, le déplace sur le côté. Appelle à l'aide. La mère accourt, soulève sa fillette inanimée. C'est une jeune femme au beau visage émacié que l'on verra ensuite recroquevillée dans l'hôpital militaire de Canton où Yueyue a fini par être transportée. Son mari à côté d'elle est en sanglots.
La vidéo, capturée par une caméra de sécurité, a fait le tour des télés chinoises depuis mardi, et gagné les réseaux en ligne du monde entier. Vendredi 21 octobre, Yueyue est morte des suites de ses blessures.
Ce spectacle insoutenable de l'indifférence est un électrochoc pour les Chinois, qui s'interrogent, comme ils ne l'ont jamais fait, sur un syndrome qui n'est pas tout à fait nouveau - même l'écrivain Lu Xun le décrivit il y a plus d'un siècle, dans L'Appel aux armes. Inertie, crainte de se mêler des affaires d'autrui... On n'intervient pas, car personne ne le fait, la culpabilité en est alors réduite d'autant, divisée par le nombre d'indifférents avant vous : "Tout cela traduit une confiance bien faible dans la société", avance Hu Shenzi, un psychologue parmi d'autres qui donne son avis au Quotidien de Canton.
Des faits divers retentissants ont façonné en Chine le sentiment qu'un "bon Samaritain" ne risque que des ennuis. L'affaire Peng Yu, en 2006, est connue de quasiment tous les Chinois : à Nankin, un jeune homme, Peng Yu, qui s'était porté au secours d'une dame tombée dans la rue et qui l'avait conduite à l'hôpital, fut accusée par celle-ci de l'avoir renversée. Elle fit un procès, le juge lui donna raison. L'infortuné dut débourser plusieurs milliers de yuans. En août, un chauffeur de bus à Rugao, dans le Jiangsu, s'est arrêté pour relever une dame âgée qui avait fait une chute de vélo - elle aussi réclama une indemnisation. Mais la police visionna les images de la caméra du bus et découvrit que le chauffeur était innocent.
Avant Yueyue, d'autres affaires ont elles aussi conduit à des examens de conscience sur la réticence à se porter au secours d'autrui. Des cas de chauffards qui ne s'arrêtent pas, voire... achèvent leurs victimes, ont plusieurs fois ému l'opinion. Quand, il y a quelques semaines, une touriste américaine a plongé dans un lac d'Hangzhou, pour sauver une jeune fille qui s'y noyait, les internautes se sont extasiés sur son héroïsme. Mais voilà, rien n'y fait : un "grand froid" a gagné les rouages de la société chinoise et paralyse les "relations humaines", analysent les médias. Le service de microblog Sina Weibo, le Twitter chinois, a recensé près de quatre millions de messages sur ce thème de l'indifférence depuis l'horrible accident de Yueyue. Au moins 400 000 usagers avaient relayé, jeudi 20 octobre, le message : "S'il vous plaît, cessons d'être aussi froids !"
Enquêtant sur le marché d'Huangqi, le reporter du quotidien Nanfang Dushi Bao, de Canton, constate que personne ou presque ne connaît son voisin. On trime, on besogne et l'on ne pense qu'à ça, un "gigantesque marché et un froid si terrible" - à l'image, insinue-t-il, de la Chine entière. Sans foi ni loi, l'empire du Milieu ? Le paradoxe, c'est que tous ceux dont le premier réflexe serait d'aider une personne en difficulté craignent justement d'être entraînés dans un procès à l'issue aussi fluctuante que l'humeur du juge. Et qu'aucune loi ne sanctionne la "non-assistance à personne en danger".
Les autorités du Guangdong ont pris l'initiative de lancer sur le microblog Weibo une enquête pour sonder le public. 63 % des 18 000 personnes qui y ont répondu à ce jour sont favorables à une loi pour "protéger les bons Samaritains". Pour qu'un jour, peut-être, plus aucune Yueyue ne passe sous les roues de deux camionnettes de livraison et n'agonise sous les yeux de dix-huit passants.
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Ce qui est terrifiant, c'est de devoir légiférer, de devoir protéger les Samaritains.
Ce qui est terrifiant, c'est de penser qu'il n'y a qu'en Chine que ces drames ont lieu.
On ne voit pas la misère de ce monde.
La Barbarie n'est pas une nouveauté. La seule distinction ici, c'est qu'elle a été filmée.
Les municipalités qui dressent des contraventions à ceux qui fouillent dans les poubelles. Les SDF qui vont mourir cet hiver dans les parcs publics. Pas la peine d'aller chercher l'horreur jusqu'en Chine. Lorsqu'on laisse s'installer le terreau des rejets, les rejets ne cessent de grandir. C'est l'apprentissage de la barbarie. Ensuite, il ne s'agit que de degrés dans l'horreur. Faut-il donc attendre qu'une petite fille soit écrasée pour qu'on s'indigne ? Alors, dans ce cas-là, c'est que la barbarie est déjà considérablement installée en nous, que nous y sommes habitués, que les milliers d'images diffusées par les télés du monde nous ont vacciné contre ses outrages et que nous devons être encore plus choqués que d'habitude pour réagir.
La prochaine fois, ça sera quoi ? Je n'ose même pas l'imaginer.
D'ailleurs, si je voulais m'y prendre comme à la télévision, j'aurais dû commencer cet article par une page de pub, en insérer une autre au milieu et vous annoncer une série américaine ensuite pour vous inciter à encaisser les dix minutes de pub supplémentaire. Ca vous permettrait en plus d'oublier rapidement ce que vous venez de lire.
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