Coronavirus : soutenir les scientifiques.
- Par Thierry LEDRU
- Le 20/03/2020
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Cette crise met en lumière l'énorme malaise qui touche le milieu scientifique depuis des années. Un malaise très profond quant à leur considération.
Aujourd'hui, les scientifiques sont appelés à la rescousse par les gouvernements mais ils savent très bien que la raison profonde de ce nouvel intérêt est purement économique. Le coronavirus est en train de mettre par terre la croissance mondiale. Je lis pas mal de documents éménant des milieux financiers et la puissance de cette crise financière dépasse tout ce qui a déjà été vécu dans les crises précédentes et personne n'est capable, aujourd'hui, de présager des dégâts. Des millions d'emplois sont menacés sur l'ensemble de la planète, des centaines de milliers d'entreprises, des banques qui risquent d'imploser (il faut voir les graphiques boursiers sur six mois, c'est apocalyptique...)
Les scientifiques sont donc écoutés et vénérés pour mettre un terme à ce virus. Sauver des vies. Sauver l'économie. Eviter un chaos social. Des milliards ont déjà été débloqués aux USA et en Europe, en Chine, au Japon. De l'argent comme si ça tombait du ciel. De l'endettement pour des décennies et avec une économie qui restera considérablement impactée par cette crise...Personne ne sait où on va.
Les scientifiques sont donc aujourd'hui vénérés parce qu'ils détiennent peut-être la sortie de crise sanitaire et donc économique. Le coronavirus les a rappelés aux bons souvenirs des gouvernants. Ils ne se font aucune illusion. Ils souffrent depuis bien trop longtemps des restricitons budgétaires pour croire encore aux paroles politiciennes.
Léo, notre benjamin, est en doctorat, en écologie. Tout ce qu'il nous dit de l'Université et du milieu de la recherche est à pleurer. Ils travaillent tous avec des moyens de plus en plus limités et des contraintes de plus en plus fortes. A en arriver à penser que toutes ces années d'études sont inutiles, qu'elles ne mèneront à rien...La même souffrance que les personnels hospitaliers qui savent qu'ils n'ont plus les moyens de soigner correctement.
Ces scientifiques qui sont écoutés aujourd'hui ne le sont que parce que la crise est réelle. Tout ce qui relève de l'anticipation liée au dérèglement climatique, aux atteintes à la biodiversité, à toutes les études qui mettent en avant l'impact dévastateur de l'exploitation humaine, tout cela n'est toujours pas pris en considération. Pourquoi ? Parce que la crise en'est pas encore suffisamment visible. Parce qu'elle n'impacte pas l'économie, qu'elle ne menace pas la paix sociale. Alors, les gouvernants font des colloques ,des conférences, ils discutent et rentrent chez eux parce que finlament, l'économie tourne encore meme si les températures montent inexorablement. Tout ce que les scientifiques expliquent depuis plus de trente ans ne relève pas d'un virus. C'est une projection dont on ne parvient pas à estimer clairement l'échéance ultime. Sauf qu'à vouloir attendre l'échéance, on s'enlève la possibilité de régler le problème. Il n'y aura pas de vaccin au réchauffement climatique. Une fois la machine emballée, personne ne pourra l'arrêter.
Quand j'ai commencé à parler de "survivalisme" sur ce blog et de tout ce que ça implique comme changement d'attitude, le compteur journalier des visites a dégringolé de 50 % en quelques mois.
Depuis le début de l'année et encore plus depuis le début de cette crise sanitaire, le compteur s'affolle à la hausse.
De la même façon, je lis sur le net de plus en plus de gens qui en parlent. Non pas dans des termes apocalyptiques, avec entassement d'armes au fond d'un blockaus mais dans une dynamique spirituelle de décroissance et d'anticipation. Avec l'arrivée du covid19 aux USA, les ventes d'armes ont explosé. Ici, ce sont les ventes de papier toilette, de sac de riz, de pâtes... Tout cela relève juste de la peur et de l'absence de réflexion.
De notre côté, nous vivons confinés, depuis bien longtemps. Par choix. La consommation est réduite au minimum. Nos journées ne changent pas aujourd'hui de ce qu'elles étaient il y a une semaine, en dehors du fait que nous ne pouvons plus monter sur les sommets...
« Quand un virus émerge, on demande aux chercheurs de trouver une solution pour le lendemain, ensuite on oublie »
PAR BRUNO CANARD/UNIVERSITÉ OUVERTE
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Poster
Bruno Canard, directeur de recherche au CNRS, travaille depuis vingt ans sur les coronavirus. Avec très peu de moyens. Il est en colère contre les pouvoirs publics qui se sont désengagés de ces grands projets de recherche, et dont on semble (re)découvrir aujourd’hui le caractère vital pour nos sociétés alors qu’Emmanuel Macron annonce « augmenter de 5 milliards d’euros notre effort de recherche ».
« Je suis Bruno Canard, directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille. Mon équipe travaille sur les virus à ARN (acide ribonucléique), dont font partie les coronavirus.
En 2002, notre jeune équipe travaillait sur la dengue, ce qui m’a valu d’être invité à une conférence internationale où il a été question des coronavirus, une grande famille de virus que je ne connaissais pas. C’est à ce moment-là, en 2003, qu’a émergé l’épidémie de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) et que l’Union européenne a lancé des grands programmes de recherche pour essayer de ne pas être pris au dépourvu en cas d’émergence. La démarche est très simple : comment anticiper le comportement d’un virus que l’on ne connaît pas ? Eh bien, simplement en étudiant l’ensemble des virus connus pour disposer de connaissances transposables aux nouveaux virus, notamment sur leur mode de réplication.
Cette recherche est incertaine, les résultats non planifiables, et elle prend beaucoup de temps, d’énergie, de patience. C’est une recherche fondamentale patiemment validée, sur des programmes de long terme, qui peuvent éventuellement avoir des débouchés thérapeutiques. Elle est aussi indépendante : c’est le meilleur vaccin contre un « scandale Mediator-bis ».
L’Europe s’est désengagée de ces grands projets d’anticipation au nom de la satisfaction du contribuable
Dans mon équipe, nous avons participé à des réseaux collaboratifs européens, ce qui nous a conduits à trouver des résultats dès 2004. Mais, en recherche virale, en Europe comme en France, la tendance est plutôt à mettre le paquet en cas d’épidémie et, ensuite, on oublie. Dès 2006, l’intérêt des politiques pour le SARS-CoV avait disparu ; on ignorait s’il allait revenir. L’Europe s’est désengagée de ces grands projets d’anticipation au nom de la satisfaction du contribuable. Désormais, quand un virus émerge, on demande aux chercheur·ses de se mobiliser en urgence et de trouver une solution pour le lendemain. Avec des collègues belges et hollandais·es, nous avions envoyé il y a cinq ans deux lettres d’intention à la Commission européenne pour dire qu’il fallait anticiper. Entre ces deux courriers, Zika est apparu…
La science ne marche pas dans l’urgence et la réponse immédiate
Avec mon équipe, nous avons continué à travailler sur les coronavirus, mais avec des financements maigres et dans des conditions de travail que l’on a vu peu à peu se dégrader. Quand il m’arrivait de me plaindre, on m’a souvent rétorqué : « Oui, mais vous, les chercheur·ses, ce que vous faites est utile pour la société… Et vous êtes passionnés ».
Et j’ai pensé à tous les dossiers que j’ai évalués.
J’ai pensé à tous les papiers que j’ai revus pour publication.
J’ai pensé au rapport annuel, au rapport à 2 ans, et au rapport à 4 ans.
Je me suis demandé si quelqu’un lisait mes rapports, et si cette même personne lisait aussi mes publications.
J’ai pensé aux deux congés maternité et aux deux congés maladie non remplacés dans notre équipe de 22 personnes.
J’ai pensé aux pots de départs, pour retraite ou promotion ailleurs, et aux postes perdus qui n’avaient pas été remplacés.
J’ai pensé aux 11 ans de CDD de Sophia, ingénieure de recherche, qui ne pouvait pas louer un appart sans CDI, ni faire un emprunt à la banque.
J’ai pensé au courage de Pedro, qui a démissionné de son poste CR1 au CNRS pour aller faire de l’agriculture bio.
J’ai pensé aux dizaines de milliers d’euros que j’ai avancé de ma poche pour m’inscrire à des congrès internationaux très coûteux.
Je me suis souvenu d’avoir mangé une pomme et un sandwich en dehors du congrès pendant que nos collègues de l’industrie pharmaceutique allaient au banquet.
J’ai pensé au Crédit Impôt Recherche, passé de 1.5 milliards à 6 milliards annuels (soit deux fois le budget du CNRS) sous la présidence Sarkozy.
J’ai pensé au Président Hollande, puis au Président Macron qui ont continué sciemment ce hold-up qui fait que je passe mon temps à écrire des projets ANR.
J’ai pensé à tou·tes mes collègues à qui l’ont fait gérer la pénurie issue du hold-up.
J’ai pensé à tous les projets ANR que j’ai écrits, et qui n’ont pas été sélectionnés.
J’ai pensé à ce projet ANR Franco-Allemande, qui n’a eu aucune critique négative, mais dont l’évaluation a tellement duré qu’on m’a dit de la re-déposer telle quelle un an après, et qu’on m’a finalement refusé faute de crédits.
J’ai pensé à l’appel Flash de l’ANR sur le coronavirus, qui vient juste d’être publié.
J’ai pensé que je pourrais arrêter d’écrire des projets ANR.
Mais j’ai pensé ensuite aux précaires qui travaillent sur ces projets dans notre équipe.
J’ai pensé que dans tout ça, je n’avais plus le temps de faire de la recherche comme je le souhaitais, ce pour quoi j’avais signé.
J’ai pensé que nous avions momentanément perdu la partie.
Je me suis demandé si tout cela était vraiment utile pour la société, et si j’étais toujours passionné par ce métier ?
Je me suis souvent demandé si j’allais changer pour un boulot inintéressant, nuisible pour la société et pour lequel on me paierait cher ?
Non, en fait.
J’espère par ma voix avoir fait entendre la colère légitime très présente dans le milieu universitaire et de la recherche publique en général. »
Bruno Canard, directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille
Cette tribune a été initialement publiée sur le site Université ouverte, le 4 mars 2020. Université ouverte est un site qui regroupe « des outils pour la mobilisation de l’enseignement et de la recherche, sur la précarité des étudiante·s comme des travailleur·ses, sur la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche et sur les retraites ».
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