Covid et changement climatique

La crise du coronavirus peut-elle changer la donne pour le changement climatique ?

 

https://www.rtbf.be/info/societe/detail_la-crise-du-coronavirus-peut-elle-changer-la-donne-pour-le-changement-climatique?id=10651877

 

Pour contenir le changement climatique, il faudrait une diminution annuelle de 7,6% des émissions de CO2. Cette année, les mesures de confinement auront entraîné une baisse de 7% au niveau mondial. Une bonne nouvelle pour le climat ? Pas si vite. "Nous allons nous retrouver en 2020 pour la première fois sur une trajectoire d’émissions compatible avec les objectifs des accords de Paris", souligne François Gemenne, chercheur qualifié du FNRS, Observatoire des migrations environnementales (Cedem – ULg). "Le paradoxe, c’est que nous allons nous y retrouver non pas à cause de politiques climatiques que nous aurions choisies, mais à cause de mesures sanitaires que nous avons subies. Le fait que ce soit la crise sanitaire qui amène cette réflexion souligne en creux l’inefficacité ou l’insuffisance en tout cas de nos politiques climatiques actuelles."

Pour le changement climatique, il n’y aura pas de vaccin

Cette baisse des émissions est ponctuelle. Pour une diminution structurelle, et un réel impact sur le changement climatique, il faudrait des mesures structurelles. Pas le même registre de mesures que celles adoptées actuellement en situation de crise.

"Qui dit crise suppose une sorte de retour à la normale", poursuit François Gemenne. "Pour le changement climatique, il n’y aura pas de vaccin, ce qui veut dire que la température ne baissera pas, que le niveau des océans ne baissera pas […] Le changement climatique n’est pas une crise, c’est une transformation en profondeur, une transformation structurelle de nos sociétés qui appelle aussi des mesures structurelles et de long terme parce qu’il n’y aura pas de retour à la normale justement."

Revoir la séquence du JT consacrée au Plan belge sur le climat (10 décembre 2020):

D’où vient la baisse observée ?

Même si la baisse observée est ponctuelle, il est intéressant de comprendre d’où elle vient précisément. Pendant le confinement, l’arrêt de certaines activités a-t-il pesé plus que d’autres ?

A l’ULB, une équipe analyse tous les jours des données satellites qui permettent de surveiller l’émission de polluants en lien avec l’activité humaine, comme l’agriculture, ou naturelle, comme les volcans. "Cette année, c’est une année exceptionnelle", commente Cathy Clerbaux, membre de l’équipe en tant que chercheuse en sciences de l’atmosphère et du climat (CNRS). Et pas seulement au niveau des gaz à effet de serre comme le CO2.

Si l’on regarde le NO2, un polluant émis par les pots d’échappement des voitures (en lien direct donc avec l’intensité du trafic automobile) : "On voit une chute de polluants entre 30 et 50% en fonction des différents endroits par rapport à la même époque de l’année précédente. C’est énorme, on n’avait jamais pensé avoir une situation telle que celle-là." Autre polluant en diminution parfois spectaculaire pendant le confinement, le CO : "un excellent traceur de la pollution parce que tout phénomène de combustion va conduire à ce type d’émissions (industrie, trafic automobile…)", précise Cathy Clerbaux.

Les feux en Sibérie ont brûlé une surface équivalente à sept fois la Belgique

Mais dans le bilan global, un autre phénomène a également pesé, avec une intensité exceptionnelle cette année : la multiplication de gigantesques incendies, comme en Californie, en Australie ou en Sibérie. "Les feux en Sibérie ont brûlé une surface équivalente à sept fois la Belgique… C’est énorme en fait, et donc vous imaginez bien que ça émet plein de CO, et plein de CO2 qui vont s’accumuler dans l’atmosphère." Une multiplication des incendies en lien, structurel celui-là, avec le changement climatique…

Revoir la séquence du JT consacrée aux températures en Sibérie (21 juin 2020) :

Au final, la diminution de 7% des émissions de CO2 peut sembler assez faible face à l’ampleur de la paralysie économique et sociale entraînée par la pandémie et le confinement. Les incendies l’expliquent en partie seulement. "Au premier confinement, les chiffres étaient plus importants mais c’est lissé sur une année", contextualise Edwin Zaccai, directeur du Centre d’Etudes du Développement (ULB). "Ensuite, les entreprises dans le monde ont continué à travailler, le chauffage continue. Ce sont surtout les transports qui ont été affectés et les transports c’est une part seulement des gaz à effet de serre."

"Ça souligne à quel point nos comportements individuels déterminent une part relativement limitée des émissions mondiales", ajoute François Gemenne. "C’est-à-dire que, alors que nous étions à l’arrêt, confinés chez nous, toute une série d’émissions structurelles continuaient à se produire. L’exemple le plus frappant, c’était celui de l’extraction du pétrole, au point que les cours de livraison du baril du pétrole sont même passés en négatif au mois d’avril dernier parce qu’on en sortait trop de la terre et qu’on ne parvenait plus à trouver des endroits pour le stocker".

Pour le chercheur, il faut aussi tenir compte de notre regard "très eurocentré" : "Le reste du monde est loin d’être à l’arrêt. En dehors de nos quelques pays, nos quelques millions d’habitants, le monde a repris une marche presque normale, c’est assez logique que la baisse [des émissions de CO2] soit entre 8 et 10%", estime-t-il.

Quelles leçons pour la gestion du changement climatique?

Au final, s’il est clair que cette baisse ponctuelle ne changera pas directement l’ampleur du changement climatique, peut-on malgré tout en tirer des enseignements utiles pour mieux appréhender cette transformation-là ?

Les gouvernements ont montré qu’ils peuvent agir de façon plus forte quand ils se rendent compte qu’il y a un péril important, qu’il y a une pression de la population

"Ce qui m’a surtout frappé, c’est d’avoir vu comment les gouvernements pouvaient assez rapidement avoir des actions extrêmement fortes, extrêmement vigoureuses alors que par rapport au changement climatique, les actions sont lentes, toujours freinées par toute une série de considérations", estime Edwin Zaccai.

"Il y a des enseignements à tirer, pas faciles, car c’est quand même une expérience douloureuse pour beaucoup de gens, beaucoup de sociétés, mais les gouvernements ont montré qu’ils peuvent agir de façon plus forte quand ils se rendent compte qu’il y a un péril important, qu’il y a une pression de la population aussi, et c’est le cas pour le climat. Deuxièmement, il y a des fonds dégagés pour la relance post-Covid et cette relance peut être effectuée d’une façon plus verte : il y a beaucoup de plans pour des activités davantage vertes." L’expert pointe également l’augmentation du télétravail : "Je crois qu’il va en rester quelque chose donc il y aura une baisse des déplacements liés au travail – c’est probable – mais ce n’est qu’un élément parmi les émissions."

Pourquoi nous ne voyons pas le changement climatique comme un danger immédiat et présent?

François Gemenne se montre lui plus réservé sur notre capacité collective à tirer des leçons pour l’avenir de façon générale. Mais en prenant le parti d’être optimiste, il souligne également cette capacité démontrée par les dirigeants à prendre des mesures "radicales, urgentes et extrêmement coûteuses lorsque nous sommes confrontés à un danger immédiat".

Ce qui pour lui amène immédiatement une autre question : "Pourquoi nous ne voyons pas le changement climatique comme un danger immédiat et présent, pourquoi nous avons toujours tendance à voir le changement climatique dans un futur lointain que nous pourrions encore éviter ?" Or ce changement est déjà en cours "depuis au moins vingt ou trente ans"… Mais "contrairement au Covid, les morts ne sont pas encore à nos portes et sont pour la plupart situés de l’autre côté de la Méditerranée et donc nous ne voulions pas les voir de la même manière que nous ne voulions pas voir le danger du virus tant qu’il était encore confiné en Chine", avance-t-il.

Pour lui, la crise du Covid est aussi une leçon de solidarité : "Alors qu’on nous serinait depuis des années que désormais la vie humaine n’avait plus aucune importance et que c’était uniquement le profit qui primait, nous avons créé une énorme crise purement artificielle pour préserver la vie des plus âgés et vulnérables dans nos sociétés." L’enjeu, poursuit-il, serait aujourd’hui de réussir à extrapoler cette solidarité au-delà de nos frontières, en considérant que "nos proches ne sont pas seulement nos grands-parents mais aussi ceux qui habitent de l’autre côté de la Méditerranée, et qui seront les premiers et les plus durement touchés par les impacts du changement climatique".

Des choix politiques pour le court et le long terme. Et qui semblent plus à même d'être envisagés, et concrétisés, dans un contexte dégagé de la gestion quotidienne de la pandémie.

 

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