"Don't look up"
- Par Thierry LEDRU
- Le 08/01/2022
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Est-ce que ce film va changer les choses, est-ce qu'il va permettre aux scientifiques d'être davantage entendus, est-ce qu'il va convaincre les spectateurs qu'ils ont eux-mêmes un rôle à jouer, est-ce que les institutions politiques, économiques, financières vont prendre conscience que leur fonctionnement est mortifère ?
Publié le 08/01/2022 07:00Mis à jour il y a 22 minutes
Temps de lecture : 7 min.
Jennifer Lawrence, Leonardo DiCaprio et Rob Morgan jouent dans "Don't look up", le film d'Adam McKay disponible sur Netflix depuis le 24 décembre 2021. (NIKO TAVERNISE / NETFLIX)
Le long-métrage d'Adam McKay fonctionne-t-il comme une métaphore de l'inaction climatique ? Franceinfo fait le tour de plusieurs aspects avec des chercheurs.
Attention, cet article dévoile des éléments clés sur la fin du film... et la fin du siècle.
Une fiction qui rappelle malheureusement la réalité ? Le film Don't look up : déni cosmique est disponible depuis le 24 décembre sur Netflix. Il raconte la découverte, par deux scientifiques (interprétés par Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence) d'une comète fonçant droit sur notre planète et dont la collision causera l'extinction de la vie. Il décrit ensuite l'inaction des politiques et de la société face à cette alerte. Un constat scientifique étayé, une menace globale, des stratégies de lutte tardant à se mettre en place... Tout ceci n'a pas tardé à faire écho à la crise climatique. Le réalisateur lui-même a relevé ce rapprochement évident : "Souvenez-vous, après avoir regardé Don't look up, que nous avons la science pour résoudre la crise climatique", s'est exclamé Adam McKay sur Twitter (en anglais). Alors, le film fonctionne-t-il comme une métaphore de l'inaction climatique ? Franceinfo fait le tour de plusieurs sujets abordés dans le long-métrage avec des spécialistes.
Sur la comète comme métaphore du changement climatique
Dans le film, la comète découverte représente une menace pour l'humanité. Tout comme le changement climatique qui, d'après le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), cause un "changement dans des extrêmes comme les vagues de chaleur, les fortes précipitations, les sécheresses et les cyclones tropicaux", et ce dans toutes les régions du monde, comme le montre son atlas des conséquences du phénomène. "Cette métaphore nous enseigne que la fin du monde, ce n'est pas à cause de la météorite. On aurait pu s'en débarrasser ! La fin du monde est causée par le dysfonctionnement de nos institutions", note Jean-Paul Vanderlinden, professeur en étude de l'environnement à l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Et le rapport du Giec daté du mois d'août l'a bien souligné : l'influence humaine sur le changement climatique, à travers les émissions de gaz à effet de serre, est "sans équivoque". "Là, la métaphore fonctionne presque", ajoute le chercheur.
"Presque", car il ajoute des limites. "Une métaphore qui ne se libère pas du contexte qu'elle traverse perd de sa force, car le propre d'une métaphore est son universalité", note-t-il, citant pour exemple la présidente américaine (interprétée par Meryl Streep) et ses partisans, référence claire au "trumpisme". "Le spectateur va poser son regard sur beaucoup de choses et son jugement sur cette situation inacceptable va être défléchi vers des microsituations", regrette-t-il. Il ajoute qu'une comète qui frappe la Terre et fait disparaître l'humanité constitue une menace différente.
"Pour la première, on efface brutalement, le niveau de souffrance est assez faible. Dans le film, les gens nient puis souffrent quelques jours ou quelques heures. Mais le changement climatique va imposer énormément de douleur pendant longtemps. Des gens vont perdre leurs récoltes, vont devoir se déplacer... C'est une autre forme de risque existentiel."
Jean-Paul Vanderlinden, professeur en étude de l'environnement
à franceinfo
La responsabilité à l'origine du phénomène est également simplifiée : si personne n'est responsable de l'arrivée d'une comète, "le changement climatique, lui, est dû à l'influence humaine, mais avec une responsabilité historique différente selon les pays", note Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du Giec.
Sur le traitement médiatique de la crise
Une émission de télévision qui débute par l'actualité people plutôt que par une menace pour l'humanité, un traitement qui se veut "fun et léger", un dénigrement des personnalités scientifiques... Dans le film, les médias évoquent l'alerte, pourtant étayée de preuves, de manière superficielle. "Ça me rappelle il y a plus de dix ans, quand un célèbre journaliste m'a dit que le problème avec le changement climatique, c'était que ce n'était pas assez drôle et divertissant", a noté sur Twitter (en anglais) Naomi Oreskes, historienne des sciences et autrice de Les Marchands de doute. La climatologue Valérie Masson-Delmotte déplore également que "lors de débats à la télévision, on ne recherche pas toujours le temps de l'explication, mais la petite phrase qui fera réagir".
Le traitement médiatique n'est toutefois pas si caricatural, nuance Jean-Baptiste Comby, chercheur en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris 2, qui a travaillé sur le traitement médiatique de la question climatique. "La parole scientifique reste, dans une grande majorité des médias, une parole d'autorité, considérée. Les alertes diverses occupent une place non-négligeable", estime-t-il. On est donc loin du "fun et léger". Il précise toutefois que le rapport avec les scientifiques n'est pas le même "entre presse écrite, radio et télévision" et que "les logiques médiatiques mises en scène dans le film correspondent plus à celles des Etats-Unis qu'à celles de la France, qui sont sensiblement différentes".
Sur les réactions de la classe politique
Les références à la réalité sont évidentes. "La relation mère-fils parodie la relation père-fille de Donald Trump", remarque Jean-Paul Vanderlinden. Valérie Masson-Delmotte souligne un autre aspect visible dans Don't look up : la méconnaissance du sujet par les décideurs. "J'ai été frappée de voir le peu de dirigeants qui avaient lu le dernier rapport du Giec", expose-t-elle.
Les "gains politiques" qui peuvent motiver l'action de l'exécutif sont également bien représentés. Alors qu'elle ne souhaite pas régler le problème, la présidente américaine s'y intéresse soudainement quand cela présente un intérêt pour sa cote de popularité. Hors fiction aussi, "l'action dépend souvent des opportunités du calendrier politique et sert quand il faut gagner des points", estime Lola Vallejo, directrice du programme climat de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). "La lutte contre le changement climatique suit des mouvements de va-et-vient : la France a été mise en avant sur la scène internationale quand Donald Trump était en retrait. Et là, pendant cette campagne présidentielle, le sujet est très peu abordé." Reste que le film parle essentiellement de la classe politique américaine.
"Il n'y a pas une seule scène sur des négociations internationales. L'ONU est transparente, le continent européen invisible. On ne voit aucun pays en développement."
Lola Vallejo, directrice du programme climat à l'Iddri
à franceinfo
Dans Don't Look up, il n'est pas non plus fait mention des chambres du Parlement, d'une opposition ou des milieux militants... "Tout ce qui permet d'agir dans la réalité est absent", regrette Valérie Masson-Delmotte. "Ça donne très peu à voir la vie démocratique. Comment une stratégie d'action est-elle débattue ? Discuter ensemble est pourtant central sur le climat..."
Sur la technologie proposée comme solution
Dans le film, la stratégie mise en place pour dévier la trajectoire de la comète est réduite à néant par la cupidité d'un milliardaire (Mark Rylance). Il conçoit un deuxième plan, sur la base d'une technologie non démontrée, mais dont il tirerait les bénéfices. "Cela entraîne des tergiversations et un échec. C'est une parabole d'un des discours de l'inaction aujourd'hui : l'optimisme technologique", décrit Valérie Masson-Delmotte.
Géo-ingénierie, avions "verts", capture de carbone... Autant de technologies parfois présentées comme des solutions miracles, tout comme les robots de la multinationale Bash dans le film. Le long-métrage "vise juste" avec ce personnage technophile qui a l'oreille des élites politiques, estime Lola Vallejo. "On est confrontés tous les jours à ce discours sur les opportunités, sur ces sources pour de la croissance économique avant même de parler des risques", ajoute la spécialiste des négociations climatiques. Elle cite l'exemple de Bill Gates, qui "prône des solutions liées aux technologies alors qu'on devrait plutôt questionner notre modèle de production, de consommation".
Sur le vécu des scientifiques
Depuis sa diffusion, plusieurs climatologues ont applaudi le film. "En tant que climatologue faisant tout ce que je peux pour éveiller les consciences et éviter la destruction de la planète, c'est le film le plus juste que j'ai vu sur l'absence de réponse de la société devant la dégradation du climat", a commenté auprès du Guardian (en anglais) le climatologue américain Peter Kalmus. "Ce film est incontestablement une métaphore puissante de la crise climatique en cours", a commenté auprès du Monde un autre scientifique d'outre-Atlantique, Michael E. Mann.
Tout comme les héros du film, "nous n'étions pas écoutés au début", abonde le climatologue Jean Jouzel. "En France, nous avons beaucoup souffert du climato-scepticisme d'une partie de la communauté scientifique elle-même, comme Claude Allègre, qui a tout fait pour nier la réalité du réchauffement climatique et la responsabilité humaine dans ce phénomène", expose-t-il auprès du HuffPost. Pour Valérie Masson-Delmotte, Don't look up a fait écho à sa propre expérience : "J'ai ressenti quelques-unes des difficultés que vivent les scientifiques du film. S'exprimer dans la communauté scientifique ne prépare pas à s'exprimer de manière claire dans les médias ou devant des cercles de pouvoir", rapporte-t-elle. Un témoignage qui rappelle les leçons de communication (le media training) évoquées dans Don't Look up.
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