Ecole, covid, ministère

Il y a bien longtemps que je ne suis pas revenu sur le sujet. Disons que j'en ai tellement parlé qu'il fallait que je passe à autre chose. La plaie était à vif, il fallait que ça cicatrise.

Aujourd'hui, je me surprends parfois à ne plus rien ressentir de ce désastre. Il faut même que je fasse un effort pour que les souvenirs reviennent.  Comme si s'était déjà écoulée une décennie. 

Je me réjouis tous les jours d'avoir quitté ce navire, il y a trois ans.

Et je plains tous les jours, les collègues qui se trouvent encore à bord. 

 

ÉDUCATION NATIONALE 

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13 janvier 2022 par Lucie Tourette

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Tous les syndicats de l’éducation nationale appellent à faire grève ce 13 janvier. Les directeurs et directrices d’école y participent massivement, poussés à bout par une charge de travail grandissante et des injonctions contradictoires.

 

Le téléphone sonne souvent dans le vide à l’école maternelle Halphen de Ville-d’Avray dans les Hauts-de-Seine. Il n’y a plus de gardienne depuis 2018, plus d’aide administrative depuis 2017. Alors « quand ça sonne et que toutes les enseignantes et les ATSEM [1] sont en classe, il n’y a parfois personne pour répondre », commente Marie Viennot, la directrice.

Dans le Vaucluse, à Cavaillon, le téléphone de l’école maternelle Jean Moulin sonne lui aussi dans le vide trois jours par semaine. Les lundis, mardis et vendredis, la directrice Lauranne Giovanelli est dans sa classe avec ses élèves et refuse de prendre le téléphone sous peine de devoir s’interrompre en permanence. C’est seulement le jeudi qu’elle décroche car elle est dans son bureau pour effectuer son « jour de décharge » hebdomadaire. Directrice depuis huit ans, elle dispose d’un jour par semaine pour effectuer le travail lié à sa fonction de directrice.

« C’est vraiment problématique que les parents ne puissent pas joindre l’école », déplore-t-elle. Ici aussi, il n’y a plus d’aide administrative qui réponde au téléphone et aux mails, ouvre la porte, fasse les photocopies, etc. C’est le cas dans de nombreuses écoles depuis que le gouvernement a pris la décision de réduire le nombre de contrats aidés en 2017. La charge de travail d’une direction d’école s’en est trouvée considérablement alourdie.

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« Alors qu’on est déjà dans une espèce d’urgence, on est submergés d’informations contradictoires, avec une hiérarchie qui découvre la veille pour le lendemain les annonces du ministre sur BFM », pointe Sabine Duran, directrice d’école élémentaire classée REP+, à Pantin.

© Anne Paq

Ils sont aujourd’hui 45 500 enseignants à exercer la fonction de directeur d’école. Dotés d’un minimum de deux ans d’ancienneté, ils sont nommés par leur hiérarchie. En plus de leur salaire, ils touchent une indemnité qui augmente proportionnellement au nombre de classes de l’école. Ainsi, selon les calculs du Sgen-CFDT, un professeur des écoles directeur d’une école de deux à trois classes, touchera une indemnité de 299,6 euros par mois. Dans une école d’au moins dix classes, son indemnité sera de 444,39 euros par mois. Suivant la taille de l’établissement, le directeur continue ou non d’enseigner. Il est chargé de la coordination de l’équipe enseignante sans pour autant être le supérieur hiérarchique de ses collègues. Les femmes sont largement majoritaires dans le premier degré où elles représentent environ les trois quarts des personnels de direction, tandis qu’en collèges et lycées elles ne sont plus que la moitié.

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En novembre 2019 le ministère de l’Éducation nationale avait organisé une consultation auprès de 29 007 directeurs d’école suite au suicide de l’une d’entre eux. L’administratif arrivait déjà en tête des tâches qui leur prenaient le plus de temps (75 %) et étaient les plus pénibles (62 %), avec la sécurisation de l’école (66 %) [2].

« Je passe ma journée à ouvrir la porte, trier la paperasse, répondre à des mails et au téléphone, remplir des enquêtes »

En quoi consistent ces tâches chronophages ? Chargé de la bonne marche de leur école, le directeur doit répertorier chaque jour les élèves absents, ceux qui restent à la cantine, seront présents pendant le temps périscolaire. En début d’année, il organise les élections des représentants de parents d’élèves, saisit les fiches de renseignements remplies manuellement par les parents, vérifie et archive les attestations d’assurance scolaire. En fin d’année, il centralise les commandes de matériel de ses collègues pour la rentrée suivante, constitue les futures classes. Il répond aux courriers papier, lit puis trie ses mails, apporte une réponse à ceux qui le nécessitent, ou les transfère à ses collègues. Il fournit des certificats de scolarité aux parents qui en font la demande. Sa hiérarchie lui demande régulièrement de remplir des enquêtes sur son école. Elles peuvent porter sur des sujets aussi variés que le nombre d’enfants arrivés en France dans l’année, les effectifs prévus, les effectifs réels, les enfants autistes, etc. Responsable de la sécurité, il doit aussi mettre à jour le « Plan particulier de mise en sûreté ». En cas de catastrophe naturelle ou d’attentat, le ministère indique que ce plan doit prévoir « la mise en œuvre des mesures de sauvegarde des élèves et des personnels en attendant l’arrivée des secours ou le retour à une situation normale ».

« Parfois personne pour répondre »

À l’école maternelle Halphen de Ville-d’Avray (Hauts-de-Seine), il n’y a plus de gardienne depuis 2018, plus d’aide administrative depuis 2017. Alors « quand ça sonne et que toutes les enseignantes et les ATSEM sont en classe, il n’y a parfois personne pour répondre », commente Marie Viennot, la directrice .

© Anne Paq

Désormais, « mon jour de décharge est consacré à la paperasse, explique Lauranne Giovanelli. En tant que directrice, j’ai l’impression d’être une secrétaire administrative. Je passe ma journée à ouvrir la porte, trier la paperasse, répondre à des mails et au téléphone, remplir des enquêtes. Ça ne me fait pas rêver... Mon boulot c’est d’être instit. »

Repère :

Une loi qui risque encore d’aggraver les choses

Lire l’encadré

Depuis la consultation du ministère en 2019, la crise sanitaire est venue accroître encore la charge de travail. Les directeurs d’école sont chargés de la mise en place des mesures de sécurité édictées par le ministère de l’Éducation nationale. Sabine Duran, directrice de l’école élémentaire Joséphine Baker à Pantin (Seine-Saint-Denis) constate ainsi : « Ce qui pèse aussi sur la fonction, ce sont toutes ces informations qui doivent être mises en place du jour pour le lendemain. Alors qu’on est déjà dans une espèce d’urgence, on est submergés d’informations contradictoires, avec une hiérarchie qui découvre la veille pour le lendemain les annonces du ministre sur BFM ou dans la Foire aux questions du site du ministère. » Les directeurs doivent désormais rédiger des « plans de continuité pédagogique » expliquant comment l’école s’organisera pour maintenir le lien entre l’élève qui devrait s’absenter et son enseignant. « On considère que parce que c’est écrit, ça va être effectif et que l’école met les moyens pour que ça le soit. Alors qu’on sait que ça ne va servir à rien », déplore Sabine Duran.

Dépendantes du bon vouloir des mairies

La mairie de Cavaillon (Vaucluse) « nous donne moins de 30 euros par an et par enfant et nous n’avons pas le droit d’utiliser les transports collectifs. Malgré des programmes nationaux, les disparités de territoires se répercutent sur le vécu scolaire des enfants », déplore Lauranne Giovanelli, directrice d’école maternelle.

© Anne Paq

Les directrices font l’interface avec la mairie, les parents, les collègues, la hiérarchie…

Cette surenchère de travail administratif arrive dans un contexte où les directeurs d’école se trouvaient déjà « au centre d’une configuration d’une pluralité d’acteurs qui ont tous des enjeux de pouvoir différents », comme l’observe dans son livre La direction d’école à l’heure du management la chercheuse Cécile Rouaux, qui a exercé comme directrice d’école pendant 14 ans.

Les directeurs se doivent d’être disponibles et de répondre à toutes les demandes. Cécile Rouaux parle d’un rôle « d’agent toutes mains », à qui est délégué le « sale boulot ». Elle souligne « la fragmentation et la brièveté des activités où l’imprévu, voire l’urgence, ponctue les tâches courantes. » Sabine Duran parle elle de toutes ces « petites choses qui constituent la charge mentale », chaque action entreprise étant susceptible d’être interrompue par une nouvelle demande.

Qu’il y ait besoin de changer une ampoule, de réparer une fuite d’eau ou le chauffage tombé en panne, de repeindre une salle de classe ou de colmater une fissure conséquente, le directeur s’adresse à la mairie, responsable de l’entretien des locaux. Entre la demande de travaux et sa réalisation, il peut se passer beaucoup de temps, notamment lorsque la mairie doit faire appel à un prestataire extérieur. Face au bureau de directrice de Marie Viennot, une liste de différents travaux sont notés sur un grand tableau blanc. Un trait vert indique les « demandes faites ». Certains sont écrits depuis deux ans, comme le mot « Stores », qu’elle n’arrive même plus à effacer.

Des demandes en souffrance depuis des années

Face au bureau de directrice de Marie Viennot (Ville-d’Avray, Hauts-de-Seine) une liste de différents travaux sont notés sur un grand tableau blanc. Un trait vert indique les « demandes faites ». Certains sont écrits depuis deux ans, comme le mot « Stores », qu’elle n’arrive même plus à effacer. C’est leur lot quotidien face à de nombreuses mairies, de droite comme de gauche...

© Anne Paq

De la mairie dépendent aussi certains professionnels qui travaillent au sein de l’école. Avant l’heure du début de la classe, pendant la pause méridienne et après la fin de la classe, les animateurs qui s’occupent des enfants sont salariés de la mairie. C’est aussi le cas des ATSEM qui aident les enseignants au bon déroulement de la classe en maternelle. Certaines mairies décident ainsi que les classes de grande section de maternelle ont besoin d’ATSEM, d’autres non.

Une partie du budget de l’école dépend également de la mairie. Lauranne Giovanelli pointe ainsi : « la mairie de Cavaillon [à majorité LR, ndlr] nous donne moins de 30 euros par an et par enfant et nous n’avons pas le droit d’utiliser les transports collectifs. Dans le village d’en face, le budget est de 44 euros par enfant, un bus reste à la disposition des écoles et la mairie offre une place à tous les élèves lorsque le cinéma passe un film pour les enfants. Ils ont accès à la médiathèque de leur ville autant qu’ils veulent. Nous, nous y avons droit une fois dans l’année. Malgré des programmes nationaux, les disparités de territoires se répercutent sur le vécu scolaire des enfants. Selon la mairie dont on dépend, on ne fait pas le même travail. »

Scolariser les enfants en situation de handicap : un an d’attente

« La question du handicap prend beaucoup de temps. C’est particulièrement difficile, en premier lieu pour les enfants et leurs familles, quand on sait qu’un enfant a besoin de soins. Il y a un an d’attente », explique Sabine Duran, directrice d’école élémentaire classée REP+, à Pantin (Seine-Saint-Denis).

© Anne Paq

Les écoles qui connaissent les plus grandes concentrations de difficultés sociales, comme celle de Sabine Duran à Pantin, sont classées REP+ (Réseaux d’éducation prioritaire renforcée). À ce titre, elles bénéficient de plus de moyens que les autres. Les enseignants touchent une prime, la directrice aussi. Elle est de 426 euros brut par mois pour Sabine Duran. Les enfants sont moins nombreux par classe, les enseignants ont des temps de formation.

Pour autant, certains élèves ont aussi besoin d’une aide extérieure à l’école. Dans ce cas, le directeur s’occupe des relations avec les partenaires extérieurs comme les psychologues et orthophonistes sollicités. Il doit arriver à faire concorder des agendas qui n’ont pas les mêmes impératifs.« La question du handicap prend beaucoup de temps. On peut faire beaucoup de réunions pour un élève, parfois simplement pour dire qu’il n’y a toujours pas de place en CMPP [3]. C’est particulièrement difficile, en premier lieu pour les enfants et leurs familles, quand on sait qu’un enfant a besoin de soins. Il y a un an d’attente. Parfois une famille qu’on a eu du mal à convaincre va finir par lâcher l’affaire tellement l’attente est longue », observe Sabine Duran. La pénurie de moyens entraîne là aussi une surcharge de travail.

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À Cavaillon, l’école de Lauranne Giovannelli n’est plus classée REP car ses élèves ne vont pas ensuite dans un collège classé REP. Pourtant, « l’école située à 600 mètres est classée REP. Ce sont les mêmes enfants dans les deux écoles mais on ne fait plus du tout le même métier que nos collègues. Chez nous les enfants sont 29 par classe, chez eux 12 ou 15. Les enseignants ont une prime de 300 euros par mois. Pas nous. »

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Les directrices d’école n’ont pas le temps de faire tout ce qu’elles devraient faire. Alors elles arbitrent en fonction de la situation et du sens qu’elles donnent à leur travail. « Je priorise tout ce qui concerne la situation des élèves en difficultés plutôt que la mise en place de modalités de circulation pour éviter que les élèves se croisent. Je reçois une famille qui a besoin de trouver des soins pour ses enfants avant de remplir une enquête administrative », explique Sabine Duran. À Ville-d’Avray, Marie Viennot reçoit chaque famille dont l’enfant va entrer à l’école. Elle y tient beaucoup : « L’entretien dure au moins une demi-heure mais je gagne du temps pour trois ans : les parents me connaissent et s’ils sont perdus ils savent vers qui aller. » Certains de ses collègues ont renoncé à ces entretiens. Au final, ceux qui ont choisi de se tourner vers cette fonction de directeur pour impulser des projets et animer une équipe ne peuvent plus y consacrer autant de temps qu’ils le souhaiteraient. La multiplication des protocoles sanitaires et des récentes inconséquences ministérielles ne constituent que « la goutte d’eau qui fait déborder le vase ».

Lucie Tourette
Photos : ©Anne Paq
En une : Marie Viennot, directrice d’une école maternelle à Ville-d’Avray (Hauts-de-Seine). ©Anne Paq

 

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