Tourisme de masse (3)
- Par Thierry LEDRU
- Le 30/07/2018
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Haro sur le tourisme de masse
http://media.lesechos.fr/infographie/tourisme-masse/
La planète s’affole devant des flux de touristes toujours plus nombreux : 1,3 milliard en 2017, selon l’Organisation mondiale du tourisme, en hausse de 7% sur un an. Et aucun signe de ralentissement en vue. Ni les crises économiques, ni les tensions géopolitiques n’ont durablement infléchi cette croissance. On attendrait 500 millions de visiteurs supplémentaires pour 2030, dont la moitié viendrait de Chine.
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Geneviève Thibaud & Jules Grandin
Les pays d’Europe accueillaient plus des deux tiers des touristes internationaux en 1980, l’Amérique du Nord 16%, les autres régions du monde se partageant les miettes. En 2017, l’Europe capte 51% des arrivées, l’Amérique toujours 16%, mais l’Asie-Pacifique 24%, avec l’émergence de la Chine passée au 3e rang (4e, en 2016) des destinations touristiques. Et même au premier rang, en incluant Macao et Hong Kong.
La Chine dans le « Top 5 » des destinations
Evolution des 20 premières destinations touristiques, en 1980 et 2016
L’asphyxie menace déjà certains sites. Les habitants de Barcelone, de Palma, ou de Venise, manifestant régulièrement leur exaspération devant les nuisances provoquées par ces hordes de touristes, les autorités ont fini par réagir, à coups de restrictions sur les locations saisonnières, de réglementation ou d’interdiction. A tel point que la tendance est à l’inventaire des sites à éviter absolument. Tour d’horizon de ces destinations en « overtourism » mises sous surveillance.
Les sites fermés
THAÏLANDE
Maya Bay
Immortalisé par Danny Boyle, dans le film « La Plage » avec Leonardo DiCaprio, ce lagon aux eaux cristallines est devenu un spot mondial attirant 5 000 curieux/jour. Au péril de l’environnement. 77% du corail aurait disparu, selon les scientifiques.
Les autorités ont fini par juger que Maya Bay, comme une vingtaine d’autres sites de plongée, avait besoin d'une pause. L’accès est fermé jusqu’en septembre prochain, pour permettre de transplanter du corail d'autres endroits mieux préservés. Par la suite, le nombre de visiteurs pouvant accoster sera limité à 2 000 par jour.
PHILIPPINES
île de Boracay
Cette île paradisiaque de l’archipel des Visayas accueillait plus de 2 millions de visiteurs par an, avant que Rodrigo Duterte, le président philippin, n’annonce sa fermeture pour six mois, jusqu’en octobre prochain. Face à "ce cloaque surpeuplé", selon ses mots, il était urgent de nettoyer les déchets et de dépolluer. Malheureusement cette opération serait un préliminaire à la construction d’un vaste complexe de loisirs.
AUSTRALIE
Uluru
C’est sans doute le rocher le plus connu et le plus photographié de la planète : il a été rendu célèbre par une image de Charles et Diana, le couple royal britannique, posant devant cette falaise lors d’un voyage en 1983. Les touristes se contenteront de l’admirer de loin. L'ascension de cette formation rocheuse, sacrée pour les Aborigènes, sera interdite à partir du 26 octobre 2019.
MEXIQUE
Chichen Itza
L’escalade de la pyramide de Kukulkan de ce site maya est désormais interdite, et la salle du trône est fermée.
Les quotas
INDE
Taj Mahal
Le site accueille entre 10 000 et 15 000 visiteurs/jour, un chiffre pouvant atteindre 70 000 le week-end. Une surfréquentation qui fragilise particulièrement les fondations du palais. Depuis janvier dernier, les autorités ont limité le nombre de visiteurs quotidiens à 40 000. Cette restriction ne concerne pas les touristes étrangers. Elle ne s'applique qu'aux Indiens, sauf s'ils acquittent le droit d’entrée réservés aux étrangers de 1 000 roupies (13 euros). La visite ne peut plus excéder trois heures.
ITALIE
Venise
Pour éviter le « Venexodus », l’exode des habitants face à la marée de touristes, la municipalité a lancé un grand plan de régulation : gel de la création de nouveaux hôtels dans le centre-ville, réduction du nombre d'appartements en location touristique, des itinéraires alternatifs pour désengorger certains passages grâce à des capteurs placés à des endroits stratégiques, déploiement de policiers municipaux...
En attendant, les navires de croisière géants (plus de 96.000 tonneaux) ne passeront plus devant la place Saint-Marc. Ils devront accoster à Marghera, sur un nouveau terminal qui devrait être achevé en 2019.
GRÈCE
Santorin
Sur l’île, le nombre de visiteurs a été limité à 8 000 par jour, alors que l’an dernier pendant la haute saison, 10 000 à 13 000 croisiéristes étaient enregistrés.
PÉROU
Machu Picchu
En 2016, 1,4 million de touristes ont visité le site, dépassant la limite quotidienne des 2 500 fixée par l’Unesco. Pour éviter l’inscription du site sur la liste du Patrimoine mondial en péril, depuis juillet dernier, le Pérou a instauré de nouvelles règles visant à restreindre le nombre d’entrées : les touristes étrangers devront prendre un guide, afin d'éviter les attroupements de foule, emprunter l'un des trois itinéraires balisés durant un créneau horaire déterminé, limiter leur visite à 4 heures. Enfin, cannes à selfies, nourriture, ombrelles, chaussures à talons, poussettes, animaux et instruments de musique devront rester au vestiaire.
COLOMBIE
Caño Cristales
Au cœur de terres minées par des luttes entre factions rivales, aujourd’hui pacifiées, la destination a rouvert assez récemment. Mais les cohortes de touristes, 16 000 en 2016, dans un écosystème fragile préoccupent les autorités. En décembre dernier, l'accès a été restreint.
EQUATEUR
Iles Galapagos
Laboratoire vivant d' espèces uniques au monde (iguanes terrestres, tortues géantes, etc.), qui inspira à Charles Darwin sa théorie de l’évolution par la sélection naturelle, l île met le tourisme sous haute surveillance. Les visiteurs, désormais limités à 200 000 par an, signent une charte de bonne conduite. La marine militaire patrouille en mer.
CHILI
Ile de Pâques
Véritable musée à ciel ouvert, les fameuses statues Moai ne se laissent plus approcher sans billet vendu par les autorités locales ou les agences de voyage, instauré il y a deux ans. Le nombre de visiteurs est limité à 100 000 et la durée du séjour ne peut excéder 60 jours.
Réglementation, loi, taxe
NÉPAL
Mont Everest
Accéder au toit du monde se paye cher. Le permis d'ascension (« autorisation de sommet ») obligatoire pour tout étranger désireux d’accéder à un pic du Népal, se monnaye entre 10 000 et 15 000 dollars. En ajoutant la pension complète, l'équipement, le sherpa etc, l'expédition sur l'Everest coûte en moyenne 55 000 à 70 000 euros par personne. Depuis 2015, les grimpeurs « novices » sont écartés tandis que l'accent est mis sur la formation de petites cordées afin d'éviter les embouteillages sur les sentiers. Par ailleurs, pour lutter contre l’accumulation de déchets, chaque randonneur doit redescendre avec ses ordures (8 kg de déchets en plus de son matériel), sous peine de poursuites.
BHOUTAN
Le contraire du tourisme de masse. Ce pays très soucieux de préserver sa culture n’a entrouvert ses frontières aux étrangers qu’en 1974. Les restrictions demeurent nombreuses : les visiteurs, à l'exception de ceux provenant des pays voisins (Inde, Maldives, Bangladesh), doivent obtenir un visa d'un voyagiste agréé et s’acquitter d’une taxe journalière de 200 à 250 dollars selon la saison. Paradoxalement, ces mesures assez drastiques ont pu attirer des touristes soucieux d’authenticité. Le flux n’a de cesse de grossir: +412 % depuis 2010.
NOUVELLE-ZÉLANDE
A une hausse des frais de visas pourrait s’ajouter l'instauration d'une taxe de 35 dollars néo-zélandais (21 euros) imposées aux touristes étrangers, l’an prochain. Celle-ci servirait à financer des infrastructures publiques dont manque certaines régions du pays.
JAPON
Mont Fuji
Les visiteurs sont désormais invités à ramener leurs déchets, ne pas s’écarter des sentiers, ne pas faire de graffitis sur les pierres, etc. Un quota est également à l’étude.
TANZANIE
Kilimandjaro
Les touristes doivent impérativement passer par un guide local, engager des porteurs et s'acquitter des droits d'entrée du parc. L'ascension est interdite aux moins de 10 ans.
ITALIE
Florence
Le Kärcher pour empêcher les pique-niques devant les monuments de la ville : les policiers municipaux arrosent les marches des églises à l'heure du déjeuner pour empêcher les touristes de s'asseoir avec leur sandwich. La ville compte 5 866 touristes au km2.
ISLANDE
A l’éruption d'Eyjafjallajökull, qui a placé l'Islande sur la carte du tourisme, s’est ajoutée l’exposition offerte par la série culte « Game of Thrones », (les saisons 2,3, 4 et 7 y ont été tournées) et des vols bon marché. Résultat, des visiteurs toujours plus nombreux : 50 000 en 1994, 2,2 millions en 2018, pour seulement 330 000 habitants. On frôle l’overdose. Si le tourisme a sauvé l'économie à plat après la crise bancaire, les autorités entendent désormais mieux réguler ces flux de voyageurs pas toujours très soucieux d’environnement. En commençant par les encourager à signer une charte de bonne conduite. Sur un mode humoristique, « le serment islandais », se décline en huit principes essentiels comme « lorsque l’appel de la nature se fera sentir, je n’y répondrai pas sur la nature » ou encore « je suivrai la route qui mène à l’inconnu, sans jamais sortir des sentiers battus ».
ETATS-UNIS
Canyon de Zion (Utah)
Face aux embouteillages géants, les autorités ont interdit l’accès aux voitures d’avril à octobre.
ANTARCTIQUE
Une des dernières terres de conquête du tourisme mondial, l’Antarctique fait incontestablement rêver. Malgré la cherté de la destination, les croisiéristes, en particulier américains, se bousculent, obligeant les compagnies qui opèrent dans le secteur à s’accorder sur des règles. Les débarquements sont interdits aux paquebots de plus 500 passagers. Quant aux excursions terrestres, elles sont limitées à 100 personnes sur un même site à condition de stationner moins de trois heures
Restrictions à la location
FRANCE
Paris, Bordeaux, Nice
AMSTERDAM
Pays-Bas
Durcissement des règles autour des activités touristiques, comme les calèches et les « beer bikes », interdiction des cars et bateaux touristiques en centre-ville, augmentation de la taxe de séjour : la ville multiplient les initiatives. Les locations saisonnières sont également visées. Elles seront même interdites dans certains quartiers du centre pour les durées très courtes.
ROYAUME-UNI
Londres
La ville a limité la location saisonnière, pour les particuliers, à un maximum de 90 jours dans l'année.
ALLEMAGNE
Berlin
La municipalité a interdit aux particuliers la location saisonnière d'appartements entiers.
Les destinations qui explosent
Cinq des dix destinations qui affichent les plus fortes croissances se situent en Chine ou en Inde. Ce qui laisse présager d'un futur raz de marée, d’autant que ces chiffres ne tiennent pas compte des touristes voyageant dans leur propre pays, estimés à entre 3 et 4 milliards. Ainsi, sur les 750 millions de touristes visitant l’Inde, seuls 16 millions sont étrangers, les Indiens formant l’immense majorité (98%). A un tourisme international croissant s’ajoute un tourisme national véritablement exponentiel. Aucune raison, par exemple, que la classe moyenne des pays d’Afrique sub-saharienne n’échappe à cette vague de fond.
Evolution du nombre de touristes internationaux, entre 2000 et 2017
Deux capitales asiatiques sur le podium
En tête du classement des villes les plus visitées l’an dernier, on retrouve Hong Kong suivi de Bangkok, qui dépasse Londres depuis 2015. Les capitales asiatiques dominent le classement mondial des destinations grâce à l’inexorable montée en puissance de la Chine. A un tourisme urbain plus culturel, associé quelquefois au shopping (Dubai, Singapour, Londres), ou religieux (Rome, La Mecque) s’ajoute un tourisme balnéaire ultraconcentré. A Cancun, Pattaya ou Phuket, le nombre de touristes au mètre carré affole les compteurs, pour une population locale, elle, quasi-inexistante. L’entre-soi du tourisme de masse poussé à son comble.
« Top 30 » des villes accueillant le plus de touristes
Note : L’OMT mesure les entrées de visiteurs internationaux passant une nuit hors de leur pays d’origine. Les voyages de vacances, de détentes ou de loisir ont représenté la moitié des arrivées.
SOURCES : OMT, Euromonitor, AFP, The Guardian, BBC, le Monde.
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