JUSQU'AU BOUT : les enfants

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Un roman particulier pour moi et c'est très symbolique qu'il soit publié alors que je suis à quatre mois du départ à la retraite. 

Tout au long du roman, les enfants de la classe seront le prétexte à des prises de décisions extrêmes de la part de Pierre, jeune instituteur, nommé sur son premier poste. 

Un "prétexte" car il ne s'agit pas de la source même de sa rage et de sa détermination. C'est la douleur existentielle qui est à la source de tout, cette douleur qui plonge l'individu dans une détresse insondable.

La question est simple en fait : qu'est-ce qui donne à la vie sa puissance, qu'est-ce qui enflamme l'esprit, qu'est-ce qui nourrit l'énergie de vie ?

J'ai 57 ans et j'ai croisé beaucoup de gens dont l'existence me paraissait totalement insipide. Je sais que c'était un jugement et qu'il aurait fallu que je vive avec ces gens pour pouvoir établir un constat plus lucide et encore aurait-il fallu que je ne "juge" pas de leurs existences à travers le filtre de mes propres repères. 

Je sais que tout cela était faux et évidemment injuste. J'ai longtemps été dans le jugement. 

 

Pierre, lui, le héros de ce roman, ne prend aucun recul. Non seulement, il juge mais il condamne également. Les enfants et la nature qu'il vénère sont les deux lumières qui éclairent sa voie. 

Rien, ni personne ne peut leur porter atteinte.

Sans en subir les conséquences.

 

 

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EXTRAIT

« Je n’utilise jamais le mot « élève. » C’est beaucoup trop réducteur. Il sous-entend qu’on ne s’intéresse qu’à l’aspect scolaire de l’enfant, qu’à ses capacités intellectuelles dans des domaines précis, ceux ci ne représentant d’ailleurs aucunement à mes yeux la quintessence de l’intelligence.

L’intelligence de l’être humain, c’est, avant tout, sa capacité à s’adapter à toutes les situations pour continuer à progresser.

C’est au maître de s’évaluer en jugeant du bonheur que les enfants ont eu à apprendre et de l’envie qu’ils éprouvent à continuer. La plus belle note, c’est l’éclat de rire de l’enfant devant un travail.

Quand, à la fin de la maternelle, certains enfants ne veulent plus de l’école, il s’agit à mes yeux d’un meurtre. Et les enseignants coupables sont des assassins.

Eux aussi mériteraient d’être exécutés. »

 

 

VIII

Mercredi.

Il rentra à Coëtlogon en début d’après-midi. Il pleuvait par intermittences. Il eut le sentiment qu’il avait uniquement attendu cette journée, occupant laborieusement les vacances, cherchant à accélérer le déroulement du temps.

PSG - OM, c’était bien la première fois qu’un match de foot allait lui servir à quelque chose.

Il s’installa à dix-huit heures. Le bosquet de noisetiers, dépouillé de ses feuilles, s’était garni de stalactites translucides. Entre les falaises sombres, le soleil était impuissant à réchauffer l’air humide et glacé. La couverture nuageuse maintenait prisonnière une brume pénétrante, remplacée régulièrement par des averses soudaines. La nature était une alliée fidèle. Deux voitures passèrent précautionneusement dans l’heure suivante.

Alors que l’humidité pesante commençait à traverser ses vêtements, un mugissement profond se fit entendre. Il se secoua pour ranimer ses muscles engourdis. Il serra le manche du lance-pierres, l’arma d’un boulon et en plaça deux autres dans sa bouche. C’était là qu’il était le plus facile de saisir les munitions nécessaires. C’était une technique qu’il maîtrisait parfaitement. Enfant, il avait passé des journées entières à affiner son tir. Même les cibles mobiles ne lui résistaient pas.

L’engin approchait, le ronflement puissant du moteur emplissant le silence comme une vague qui déferle. Il imagina un court instant les animaux de la terre fuyant devant le monstre et lui, attendant patiemment la rencontre fatidique. Identique à celle qu’il ressentait en entrant dans un sauna, une puissante excitation l’enflamma. Un orgasme cérébral. Il bandait de tout son être.

Comme à l’intérieur d’une caisse de résonance, le hurlement du moteur, entre les falaises, imposa sa domination.

Le faisceau des phares tranchait la nuit mouillée et ouvrait la route. L’engin surgit au bout de la ligne droite et dans un furieux vacarme s’approcha rapidement.

Il eut quelques secondes pour se réjouir de la vitesse du monstre. Trente mètres.

Il tendit la gomme au maximum, retint sa respiration et lâcha le projectile. Il n’entendit pas l’impact du boulon sur le pare-brise mais l’écart brutal de l’engin le rassura immédiatement sur la qualité du tir. Il arma de nouveau et au moment où la cabine passait à sa hauteur tira dans le carreau latéral qui vola en éclats. Une deuxième embardée entraîna l’engin sur le bas-côté glissant. Un écart violent ramena la cabine sur la route mais la remorque amplifia le mouvement. La motrice traversa la chaussée pour heurter la falaise dans un énorme déchirement de tôles. Le semi, aussitôt projeté dans la direction opposée, les roues bloquées, glissa sur le revêtement patiné, la masse incontrôlable de la remorque poussant irrésistiblement. La cabine s’envola et plongea vers le ruisseau.

Dans un fracas tonitruant, l’engin se disloqua, la remorque, animée d’un élan dévastateur, se dressa telle une colonne vertébrale, dépassa la cabine et se pulvérisa dans un vacarme apocalyptique. Des hurlements de tôles broyées se répercutèrent sans fin dans la gorge.

Il ne ferma jamais les yeux, gravant chaque instant dans sa mémoire. Quelle victoire ! David contre Goliath ! Il sortit du renfoncement et s’approcha en courant. Il contempla les monceaux de ferraille. Sur la remorque éventrée, deux roues tournaient encore.

Il pensa aux soubresauts des pattes de la biche.

Il espéra que l’agonie du tueur durerait quelques minutes. Il aurait aimé descendre jusqu’à la cabine mais c’était trop risqué. Il préféra disparaître dans l’ombre du chemin menant au plateau."

 

 

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