Covid, direction d’école, salaires : le ministère se fiche des enseignants
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Un peu plus d’un mois après la rentrée, le moral des enseignants n’est pas franchement au beau fixe. Entre la situation sanitaire et les principaux dossiers en cours, les profs ont comme l’impression qu’on se fiche pas mal d’eux, rue de Grenelle.
Covid : l’entourloupe statistique
« On est prêt », nous assurait-on. Comme on nous avait déjà fait le coup lors du confinement, on était méfiant, et on n'avait pas tort : il a fallu à peine une semaine au scénario officiel pour voler en éclats.
Le 1er septembre le protocole sanitaire était clair en cas d’élève covid+ : classe fermée, tous les élèves et l’enseignant testés et en quatorzaine. Une semaine plus tard, il y avait tant d’élèves positifs dans certaines régions (à Marseille, à Paris, notamment) que la consigne, off, a commencé à circuler : « On ne ferme plus de classe ». Le problème ? Quand on ferme une classe pour 1 cas positif, ce sont 30 enfants à garder à la maison, et 30 parents qui ne peuvent pas aller travailler.
Et puis les cas ont continué à proliférer, au point qu’il a fallu changer le protocole : désormais, on ne ferme une classe qu’à partir de trois cas positifs. Des milliers d'élèves sont positifs, mais rarement trois dans la même classe, aussi le ministère obtient ce qu’il voulait, il n’y a quasiment plus de fermetures. Le ministre Blanquer peut parader dans les médias pour dire que la situation est sous contrôle à l’école.
La manipulation est énorme, les ficelles se voient comme des câbles haute-tension, on dirait Kevin quand il me montre son dernier tour de magie dans la cour de récréation et que je fais semblant de ne pas voir les cartes dans sa manche. Mais ça passe.
Les enseignants, qui aimeraient bien savoir définitivement si les enfants sont moins contaminants que les adultes (c’est bien possible, vu qu’ils sont largement asymptomatiques) ont franchement le sentiment que le ministère se fiche du monde, avec sa communication nord-coréenne qui n'a qu'un objectif : minimiser les chiffres.
La vérité, qui justifie cette entourloupe statistique, c’est que les écoles doivent rester ouvertes, non seulement parce que les élèves ont besoin de leur enseignant à leurs côtés pour progresser, mais surtout parce que leurs parents ont besoin d’aller travailler. Personnellement, c’est quelque chose que je comprends parfaitement, il est clair que la santé économique du pays est un enjeu considérable, et je n’ai aucune envie d’assister au grand collapse. Mais alors, pourquoi ne nous dit-on pas « vous avez un rôle majeur à jouer dans cette continuité économique, en plus de préparer la nation de demain vous permettez à celle d’aujourd’hui d’exister, c’est parce que vous jouez votre rôle que les autres travailleurs peuvent jouer le leur, et la patrie vous en est infiniment reconnaissante » ?
Au lieu de quoi les profs assistent atterrés aux prises de parole de leur ministre sur l’air de « Madame la marquise », en totale contradiction avec la réalité du terrain, leur réalité.
En guise de cerise sur cet indigeste gâteau, il y a eu l’affaire des masques slips DIM fournis par le ministère aux enseignants, un véritable scandale sanitaire, puisque ledit masque faisait de l’enseignant un cas contact en cas de covid+ dans la classe, contrairement au masque chirurgical. Autant dire que les profs ont doublement eu le sentiment qu’on se foutait d’eux puisqu’il a suffi, là encore, qu’on modifie le protocole pour régler le problème : dans les faits rien n’a changé, mais la définition du cas contact a simplement été modifiée.
Direction d’école : rien n’a changé
Cette semaine on a commémoré le suicide de Christine Renon, il y a un an tout juste. On se souvient de cette directrice d’école de Pantin, suicidée sur son lieu de travail en laissant une lettre qui avait fait grand bruit, dans laquelle elle pointait clairement les responsabilités de l’institution dans le surmenage de nombre de ses collègues et leur solitude dans la gestion quotidienne des problèmes de l’école. Il avait fallu l’émoi de toute une profession pour que le sujet émerge et que les médias s’en emparent, relayant le ras-le-bol des directeurs et obligeant le ministère à communiquer sur le sujet et à promettre des changements.
Il fut d’abord question d’aide à la direction avec la mise à disposition de services civiques, mais les rares SC qui ont été aperçus étaient déjà prévus, et puis il fallait les former, ils ne pouvaient pas faire grand-chose, bref, un sparadrap sur une plaie béante.
Il a fallu attendre la fin de l’année scolaire pour voir la suite, sous la forme de la « loi Rilhac » (du nom de la députée LREM) sur les directeurs d’école votée en juin dernier. Dans les faits, la loi, vidée de sa substance par les députés… LREM, a enterré l’emploi fonctionnel de directeur d’école, maintenu le rôle du directeur dans le flou, lui accordant un maigre droit de véto au sein du conseil d’école, mais surtout pas les jours de décharges tant demandés par les directeurs : l’article 2 qui prévoyait des décharges de direction pour les écoles de 8 classes a été purement et simplement abandonné (pas de budget pour ça). Côté rémunération, pas d’augmentation puisque pas « d’emploi fonctionnel », mais un simple avancement accéléré en forme d’os à ronger.
Bref, comme l’a parfaitement résumé un député de l’opposition : « A partir de maintenant tout sera comme avant ».
… Entretemps, les directeurs d’école ont eu à gérer la crise covid de plein fouet, ce furent notamment les seuls interlocuteurs de parents déboussolés et énervés, lors du déconfinement, par les contradictions entre la réalité du terrain et ce que vendait abusivement la parole ministérielle et gouvernementale ; à nouveau depuis la rentrée, avec la multiplication des cas d’enfants et d’enseignants positifs au covid, les directeurs d’école se retrouvent en surmenage, à devoir jouer (en plus d’enseigner, pour nombre d’entre eux, et en plus de gérer les habituels problèmes administratifs), le rôle de rustine, de piston, de courroie de transmission, bref, à se démultiplier dans tous les sens pour que l’école fonctionne. Le ministère a promis une prime covid pour les directeurs d’ici la fin de l’année, mais en attendant, leur situation est sans doute pire qu’il y a un an, lorsque Christine Renon s’est donné la mort.
Salaires : roupie de sansonnet
On se souvient, c’était il y a un peu moins d’un an (décidément, que de promesses faites, fin 2019…), le ministre et le gouvernement avaient garanti aux profs une revalorisation sans précédent, on parlait de 10 milliards par an de budget supplémentaire de l’EN consacrés aux salaires des profs, on allait voir ce qu’on allait voir, ceux qui osaient douter se faisaient reprendre de volée, si si, on vous assure, cette fois-ci c’est pour de bon, imaginez un peu, des centaines d’euros mensuels pour tous les profs, à terme, on allait enfin rattraper le retard de salaire par rapport aux collègues étrangers, enrayer la vertigineuse baisse du pouvoir d’achat.
Un an plus tard, on ne voit toujours rien venir. Les quelques euros en plus sur la fiche de paie début 2020 étaient dus aux accords PPCR passés sous le précédent gouvernement et que le présent avait confisqués une année durant en repoussant leur mise en place. Et puis, rien d’autre, si ce n’est qu’au printemps la baudruche avait commencé à se dégonfler, il n’était plus question d’augmentation jusqu’à 2037 (non mais, quelqu’un y a-t-il vraiment cru, ailleurs qu’au Figaro ?) mais d’un simple plan quinquennal sous la forme d’une loi de programmation portant sur la période 2022-2026 suscitant juste quelques rictus désabusés chez les profs.
Cette semaine, le budget de l’EN pour 2021 a été annoncé, l’enveloppe allouée aux augmentations de salaire se résume à 400 millions d’euros, et non plus 500 millions d’euros comme prévu initialement. De l’extérieur cela peut sembler une coquette somme, mais dans les faits on ne peut tellement rien faire avec qu’il faut faire des choix et celui du ministère consiste à favoriser les profs débutants, qui auront droit l'année prochaine à quelques dizaines d'euros de plus sur leur fiche de paie chaque mois. Tant mieux pour eux, sincèrement, mais on n’est pas dupes de la manœuvre : le ministère cherche à relancer l’attractivité du métier en proposant des salaires d’entrée un peu moins repoussoirs, mais les jeunes profs doivent comprendre qu’en contrepartie leur salaire va stagner plus longtemps avant de rejoindre celui des autres profs, qui eux, verront une nouvelle leur pouvoir d'achat baisser en 2021, comme depuis des années.
Quant aux profs qui auraient l'idée de dire « ah mais comment, on sort des centaines de milliards d’euros pour relancer le pays, et il n’y a rien pour les profs qui s’appauvrissent depuis deux décennies ? », ma foi ils auront une idée de l’estime que leur porte le président avec ces propos, tenus au ministre Blanquer qui avait demandé, une fois n’est pas coutume, la création de 3 000 postes de profs : « C’est le genre de créations d’emplois qui vont aggraver le déficit et qui ne servent pas à redresser le pays ».
Pour boucler cette bien belle semaine, on a découvert le calendrier du bac 2021… dans les journaux (le Figaro). Les syndicats eux-mêmes n’étaient pas au courant : comme d’habitude le ministère s’est débrouillé de son côté, sans consulter, et son calendrier semble aberrant et totalement hors-sol, les épreuves commencent en mars, c’est intenable. C’est ce qui arrive quand on ne demande pas leur avis aux gens qui bossent sur le terrain : on fait un peu n’importe quoi.
Voilà, sinon le sujet de la semaine n’a été aucun de ceux-là, il était bien plus urgent, visiblement, de parler de la manière de s’habiller des collégiennes, du retour de l’uniforme (on le répète, il n’y a jamais eu d’uniforme en France dans le public, tout au plus des blouses) et de faire des sondages sur le degré d’acceptabilité des décolletés de ces demoiselles.
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