Pic pétrolier
- Par Thierry LEDRU
- Le 23/08/2018
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Lorsque j'ai entamé l'écriture du roman "Les héros sont tous morts", je n'avais aucune idée de l'ampleur que cette histoire allait prendre dans ma vie...
Je ne pourrais pas comptabiliser les heures de lecture ni les documents que j'ai compilés.
Rien de ce que j'écris dans le deuxième tome de ce qui est devenue une trilogie ne relève de la fiction. Tout est réel.
Dans le tome 3, j'entrerai intégralement dans l'anticipation.
Sauf si la réalité va plus vite que ma capacité de travail.
"Il est improbable que les hommes renoncent à la croissance, mais la contrainte énergétique peut nous y conduire, et il vaut mieux s’y préparer."
https://aspofrance.org/2018/07/01/que-devient-le-pic-de-petrole%e2%80%89-interview-de-p-brocorens-par-la-revue-silence-octobre-2017/
1 - L'Agence internationale de l'énergie estime que le pic de production de pétrole conventionnel a été passé en 2006. Avant cette date, on parlait pour l'après-pic d'une courbe de consommation en "tôle ondulée" : quand le prix monte, la consommation ralentit, provoquant une surproduction, le prix baisse alors relançant la consommation… et donc la hausse des prix. Pourtant, après une brève période d'augmentation du prix du pétrole (140 $ en 2008), tout continue comme avant. Pourquoi ? Les choses évoluent, au contraire. L’échelle de temps est essentielle, et dans notre société du buzz, il est difficile de percevoir des évolutions de temps long. Depuis qu’on exploite le pétrole, le débit de production est soumis à des contraintes : géologiques, techniques, économiques, géopolitiques, et autres. Par le passé, ces contraintes n’ont jamais été suffisantes au point d’enrayer durablement la croissance de la production, car l’augmentation de certaines contraintes (épuisement de gisements,…) était plus que compensée (nouvelles découvertes, progrès techniques,…). Mais petit à petit, le rapport de force s’inverse sous l’action des contraintes géologiques, les ressources étant finies. Pour le brut conventionnel, cette dégradation s’est d’abord marquée au niveau des découvertes. Depuis le milieu du XIXème siècle, et pendant environ cent ans, elles ont augmenté tendanciellement. Mais vers 1960, le pic est atteint, le déclin commence. Dans les années 1980s, la courbe des découvertes (en baisse) croise la courbe de production (en hausse). A partir de cette date, les découvertes ne renouvellent plus assez les réserves. Un pic de production devient inévitable. Il eut lieu au début du nouveau millénaire, 40 ans après le pic des découvertes. Les prix flambèrent. Ce fut la surprise, car l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) prévoyait une production en forte croissance dans les vingt ans à venir (Fig.1) et des prix stables (Fig.2). Le pic du brut conventionnel, ça concerne 75% des liquides pétroliers. Enorme ! Mais rares sont ceux qui ont pris la mesure du phénomène. L’AIE, vous l’écrivez, a reconnu un pic de production, mais dans un langage ambigu et inaudible. La contrainte économique est mise en avant - si seulement les investissements avaient été plus élevés - et à travers elle, c’est l’origine humaine, supposée surmontable, qui est perçue, non la dimension géologique. On oublie que c’est à travers l’économie que la contrainte géologique se matérialise : entre 2000 et 2014, les investissements ont été multipliés par 250%, mais découvertes et production ont plafonné. Depuis plus de dix ans, l’AIE rabote ses prévisions de production, par petites touches, année après année (Fig.1).
Quant au lien prix-production, on a bien un scénario de plateau ondulant comme vous le décrivez, mais les variations de prix sont amples et avec des phases parfois très longues. Depuis le nouveau millénaire, on a connu deux phases de hausse, en 2000-2008 et 2009-2014, et deux phases de baisse, en 2008-2009 et depuis 2014. Les prix bas actuels ont raboté les investissements, si bien que la production de brut conventionnel devrait amplifier son effritement, lorsque les projets mis en chantier pendant les années fastes seront terminés. On peut donc s’attendre à une nouvelle phase de hausse des prix, que l’AIE anticipe aussi (Fig.2.). 2 - Le recours croissant au gaz (pour les centrales thermiques) et aux pétroles non conventionnels (pour les transports) peut-il se faire sans limite ? Les prix bas actuels s’expliquent par les pétroles « de schiste ». Ils ont relancé la croissance de la production d’hydrocarbures liquides qui avait été stoppée par le pic du brut conventionnel. Les pétroles « de schiste » ont été développés massivement aux USA grâce à une conjonction unique au monde de facteurs géologique, technique, économique, financier, législatif, et politique très favorables, qui les ont conduits en quelques années à représenter 5% de l’offre mondiale d’hydrocarbures liquides. C’est un exploit ! Mais 5%, c’est peu face aux 75% que constitue la part du brut conventionnel et qui, rappelons-le, entre en déclin. Et en dehors des USA, les pétroles « de schiste » sont freinés par les contraintes locales. Des développements majeurs auront lieu ailleurs dans le monde, ainsi que pour d’autres ressources comme les sables bitumineux, mais il est peu probable que les non-conventionnels repoussent le pic tous pétroles au-delà de 2030. 3 - Peux-on prévoir les pics de production des pétroles non-conventionnels ? (Gaz de schistes, schistes bitumineux) ? Qu'en est-il de celui du gaz naturel ? De celui du charbon ? Alors que les pétrole et gaz conventionnels sont concentrés dans des volumes de roches bien définis, pour les pétroles et gaz « de schiste », la concentration dans le sous-sol varie graduellement, depuis des zones libres d’hydrocarbures jusqu’à des zones très riches, ce qui rend l’étendue des zones exploitables – et le montant des réserves – très sensible au prix du pétrole. Les débits sont également très sensibles au prix, car très sensibles au rythme des forages. Ainsi, la production US a atteint un premier pic début 2015, est descendue jusque fin 2016, pour actuellement rebondir, imitant avec retard la volatilité des prix. En fonction de l’évolution des prix, plusieurs pics de production peuvent donc se produire. Sur le long terme, le comportement de la demande à des prix plus élevés sera déterminant. Quant aux schistes bitumineux, ils ne sont que des précurseurs de pétrole et gaz. Pour obtenir des hydrocarbures, il faut les soumettre à une cuisson très énergivore qui rompt les grosses molécules solides en molécules plus petites, liquides et gazeuses. Ces ressources ne seront probablement envisagées qu’en cas de secours, à des prix supérieurs à 200$/b. A ces prix-là, le monde sera vraisemblablement engagé tous azimuts à sortir du pétrole, aussi les schistes bitumineux sont-ils exclus des scénarios de pic pétrolier. Pour gaz et charbon, on peut faire des analyses similaires, en séparant les différents types de ressources. Cependant, le pétrole est crucial. C’est le premier des trois hydrocarbures à franchir son pic, et vu son importance, les conséquences pourraient être incalculables et changer drastiquement les rythmes d’extraction des autres ressources.
4 - Le débat sur le réchauffement climatique indique qu'il faudrait laisser le maximum de ces énergies fossiles dans le sol pour éviter d'en libérer le CO2. Peut-on espérer que l'industrie pétrolière accepte de telles restrictions ? De même pour l'industrie charbonnière (et donc la possibilité de liquéfier le charbon pour en faire du carburant) ? Peut-on surtout espérer que nous, les drogués du pétrole, acceptions de telles restrictions ? L’énergie représente la capacité d’action et de transformation du monde, et le pétrole nous a offert une capacité d’action gigantesque. Qui pourrait s’en passer ? Tout est fait pour qu’il y ait plus d’échanges et d’action, garants de croissance économique et d’intégration dans la société de consommation. Quant aux pays exportateurs de pétrole, exporter leur permet d’acheter la paix sociale. Ce n’est pas un hasard si le printemps arabe a emporté Syrie, Yemen, Tunisie, et Egypte. Le pic pétrolier franchi des années auparavant fut clairement un facteur déstabilisateur, éliminant recettes de l’état et gonflant ses dépenses. Dans ces pays, un élément clé du contrat social est la disponibilité d’énergie à bas prix. C’est possible tant que le pays est auto-suffisant, mais ruineux une fois qu’il devient importateur, ce qui oblige à des ajustements impopulaires. En bref, ces pays ont vécu une transition pétrolière, et elle est bien différente des clichés : pas de pénurie physique, mais une réorganisation profonde des flux économiques et financiers au sein de la société.
D’autre part, le Yemen et la Syrie ont vu la chute de production s’accélérer avec la guerre civile. Ainsi, déclin de production et déstabilisation du pays peuvent se renforcer l’un l’autre. Si de telles évolutions devaient se reproduire, il sera difficile d’avoir conscience qu’on franchit un pic pétrolier mondial. Le pic mondial étant la superposition de pics et déclins locaux, si ces déclins sont exacerbés par les événements géopolitiques, ce sera la géopolitique qui sera pointée du doigt, non les contraintes géologiques. C’est un élément clé à suivre, car le Venezuela (pour le conventionnel), l’Algérie, et le Nigéria sont entrés en transition pétrolière. 5 - Si on connait des scénarios pour une électricité 100 % renouvelables, il semble bien difficile d'imaginer une "sortie du pétrole" ou une "sortie des énergies fossiles". Le pétrole couvre environ un tiers de nos besoins énergétiques mondiaux, si on y ajoute le charbon et le gaz, on arrive à encore plus de 80 % (les biocarburants et les déchets font autour de 10 %, le nucléaire moins de 5 %, les renouvelables moins de 5 %). A part les économies d'énergie, quelles sont les pistes envisageables pour remplacer les énergies fossiles (dans le domaine énergétique, mais aussi dans la pétrochimie) ?
Oui, remplacer les énergies fossiles est une tâche colossale, et on n’a pas encore commencé. Au niveau mondial, les énergies alternatives ne remplacent pas les énergies fossiles. Elles viennent s’y ajouter. Pourtant, de nombreuses pistes sont connues, déclinées en énergies alternatives, économies d’énergie, et adaptations sociétales, mais elles doivent être développées beaucoup plus massivement qu’aujourd’hui pour avoir un impact. Il y a aussi des pistes novatrices, comme utiliser plusieurs fois la même calorie avant qu’elle ne se perde dans la nature sous forme de chaleur, stade ultime de dégradation de l’énergie. On profiterait de cette propriété pour faire réaliser un travail utile à la calorie, avant de valoriser sa forme dégradée là où de la chaleur basse température est requise. Ces dernières années, des radiateurs et chauffeeau électriques ont été créés avec des processeurs comme résistances chauffantes. Grâce aux réseaux, la capacité de calcul des processeurs est mise à disposition d’un utilisateur éloigné, alors que la chaleur produite est relâchée dans votre salon. Une calorie pour deux usages, c’est une économie d’énergie de 50%. Ceci dit, sur la durée, les efforts finissent toujours par être insuffisants dans un système de croissance économique continue. Il est improbable que les hommes renoncent à la croissance, mais la contrainte énergétique peut nous y conduire, et il vaut mieux s’y préparer."
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