Trail de l'échappée belle
- Par Thierry LEDRU
- Le 02/09/2018
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Léo, le benjamin de la famille, fait partie des 30 et quelques % de "finishers" de l'ultra trail de "l'échappée belle", c'est à dire la traversée de la chaîne de Belledonne de Vizille à Aiguebelle : 144 km et plus de 11 000 mètres de dénivelée. L'an passé, il avait dû abandonner à 30 km de l'arrivée avec un genou bloqué mais là, malgré la pluie, le froid et le vent, les chevilles et les mollets tétanisés, il est allé au bout...
Départ de Vizille vendredi à 6 h du matin et il a fini cette nuit à 4 h. Les dernières heures ont été très, très éprouvantes au point que la ligne semblait inatteignable et que chaque pas est un pas de trop.
Nathalie a géré la partie : encouragements, conseils, vêtements, biscuits énergétiques maison, thé, café, sur tous les ravitaillements et les massages des jambes de Léo, allongé dans le coffre de la voiture.
J'ai accompagné Léo sur la dernière partie et vraiment, vraiment, vraiment c'est absolument énorme, physiquement et psychologiquement... Là, il faut aller chercher les ressources les plus profondes, celles dont on ne sait même pas qu'elles existent...Immensément heureux et ému d'avoir vécu les 30 derniers kilomètres avec lui et de pouvoir le prendre dans mes bras après qu'il ait secoué la fameuse cloche de Belledonne que tous les participants rêvent d'atteindre...
Un ami me demandait :
"Ne devrait-il pas y avoir une limite qui s'appellerait la raison ?
- La raison, c'est de vouloir connaître intégralement ce qui est en soi. La déraison, c'est de penser que tout est connu. D'autre part, est-il raisonnable de voir autant de gens détruits par leur situation professionnelle, physiquement et psychologiquement, sans que RIEN, absolument rien de positif n'en soit retiré ? Ou de voir autant de gens détruits par une suralimentation sans que RIEN de positif n'en soit retiré ? ... Il y a beaucoup de situations dans ce monde "moderne" qui relèvent de la destruction, sans qu'aucune lucidité ne soit développée, aucun effet positif, aucun éveil, aucune connaissance profonde de l'être, juste un cadre "carcéral existentiel", des conditionnements, des "abandons", des désespérances qui finissent par être chroniques... Dans l'effort physique, volontaire, et qui suit un énorme entraînement personnel, physique et psychologique, (Léo s'est préparé pendant des mois) la décision est un choix délibéré et elle est assumée parce qu'elle engendre une exploration de soi qui dépasse le cadre "normal" de l'existence et ce qui est découvert est difficilement transmissible. On rejoint la problématique de l'alpinisme par exemple et de la fameuse expression de Lionel Terray : "les conquérants de l'inutile." C'est considéré comme "inutile" parce que ça n'a pas de valeur marchande (hors cadre professionnel sponsorisé) , parce que c'est totalement "déraisonnable" aux yeux de tous. Mais il faut regarder le regard de ceux et celles qui le vivent pour avoir une idée, une toute petite idée de ce que ça génère...Les yeux de Léo, cette nuit, malgré son extrême fatigue... je sais un peu ce qu'est cette "lumière"... J'ai passé un sacré paquet d'années à essayer de traduire ça dans mes romans. Maintenant, il prendra le temps nécessaire à sa récupération, il en retirera les "leçons" et il s'améliorera encore puis il trouvera un autre objectif, un palier supplémentaire, pour aller chercher ce qui n'est pas encore extrait et au final, c'est ce que fait l'humanité depuis son premier jour : aller voir plus loin, apprendre, découvrir, en retirer les enseignements, se connaître, partager, aimer la vie en soi, jusqu'à plus soif et pourtant, voir jaillir un jour le désir irrépressible de boire encore cette liqueur sublime, "l’élixir de vie"."
Première nuit, Léo, accompagné par un ami. Plusieurs camarades montagnards se sont partagés les tronçons pour que Léo soit toujours accompagné. J'ai pris la dernière partie, là où il avait dû abandonner l'an passé.
C'est très particulier la marche en montagne de nuit, une ambiance très forte, une concentration totale sur soi et le pas à faire, rien d'autre n'est visible et c'est un retournement intérieur indéfinissable...
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