La déception.



La déception.

Une réflexion suite à une discussion sur un forum que j’apprécie particulièrement.

 

Dans le concept du "dé-penser," que j’ai déjà développé, je me demande s'il n'est pas nécessaire d'abandonner toute idée de volonté étant donné que l'individu se soumet dès lors à la désillusion d'une volonté insuffisante...

La volonté implique encore une fois une projection temporelle. Lorsque je grimpe un col à vélo, si je me place dans la situation de volonté, je cours le risque de considérer que cette volonté soit un espoir : "Pourvu que j'ai la volonté d'aller jusqu'en haut..." Il convient dès lors que cette volonté reste impliquée dans l'instant présent, qu'elle ne soit même pas le moteur de ma progression dès lors qu'elle prendrait la place de la mise en action de mes forces physiques. L'état de conscience se doit de rester ancré dans ce potentiel physique et ne pas être "alourdi" par des pensées illusoires.

Ca n'est pas la "volonté pensée" qui peut me permettre d'arriver en haut mais la "volonté active".

J'en ai subi souvent des "décrochages" physiques dans des montées interminables et lorsque j'essayais d'observer ce qui s'était passé, je réalisais que ma "volonté pensée" avait pris le pas sur la lucidité afférente à mes ressources physiques, comme si cette pensée était venue "enivrer" la réalité de mon corps. Lorsque cette "pensée volonté" finit par lâcher prise, la chute est particulièrement violente, comme un élastique qui lâche...

Le "dé-penser" n'est absolument pas un abandon mais une exploitation constante de la réalité. Je ne suis que ce que mon corps produit et non ce que mon mental voudrait produire.
Walter Bonatti dans l'ascension des Drus en solo parle "d'état de grâce". Je me demande si cet état de grâce n'est pas justement un état de "dé-penser" qui permet d'explorer et d'exploiter la quintessence de l'individu. Il n'y a pas d'autre objectif que le pas que je fais. Même pas celui que je vais faire. Juste celui que je fais.

Est-ce que j’aurais raison d’être déçu par le fait que les médias ne s’intéressent pas à mes écrits et que dès lors, les lecteurs éventuels n’en entendent jamais parler ? Absurde.

J'écris pour moi avant tout, pour comprendre, aller au plus profond parce que la pensée est volage et que l'écrit propose au contraire une analyse approfondie, une autopsie du corps spirituel, un arrachement des vieilles peaux. Des éditeurs m’ont reproché d’être un "donneur de leçon". « Ca énerve le lecteur et il préfère aller voir ailleurs »...

Chose curieuse, les enfants qui lisent "Jarwal le lutin" ne me renvoient pas cette conclusion. Ils prennent tout simplement, sans se sentir "attaqués" ou pris en défaut. Il y a là quelque chose qui m'échappe...

Je n’ai aucun espoir par rapport à Jarwal, ni envers mes autres livres. Je ne dis pas que l'espoir est à bannir mais qu'il s'agit de l'identifier, d'analyser son apparition et de comprendre la menace qu'il fait peser sur l'individu. Si l'individu laisse l'espoir le guider, il ne peut pas ensuite se plaindre de la déception qui survient. Il est le seul responsable alors qu'il cherchera bien souvent des "coupables extérieurs"...

La vie n'a aucun espoir mais les pensées de l'individu en fabriquent un. Les pensées commentent la vie en lui donnant un apparat alors qu'elle n'en a aucun besoin.

L'espoir, j'ai laissé tomber depuis un moment, je sais que ça n'est qu'une illusion, tout comme le fait d'être déçu. Il s’agit du même fonctionnement.

Pour Jarwal le lutin, si je me dis que ça va être le succès et que c'est un gros plantage,  je serai le seul responsable de ma désillusion. J'ai écrit une histoire, j'ai fait ce que je pouvais pour la promo, le reste ça ne m'appartient pas. Même pas la peine que je m'en préoccupe. L'espoir, dans ce sens là, ça n'est que le ferment du malheur.

Ca ne m'empêche pas de me lancer dans des travaux, des projets, j'écris par exemple le tome 3 de Jarwal. Mais ce qui m'importe, c'est justement de me détacher totalement de toute forme d'espoir pour être pleinement investi dans ce que je fais et non dans ce que je pourrais espérer de ce que je fais. C'est l'acte qui m'importe et non ses conséquences.

 

On ne peut être déçu que de ce qu'on a espéré. C'est pour ça que je n'espère rien. Espérer, pour moi, ça n'est pas vivre mais espérer vivre. Etre déçu n'est que le résultat et c'est tout aussi faux que l'espoir. La vie ne peut pas être déçue mais je peux me décevoir de ce que je fais de la vie. Alors je m'en tiens à la vie en moi.

Cette attitude est perçue parfois comme une absence de sentiments et d’émotions. Les sentiments ne peuvent-ils exister que dans l'accomplissement d'un objectif ?

Si j'entre dans cette démarche, j'en oublie le sentiment généré par l'acte lui-même et c'est là, à mon sens, que se trouve l'erreur. Mes sentiments, je les éprouve dans l'acte lui-même et non dans ce qu'il contient. Prenons encore le cas du vélo. Si je me mets en tête d'atteindre un col et que mon bonheur ne peut exister que dans cet objectif, je me prive de tout ce que cette ascension contient, comme si la vie ne pouvait être vécue que dans la projection temporelle : "Je serai heureux quand je serai en haut. " Et bien non, je suis heureux de chaque effort et il m'arrive d'en rire tout seul ! Cette vie en moi, je la reçois avec une conscience infinie, parce que chaque instant est un bonheur. Le sommet n'est qu'un point géographique qui sert à atteindre cette plénitude. Juste un prétexte mais qui ne représente en aucun cas une pression que je m'impose. On n'a pas fait notre traversée du Jura à vélo par exemple. Je n'en suis pas déçu pour autant parce que chaque instant vécu contenait tout ce que je pouvais saisir. Et ce qu'on a vécu regorge de bonheurs assouvis. On n'a pas fait la traversée en entier ! Et alors ? Où est le problème ? On a pédalé, on a ri ensemble, on a partagé des moments remplis de bonheurs tout simples. Si on considérait cet objectif tronqué comme une déception, c'est nous et nous seuls qui fabriquerions notre déception. Ca n'est pas cette expérience qui serait un "échec" mais juste le commentaire intérieur qu'on élaborerait. Et cette déception nous empêcherait de garder en nous cette joie saisie au vol. C'est elle qui poserait un voile sombre sur cette expérience.
Lorsque j'écris par exemple, je ne le fais pas avec l'objectif d'être lu par des millions de lecteurs ! Ca serait absurde et cette pression me priverait de ce bonheur de construire une phrase, un chapitre, une histoire. Mon seul objectif est de mettre en forme ce que je porte. Et je suis immensément heureux de sentir parfois cette fluidité de mon raisonnement, ce flot continu des mots qui s'enchaînent.
Est-ce que l'amour que j'ai fait pour ma femme et mes enfants par exemple devraient porter un objectif autre que ce bonheur constant à saisir ? Est-ce qu'il y a une intention secrète, quelque chose que je chercherais à obtenir en retour ou est-ce qu'il s'agit juste d'honorer, à chaque instant, cette chance immense de pouvoir donner cet amour que je porte ?
Je suis rempli d'émotions, j'en suis gavé jusqu'à plus soif mais il n'y a aucune intention derrière tout ça, je ne suis pas déçu de ce que je pouvais espérer parce que je n'espère rien justement. Je vis.

Si je considérais que la vie se doit de répondre à des espoirs, cela signifierait que la vie elle-même a un espoir autre que la vie elle-même, comme si la création n'était pas achevée et qu'il faudrait atteindre un autre niveau. Je pense au contraire que de vouloir autre chose que ce que la vie apporte est le meilleur moyen pour ne pas être en vie mais de rêver de l'être.
Le rêveur est un être endormi. Et quand il se réveille, il sombre dans le cauchemar qu'il a lui-même fabriqué en voilant la vie des illusions de son sommeil.

 

Le désir a une intention et le sentiment est son parfum. Lorsqu'on aime la réalité de l'instant, il n'y a aucun désir puisque la projection temporelle a pris fin. Dès lors, les sentiments ne sont plus asservis à ce désir carcéral. Il ne reste qu'une infinie liberté. Et l'émotion est ineffable.

La déception est dès lors inconcevable.

Commentaires

  • Thierry
    • 1. Thierry Le 31/07/2011
    Bonjour Isa.
    Pas beaucoup à la maison ces jours-ci. D'ailleurs on repart et on ESPERE que la météo tiendra ^^C'est absurde de l'espérer mais on n'y échappe pas :)
  • Isa Lise-Bleue Azur
    Ce billet est fort intéressant et je partage votre avis sur bien des points. Suffit-il cependant de le décider pour se départir de l'espoir ? Est-il si simple de se séparer de la "volonté pensée" ? Il ne me semble toutefois pas que vous le prétendiez.
  • Thierry
    • 3. Thierry Le 24/07/2011
    Bienvenue chez moi Pascale. La porte est ouverte, jours et nuits, et je suis toujours enchanté d'accueillir de nouveaux voyageurs. Au plaisir de lire tes commentaires.
  • Pascale
    Un vrai traité de philosophie... de la vie ! Tu as écris (mieux que moi) ce que je pense... Sans toujours parvenir à ne "rien espérer" d'ailleurs !
    Je découvre ton blog et tes écrits grâce à notre discussion sur facebook... Alors, quand la comm fonctionne... On (se) découvre les uns les autres ! N'est-ce pas là l'important ?... à te lire !

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