La guerre des nuages

Un autre effet du réchauffement de la planète : la sécheresse, la quête de l'eau. Sans elle, aucune vie.

Qui aurait pu imaginer au début de la révolution industrielle qu'on en arriverait là ? En aussi peu de temps.

 

"Les pays signataires s’engagent à ne pas utiliser les nuages comme arme de guerre contre les autres pays signataires."

 

Une «guerre des nuages» est-elle possible ?

 

https://www.rfi.fr/fr/environnement/20240328-une-guerre-des-nuages-est-elle-possible

 

Une cinquantaine de pays procèdent à « l’ensemencement », une manipulation moléculaire des nuages pour les faire pleuvoir en cas de sécheresse ou pour éviter des précipitations potentiellement dévastatrices, comme la grêle. Mais à l’heure du changement climatique, ces techniques pourraient devenir source de tensions géopolitiques, alors que les conséquences sanitaires et environnementales sur le long terme ne sont pas connues.

Publié le : 28/03/2024 - 21:54

5 mn

« Il y a un vrai risque de guerre des nuages », selon Mathieu Simonet.

« Il y a un vrai risque de guerre des nuages », selon Mathieu Simonet. © Stefanie Schuler/RFI

Par : Stefanie Schüler Suivre

Depuis la nuit des temps, les nuages sont source d’espoir ou, au contraire, annonciateurs de malheur. Depuis les années 1940, des États tentent de dompter ces amassés de gouttelettes d’eau suspendus dans l’atmosphère. L’ensemencement consiste à y injecter de l’iodure d’argent. Les gouttelettes se concentrent alors autour de ces micro-sels et forment des gouttes d’eau qui tombent ensuite sur le sol.

Si l’efficacité de cette méthode ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté scientifique, elle n’est pas moins utilisée dans une cinquantaine de pays aujourd’hui, de la France à l’Inde en passant par l’Australie et Madagascar. « Depuis cinq ans, on assiste à une accélération de l’ensemencement des nuages à travers le monde. Il y a de plus en plus de techniques nouvelles, de plus en plus de pays qui manipulent les nuages », constate Mathieu Simonet, ex-avocat et auteur de La fin des nuages, aux éditions Julliard. « Récemment, la Chine a investi un milliard de dollars dans la recherche autour de l'ensemencement de nuages ».

En 1966, l’armée américaine lance l’opération Popeye au-dessus du Vietnam : des tonnes d’iodure d’argent pour intensifier la mousson et ainsi ralentir les troupes de Ho Chi Minh. Un fait de guerre jusque-là inédit qui a poussé les Nations unies à adopter, en 1976, la Convention ENMOD.

Les pays signataires s’engagent à ne pas utiliser les nuages comme arme de guerre contre les autres pays signataires.

« La Russie a signé la Convention ENMOD. La France ne l’a pas signé », explique Mathieu Simonet. « Donc en théorie, la Russie ne contreviendrait pas à la Convention de 1976 si elle décidait par exemple de créer de la pluie pour l’inauguration des JO à Paris ».

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Les nuages : enjeu géopolitique à l’ère de l’urgence climatique

Mais même la manipulation des nuages à des fins civiles peut causer des tensions. Alors que dans le sillage du changement climatique les ressources en eau se raréfient, un pays qui en a les moyens peut théoriquement faire pleuvoir sur son territoire des nuages qui auraient sinon arrosé un pays voisin. Dans ce contexte, les nuages risquent de devenir un objet de propagande. Comme en 2018 quand « un général iranien a accusé Israël d’avoir volé des nuages », rappelle Mathieu Simonet pour qui « cet exemple montre bien qu’il y a un vrai risque de guerre des nuages si, à un moment donné, il y a un embrasement. Heureusement qu’à l’époque, le patron de la météo iranienne a tout de suite contredit la position du général iranien. Mais si le patron de la météo iranienne était allé dans le même sens que le général iranien, cela aurait pu avoir des conséquences potentiellement dramatiques ».

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Mathieu Simonet fait partie de ceux qui réclament que la France ratifie la Convention ENMOD de 1976, mais qui estiment aussi que les Nations unies devraient proposer une réglementation internationale sur l’ensemencement des nuages. L’écrivain voudrait même aller plus loin : « Nous avons tous un rapport intime avec les nuages. Chacun de nous a déjà été allongé sur le dos pour les regarder ». Alors que contrairement à la mer, la terre, les espaces aériens, voire même l’espace tout court, les nuages ne possèdent aucun statut juridique, Mathieu Simonet et d’autres se mobilisent pour qu’ils soient inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco.

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Une commission parlementaire en France ?

Si cette démarche pourrait prendre du temps en raison de sa complexité juridique, Mathieu Simonet, avec d’autres, voudraient, pour commencer, que l’Assemblée nationale se saisisse de la question de l’ensemencement en France. Parce que les conséquences sanitaires et environnementales à moyen et long termes de l’utilisation de l’iodure de l’argent ne sont pas connues. Or, pour prendre des décisions et règlementer l’ensemencement, il faudrait d’abord améliorer les connaissances, y compris celles du grand public, estime l’ancien avocat. « Il n’y a que très peu de travaux scientifiques sur la question. Il me semble donc extrêmement important qu'il y ait une commission parlementaire. Elle pourrait faire un état des lieu de ce qu'on sait et de ce qu'on ne sait pas sur les nuages et déterminer quelles études il faudrait lancer ».

À l’occasion de la troisième journée internationale des nuages, ce vendredi, Mathieu Simonet et le cabinet de conseil en affaires publiques, Koz, ont mené une action autour de l’Assemblée nationale ce mercredi afin de sensibiliser les élus sur la nécessité d’encadrer la pratique de l’ensemencement des nuages. « Nous souhaitions interpeller les pouvoirs publics sur les enjeux sanitaire, environnemental, climatique et géopolitique liés aux nuages », souligne Nayla Khebibeche, consultante au sein du cabinet Koz. « L’ensemencement des nuages est très peu connu. En conséquence, la plupart des députés ont reçu notre démarche au début comme quelque chose de loufoque. Mais quand ils comprennent les multiples enjeux, ils s’y intéressent sérieusement ».

Les nuages ou la possibilité de faire de la politique autrement

L’écrivain Mathieu Simonet veut voir en les nuages la possibilité de faire de la politique autrement. « Aujourd’hui, en politique, chacun est persuadé d’avoir raison, chacun campe sur ses positions », constate-t-il. « Or en ce qui concerne les nuages, nous ne comprenons encore très peu de leur fonctionnement. Cela nous oblige de faire l’éloge du doute, de travailler de manière pluridisciplinaires. Nous avons une modestie nécessairement collective, couplée à un émerveillement partagé face aux nuages qui nous vient de l’enfance. C’est comme si on avait une page blanche qui nous permettait de réfléchir à la manière de débattre, d'appliquer le principe du contradictoire, de tâtonner, de travailler ensemble ».

 

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