Paul PREUSS.

 

Quand j'étais adolescent, j'étais fasciné par les alpinistes solitaires et plus particulièrement par Paul PREUSS.
Je n'ai jamais été fasciné par les footballeurs, ni même les cyclistes, ni aucun sportif pratiquant des sports médiatisés. Certains ou certaines ont pourtant des carrières mémorables. Mais rien, à mes yeux, n'a la puissance de l'alpinisme et l'alpinisme solitaire relève de la quête ultime.

L'histoire de Paul PREUSS et de toutes ses ascensions restent et restera dans la mémoire de tous les grimpeurs de montagnes.

 

Solo (2/3) : Les Dolomites, la Mecque

 

Par Philippe Poulet

Publié le 7 avril 2024 à 08:00

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Une fois les principaux sommets des Alpes conquis, pendant une cinquantaine d’années, les « pionniers de l’inutile » s’attelèrent aux cimes secondaires puis, méthodiquement, à chaque versant des montagnes. Pile à la frontière entre l’alpinisme et l’escalade, les quinze massifs distincts des Dolomites prirent alors une place totalement à part, offrant aussi bien des pinacles encore vierges qu’une multitude de faces inviolées puisqu’infranchissables au premier abord. 

Depuis 150 ans, les plus vaillants de toutes les générations vinrent ainsi y graver leur nom pour la postérité : Dibona, Dülfer, Cassin, Livanos… Mais comme nulle part ailleurs, les « Dolos » sont le terrain de jeu privilégié des plus intrépides, les soloïstes, marchant dans les pas de Preuss : Piaz, Comici, Barbier, Messner, Huber, Auer et aujourd’hui Dani Arnold, Simon Gietl, Alex Honnold ou encore l’étoile filante Jonas Hainz, tombé l’automne dernier.  

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Versant nord des Tre Cime di Lavaredo dans les Dolomites. De gauche à droite : Cima Piccola (2 857 m), Cima Grande (2 999 m) et Cima Ovest (2 973 m). © Inu/Shutterstock

Eugen Guido Lammer : le précurseur

On peut considérer que l’expérimentation des premiers « solo » en rocher a commencé dès les années 1883/84 et fut l’œuvre d’un tout jeune alpiniste autrichien (20 ans) qui fit, seul, de nombreuses premières d’exploration dans les Alpes de Zillertal, entre Autriche et Italie. Il commença tout d’abord par les 1 000 m du versant nord de la tour Tamischbach, certes pas très difficiles (des passages de 2 et de l’herbe très raide) mais encore fallait-il avoir le courage de se lancer dans une telle face ! 

Fort de cette expérience, en 1884, il continua ses aventures en haute montagne sur divers sommets de plus de 3 000 m qu’il atteint par des itinéraires cette fois totalement rocheux avec des passages allant jusque dans le niveau 4. En 1887, il parvint ensuite, toujours seul, au sommet des 4 000 plus connus du Zinalrothorn (4 222 m) et du Weisshorn (4 506 m). Lammer était alors en concurrence directe avec un grimpeur allemand, encore plus jeune que lui, Georg Winkler, mais qui était très inspiré par ses aventures et partageait une philosophie similaire reposant sur une énorme confiance en soi pour vaincre le danger « par sa propre force, son propre savoir-faire, sa propre présence d'esprit et son endurance incessante ». Lammer avait montré le chemin et Winkler était bien décidé à marcher dans ses pas. 

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Eugen Guido Lammer (1863-1945).

Georg Winkler : le pionnier

Pris de passion pour l’escalade dès son adolescence, il effectua ses ascensions d’ampleur à partir de ses 14 ans avant de se lancer, en solo, à 18 ans, dans un projet monumental pour l’époque : l’élancée tour nord-est du Vajolet encore vierge. Il ne mettait toutefois rien de côté et s’entraînait quotidiennement en faisant des exercices de gymnastique. Il fut également l’un des tout premiers à mettre au placard les fameuses chaussures à clous en faisant remplacer les semelles par de la corde, nettement plus adhérente sur le rocher. Jusqu’alors, dans les pas les plus délicats, les grimpeurs posaient leurs chaussures pour les franchir… en chaussettes.

Le 17 septembre 1887, Winkler réussit ce qui est encore difficilement imaginable aujourd’hui : une ligne de 160 m, très raide, avec un pas de 5 (actuel) au milieu de la face et les 70 derniers mètres en 4+ ! La tour et la fissure du crux porteront à tout jamais son nom mais subsiste tout de même un doute sur le fameux passage : l’a-t-il franchi intégralement en libre ou s’est-il aidé d’un petit grappin de son invention ? Les avis des historiens divergent…

Une cordée du Club alpin français fit la voie en 1911 encadrée par les guides Pierre Turc, de Saint-Christophe-en-Oisans, et Angelo Gaspari de Cortina d’Ampezzo. L’un des participants, Antoine Mazas, relata avec émoi leur ascension dans la revue fédérale La Montagne en ayant surtout une pensée pour Winkler « au cœur entouré d’une triple cuirasse d’airain pour avoir osé cela ». Quant à la difficulté du passage, ils eurent toute la peine du monde à la différencier du mètre étalon du 5e degré, la fameuse fissure Mummery du Grépon, que l’un des membres de la cordée venait justement de gravir : « Peut-être un effort un peu plus dur dans la Mummery mais avec une sortie plus hasardeuse dans le dernier pas de la Winkler. » Aujourd’hui, d’ailleurs, la fissure Winkler n’est plus vraiment parcourue car elle peut être évitée par un passage plus à droite.

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Georg Winkler (1869-1888).

L’année suivante, en 1888, toujours en solo, Georg Winkler ouvrit la traversée du Zinalrothorn le 14 août avant de disparaître sur le Weisshorn, le 16 ou le 17 août, dans une avalanche. L’équipe de recherche ne récupéra que son chapeau et une photo au milieu d’une coulée récente, et son corps ne fut finalement retrouvé qu’en 1956 sur le glacier au pied de la montagne. 

Winkler fut aussi l’un des tout premiers à écrire sur le solo. Dans son carnet de courses, il mentionnait ainsi : « Je suis depuis longtemps conscient du danger que représentent mes ascensions et je me suis vite rendu compte que c'est en fait la recherche et la maîtrise de ce danger même qui procure au grimpeur une satisfaction illimitée. L'union de ce danger avec la magnificence infinie de la haute montagne exerce une attraction irrésistible, démoniaque. » 140 ans plus tard, strictement rien n’a changé et le discours est totalement identique dans la bouche des soloïstes modernes…

Winkler était un peu « l’Alex Honnold » de la confrérie des alpinistes allemands qui furent très touchés par sa disparition soudaine, en pleine pratique de sa passion, et la publication en 1906 de son journal sous le titre Empor ! [Vers le haut !] renforça la dimension iconique du personnage qui inspira la nouvelle génération d’alors.

Paul Preuss : la légende

Un des plus grands fans de Winkler avait même une photo de son « idole » punaisée au mur de sa chambre d’ado : un certain Paul Preuss qui n’avait que deux ans le jour de la disparition de celui qu’il choisit comme modèle spirituel. Preuss était alors loin de se douter qu’en fait c’était lui, le petit Austro-hongrois de bonne famille, qui allait révolutionner la pratique de l’alpinisme et de l’escalade et devenir le plus emblématique de tous les soloïstes.

Au-delà de ses incroyables réalisations, Preuss est aussi connu pour ses prises de position tranchées mais visionnaires quant à l’éthique de l’escalade. Critiqué par quasiment tous les grands de son époque (même ses meilleurs amis), on ne peut toutefois, avec le recul, que le remercier d’avoir fait avancer à grands pas le débat en édictant bien avant l’heure les règles de l’escalade libre. Rappelons que la pratique alpine du moment consistait, globalement, à « se tirer sur tout ce qui bouge » pour vaincre les passages, le but étant uniquement d’accéder au sommet ou de déflorer une face. Preuss considérait au contraire qu’il fallait y mettre les formes et n’utiliser que le rocher : « les pitons ne doivent servir qu’en cas d’urgence et non comme une aide. » Il fustigeait également leur emploi trop fréquent qui, finalement, permettait à n’importe qui de passer n’importe où sans avoir les réelles compétences techniques pour s’affranchir des réelles difficultés posées là par Dame nature.

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Sculpture du mémorial Paul Preuss à Altausse (Autriche), sa ville natale.

La corde, bien qu’il évoluait évidemment souvent encordé, était aussi remise en question : « Elle ne doit pas être un moyen de rendre une ascension possible. » Cette affirmation doit toutefois être remise dans le contexte de l’époque puisque le leader de « cordée » grimpait souvent sans s’assurer et le lien en chanvre n’était là que pour sécuriser ceux qui le suivaient.

Il mettait également en garde sur les qualités que devait avoir, selon lui, un grimpeur, « pouvoir redescendre par où on était monté », et en limitant donc au strict minimum la pose de rappels. Il redescendit ainsi de nombreuses montagnes en désescaladant tout simplement ses parcours de montée.

« Aucun autre alpiniste n’aura une plus grande importance pour
notre milieu. »

Il était aussi affirmatif dans le fait qu’un membre d’une « cordée », moins fort que les autres, mettait immanquablement en péril la vie des autres et évoquait la possibilité « d’assurer » le leader en tenant la corde mais sans pour autant y être relié de façon à pouvoir la lâcher en ultime recours avant d’être entraîné dans le vide. Il sera d’ailleurs le témoin direct de ce cas de figure durant l’été 1912…

Son manifeste « Aides artificielles dans les voies alpines » publié dans le numéro du 1er août 1911 du Deutsche Alpenzeitung (le journal alpin allemand) souleva un tollé général au sein de la communauté, aux traditions fortement ancrées dans le « il faut passer à tout prix ». Vint alors le temps du fameux « The Piton Dispute », un jeu de va-et-vient avec ses détracteurs (Tita Piaz, Franz Nieberl, Paul Jacobi et Hans Dülfer) qui attaquaient chacun leur tour les préconisations de Preuss qui, lui, se faisait un malin plaisir à leur répondre par presse interposée. Des « coms facebookiens » en quelque sorte, mais en un peu moins instantanés. Outre des considérations purement techniques, le principal reproche qui était fait à Preuss était d’être un véritable « pousse au crime » trop extrémiste. Ce qui finalement n’était pas tout à fait faux puisqu’il fut la propre victime de ses convictions deux ans plus tard…

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Paul Preuss (1886-1913).

Enfant chétif car atteint de la polio, Preuss se forgea ensuite un corps d’athlète, adepte des tractions qu’il réussissait, selon la légende, même d’un bras ! La première ascension qui compta à ses yeux fut la voie Pichlweg en face nord du Planspitze (du 2/3 sur 1 000 m) durant l’été 1908. À partir de 1910, il se mit à tenir un carnet de courses, ce qui permit de disposer d’informations fiables sur ses réalisations : 1 200 sorties dont 150 premières et 300 solos en l’espace de seulement quelques années puisqu’il disparut trois ans plus tard, en 1913.

Pionnier, il le fut dans plusieurs domaines. Déjà en tant que montagnard complet avant l’heure : grimpeur hors pair, il était également un glaciériste averti mais aussi un grand adepte du « ski de randonnée » (par exemple, 22 sommets réalisés du 4 au 8 juin 1911 puis 30 autres dans les 15 jours qui suivirent !) mais également de la « pente raide » avant l’heure (premières du Grand Paradis et du Picco Dei Tre Segnori, entre autres). On ne peut qu’imaginer la maîtrise technique qu’il fallait avoir avec le matériel de l’époque ! 

Il fut aussi le premier à imaginer le concept d’enchaînements, en parcourant quatre voies dans la journée sur le Kleine Zinne/Cima Piccola (2 857 m) dans les Dolomites. Une nouvelle fois visionnaire, il estimait d’ailleurs que les pratiques du ski, de l’alpinisme et de l’escalade étaient certes un peu liées mais devaient se développer distinctement.

« Aucun autre alpiniste n'aura une plus grande importance pour notre milieu. »

On peut aussi estimer qu’il s’agissait du premier alpiniste « professionnel » puisque, bien que docteur en phytobiologie, il préférait vivre de sa passion en écrivant des essais et des articles dans des revues spécialisées tout en donnant des conférences sur ses ascensions et sa vision très personnelle de la montagne. En Allemagne, Italie et Suisse, dans des bars, refuges ou salles de spectacle, Preuss faisait salle comble à chacune de ses interventions et surtout, il attirait également un public de non-connaisseurs. Son succès fut tel qu'en 1912 et 1913, il donna plus de 150 « représentations » et qu’au jour de son décès, en octobre 1913, plus de 50 soirées étaient déjà programmées pour l’année suivante.

Personne n’a donc rien inventé par la suite, et même le « dieu » Messner l’idolâtre : « Aucun autre alpiniste n'aura une plus grande importance pour notre milieu. » En écrivant deux livres sur ce légendaire pionnier, la notoriété de Messner a aussi grandement contribué à faire connaître l’extraordinaire personnage qu’était Preuss.

Parmi la multitude de ses solos, on peut toutefois retenir celui de la face ouest du Totenkirchl (5b, 600 m) alors considérée comme l’une des voies les plus difficiles des Alpes. Les premiers ascensionnistes, dont le fameux Titia Piaz, avaient mis 7h. Le 24 juillet 1911, Preuss met 2h45 pour le solo, de fait, le plus difficile jamais réalisé à cette époque-là, tout en choisissant de sortir plus directement au sommet par une fissure vierge. Cette variante sera cotée ultérieurement comme « très difficile ».

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Paul Preuss et sa soeur Mina photographiés par leur ami Paul Relly lors de l’ascension de la Guglia (Campanile Basso) di Brenta, le 28 juillet 1911.

Quatre jours plus tard, départ pour les Dolomites. Il emmène sa sœur Mina et son fidèle copain de cordée Paul Relly, son futur beau-frère également, à la Guglia di Brenta (la toponymie changera ultérieurement en Campanile Basso). 

La course envisagée, par la voie normale, était déjà d’ampleur, puisque le sommet n’avait été gravi, en 12 ans depuis la première ascension, que par seulement 80 personnes. La Guglia est composée d’un premier socle, d’environ 150 m de haut, entrecoupé d’une vire médiane qui donne ensuite accès aux 110 m d’un monolithe final bien raide. 

Outre le tracé de la voie normale de 1899, une autre ligne avait été ouverte en 1908 en versant sud-ouest par l’Allemand Rudolf Fehrmann et le très fort Américain Oliver Perry-Smith qui avait, deux ans auparavant, en 1906, réussi le premier 6a au monde. La face est, très raide et sans ligne de faiblesse évidente, était alors considérée non pas comme un « problème » mais comme « impossible à gravir », de la bouche même de Titia Piaz.

Le premier bastion franchi, la petite cordée menée par Preuss fit halte sur la vire de la Strada Provinciale. Il demanda alors à son copain de « l’assurer » pour aller jeter un œil à cette redoutable face est. Preuss revint, plia la corde, la mit en anneaux autour du buste (en prévision d’un éventuel rappel) et disparut dans l’angle de la paroi. 2h plus tard, il était au sommet avant de désescalader par le même itinéraire pour rejoindre ses compagnons, de les découvrir en train de s’embrasser tendrement, et de les emmener au sommet cette fois par la voie normale. Preuss, en solo et à vue, venait donc d’ouvrir la ligne la plus dure des Dolomites créditée par Angelo Dibona « de la voie qui symbolisait le futur de ce massif ». Son temps de parcours est d’ailleurs assez significatif des difficultés rencontrées : 2h pour faire les 100 m alors que quelques jours plus tôt, il avait mis 2h45 pour parcourir les 600 m du Totenkirchl. Cotée aujourd’hui 5a/b, la voie Preuss ne fut répétée que 13 ans plus tard, en 1924, et le second solo sera réalisé par une autre légende de l’alpinisme, Emilio Comici, en 1936. 

Patrick Berhault, en hommage, y fera également un tour en reprenant exactement la formule de Preuss, montée-descente en solo. Ce ne sont que deux exemples parmi ses 300 solos, des ouvertures extrêmes qui posent la dimension du personnage et qui ne sont pas sans rappeler un certain Alain Robert qui évolua également sans corde aux limites de son niveau intrinsèque en escalade.

Durant l’été 1912 mais surtout en 1913, Preuss s’intéressa ensuite au versant italien du mont Blanc. La première saison s’avéra toutefois un peu compliquée car il assista en direct à la chute d’une cordée d’amis lors de l’ascension de l’arête nord du mont Rouge de Peuterey (2 941 m). 

Les jours précédents, l’alpiniste gallois Humphrey Owen Jones venait de réaliser deux belles premières avec l’autre fort Britannique Geoffrey Winthrop Young et les guides suisses Joseph Knubel et Julius Truffer : la traversée du col de l’Innominata (3 205 m) et l’ascension de l’aiguille Isolée (3 577 m) dans le secteur des Dames Anglaises. Le 15 août, alors qu’ils étaient en pleine lune de miel, Jones et sa femme, elle aussi bonne grimpeuse, partirent avec Julius Truffer et Paul Preuss en direction du mont Rouge. Comme bien souvent, Preuss ouvrait l’itinéraire en solo. Après avoir franchi une fissure, il s’arrêta pour observer le guide qui, arrachant les prises de mains, bascula dans le vide, entraînant dans sa chute le couple qui était relié à lui par la corde… Le lendemain, les trois corps furent retrouvés 300 m plus bas. Finalement, cela ne fit que renforcer la conviction du jeune Autrichien qui assenait que le solo était plus sûr puisque ne mettant en jeu que sa propre vie.
 

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Lors de cet accident, Preuss était en fait déjà en repérage pour une incroyable ligne qu’il imaginait : la plus longue arête du massif, qui partirait de la vallée jusqu’au sommet du mont Blanc, soit une course au format himalayen : 8 km de long pour 4 000 m de dénivelé. En août 1913, il repéra consciencieusement les autres sections qui lui paraissaient les plus problématiques : les aiguilles Noire et Blanche et la section rocheuse entre les deux, les Dames Anglaises. À partir de la fin août, il attendit les bonnes conditions pour se lancer dans ce solo mémorable mais l’arrivée précoce de la neige dès septembre le contraint à retourner chez lui, à Altaussee. Son projet, une nouvelle fois visionnaire, avait du sens mais était tellement en avance sur son époque qu’il ne sera réalisé que 60 ans plus tard (!), en 1973, par la cordée allemande Braun-Elwert/Kirmeier. Il prendra le nom d’Intégralissime de Peuterey. En 1991, le cheminement sera repris par Patrick Berhault dans sa traversée du massif (en ouvrant en solo un nouvel itinéraire en face sud du mont Rouge) puis, plus d’un siècle plus tard, en 2020, l’Italo-Polonais Filip Babicz reprendra la ligne originale dans un solo express de 17h.

Preuss était donc rentré bredouille de sa saison estivale de 1913, sans réelles ascensions majeures, et il va alors se « venger » en gravissant de nombreuses voies dans sa région. Son organisme, épuisé, dit stop, et le médecin lui diagnostiqua une « angine de poitrine », lui prescrivant une semaine d’alitement. 

Quatre jours plus tard, la fièvre ayant un peu baissé, il considéra qu’il était grand temps de retourner en montagne. Bien fatigué, il fit une course encordée puis un petit solo avant de se diriger, le 3 octobre, vers le dernier grand problème du secteur du Dachstein : la face nord, encore vierge, du Mandkogel (2 279 m). Il passa la nuit dans un refuge avant de se lancer dans l’ascension, le but étant d’atteindre une raide arête rocheuse qui, en 200 m, menait au sommet. Son retour était prévu pour le 8 octobre. Le 10, son retard fut signalé et une opération de secours enclenchée. Vu la renommée du personnage, la communauté des alpinistes locaux s’activa immédiatement, impliquant entre autres son fidèle ami Paul Relly et même Hans Dülfer qui grimpait dans la région. Mais les conditions s’étaient bien dégradées, la neige avait fait son apparition et l’accès au pied de la montagne devint compliqué. Le 14 octobre, en sondant la neige, son corps fut retrouvé portant les stigmates d’une importante chute. Preuss avait 27 ans.
 

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Comme dans chaque accident de ce type, les spéculations allèrent bon train et il fallut attendre 10 ans pour qu’une cordée reprenne le même itinéraire et trouve dans le bas de la face un canif ouvert et un sac à dos rempli d’anneaux de corde, l’équipement de Preuss ! Une fumante théorie mentionna qu’un cairn avait été érigé sur l’arête sommitale, pile à l’aplomb du matériel retrouvé. Preuss aurait donc sorti la voie et pour x raisons (en voulant rattraper son couteau ?) chuté dans la face. Le problème, c’est que cette histoire du cairn fut notifiée neuf ans avant que l’itinéraire ne soit répété, en 1923, et que les découvreurs n’ont jamais mentionné avoir vu le moindre tas de cailloux… Ses amis de l’époque eurent toutefois une conclusion nettement plus simple : il était tombé. Point. Tout exceptionnel grimpeur qu’il était, les causes pouvaient être multiples : une prise arrachée de ce rocher douteux ? Les conditions météorologiques s’étant vite dégradées, s’était-il retrouvé pris dans une tempête de pluie ou déséquilibré par une bourrasque de vent ? Ou encore plus simplement, n’avait-il pas toutes ses capacités physiques puisqu’encore malade, il aurait dû être au lit et non pas pendu au milieu d’une face inconnue ?

Qui, mieux que ses pairs, souvent rivaux mais quelquefois amis, pouvait lui rendre hommage pour la perpétuité : « Personne n’égalera jamais Preuss » (Georges Mallory), « Le maître absolu » (Hans Dülfer), « Le seigneur des abîmes » (Giovanni Battista « Tita » Piaz), « Le maître insurpassable de l’escalade pure » (Emilio Comici), « Le très fort, inégalé et inégalable » (Giusto Gervasutti)…

 

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