Réalisme et réalité

1) "Réalisme" : Disposition à voir les choses comme elles sont et à agir en conséquence.

"Vous avez fait preuve de beaucoup de réalisme sur ce but."

On pourrait remplacer "réalisme" par "lucidité".

2) Tendance littéraire et artistique de la seconde moitié du XIX ème siècle à représenter la nature et la vie telles qu'elles sont.

Le réalisme est un mouvement artistique moderne apparu en Europe dans la seconde moitié du XIXe siècle, notamment en Italie et en Allemagne.

Celui-ci naquit du besoin de réagir contre le sentimentalisme romantique et contre « la sottise, le poncif et le bon sens ».

Il cherche à dépeindre la réalité telle qu'elle est, sans artifice et sans idéalisation, choisissant ses sujets dans les classes moyennes ou populaires, et abordant des thèmes comme le travail salarié, les relations conjugales, ou les affrontements sociaux. Il s'oppose ainsi au romantisme, qui a dominé la première moitié du siècle, et au classicisme. Il s'étendra ensuite à l'ensemble de l'Europe et à l'Amérique, où il survivra jusque dans les années 1950.

Stendhal, Balzac, Zola, Flaubert, Maupassant...

source wikipédia.

Et bien quand je repense à mes lectures de lycée, je ne vois pas dans le réalisme littéraire un saisissement de la réalité mais juste une étude des imbrications sociales au coeur d'une réalité instable. Il ne s'agit toujours pas de cette réalité existentielle dont je parlais précédemment. Loin de moi, l'idée de critiquer ces oeuvres et ces artistes mais je trouve que le terme "réalisme" prête à confusion. Il s'agissait d'une étude sociale libérée des enluminures du romantisme. On ne peut s'en plaindre mais de là à avancer l'idée qu'il s'agit de la réalité des individus, je n'irais pas jusque là.

Cette réalité existentielle est bien ailleurs que dans ces agitations relationnelles.

"Si tu n'es pas toi-même, qui pourrait l'être à ta place ?" demandait Henry David Thoreau. Et bien, tout le monde en fait lorsqu'il s'agit de cette vie sociale dans laquelle nous sommes engagés. L'individu peut chercher à être son idole, c'est très fréquent ou moins gravement à être intégré dans un groupe ethnique, religieux, politique, professionnel...L'individu n'est pas une entité individuelle mais une partie d'un tout. Et sans ce tout, il ne se sent plus rien.

Combien de dépressions à la retraite, combien de désoeuvrés à la mort de Michael Jackson, combien d'inconsolables à la mort d'une mère, d'un leader politique, d'une icône sportive...Inutile de chercher bien longtemps pour déceler de multiples dérives de cette sorte.

L'individu manque de réalisme dans cette réalité instable. Il manque de lucidité parce qu'il n'existe pas en lui-même mais extérieurement à lui-même. Il existe par rapport à une donnée rapportée. Le réalisme littéraire décrivait admirablement bien justement toutes ces imbrications relationnelles, toutes ces implications complexes. Mais il ne parlait pas de la réalité existentielle. Ca n'était sans doute pas son objectif d'ailleurs. Il y avait bien assez à faire comme ça...

Henry David Thoreau voulait sans doute décrire cette dérive de l'identification qui consiste à ne vivre qu'en fonction d'un pair. (d'un "père?") Si je ne suis pas moi mais que je vis par procuration en vénérant un être que je vois comme étant supérieur à moi, qui pourra prendre ma place en moi ? Eh bien cet individu adulé justement. C'est lui qui vit en moi étant donné que je pense comme j'imagine qu'il pense, que je vis comme j'imagine qu'il vit, que je rêve surtout comme j'imagine qu'il rêve. Je suis lui sans que lui ne soit jamais moi. Je resterai immanquablement enfermé dans cette carapace rajoutée. Il ne saura rien de ce que je vis et je ne serai rien de ce qu'il est. Tout n'est que chimère.

Dans cette situation là, il est évidemment impossible de parler de "réalité".

Ni de réalisme.

Et pourtant, combien de fois avons-nous rêvé de ces vies rêvées de nos stars ?...Des vies par procuration. Heureusement, les contingences quotidiennes nous ramènent vite à la réalité instable qui se révèle cette fois infiniment préférable.

Alors qu'en est-il de ce réalisme ?

"Opportuniste, pragmatiste, utilitariste, matérialiste, naturaliste, positiviste, cru, sincère."

Je suis surpris des sens associés. Rien sur la lucidité. Sans doute parce que le terme est généralement employé pour des notions extérieures et non spirituelles, des façons précises d'appréhender la vie et non de l'explorer.  Il suffit d'ailleurs de lire les quelques phrases proposées sur le net employant le terme. C'est effectivement très souvent matérialiste."

"Tu as manqué de réalisme en achetant cette voiture que tu ne peux pas payer."

Que voudrait dire la phrase :

"Je manque de réalisme envers moi-même."

Que je ne suis pas assez opportuniste ? Matérialiste ? Pragmatique ? Sincère ?

Rien à faire, je lui préfère le mot "lucidité".

Mais allons plus loin. Ce mot "réalisme"appartient à la famille de "réalité". Pourrait-on dire que je ne suis pas assez réel envers moi-même ? C'est là que je m'interroge depuis ce matin. Si je ne suis plus mari, père, enseignant, que suis-je ? Sommes-nous toujours ce que nous sommes par rapport aux autres ? Existons-nous nécessairement dans une relation d'altérité ? Même un moine chartreux existe par rapport à Dieu. Pas pour lui-même. Nous sommes condamnés à exister par rapport aux autres. Les écrivains réalistes tels que Zola parlait bien donc parfois d'existentialisme. Y a-til une réalité individuelle libérée du regard des autres ?

Bernard Moitessier dans son tour du monde à la voile en solitaire se sent exister par rapport à la mer, à la nature. Il n'existe pas en lui-même, c'est toujours au coeur d'une relation.

La différence essentielle avec le commun des mortels, c'est l'extrême lucidité qui l'habitait. C'est là que se trouve le réalisme existentiel. Il se savait relié mais sans se perdre dans cette interdépendance. Pas de disparition mais une élévation. Le réalisme consisterait à identifier clairement les liens qui nous unissent, à juger de leur puissance, à s'en détacher lorsque c'est nécessaire, à ne pas en être dépendant. Les relations ne nous donnent pas vie, il ne s'agit pas de soumission mais d'accompagnement. On en vient immanquablement à l'amour. Celui-là n'est pas une addiction mais un tuteur. On ne meurt pas sous son emprise mais il nous grandit. Parce qu'un tuteur a pour fonction de soutenir et non d'enchaîner. Il n'est pas une entrave mais un tremplin. L'amour destructeur n'a aucun réalisme. L'individu qui s'y soumet n'est pas réel. Puisqu'il n'existe pas en dehors de cet amour.

Je pourrais ne pas être mari, ne pas être père, ne pas être enseignant, j'aurais au moins une relation avec le jardin qui me nourrirait, avec la mer qui m'offrirait du poisson, avec les arbres fruitiers, une rivière, avec le soleil, la pluie, le vent, la nature. L'essentiel, tout comme dans n'importe quelle autre existence, serait de vivre tout ça avec lucidité. Ou réalisme.

A être réel.

Nous ne pouvons pas échapper à la réalité instable mais en identifiant tout ce qui la constitue, nous pouvons y devenir réel.

 

 

 

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