Tao Te King de Lao Tseu

Tao To King

C'est l'ouvrage de base du Taoïsme, qui fait partie des mouvements philosophico-relgieux de Chine, et a fort influencé le bouddhisme, surtout le zen.

D'une immense richesse et d'une complexité infinie dans sa profondeur. Une vie n'y suffit pas...

 

 

 

La voie que l'on peut définir
n'est pas le Tao,
la Voie éternelle.
Le nom que l'on peut prononcer
n'est pas le Nom éternel.
Ce qui ne porte pas de nom,
le non-être,
est l'origine du ciel et de la terre.
Ce qui porte un nom
est la mère
de tout ce que nous percevons,
choses et êtres.
Ainsi à celui qui est sans passion
se révèle l'inconnaissable,
le mystère sans nom.
Celui qui est habité
par le feu de la passion
a une vision bornée.
Désir et non désir,
ces deux états
procèdent d'une même origine.
Seuls leurs noms diffèrent.
Ils sont l'Obscurité
et le Mystère.
Mais en vérité c'est
au plus profond de cette obscurité
que se trouve la porte.
La porte de l'absolu
du merveilleux.
Le Tao.

 

DEUX

Le monde discerne la beauté,
et, par là
le laid se révèle.
Le monde reconnaît le bien
et, par là
le mal se révèle.
Car l'être et le non-être
s'engendrent sans fin.
Le difficile et le facile
s'accomplissent l'un par l'autre.
Le long et le court
se complètent.
Le haut et la bas
reposent l'un sur l'autre.
Le son et le silence
créent l'harmonie.
L'avant et l'après se suivent.
Le tout et le rien
ont le même visage.
C'est pourquoi
le Sage s'abstient de toute action.
Impassible,
il enseigne par son silence.
Les hommes,
autour de lui,
agissent.
Il ne leur refuse pas son aide.
Il crée sans s'approprier
et
oeuvre sans rien attendre.
Il ne s'attache pas
à ses oeuvres.
Et, par là,
il les rend éternelles.

 

TROIS

Il ne faut pas exalter
les hommes de mérite
afin de ne pas éveiller
de ressentiments.
Il ne faut
ni priser les biens rares,
car ce serait inciter au vol,
ni exhiber les choses enviables,
pour ne pas troubler les coeurs.
Aussi,
le Sage,
dans son gouvernement,
fait le vide dans le coeur de ses sujets.
Il détruit en eux
désir et passion
qui peuvent les troubler,
mais veille à bien les nourrir.
Il doit affaiblir leur volonté
tout en fortifiant leur corps.
Il doit obtenir
que le peuple soit ignorant
mais satisfait
et que la classe cultivée
n'ose agir.
S'il pratique le non-agir,
l'harmonie est préservée.
L'ordre est maintenu.
L'empire gardé.

 

QUATRE

Le Tao est le vide,
mais le vide
est inépuisable.
C'est un abîme vertigineux.
Insondable.
De lui
sont sortis
tous ceux qui vivent.
Eternellement,
il émousse ce qui est aigu,
dénoue le fil des existences,
fait jaillir la lumière.
Du rien, crée toute chose.
Sa pureté est indicible.
Il n'a pas de commencement.
Il est.
Nul ne l'a engendré.
Il était déjà là
quand naquit le maître du ciel.

 

CINQ

Le ciel et la terre sont indifférents
aux passions humaines.
Pour eux,
les vivants
ne sont que chiens de paille.
Ephémères.
Le Sage n'a pas d'affection.
Pour lui aussi,
les hommes
ne sont que chiens de paille.
Entre le ciel et la terre,
l'espace est
comme un soufflet de forge.
Il est vide
mais pas épuisé.
Soit qu'il s'enfle,
soit qu'il s'abaisse,
il est toujours prêt à servir,
toujours inépuisable.
L'homme qui veut saisir l'espace
n'étreint que le vide.
Mieux vaut se fondre dans ce vide,
dans ce vide immense,
dans ce vide merveilleux.
C'est le vide sublime,
c'est le Tao.

 

SIX

L'esprit de l'Obscurité
est immémorial, éternel.
C'est le principe féminin
des origines.
Les racines du ciel et de la terre
s'élancent de sa porte mystérieuse.
Toujours renouvelé,
il se répand dans l'univers.
Indéfiniment.
Il ne s'épuise jamais.

 

SEPT

Le ciel et la terre sont éternels.
Ils n'ont pas de vie propre.
Voilà pourquoi ils sont éternels.
Ainsi, la première place
revient au Sage
qui a su s'effacer.
En oubliant sa personne,
il s'impose au monde.
Sans désirs pour lui-même,
ce qu'il entreprend est parfait.
Il s'était assis
à la dernière place.
C'est pour cela
qu'il se retrouve
à la première.

 

HUIT

La grande perfection
est comme l'eau.
Comme elle,
elle dispense ses bienfaits
aux dix mille êtres
et ignore les luttes.
Comme elle,
elle se détourne des obstacles
et les évite,
descend vers la vallée
et demeure là
où les hommes
ne peuvent pas habiter.
C'est pourquoi
elle est proche du Tao.
Dans tout et pour tout,
la perfection commande l'humilité.
Elle demande au coeur
d'être profond comme un puits.
Dans les rapports avec les autres
elle réclame des trésors de patience.
De la parole,
elle attend la vérité.
Quand il faut gouverner,
elle impose la loyauté et l'ordre.
Quand il faut agir
elle exige la compétence.
Elle s'exerce
au moment opportun
et ne lutte jamais.
Ainsi,
elle ne peut s'égarer.

 

NEUF

Peut-on conserver plein
ce qui veut déborder ?
Le tranchant aiguisé
ne peut que s'émousser,
et aucune salle
ne peut être gardée
si elle contient
or et joyaux.
Avoir de l'orgueil
pour sa puissance et sa richesse
attire l'infortune.
Si tu fais de grandes oeuvres,
termine-les
puis efface-toi.
Telle est la loi du ciel.

 

DIX

Accorder le corps et l'âme
afin qu'ils voguent à l'unisson
et ne se séparent pas.
Concentrer sa force vitale
et la rendre docile
comme celle du nouveau-né.
Au-delà du réel,
scruter le miroir
poli par le regard de l'âme
et se laisser aspirer
par la lumineuse obscurité.
Ménager le peuple
sans intervenir.
Rester serein,
comme la femme,
lorsque s'ouvrent et se referment
les portes de l'existence.
Garder son ignorance
et voir les choses
dans leur lumière.
Donner la vie
et la protéger.
Produire sans s'approprier.
Agir sans rien attendre.
Diriger sans dominer.
Tel est le chemin
de la mystérieuse perfection.

 

ONZE

Les rayons de la roue
convergent au milieu.
Ils convergent vers le vide.
Et c'est grâce à lui
que le char avance.
Un vase est fait d'argile
mais c'est son vide
qui le rend propre à sa tâche.
Une demeure est faite de murs
percés de portes
et de fenêtres,
mais c'est leur vide
qui la rend habitable.
Ainsi,
l'homme construit des objets,
mais c'est le vide
qui leur donne sens.
C'est ce qui manque
qui donne
la raison d'être.

 

DOUZE

Les cinq couleurs
aveuglent l'homme.
Les cinq notes
assourdissent ses oreilles.
Les cinq saveurs
rendent sa bouche insensible.
Les courses et la chasse
égarent son esprit.
Les richesses
l'empêchent de progresser.
Ainsi
le Sage tourne
son regard en lui-même et,
loin du tumulte et des passions,
exerce librement son choix.

 

TREIZE

Supporte la disgrâce
D'une cour égale.
Accepte l'adversité
comme inséparable
de la condition humaine.
Que faut-il comprendre par
Supporte la disgrâce d'un cour égal ?
La disgrâce n'est pas pire
que la faveur.
Toutes deux engendrent la crainte.
Ne soit donc affecté
ni par la perte
ni par le gain.
Que faut-il comprendre par
L'adversité est inséparable
de la condition humaine ?
L'homme a un corps,
c'est pourquoi
le malheur a prise sur lui.
S'il n'en possédait point,
quel événement
pourrait le frapper ?
C'est pourquoi,
à celui qui se soucie des autres
autant que de lui-même
on peut confier le monde.
Seul celui qui aime les autres
autant que lui-même
est digne de les gouverner.

 

QUATORZE

Mes yeux s'écarquillent,
et je ne le vois pas :
il s'appelle l'Invisible.
Mon ouïe est en alerte,
et je ne l'entends pas :
il s'appelle l'Inaudible.
Mes mains se tendent
et ne rencontrent rien :
il s'appelle l'Impalpable.
Trois aspects indéfinis
qui font l'unité.
En haut
il n'est pas lumineux,
en bas
il n'est pas obscur.
Son éternité défie même le temps.
Il n'a pas de nom.
Il vient d'un monde
où rien de sensible n'existe.
Car la lumière
appelle l'obscurité
et l'obscurité
existe par la lumière.
Le Tao
est une forme sans forme,
une image sans image.
Il est l'Indéterminé.
Si l'on marche devant lui,
on ne voit pas son principe.
Si l'on va derrière lui,
il paraît sans fin.
En suivant l'antique voie,
on maîtrise le présent.
Car le Tao
est le fil qui guide l'homme
à travers le temps.

 

QUINZE

Les grands sages de l'Antiquité
étaient si éloignés
des autres hommes
par l'étendue de leur connaissance
et la profondeur de leur pensée
qu'on ne pouvait
espérer les comprendre.
Peut-on les décrire ?
Ils étaient attentifs
comme l'homme qui traverse
l'eau tumultueuse et glacée
d'un torrent.
Prudents
comme le voyageur
averti d'un danger.
Réservés
comme le visiteur
qui reçoit l'hospitalité.
Insaisissables
comme la glace
qui font.
Simples
comme le bois brut
que l'on vient de débiter.
Ils étaient emplis d'espace infini
comme la vallée.
Insondables
comme une eau dormante.
Celui qui suit le Tao peut,
sans trouble intérieur,
attendre que l'eau pure
se décharge des limons.
Immobile et calme,
il verra se présenter
l'heure d'agir.
Il ne désire
que l'infini du vide.
C'est pourquoi
les hommes peuvent par moment
le mépriser,
le croyant loin de la vérité,
car ils ignorent sa sagesse.

 

SEIZE

Ayant atteint le vide parfait,
je me laisse porter
par l'aile puissante du silence.
Je contemple
l'agitation des hommes.
Retourner à son origine...
Retourner à son origine,
c'est retrouver le repos.
Le repos,
c'est le retour
dans sa demeure véritable.
C'est renouer avec son destin.
Ce retour est la loi éternelle.
Connaître la loi éternelle,
c'est être éclairé.
L'ignorer,
c'est la confusion et, par là,
c'est le malheur.
celui qui connaît la loi
possède le savoir.
Il se montre, alors, impartial.
Impartial,
il agit royalement.
Royal, il atteint le divin.
Le divin atteint,
il est uni au Tao
et se trouve
désormais
au-delà de tout péril.
Rien ne peut le surprendre.
Rien ne peut l'émouvoir.
Rien ne peut le toucher.
Pas même la mort.

 

DIX-SEPT

Des grands souverains d'antan
le peuple ne connaissait que le nom.
Ce furent des rois aimés et loués.
Puis en vinrent d'autres
qu'il craignit.
Puis d'autres qu'il méprisa.
A celui qui n'a pas confiance
le peuple ne peut faire confiance.
L'énergie du grand souverain
ne se dissipe pas en paroles.
Elle suscite toute vocation
et toute action.
Alors le peuple dit :
C'est nous qui avons fait tout cela.
Il dit aussi :
Nous sommes libres.

 

DIX-HUIT

Autrefois le Tao régnait.
L'homme suivait
l'ordre de la nature.
Puis il advint une époque
où le Tao fut oublié et ce fut alors
l'ère de la justice des hommes.
Puis ce fut l'époque
de l'intelligence et de l'habileté.
et les ambitions
ne connurent plus de bornes.
La paix quitta les familles.
Mais c'est dans l'adversité
que se révèlent
les fils respectueux.
L'Etat sombra dans le désordre.
Mais c'est pendant l'anarchie
que surgissent
les serviteurs loyaux.
Ainsi le Tao
est toujours près de l'homme
pour le secourir.

 

DIX-NEUF

Renoncez au savoir,
ne vous mêlez plus de morale.
Le peuple
s'en trouvera cent fois mieux.
Abandonnez toute justice humaine
et chassez ses lois.
Le peuple redécouvrira
les vertus familiales.
Renoncez au luxe,
bannissez le profit.
Il n'y aura plus de voleurs
ni de bandits.
Renoncez à tout cela
et croyez
en l'inutilité de l'apparat.
Soyez simples,
demeurez fidèles à vous-mêmes.
Rejetez de vos cours
l'égoïsme et les désirs.
La voie s'ouvrira
devant vous.

 

VINGT

Renoncez à l'étude
et vous connaîtrez la paix.
Entre oui et non
la frontière est bien mince.
Le bien et le mal sont entremêlés.
La peur qu'éprouve
le commun des mortels
ne doit pas effleurer votre cour.
Les hommes courent
aux festins de la vie.
Ils cueillent les fleurs du printemps,
du printemps qui annonce la vie.
Mais moi seul reste calme,
étranger au tumulte,
comme le nouveau-né
qui n'a pas encore souri.
Je suis seul.
Immobile.
Je parais démuni de tout,
je parais ignorant,
je parais abandonné,
sans but, sans logis.
La multitude s'affaire
à accroître ses biens.
Moi seul ne possède rien.
L'homme de la foule
a des idées sur tout.
Moi seul hésite.
L'homme de la foule
est actif, efficace.
Seul,
je reste immobile.
Je regarde sans voir.
Mes pensées, égarées,
m'échappent pour danser,
dans les nuages et le vent,
parmi les vagues de l'océan.
La multitude des hommes s'affaire,
réalise,
construit.
Je demeure absent,
délaissé,
inutile.
Et pourtant,
mes haillons cachent
la plus grande des richesses.
Seul,
je diffère des autres.
Je suis l'enfant
de la Mère universelle.
L'enfant du Tao.

 

 

 

VINGT ET UN

La grande Vertu
vient du Tao.
Le Tao est vague,
imperceptible,
insaisissable !
Oh, qu'il est vague,
imperceptible,
insaisissable !
Et pourtant
en son sein est la vérité.
Oh, qu'il est insaisissable,
imperceptible !
Et pourtant
en son sein est la forme des choses.
Il est si sombre,
si ténébreux !
Et pourtant
en lui est l'essence vraie de l'être.
Cette essence
est la vérité rayonnante
et la vérité cachée.
Depuis l'aube des âges
son nom nous a été transmis
et de lui naissent tous les êtres.
Comment peut-on connaître
les voies de la création ?
Par lui.
Par le Tao.

 

VINGT-DEUX

Ce qui est incomplet
s'accomplira.
Ce qui est courbé
deviendra droit.
Ce qui est vide
sera rempli.
Ce qui est usé
deviendra neuf.
N'avoir rien
et se sentir comblé.
Etre riche,
et garder sa simplicité.
Ainsi est le sage.
Il embrasse l'Unité.
Il vit caché
et pourtant tous le voient.
Il ne s'affirme pas
et pourtant il s'impose.
Il ne se vante pas,
et son mérite éclate.
Absent à lui-même,
sa présence s'accroît.
Etant sans ambition,
il ne heurte personne.
Il ne lutte point.
Ainsi
nul ne peut l'égaler.
Ce qui est incomplet
sera achevé.
Cette sentence ancienne
est pleine de vérité
car seul celui qui plie
reste intègre.
Reste humble
et garde l'esprit ouvert :
tu recevras le monde.

 

VINGT-TROIS

Préserve-toi par le silence.
L'ouragan ne hurle pas
toute une matinée.
L'orage ne dure pas tout un jour.
Qui produit
l'ouragan et la pluie ?
Ce sont
le ciel et la terre.
Si ciel et terre
ne produisent rien d'éternel,
comment l'homme le pourrait-il ?
Celui qui suit la loi s'accorde au Tao.
Sa volonté et ses principes
sont ceux du Tao.
Avec lui il agit
et avec lui il s'abstient.
Le Sage épris d'absolu
y trouve la plénitude.
En suivant la voie
on trouve la voie.
En se conformant à la vertu
on devient la vertu.
Mais
si on pense au crime
on recueille la honte du crime.
C'est pourquoi l'action
comme l'inaction
traduisent l'invisible harmonie
Ou la foi est totale,
ou elle n'est pas.

 

VINGT-QUATRE

Qui marche sur la pointe des pieds
perd l'équilibre
et tombe à terre.
Qui avance à grand pas
s'essouffle vite
et est dépassé.
Celui qui se met en vue
reste dans l'ombre
et personne ne voit son mérite.
L'homme imbu de lui-même
perd l'estime d'autrui.
Qui se glorifie n'est pas considéré.
Qui se gonfle d'orgueil
ne peut pas progresser.
Qui vit ainsi
est malade de l'âme.
Ces laideurs ne salissent pas
celui qui suit la voie.

 

VINGT-CINQ

Une puissance
indéfinissable et confuse
existait depuis l'éternité.
Elle était
avant la naissance
du ciel et de la terre.
Perfection indéterminée.
Energie éternelle.
Mouvement sans fin.
Mouvement immuable.
Force unique.
Omniprésente.
Impérissable.
Sans nom
mais connue de tous.
Mère et principe créateur
de l'univers.
Nul ne connaît son nom.
On l'appelle le Tao.
Il échappe à toute définition.
Invisible, il est immense.
Immobile, il se propage à l'infini.
En fuyant, il revient.
Ainsi, immense est le Tao.
Immenses
le ciel et la terre.
Immense
l'être.
Quatre immensités dans l'univers,
dont l'être.
L'homme épouse
le rythme de la terre,
la terre s'accorde
avec le ciel,
le ciel s'harmonise
avec le Tao.
Le Tao est la loi,
la voie de la nature.
Et la voie demeure,
éternelle.

 

VINGT-SIX

Le lourd est la racine du léger.
L'immobilité
est mère du mouvement.
C'est pourquoi
le Sage se déplace
avec un seul bagage :
le Tao.
Partout où il va,
il reste détaché et serein.
Spectateur des merveilles.
Spectateur de la vie.
Ainsi
le Maître des milles choses
doit préférer son peuple
à lui-même.
Car
agir avec légèreté,
c'est perdre sa racine,
s'agiter,
c'est perdre
la maîtrise de soi.

 

VINGT-SEPT

Celui qui sait marcher
ne laisse pas de traces.
Celui qui sait parler
garde ses paroles.
Celui qui sait compter
n'a pas de boulier.
Celui qui sait garder
n'a que faire de verrous et de clefs.
Celui qui sait lier
n'a pas besoin de liens
et nul ne peut défaire
les noeuds qu'il a serrés.
Ainsi
le Sage
se dédie au secours des hommes.
Il n'en rejette aucun.
Il veille à préserver les êtres,
sans en excepter aucun.
Il est dans la lumière.
Tout plein de soleil.
Le Sage est le maître
de celui qui ne l'est pas
et ce dernier est la matière
sur laquelle il agit.
Ainsi,
ils ont besoin l'un de l'autre.
Voilà une vérité.
Une vérité subtile.
Car tout ce qui
est essentiel pour l'homme,
tout ce qui lui est indispensable,
reste une énigme.
C'est l'inconnu
pour lequel
on lutte et on travaille.
C'est l'inconnu
qui nous donne
la force de vivre,
la force d'espérer,
la force de croire.
Car ce que l'homme
veut savoir
lui reste inconnu.
A jamais.

 

VINGT-HUIT

Celui qui est conscient de sa force
mais garde la douceur de la femme,
est le creuset de l'univers.
Etant le creuset de l'univers,
il fait un avec le Tao
et redevient pur comme l'enfant.
Celui qui connaît
l'étendue de son savoir
et garde la simplicité dans son coeur,
est le modèle du monde.
Etant le modèle du monde,
il rejoint le Tao
et son espace infini.
Celui qui connaît la gloire
mais garde son humilité
possède la vertu du monde.
Etant la vertu du monde,
il atteint la plénitude du Tao
et revient à l'unité originelle,
cette unité d'où provient toute chose.
Le Sage participe alors
à l'harmonie universelle.
Grain de lumière,
il se répand dans l'univers
et revient à la grande lumière.
Et il retrouve
l'infini.

 

VINGT-NEUF

Celui qui veut posséder le monde
et lui imprimer sa marque
ne peut y réussir.
Je le sais.
Le monde est une entité sacrée.
La main de l'homme
ne peut le modeler.
En voulant le changer
on le détruit.
Quand on croit le tenir
on le perd.
C'est ainsi
que l'homme s'éloigne
du chemin de la vertu.
Car
parmi les hommes
les uns marchent en avant
et les autres s'attardent.
Les uns ont un souffle léger,
les autres une haleine puissante.
Certains sont forts,
d'autres faibles.
Les uns renversent
ce que d'autres ont bâti.
Aussi
le Sage évite l'excès,
l'incohérence
et toute extrême.
Il vit dans la vérité.

 

TRENTE

Un souverain
instruit dans la voie du Tao
renonce à conquérir le monde
par la force.
Car il sait qu'à l'attaque
succède la riposte.
Là où sont passées les armées,
ne restent que des ruines
et ne poussent que des ronces.
Les grandes guerres
amènent des années de disette.
C'est pourquoi
l'homme éclairé
se montre résolu
sans tomber dans l'excès.
Il parvient à ses fins
mais n'en tire aucune gloire.
Il mène à bien ses entreprises
sans offenser ni détruire.
Il agit sans orgueil
et ne combat que par nécessiter.
Il ne trouble pas
la grande harmonie.
La force use celui qui l'utilise,
car elle va à l'encontre du Tao.
Et ce qui va contre le Tao
va à sa perte.

 

TRENTE ET UN

Les armes les plus belles
ne sont que des engins de mort.
L'humanité les a en horreur.
Celui qui suit la voie du Tao
en détourne ses regards.
L'homme de bien
se place à gauche
du maître de maison.
L'homme de guerre
s'installe à sa droite.
Les armes n'apportent que la mort.
Le bon souverain
en détourne le regard.
Il ne les prend
que s'il n'a pas d'autre choix.
Pour lui,
les trésors suprêmes sont le calme
et la paix.
La victoire ne le remplit pas de joie,
car se réjouir
serait se glorifier
d'avoir ordonné la mort.
Celui qui se glorifie
de la mort d'autres hommes
ruine sa destinée
et ne pourra pas gouverner.
Dans les jours heureux,
la place d'honneur
se trouve à gauche.
Dans les jours de malheur,
elle est à droite.
L'aide de camp
se place à gauche,
le chef de guerre
s'installe à droite.
Ainsi
la guerre se conduit
comme des funérailles.
Le chef triomphant
préside au festin de la victoire
comme s'il assistait
à l'office funèbre
de ceux qu'il a fait tuer.
Car ayant fait tuer beaucoup d'hommes,
Il doit maintenant en porter le deuil.

 

TRENTE-DEUX

Le Tao ne peut être défini.
Etant insaisissable,
il échappe à toute emprise.
Si les souverains
se conformaient au Tao,
ils verraient
les dix mille êtres se remettre
entre leurs mains.
L'harmonie du ciel et de la terre
emplirait l'univers
et une douce rosée
descendrait sur les hommes.
La paix universelle
ferait la joie de tous les peuples.
Et puis les hommes
furent séparés
par contrées et par nations,
et distingués
chacun par un nom.
Et
avec le nom surgit la division.
Par le Tao
on connaît les limites du danger.
Car le Tao,
dans l'univers,
est comme le fleuve,
dont le flot,
depuis toujours,
va rejoindre la mer.

 

TRENTE-TROIS

Celui qui connaît les hommes
acquiert la sagesse.
Celui qui se connaît lui-même
possède la lumière.
Celui qui conduit les hommes est fort.
Mais celui qui se maîtrise lui-même
détient la vraie puissance.
Celui qui se contente de ce qu'il a
est le vrai riche.
Etre sans désir,
c'est posséder le monde.
C'est suivre la voie.
Si celui qui persévère
fait preuve de volonté,
celui qui demeure
dans l'ordre des choses
est le Sage absolu.
Celui qui meurt
mais reste
dans le souvenir des hommes
a touché à l'éternité.

 

TRENTE-QUATRE

Le Tao se répand comme un flot.
Sa puissance est sans limite.
Les dix mille êtres
naissent et vivent de lui
sans qu'il en soit l'auteur.
Il poursuit son oeuvre éternelle
sans vouloir rien imposer.
Il commande aux hommes
sans s'en déclarer le maître.
Il est sans désir
et dénué d'ambition.
On peut le dire petit.
Quelle erreur :
il est immense,
incommensurable.
Les dix mille êtres
retournent à lui
sans qu'il ne demande rien.
On peut alors le dire immense,
et nul ne peut le cerner.
Le sage ignore sa grandeur,
ainsi
elle se réalise d'elle-même.
A l'infini.

 

TRENTE-CINQ

Celui qui suit le Tao
peut parcourir le monde
en toute quiétude.
Il trouvera partout
paix,
équilibre,
sécurité.
Il s'avance,
impassible,
dans la sérénité.
Musique et bonne table
attirent le passant.
Mais la bouche qui parle du Tao
ne le retient pas.
Car
ce qu'elle dit est sans saveur :
on le regarde
et on ne le voit pas,
on l'écoute,
et on ne l'entend pas.
Pourtant,
celui qui puise dans le Tao
a puisé l'inépuisable.

 

TRENTE-SIX

On ne peut réduire
que ce qui est déployé.
On ne peut affaiblir
que ce qui est puissant.
On ne peut abattre
que ce qui est élevé.
Ainsi pour recevoir,
il faut avoir donné.
C'est la loi de la nature.
La douceur et la faiblesse
triomphent de la dureté
et de la force.
Que le poisson qui brille
demeure au sein des profondeurs !
Les secrets du royaume
doivent être ainsi
maintenus cachés
au regard des hommes.

 

 

TRENTE-SEPT

Le Tao n'agit pas
par lui-même.
Et pourtant
il n'est rien qu'il n'accomplisse.
Si seulement les rois et les princes
pouvaient s'y tenir,
les dix mille êtres
les suivraient dans cette voie.
Dans la voie du bonheur,
dans la voie de la perfection.
Et si
malgré tout
ils voulaient encore agir,
la simplicité suprême du Sans-Nom
les assagirait.
Ils deviendraient
alors
sans désir,
en paix,
et,
partant,
l'univers
se transformerait.
de lui-même.

 

TRENTE-HUIT

L'homme de haute vertu
est au-dessus de la vertu,
c'est pourquoi il est vertueux.
L'homme de moindre vertu,
se dit vertueux
c'est pourquoi
il ne l'est pas.
L'homme de haute vertu
la pratique sans y penser.
L'homme de moindre vertu
l'utilise pour atteindre un but.
Et pourtant
il ne l'atteint pas.
Le véritable homme de bien
agit
sans avoir de raisons de le faire.
L'homme de justice
agit
car il a des raisons de le faire.
L'homme qui se conforme au rites
agit
et veut les imposer par la force.
Ainsi,
si l'on oublie le Tao,
il reste la vertu.
Si l'on se détourne de la vertu,
il reste la bonté.
Lorsque la bonté est perdue,
il reste la justice.
Lorsqu'on abandonne la justice,
on recourt aux rites.
Or,
Les rites ne sont que l'apparence
de la vérité
et de la sincérité.
Ils sont
aussi
l'amorce de la confusion.
La connaissance et l'intelligence
ne sont pour le Tao
que des fleurs sans parfum.
Elles sont
souvent
la source de l'erreur.
C'est pourquoi
le Sage puise au tréfonds des choses
sans s'arrêter aux apparences.
Il contemple le fruit
plutôt que la fleur.
Il ignore l'une
et cueille l'autre.

 

TRENTE-NEUF

Voici ce qui,
depuis les origines,
a atteint l'unité :
Le ciel
parce qu'il est pur.
La terre
parce qu'elle est stable.
Les esprits
parce qu'ils sont transcendants.
Les vallées
parce qu'elles sont riches en eau.
L'humanité
parce qu'elle se reproduit.
Les souverains et les gouvernants
parce qu'ils donnent l'exemple.
C'est l'unité qui les rend parfaits.
Si le ciel n'était plus pur,
certainement
il s'effondrerait.
Si la terre n'était plus stable,
elle s'écroulerait.
Si les esprits n'étaient plus
transcendants,
ils s'évanouiraient.
Si les vallées n'étaient plus humides,
elles deviendraient des déserts.
Si les dix mille êtres
cessaient de se reproduire,
ils disparaîtraient.
Si les souverains et les gouvernants
renonçaient au pouvoir,
leurs pays tomberaient dans le chaos.
La noblesse repose sur l'humilité.
Ce qui est grand
prend appui sur ce qui est infime.
Ainsi
les souverains et les gouvernants
se nomment-ils eux-mêmes
orphelins,
hommes sans valeur
et
de peu de mérite.
Ils montrent par là
leur compréhension
de l'ordre profond des choses.
L'honneur suprême
est en dehors de l'honneur.
Car le Sage ne cherche
ni a briller
comme le jade,
ni a être rejeté
comme un caillou.
Il vit au-dessus
de l'estime
et du mépris.

 

QUARANTE

L'immobilité
est le mouvement du Tao.
Dans sa faiblesse
réside sa puissance.
Tous les êtres de ce monde
sont nés du visible.
Le visible procède de l'invisible.
Car
tout est
et
n'est rien.

 

QUARANTE ET UN

Lorsqu'un esprit sage
entend parler du Tao,
il s'applique à le suivre.
Lorsqu'un esprit moyen
entend parler du Tao,
tantôt il y pense,
tantôt il l'oublie.
Lorsqu'un esprit superficiel
entend parler du Tao,
il éclate de rire.
Mais,
s'il n'en était pas ainsi,
Le Tao ne serait pas le Tao.
C'est pourquoi
la sagesse nous enseigne que
la voie étincelante paraît sombre.
La voie qui progresse semble reculer.
La voie juste semble pleine d'embûches.
La vertu parfaite semble semble vide de sens.
La vertu généreuse semble inutile.
La vertu la plus ferme semble fragile.
La vérité bien ancrée a l'air de vaciller.
Un très grand carré
nous empêche de voir ses points extrêmes.
Le trop grand vase est impossible à modeler.
La musique céleste est au-delà des sons.
Le Tao est caché.
Il n'a pas de nom
Il est
et
il n'est pas.
Mais c'est lui
qui maintient le monde.
Il en est le sens.

 

QUARANTE-DEUX

Le Tao engendra UN.
Un engendra Deux.
Deux engendra Trois.
Trois engendra les dix mille êtres
et
tout ce qui est vivant.
Les dix mille êtres
portent l'obscurité
sur leurs épaules
mais serrent
dans leurs bras
la lumière.
Chacun d'eux a été engendré
par ce souffle divin
que l'on nomme harmonie.
Les hommes redoutent
d'être pauvres,
délaissés,
sans valeur
ou sans mérite.
Et pourtant,
les souverains et les princes sages
se nomment eux-mêmes ainsi :
sans valeur,
sans mérite.
C'est pourquoi,
parmi les êtres,
celui qui s'élève
se diminue,
et
celui qui se diminue
s'élève.
Et le violent qui veut s'imposer
par la violence
mourra par la violence.
Ceci est un des fondements
de l'enseignement.
Une des vérités
du Tao.

 

QUARANTE-TROIS

Dans l'univers,
le plus faible
vient à bout du plus fort.
Seul ce qui est sans substance
peut pénétrer un espace plein.
Par là
le Sage reconnaît
la vertu du non-agir.
Enseigner
sans la parole,
entreprendre
sans agir.
Voilà la vertu.
Cela est difficile à comprendre
pour la plupart des hommes.
Là pourtant
se trouve la vérité.
Car le plus souple
gagnera le plus fort
et rien
ne saurait égaler
la puissance
du non-dire
et
du non-faire.

 

QUARANTE-QUATRE

De la gloire ou de la santé,
quel est le plus important ?
De la santé ou de la richesse,
quel est le plus précieux ?
Du gain ou de la perte,
quel est le plus honteux ?
L'homme trop passionné s'expose à la souffrance.
L'avare qui prévoit et amasse subit de lourdes pertes.
Celui qui se contente de ce qu'il a
reste serein.
Celui qui sait se réfréner tient à distance le danger.
Par là
son existence sera préservée.
Car qui aura trop aimé
sera frustré.
Et qui aura trop amassé
ne possèdera rien.

 

QUARANTE-CINQ

La perfection achevée
semble imparfaite.
Et pourtant
elle rayonne sans fin.
La plénitude parfaite
paraît vide.
Et pourtant
elle est intarissable.
Elle donne sans jamais s'épuiser.
Une franchise extrême semble fausse.
Une habileté extrême entrave le geste.
Une éloquence extrême ne persuade personne.
le mouvement triomphe du froid,
et c'est l'immobilité
qui triomphe
de l'ardeur.
C'est dans le calme
et la sérénité que
réside le bonheur,
car la quiétude et l'immobilité
règlent le monde.
Ainsi est-il.

 

QUARANTE-SIX

Quand un peuple suit le Tao,
les chevaux de guerre
restent à la ferme
et labourent les champs.
Quand un peuple a perdu le Tao,
les chevaux de guerre
sont aux portes de la ville
prêts à la bataille
et les champs restent incultes.
Il n'est pas de plus grave erreur
que d'écouter ses désirs.
Il n'est pas de plus grande misère
que de ne savoir se contenter.
Il n'est pas de pire fléau
que l'envie de posséder.
C'est pourquoi
celui qui limite ses désirs
ne saurait manquer de rien.
Ses granges seront pleines,
ses champs cultivés
et son coeur
comblé de joie.
ainsi veut la loi.

 

QUARANTE-SEPT

Sans franchir sa porte,
connaître le monde entier.
Sans regarder par la fenêtre,
entrevoir le chemin du ciel...
Plus on voyage,
plus la connaissance s'éloigne.
C'est pourquoi
le Sage connaît sans se mouvoir,
comprend sans examiner
et
accomplit sans agir.

 

QUARANTE-HUIT

En s'adonnant à l'étude,
on s'accroît chaque jour.
En se consacrant à la voie,
on diminue chaque jour.
Et l'on continue de diminuer
jusqu'au jour où l'on cesse d'agir.
N'agissant plus,
il n'est rien,
désormais,
qu'on ne puisse accomplir.
La conduite du royaume
revient
à qui demeure au-dessus de l'action.
Celui qui lutte
pour gagner le royaume
ne l'obtient jamais.

 

QUARANTE-NEUF

Le Sage
n'a pas de conscience propre,
il est la conscience de l'univers.
Il est bon avec le juste,
mais bon aussi
avec celui qui ne l'est pas,
car la plus grande vertu
est la bonté.
Il est loyal avec le fidèle,
loyal aussi
avec celui qui ne l'est pas,
car la plus grande vertu
est la loyauté.
Le Sage est humble et modeste
aux yeux du plus grand nombre.
Il paraît faible et désarmé.
Mais le peuple retient son souffle
et
se fait attentif
devant cet homme
semblable à un petit enfant.
Car son coeur
peut contenir
le monde entier.

 

CINQUANTE

Où s'arrête la vie,

 

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