A CŒUR OUVERT : l'amour

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"Ils arrivèrent sur la crête dénudée, juste un parterre d’herbes rases. Ils s’assirent, silencieux, les regards lointains, une plongée au plus profond, symétrie des voyages, les horizons infinis de la terre et les explorations intimes.

Contemplation.

Paul glissa sa main dans celle de Diane.

« Je n’aurais jamais imaginé ça.

-Quoi donc, Paul ?

-Une telle rencontre. Toi et la terre. Le même amour en fait, c’est ça que je réalise.

-Explique-moi.

-T’expliquer ? Je n’ai jamais rien su expliquer en dehors des chiffres de ma société.

-Tu n’en es plus là. Tu es devenu ce que tu portais en toi. »

Il la regarda. Oh, ces yeux.

Il n’avait jamais vu les yeux d’Alice. Des filtres trop épais. Ils reflétaient uniquement les possessions dont elle rêvait.

Les yeux de Diane s’ouvraient sur un univers d’étoiles.

« Je pense que l’amour réel pour une personne contient le même amour que pour cette terre, la nature épargnée. Lorsque je montais seul sur une colline, j’éprouvais une telle paix, une telle sérénité, un silence intérieur aussi vaste que celui de l’altitude. J’aurais aimé monter à quatre mille mètres. Aujourd’hui, je comprends les alpinistes. Eh bien, je ressens la même paix avec toi. Comme un détachement, une absence de trouble, une ouverture spirituelle, le saisissement de l’instant, rien, aucune pensée, aucune inquiétude, aucun remord, aucune attente. Comme lorsque je suis assis ici. La même paix. L’amour. Peut-être que les gens ne savent plus aimer parce qu’ils sont loin de la terre. Juste une supposition. L’euphorie des villes, l’agitation, le bruit, le commerce des désirs, la multiplication des manques inventés, même les relations amoureuses sont à l’image de ce chaos. Une surenchère permanente. Cette impression qui ne me quitte plus qu’on ne peut aimer que dans l’abandon de tout, jusqu’au vide, jusqu’à cette absence de soi, se laisser envahir par l’inertie. C’est sûr que ça va à l’opposé de ce monde moderne. Pas assez rentable. Rien à vendre, la perte des consommateurs, un cauchemar. »

Il s’aperçut qu’il parlait en fixant un point lointain, un mont arrondi qui se découpait sur le ciel, comme des paroles lancées dans l’azur.

« Saint-Exupéry disait que les gens qui s’aiment ne passent pas leur temps à se regarder. Ils regardent le même horizon, intervint-elle.

-Et bien, je suis d’accord avec lui puisque tu es dans cet horizon. Puisque l’amour que je porte à cette terre est le même que celui que j’ai pour toi. Je te regarde en contemplant ce monde.

-Et tu oses dire que tu ne sais pas parler ? »

Un rire bref, presque gêné.

« D’où ça vient tout ça ? demanda-t-il.

-Et à quoi ça te servirait de le savoir ? Ce qui importe, c’est que ça soit là.

-Oui, c’est vrai Diane, mais c’est tout de même effrayant de réaliser qu’on peut passer à côté de soi à ce point. J’ai cinquante-trois ans.

-Cinquante-trois ans d’apprentissage tout simplement.

-Tu veux dire que tout était déjà là ? Qu’il fallait que la croissance se termine ?

-Elle n’est pas terminée.

-Et pourquoi est-ce que ça passe par une telle rupture, pourquoi les choses ne se font-elles pas en douceur, en toute conscience ?

-Parce qu’il n’y a plus de conscience. Parce que l’ego a pris le dessus. Alors, il faut une révolte.

-Il faut que tu m’expliques ce que tu entends par ego. »

Elle s’allongea, les yeux tournés vers le ciel. Il l’imita.

« L’ego, c’est quand tu ne vois plus le ciel. Non pas le voir avec tes yeux, non pas l’identifier avec des noms de nuages mais le voir comme s’il était en toi et comme si tu y étais évanoui, liquéfié, comme si tu n’étais même pas une particule de vapeur d’eau, rien, le vide immense en toi. Si tu ne peux plus ressentir cette disparition et que tu vois le ciel comme un beau paysage, alors, c’est que tu es identifié à ton ego, c’est que tu n’existes que pour toi-même et que tout ce que tu vois, c’est pour valider ton existence. Tu ne regardes pas le ciel, tu prends juste forme à travers le plaisir que tu éprouves en regardant le ciel. Pour aimer le ciel, il faut oublier que tu le regardes. Il en est de même d’ailleurs pour la plupart des humains dans la relation amoureuse. Ils aiment l’autre pour le sentiment d’exister à travers cet amour. Et si l’amour s’étiole, chacun en voudra à l’autre de ne plus lui permettre d’exister.  

-Mais tu ne crois pas que tout le monde voit les choses comme ça Diane ?

-Pas les enfants. Tant qu’ils ne sont pas trop grands. Ceux d’ici en tout cas. Les enfants Kogis, par exemple, ne regardent pas le ciel, ils le vivent. Comme toi maintenant. »

 

 

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