L'espoir.
- Par Thierry LEDRU
- Le 28/11/2010
- 8 commentaires
Un mot si exploité, tant de gens qui s'y perdent.
Je sais quel est le danger. Lorsque j'étais cloué au lit, j'espérais que ça allait s'arrêter, que ça allait finir par me lâcher, que j'allais m'en sortir, je vivais dans cette projection incessante d'un avenir meilleur, un espoir aussi puissant que la douleur qui me dévorait.
Ça ne servait à rien.
C'était un piège étant donné que ces pensées se tournaient vers une illusion temporelle et me coupait de la réalité. Bien sûr que cette réalité était une véritable torture mais en quoi cette fuite en avant pouvait-elle m'aider ? C'était absurde tout comme est absurde l'espoir lui-même.
Dans mon cas, l'espoir occupait une place immense, occasionnait une dépense d'énergie constante. Rien n'en survenait étant donné qu'il ne s'agissait que de pensées infantiles. C'est comme attendre l'arrivée du Père Noël ou un miracle ou même l'intervention d'une puissance divine.
Ce temps écoulé ne reviendrait plus, il avait tout bonnement été gaspillé.
L'espoir est un gaspillage monumental de temps et d'énergie. Si encore il permettait d'y trouver un certain apaisement mais c'est loin d'être le cas.
Imaginons que cet espoir fasse monter l'individu sur une pente, plus l'espoir est intense, plus la pente s'allonge, c'est un sommet inaccessible étant donné qu'il est fabriqué par la pensée. C'est Sisyphe qui pousse son rocher et qui espère atteindre le sommet perdu dans ses pensées. Il viendra immanquablement un moment où les pensées s'épuiseront, c'est un phénomène naturel, d'autres priorités prendront la place, l'espoir s'essoufflera et Sisyphe lâchera son effort sur le rocher. La masse libérée l'entraînera dans une chute proportionnelle à l'altitude que l'espoir lui aura fait atteindre...Il vaut bien mieux dès lors lâcher pied le plus rapidement possible. Il ne faut surtout pas s'entêter par orgueil dans son espoir. C'est encore une fois un problème éducatif, un formatage, un conditionnement de société : famille, école, travail, couple, enfants, les situations s'enchaînent et nous projettent dans la tentation de l'espoir.
"J'espère qu'il fera beau demain."
Un phénomène sur lequel nous n’avons strictement aucune influence.
"J'espère qu’il viendra au rendez-vous."
Ce qui importe dans la réalité, c’est que moi j’y sois étant donné que c’est une réalité qui me concerne, sur laquelle j’ai une réelle emprise.
"J'espère que j'aurai une bonne note."
Ce qui importe, c’est d’avoir fait ce qu’il fallait pour l’obtenir. Le reste dépend de la subjectivité du correcteur…
"J'espère que j'aurai une prime."
Même chose sauf que c’est un patron…
"J'espère que j'aurai les numéros gagnants du loto." Totalement absurde.
« J’espère que mes efforts seront récompensés. »
Dans ce cas là, on peut au moins reconnaître qu’il y a eu un travail, une emprise sur le réel. Mais le danger vient du fait que cette projection liée à l’espoir est encore une fois une dépense d’énergie inutile, une déviation des pensées qui ne seront pas au service du travail mais perdues dans l’irréalité. On en revient donc bien toujours à cette notion de gaspillage. L’essentiel, dans un projet, n’est pas l’espoir mais le saisissement complet de l’énergie et de l’instant. Il s’agit de rester conscient, lucide, vigilant, opiniâtre, déterminé. L’espoir n’a rien à faire là. C’est comme une aimantation qui a pour effet d’extraire de l’individu l’énergie dont il dispose, un champ magnétique qui pertube les forces disponibles. Il faut imaginer des paillettes d'énergie qui sont volées par l'espoir, qui vont se coller contre cet aimant puissant qui les attire.
Lorsque j’espérais retrouver mon intégrité physique, je me perdais dans un espace chaotique, les pensées fébriles de celui qui souffre et voudrait qu’une bonne fée passe par là et d’un coup de baguette magique règle le problème. Toutes ces pensées sont des ferments de la douleur étant donné qu’elles n’aboutissent à rien de positif et finissent par s’effacer d’un coup, accentuant encore les effets destructeurs de la souffrance. C’est comme un paravent derrière lequel s’entasseraient des marées de douleurs. Il y aura forcément une déchirure à un moment et le flot libéré emportera tout sur son passage. Ça n’est pas la douleur qui est responsable de cet effet paroxystique mais bien l’espoir qui a fabriqué artificiellement ce condensé de violence.
Dans le phénomène des pensées, l’espoir est un traître infatigable et à l'imagination débordante. Il suffit qu’une fois dans l’existence de l’individu, un projet aboutisse et qu’il ait été accompagné durant sa réalisation par un espoir flamboyant pour que le conditionnement s’installe. La lucidité a été balayée par cette « réussite » et l’individu s’imagine que cette euphorie durable qui l’a nourri au fil de ses pensées est une nécessité à reproduire systématiquement.
Si par contre, le projet n’aboutit pas, l’individu refusera d’étudier en profondeur le mécanisme des pensées et mettra cette issue défavorable sur le compte de la malchance. La déception renforcée par l’illusion détruite sera bien plus puissante mais le refus de l’analyse entretiendra le dispositif. La prochaine fois, l’espoir redeviendra l’étendard dressé.
Lorsqu’un enfant s’entend dire qu’il est assez grand pour laisser son « doudou » et qu’il voit ses parents nourrir l’espoir qu’il soit un bon élève, qu’il apprenne un métier, qu’il s’installe dans la vie sociale, qu’il fasse un beau mariage, qu’il réussisse sa carrière, il pourrait demander à ses parents de laisser tomber leur propre « doudou » mais il entre au contraire dans ce fonctionnement pervers…Il se construit sur l’espoir transmis par ses tuteurs….Vaste supercherie. Le conditionnement est installé. C’est une pression dont il se retrouve encombré, alourdi, une mission à tenir. La déception éventuelle des parents sera à la mesure de leur espoir et la rupture viendra dès lors d’une incapacité à rester dans le réel. Tout le monde en souffrira. Comme une trahison alors que rien dans la réalité n’imposait cela. C’est le phénomène insoumis des pensées qui est le seul responsable. Si pour l’aîné, l’issue correspond aux espoirs infantiles des parents, c’est le deuxième enfant qui aura à subir une pression supplémentaire.
« Regarde ton frère comme il a réussi ! Il a comblé tous nos espoirs ! Tu pourrais en faire autant tout de même… »
L’espoir qui devient une arme de destruction massive. La masse spirituelle de l’individu brisé.
Lorsque j’étais cloué dans mon lit, j’ai toujours gardé espoir. Et j’ai entretenu jusqu’au bout l’illusion d’une issue favorable. Ces pensées m’ont maintenu enfermé dans un cloaque carcéral, des sables mouvants qui m’étouffaient. Aucune analyse réelle, aucune conscience de ce qui m’avait conduit là, c’était juste une malchance effroyable et ça ne pouvait pas durer. La médecine allait me sauver, il y avait forcément quelqu’un d’extérieur à mon histoire qui pouvait comprendre…Effroyable présence du « doudou » qu’on refuse de lâcher tout au long de notre vie. Pour certains, ce « doudou » s’appelle Dieu et il est serré férocement et reçoit en alternance les prières ou les reproches.
Combien de couples qui se déchirent dès lors que l’un des partenaires ne parvient plus à nourrir le « doudou » de l’espoir…
Il a fallu que je sombre totalement dans la douleur physique, dans le délabrement moral pour que le mécanisme vole en éclat. Il a fallu que le goût de la mort devienne l’ultime espoir pour que je prenne conscience du mécanisme.
L’énergie vitale n’a pas besoin d’espoir. Pour elle, c’est un poison. C’est comme si l’individu vénérait une illusion alors que la vie est là. On peut même imaginer que la vie en soit déçue, effroyablement déçue. Au point de se retirer puisque l’illusion a plus d’importance que la vie elle-même. Pourquoi rester là ? Il y a sûrement mieux à faire ailleurs…
L’étape la plus difficile, la plus délicate, le travail de sape le plus redoutable à effectuer est de cesser de penser. Il s’agit de vibrer intérieurement alors que la pensée est une projection extérieure. Nous avons appris à penser jusqu’à finir par nous « dé-penser. » Nous sommes sortis de nous-mêmes en nous projetant dans un flot d’abstractions et nos pensées sont devenues des dépenses énergétiques, des dispersions multipliées à l’infini.
Je dois aussi à l’effort long en montagne ou à vélo d’avoir découvert cet espace « dé-pensé », cette plénitude de la vie étreinte dans le creuset de l’énergie originelle. Lorsqu’il n’y a rien d‘autre que le saisissement du silence intérieur, le ronflement infime de l’univers qui s’étend.
Je mourrai totalement désespéré et je remercie la vie de ce cadeau inestimable.
Commentaires
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- 1. Thierry Le 04/12/2010
L'espoir comme un instinct de survie, c'est possible en effet sauf que celui-ci se retrouve alourdi par des pensées temporelles qui ne servent à rien, comme si nous avions absolument besoin d'intellectualiser, de verbaliser par une projection psychologique offerte par les circonvolutions de notre cerveau alors que l'instant ne demande que l'élaboration immédiate d'actes.
Une expérience dans laquelle l'espoir a bien tenté à diverses reprises de jouer son rôle de perturbateur...
http://la-haut.e-monsite.com/blog,une-experience,191000.html
http://la-haut.e-monsite.com/blog,une-experience-suite,191003.html -
- 2. Max Le 04/12/2010
Sans doute l'existence entière n'est-elle que capacité à gérer les instants. Qui, posés bout à bout, te mènent sur le chemin, loin, loin. Tiens, cette notion de lutte sans merci me plaît d'un coup. L'espoir n'est peut-être au final qu'une forme d'instinct de survie, si l'on y mêle un brin d'extension temporelle... Enfin, je pense à ça sans certitude : je suis un naze global en philosophie, mais tes hélicoïdes autour de l'énergie vitale et le travail de sape des illusions sont fort belles. Instructives. Pleines d'espoir. Et merde ! J'ai encore dit une connerie...
Je retiens de ton article ce que je pense depuis longtemps : l'homme est finalement bien gêné d'avoir inventé demain. -
- 3. Thierry Le 03/12/2010
Bonjour Max :)
Dans ce que tu décris, j'entrevois davantage la capacité à gérer l'instant même si notre cerveau nous projette également dans un futur salvateur. Ca n'est qu'un phénomène temporel mais qui dans ces cas là n'inhibe pas la mise en acte, c'est ça qui compte. Comme j'ai eu le "bonheur" de tester les joies de l'avalanche et de passer au rouleau compresseur je peux t'assurer qu'il ne s'agit pas d'un vague espoir mais d'une lutte sans merci. Pour ce qui est du soldat dans sa tranchée, l'espoir ne le détourne pas des actes à gérer pour rester en vie. Quant à ton expérience (très impressionnante d'ailleurs) en Roumanie, je dirais pour ma part que ta réaction, cette lueur fugitive était encore plus puissante que l'espoir de rester en vie...L'instant contient l'essentiel, l'espoir n'est qu'un saut temporel. Le danger apparaît lorsque l'individu n'existe que dans ce saut temporel.
Bien à toi. -
- 4. Max Le 03/12/2010
Je veux bien que l'espoir tue les uns, en les poussant à l'inaccessible jusqu'à l'extinction des feux. Le rêve, quoi, par définition hors de nos cadres.
Mais je maintiens aussi que l'espoir fait vivre. Comme la flammèche qui décuplera les forces du malheureux pour s'extirper de l'avalanche. Ou celle qui fit tenir Pépère Germain, mon grand-père, dans son tunnel de Tavannes en 1917 : il a maintenu jusqu'à sa mort que "l'espoir" (c'était son mot) d'embrassser Lucie l'avait rendu à la vie après Verdun. Voire celui qui m'a permis, en une lueur fugitive, de calmer ce jeune soldat roumain pointant son fusil-mitrailleur décranté contre mon ventre, sur le rebord d'un barrage perdu des Carpates, au lendemain de l'atomisation du communisme en Europe de l'Est...
L'espoir fait vivre ou mourir. Vivre et mourir. Rarement tout l'un. Jamais tout l'autre.
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- 5. Thierry Le 02/12/2010
Oui Françoise, il tue à petit feu. -
- 6. Lajotte Françoise Le 02/12/2010
Et cette phrase ressassée comme une vérité:
"L'espoir fait vivre" alors qu'il tue.
Françoise. -
- 7. Thierry Le 28/11/2010
Et tu sais à quel point Charlotte, tout comme moi, ce que tout ça signifie...Je t'embrasse affectueusement. -
- 8. charlotte Le 28/11/2010
Oui l'espoir est une arme qui tue de l'interieur. C'est facile d'esperer alors quand ca reste des petites choses, comme esperer qu'il fasse beau le lendemain, ca reste inoffensif. Mais quand on se surprend a esperer que tout ce qui nous arrive ne soit qu'un reve, que tout va s'arranger, cet espoir la nous devore de l'interieur pour n'en laisser qu'un automate qui se leve le matin, n'a plus aucune envie, et se renferme petit a petit...
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