Souffrir de soi.
- Par Thierry LEDRU
- Le 01/04/2010
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J'aurais pu rester paralysé d'une jambe, de deux, boîter pour le reste de mes jours. Et je marche en montagne, je skie, je tronçonne des stères de bois, je ne sens rien, aucune douleur, j'ai connu des rêves étranges, des auras bleutées qui venaient me parler, "laisse la vie te vivre", des impressions soudaines et inconnues, comme quelqu'un qui poserait son coeur dans le mien, comme un ange en moi, une présence bienveillante et confiante, et cet apaisement des larmes chaudes, celle qui coulent parce qu'il y a trop de bonheur et que ça déborde, qu'on ne sait plus où le mettre, qu'on manque d'expérience.
J'ai vu des matins aux couleurs naissantes qui ruisselaient en moi comme des sèves nourrissantes, je ne les avais jamais reçues, je ne voyais dans ces cieux lactescents que des jeux de lumière, aucun lien, aucune communion, juste un éblouissement passager, oh, comme c'est beau, insignifiant regard humain aveuglé de suffisance, des oeillères rigides commes des accoutumances, je restais en moi au lieu de naître cette fois, délivré de cette enveloppe carcérale, il a fallu que la vie rougeoit en moi comme des tisons qui fourragent, que la douleur jusqu'au bout de mes résistances me conduisent à l'outrage d'une mort espérée, il a fallu que je perde toutes les images de cet individu formaté, lacéré de décharges électriques, liquéfié par le magma des fibres enflammées, nuits et jours, jours et nuits, jusqu'à la disparition du temps, jusqu'à la disparition de tous les repères, plus aucune résistance, plus aucun espoir, plus aucune attente puisque le temps n'existait plus, puisque je n'existais plus, puisque le mental avait lâché prise.
Et j'ai vu un matin, j'ai vécu, j'ai plongé au coeur du monde, pas moi, mais cette vie en moi qui fusionnait, j'ai vu ces particules, ce monde que j'ignorais, cette énergie originelle, j'ai pleuré quand elle a plongé en moi, j'ai pleuré quand je me suis éparpillé en elle. Comme une éjaculation d'atomes, un orgasme primitif.
Et puis, je suis revenu au monde des hommes. Peu à peu. Comme s'il était impossible de rester tendu ainsi dans une érection d'univers.
"Laisse la vie te vivre."
J'ai souffert de moi-même,comme un prisonnier réintégrant sa cellule. J'ai frappé les murs, cherché une fissure, ça n'était pas possible, pourquoi ?
"Laisse la vie te vivre."
J'ai prié pour que ça revienne, c'était injuste, tout ça et plus rien, pourquoi ?
Et puis il a bien fallu que je m'habitue. Ca n'était plus là. Mais la souffrance qui m'accompagnait, je l'entretenais, comme une pénitence, dans le secret des silences mensongers, je me disais bien que cette souffrance "on" viendrait m'en délivrer, encore une fois, sinon à quoi bon tout ce chemin, à quoi bon ces révélations ?
Mais quelles révélations finalement? Je n'y comprenais rien. Alors j'ai cherché dans les livres. Il devait bien y avoir des compagnons quelque part. Des voyageurs de l'étrange, de l'inommable, de cet insaisissable qui s'était évanoui. J'ai lu, j'ai écrit, j'ai lu, j'ai écrit, j'ai lu, j'ai écrit...Et je n'ai jamais rien compris. Parce que l'intellect n'a rien à faire dans cette dimension d'univers fusionné.
Comment le mental pourrait-il comprendre ce qu'il ne peut nommer ? C'est comme vouloir faire écouter une musique qui n'a pas été écrite ? Que pourrait-on jouer ? Mais pourtant la musique existe puisque dans le silence elle résonne en moi. D'où vient-il cet écho infini ? Y a-t-il en nous le bruit de fond de l'univers qui vibre ? Est-ce cela cette musique qui m'éparpille ? Rien à comprendre. Ca n'est pas accessible. Il s'agit juste de le vivre. Téter avidement, goulûment comme un bébé au sein de sa mère. Il n'a pas besoin de comprendre intellectuellement ce qu'il fait.
Je plonge mes yeux dans les yeux de la Terre.
TU N'ES PAS JE.
Qui es-Tu toi qui m'étouffe sous tes certitudes
entassées comme autant de fêlures
Tu as établi ta souveraineté au royaume des altitudes
miasmes enluminés d'infinies convenances,
soumissions passives, perverses accoutumances,
qui es-Tu pour vouloir ainsi me perdre alors que Je t'héberge
Tu as voulu te nourrir des amitiés soudoyées,
honorer les vénérations, les reconnaissances
te gaver sans répit des amours galvaudés,
Tu as cru prendre forme, pâte malléable
abandonnée langoureusement aux caresses versatiles
Tu réclamais ta pitance le cœur éteint
et l'ego malhabile, prêt à t'humilier pour calmer ta faim,
l'euphorie anarchique te servait de remède et
Tu refusais d'écouter en ton sein
vibrer une âme éteinte qui tendait vers sa fin
mais la Vie a trouvé la faille et t'a mené vers le tombeau
nulle crainte pour elle tu n'étais qu'un vaisseau
tu pouvais bien sombrer dans les abysses lointaines
elle était l'Océan, Tu te croyais capitaine
au creux des montagnes mouvantes Tu as eu peur enfin
tes pensées se sont tues et Je suis revenu
de ton corps paralytique ont jailli des lumières
des étreintes amoureuses ruisselant de semence
palpitations d'univers comme autant de naissances
j'ai compris tes douleurs car Tu n'étais plus là
dressé à la barre d'un navire perdu Tu n'avais pas le choix
ta solitude morbide t'emplissait de morve
il fallait que tu craches toutes tes nuisances
pour échapper enfin aux avides noirceurs
Je ne t'en veux pas Tu sais,
Tu as fait ce que Tu croyais juste
le courant était bien trop fort pour toi
Je te tends la main désormais
cette main que tu as toujours donnée aux autres
en ignorant qu'elle était ton bien
il n'y a plus rien à fuir, ni peur à nourrir
Tu as rejoint ton âme et Tu t'y sens bien
laisse -toi porter la Vie sait ce dont elle a besoin
l'Océan n'existe que là où Je me trouve
cesse de regarder les horizons éteints
ils ne sont que chimères et Tu t'épuises pour rien
Je suis là maintenant et Tu peux t'abandonner.
Tu es mort pour ton bien.
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