"Les salauds devront payer"
- Par Thierry LEDRU
- Le 22/12/2025
- 0 commentaire
Quel est le rapport entre le monde agricole qui s'écroule et celui des usines qui ont fermé ? La misère et ses conséquences.
J'ai fini cette nuit la lecture de ce roman (très bon roman) et bien évidemment que la correspondance existe. Les gens de ma génération ont suivi le démantèlement de la filière industrielle du nord de la France et quand on regarde aujourdhui les statistiques sur le niveau de vie des populations concernées, le milieu ouvrier, on ne peut que faire le rapprochement avec le monde paysan.
Des travaux usants, des salaires dérisoires, des physiques cassés avant même l'âge de la retraite et des pensions de retraite juste bonnes à survivre. Dans ce roman, les salauds sont des individus qui profitent de la misère pour prêter de l'argent sans passer par les banques, avec des intérêts élevés bien évidemment. Mais dans la réalité, les premiers salauds de l'histoire, à mon sens, ce sont les gens qui ont détruit le maillage industriel de ce pays. Tout comme ils vont envoyer à l'abattoir, les paysans en même temps que leurs vaches.
Quasiment un suicide par jour...

EAN : 9782867467981
378 pages
Liana Lévi (07/01/2016)
Existe en édition audio
Résumé :
Wollaing. Une petite ville du Nord minée par le chômage. Ici, les gamins rêvent de devenir joueurs de foot ou stars de la chanson. Leurs parents ont vu les usines se transformer en friches et, en dehors des petits boulots et du trafic de drogue, l’unique moyen de boucler les fins de mois est de frapper à la porte de prêteurs véreux. À des taux qui tuent... Aussi, quand la jeune Pauline est retrouvée assassinée dans un terrain vague, tout accuse ces usuriers modernes et leurs méthodes musclées. Mais derrière ce meurtre, le commandant de police Erik Buchmeyer distingue d’autres rancœurs. D’autres salauds. Et Buch sait d’expérience qu’il faut parfois écouter la petite idée tordue qui vous taraude, la suivre jusque dans les méandres obscurs des non-dits et du passé.
https://reporterre.net/Agriculture-au-dela-de-la-dermatose-la-mobilisation-d-un-monde-qui-se-voit-mourir
Agriculture : au-delà de la dermatose, la mobilisation d’un « monde qui se voit mourir »

Si la mobilisation agricole contre la gestion de la dermatose bovine est si puissante, c’est que la colère est profonde : revenus bas, signature du traité Mercosur, aides de la PAC bientôt revues...
Autoroutes bloquées, trafic ferroviaire perturbé, préfectures et services de l’État dégradées… Malgré les annonces du Premier ministre et de la ministre de l’Agriculture sur la gestion de l’épidémie de dermatose nodulaire contagieuse (DNC) bovine, la colère d’une partie des agriculteurs ne faiblit pas. Les mobilisations agricoles se poursuivent et débordent désormais largement le Sud-Ouest, avec des rassemblements en Moselle, en Isère et dans la Manche.
« C’est une colère qui vient de loin. Il faut la mesurer, il faut la comprendre », a dit sur RTL la ministre de l’Agriculture Annie Genevard. De fait, si l’épidémie de DNC, qui a débuté en juin en Savoie et Haute-Savoie a mis le feu aux poudres, les raisons du malaise agricole sont bien plus profondes : grandes difficultés économiques de la filière, traité Mercosur honni, budget de la PAC attaqué...
« C’est l’amour des vaches qui pousse beaucoup à devenir éleveurs »
Déjà, l’épidémie ne semble pas terminée. Le 16 décembre, la ministre de l’Agriculture a déclaré qu’il n’y avait plus de foyer actif et a annoncé une accélération de la campagne de vaccination. Mais à ce stade, pas d’abandon de l’abattage total d’un troupeau en cas de découverte d’un cas, ni de généralisation de la vaccination à tout le territoire — ce que réclament une partie des agriculteurs et notamment la Confédération paysanne et la Coordination rurale (CR).
Lire aussi : Dermatose bovine : la colère agricole s’intensifie
« On est atterrés. On voit bien que la ministre n’a pas choisi la sortie de crise. À la Confédération paysanne, on va continuer le combat, les mobilisations », a réagi un des porte-parole du syndicat, Thomas Gibert.
Le fait que la mobilisation soit née d’une maladie affectant les bovins n’est pas un hasard, pour Amelia Veitch. La chercheuse en anthropologie à l’université de Lausanne (Unil) et à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) a réalisé une étude ethnographique des mobilisations paysannes de 2024 en Bretagne. À cette occasion, elle a constaté le lien viscéral des éleveurs à leurs bêtes. « C’est un amour très fort des vaches qui pousse beaucoup de jeunes hommes à devenir éleveurs, et pas tractoristes ou éleveurs de porcs. En témoignent aujourd’hui les vidéos d’éleveurs qui fondent en larmes. »
Les grandes difficultés économiques que rencontre cette filière mettent à mal les trésoreries aussi bien que la relation des éleveurs avec leurs bêtes. Les éleveurs bovins ont aussi une conscience très forte de la précarité de leur secteur, « alors même que ce sont souvent des profils très attachés au modèle de l’agriculture familiale, qui s’érode progressivement au profit de fermes plus grandes. L’abattage des troupeaux symbolise l’accélération d’un sentiment de fin imminente ».
Colère contre le Mercosur
À cette crise sanitaire s’ajoute le rejet du traité de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen espère signer ce texte lors d’un déplacement au Brésil le 20 décembre, malgré une demande de report de la France. Les agriculteurs français craignent que des produits agricoles sud-américains — viande bovine, poulet, sucre, maïs, etc. — moins chers et ne répondant pas aux normes européennes inondent le marché communautaire, provoquant une concurrence accrue et une baisse de leurs revenus.
« Ça participe à un climat ambiant de désinformation, où les éleveurs disent “c’est voulu, ils veulent tuer l’élevage français pour favoriser le Mercosur”, rapporte Nicolas Fortin, membre de la Confédération paysanne. Ce sont des arguments que je ne partage pas, mais les éleveurs ont un sentiment d’abandon face à un ensemble de décisions qui vont à l’encontre de leurs intérêts et c’est gravissime. » Si l’accord avec le Mercosur « devait être signé à la fin de la semaine, évidemment que ça amènerait à des mouvements beaucoup plus importants », a prévenu le président de la FNSEA Arnaud Rousseau, invité sur France Inter le 17 décembre.
Lire aussi : Mercosur : des centaines de paysans manifestent contre une « agriculture bradée »
Sur les politiques européennes, s’expriment aussi des inquiétudes concernant le budget 2028-2034 de la PAC — principal dispositif de soutien économique de l’Union européenne aux agriculteurs —, qui pourrait être réduit de 20 % par rapport à la période 2021-2027, et sur l’entrée en vigueur du mécanisme européen de tarification du carbone aux frontières le 1er janvier 2026, qui pourrait augmenter le prix des engrais de plus de 10 %.
Effondrement du modèle familial historique
Ces différents problèmes ont été les gouttes d’eau qui ont fait déborder le vase, déjà rempli à ras bord de difficultés économiques. « Il y a presque deux ans, les seules réponses apportées aux colères agricoles, déroulées par la FNSEA [et reprises dans la loi Duplomb], ne correspondaient en rien aux attentes des paysans, explique Nicolas Fortin. Ce qui a mis les gens dans la rue, ce ne sont pas les contraintes environnementales, mais le revenu. »
Si le revenu médian annuel des ménages agricoles en 2020 (22 800 euros) pouvait paraître correct, il dissimulait des disparités importantes. 17,7 % des exploitants agricoles vivaient sous le seuil de pauvreté, contre 14,4 % parmi l’ensemble de la population. Parmi les filières les plus fragiles, les maraîchers (24,9 % sous le seuil de pauvreté), les éleveurs ovins et caprins (23,6 %) et les éleveurs de bovins allaitants (21,5 %). Fin septembre, 57 % des agriculteurs pensaient que leur situation financière s’est dégradée pendant l’année.

Entre 2000 et 2023, environ 40 000 fermes de petite taille ont disparu (image d’illustration). © Emilie Massemin / Reporterre
François Purseigle, sociologue, voit dans cette mobilisation celle « d’un monde qui se voit mourir ». L’auteur du livre Une agriculture sans agriculteurs (Presses de Sciences Po, 2022) relate l’effondrement du modèle agricole familial historique au profit d’une agriculture dominée par les grosses structures, les associations entre exploitations et la sous-traitance. « Jusqu’à présent, ça tenait parce que les familles se sacrifiaient sur l’autel de l’exploitation. Mais on voit aujourd’hui les fragilités de l’exploitation familiale », couplées au vieillissement des agriculteurs, explique le sociologue à l’AFP, qui note dans son ouvrage que ce modèle « ne tient plus qu’à un fil ».
Des revenus particulièrement faibles dans le Sud-Ouest
Entre 2000 et 2023, environ 40 000 fermes de petite taille ont disparu, avalées par des exploitations plus vastes. La Confédération paysanne dénonce un « plan de licenciement massif et silencieux délétère pour le bien-être des paysan·nes ». Avec des conséquences parfois tragiques : presqu’un agriculteur se suicide chaque jour.
Lire aussi : Suicide des agriculteurs : une loi examinée à l’heure où le mal-être augmente
Dans ce contexte, le fait que la mobilisation parte du Sud-Ouest n’est pas étonnant. Samuel Legris prépare un doctorat de sociologie à l’université de Pau et des Pays de l’Adour. Il s’était rendu sur les barrages agricoles dans les Pyrénées-Atlantiques et les Hautes-Pyrénées en janvier 2024 et est allé observer le rassemblement devant la préfecture de Pau, le 15 décembre. « Le revenu mensuel moyen des exploitants agricoles est particulièrement faible dans le Sud-Ouest, parfois inférieur à 1 000 euros par mois dans les Pyrénées-Atlantiques, les Hautes-Pyrénées et l’Ariège », explique-t-il. Le modèle agricole s’y est transformé moins rapidement que dans d’autres régions : exploitations plus petites, élevage et polyculture-élevage encore très présents dans les contreforts pyrénéens. »
« L’Occitanie est un territoire où les aléas climatiques sont énormes »
L’outil agroalimentaire local y est en déclin. « Abattoirs en grande difficulté financière, laiteries, ateliers de transformation, coopératives… Tout ce qui permettait aux exploitations de taille moyenne ou petite d’être résilientes devient défaillant, observe Samuel Ouahab, doctorant en sociologie sur les politiques publiques agricoles à l’université de Toulouse, qui se rend lui aussi régulièrement sur les barrages. L’Occitanie, c’est aussi un territoire où les aléas climatiques sont énormes et ont tendance à progresser très significativement. »
Pour toutes ces raisons, la mobilisation pourrait bien durer. Des agriculteurs ont d’ailleurs sorti des sapins de Noël sur les barrages, avec la ferme intention d’y rester pendant les fêtes de fin d’année.
On ne va pas vous le cacher : à Reporterre, on est inquiets.
Les gouvernements se succèdent, la confiance s’effrite, le débat public se polarise : tout semble instable.
Le vent peut tourner très vite. Et quand l’extrême droite arrive au pouvoir, les médias indépendants en sortent rarement indemnes.
Mais au milieu de la tempête, Reporterre garde le cap.
Nous refusons de céder au sensationnalisme, à la panique et aux raccourcis.
Chaque jour, nous enquêtons, nous expliquons, nous documentons avec une ligne claire : informer plutôt qu’enflammer les esprits.
Chez Reporterre, il n’y a ni actionnaire, ni propriétaire milliardaire : le média est à but non lucratif. Nous sommes financés à 98% par 1,6% de nos lectrices et lecteurs.
Concrètement, ça veut dire que :
Personne ne modifie ce que nous publions.
Nous ne cherchons pas à capter votre attention mais à traiter les sujets qui méritent votre attention.
Nous pouvons laisser tous nos articles en accès libre pour toutes et tous, sans conditions de ressources.
Il n’y a pas d’action collective sans information libre.
Et c’est grâce à vous qu’elle peut exister.
Ajouter un commentaire