Anémone

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Un apéro avec Anémone : « Je veux renouer avec la vie de légume que j’affectionne »

Un apéro avec Anémone : « Je veux renouer avec la vie de légume que j’affectionne » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

From abonnes.lemonde.fr - December 2, 11:29 PM

Par Sandrine Blanchard dans M Le magazine du Monde 


Star-system, maternité, pollution, la comédienne balance sur tout et milite surtout pour le droit à l’oubli.



Je me faisais une joie de rencontrer Anémone. L’inoubliable Thérèse du Père Noël est une ordure, l’émouvante Marcelle du Grand Chemin – qui lui valut un César de la meilleure actrice en 1988 – la touchante Mélanie du Petit prince a dit, la comédienne populaire au réjouissant franc-parler.

Le lieu du rendez-vous n’a rien d’exotique. C’est un bar d’hôtel impersonnel, comme il y en a des centaines à Paris, coincé entre la rue de Rivoli et le Forum des ­Halles : le Tonic Hotel. Elle y réside le temps d’une pièce de théâtre et s’en échappe dès qu’elle le peut pour rejoindre sa maison perdue dans le Poitou, où elle s’est retirée depuis vingt ans.

Je la retrouve tassée dans un fauteuil, emmitouflée dans une chemise de bûcheron et un gilet jacquard. Les cheveux gris, courts et clairsemés, des lunettes rondes qui lui mangent un visage émacié, Anémone est plongée dans le dernier livre de Naomi Klein, Dire non ne suffit plus (Actes Sud, 224 p., 20,80 euros). Elle paraît fatiguée. Seule sa voix n’a pas changé.

« On se grouille, hein »

Je voulais prendre un apéro avec elle, on se retrouve à l’heure du goûter. Montant sur scène à 19 heures, difficile de partager le verre de vin blanc qu’elle prend chaque soir avant de jouer. Ce sera un thé noir sans sucre et l’inquiétude permanente d’être en retard pour aller au théâtre. Elle nous annonce qu’elle n’a qu’une petite heure à nous consacrer, après, elle se « casse ». Mais le photographe doit arriver dans une heure… Ça l’« emmerde », les photos. Elle n’est pas maquillée et ne se maquillera pas. Finalement, elle se plie à la séance de prises de vue, mais « on se grouille, hein », prévient-elle.

Dans moins de deux heures, elle doit rejoindre le Palais des Glaces pour interpréter une « mamie zinzin ». C’est ainsi qu’elle nomme son personnage de vieille dame atteinte d’Alzheimer dans Les Nœuds au mouchoir. Elle y est drôle et émouvante, subtile, juste et touchante. « Après ça, j’arrête. J’en ai marre, j’ai envie qu’on m’oublie », jure-t-elle. Anémone n’aspire qu’à une chose : « Ne rien faire, renouer avec la vie de légume que j’affectionne. Buller sur mon canapé à la campagne. La ville ça pue, ça fait du bruit. »

Ecologiste de la première heure

En Tatie Danielle de la fin du monde, elle s’épanche bien davantage sur notre planète – qu’elle juge définitivement foutue – que sur sa carrière. Parle avec plus d’assurance des dégâts causés par le glyphosate de Monsanto et des bienfaits de la permaculture que de cinéma et de théâtre.

Ecologiste de la première heure – elle a voté René Dumont en 1974 –, soutien d’Attac dès sa création, l’actrice a été très tôt sensibilisée aux désordres de l’environnement grâce à ses lectures (Printemps silencieux, de Rachel Carson, Plon, 1963), et à son frère, l’agronome Claude Bourguignon. « Il faisait de l’ornithologie. Voyant disparaître leur sujet d’étude à vive allure les ornithologues ont été les premiers à tirer la sonnette d’alarme. J’ai grandi avec ça. »

Elle garde un souvenir « génial » du forum des altermondialistes à Porto Alegre au Brésil et se scandalise du regard méprisant porté pendant longtemps sur les écologistes. « On nous traitait de fous, de Cassandre, peste-t-elle. Alors que c’est frappé au coin du bon sens : on ne peut pas rêver d’une croissance infinie de la population et de la consommation individuelle sur une planète qui n’est pas en expansion. »

« C’EST UNE LOI DE LA BIOLOGIE : TOUTE ESPÈCE PROLIFÉRANTE ARRIVÉE AU STADE DE LA PULLULATION (CE QUI EST LE CAS DE L’ESPÈCE HUMAINE) CONNAÎT UN CRASH DÉMOGRAPHIQUE À LA HAUTEUR DU BOOM QUI A PRÉCÉDÉ. JE NE VOIS PAS POURQUOI ON FERAIT EXCEPTION. »


Aujourd’hui, elle envoie tout balader, ne veut même plus se révolter parce que « c’est trop tard, toutes les études convergent. Il y a cinquante ans, on aurait pu faire autrement. Maintenant, démerdez-vous. Ça va finir avec de grands bûchers. On n’arrivera plus à enterrer les gens tellement ils mourront vite. »

Et Anémone d’enfoncer le clou de la désespérance : « C’est une loi de la biologie : toute espèce proliférante arrivée au stade de la pullulation (ce qui est le cas de l’espèce humaine) connaît un crash démographique à la hauteur du boom qui a précédé. Je ne vois pas pourquoi on ferait exception. » Et dire que je pensais me marrer en la rencontrant…

Aussi loin qu’elle s’en souvienne, Anémone a toujours voulu être actrice. Ni à cause d’un film ou d’une actrice en particulier, non, elle est « née comme ça ». Point barre. « Je prenais des cours de danse à la Schola Cantorum, à Paris, j’ai repéré un cours de théâtre juste à côté, et puis voilà. J’ai traîné aux terrasses des bistrots, et j’ai rencontré des artistes. »

Issue d’un milieu bourgeois, des médecins « plutôt de gauche », elle n’était « pas spécialement rebelle », mais trouvait « les hippies plus marrants que les banquiers. Ma mère avait foutu le camp à la campagne, mon père était tout le temps au boulot. Du coup, je me suis fait des copains », résume-t-elle.

Fâchée avec le Splendid

Du café-théâtre du Splendid, elle garde un souvenir de « grande marrade », mais s’est fâchée à jamais avec la troupe pour des histoires d’argent. Une fâcherie « définitive », insiste-t-elle, « car je suis têtue comme une mule ». Et en plus, « j’ai découvert avec stupéfaction qu’ils étaient de droite ». Décidément, rien ne va.

Son métier de comédienne, voilà bien longtemps que le star-system l’en a dégoûtée. « Je n’avais pas choisi d’être vendeuse de films. Les professions artistiques sont devenues des produits d’appel. Le fric s’est jeté dessus. Les promos et le temps consacré au contrat et au pognon, ça me fait chier. » En fait, tout la fait chier, Anémone.

« J’AURAIS SÛREMENT EU UNE CARRIÈRE DIFFÉRENTE SANS MES ENFANTS, CAR LA MARMAILLE, ÇA VOUS PREND BEAUCOUP DE TEMPS, D’ÉNERGIE, DE FRIC. »


Mais comme elle a des gosses (un garçon, une fille), il fallait bien qu’elle gagne sa vie, alors elle s’est pliée, un temps, à « ce monde de fous » et a accepté quelques nanars « pour son banquier ». Ah, les enfants ! Il y a quelques années, elle a brisé un tabou à la télévision en avouant qu’elle regrettait de les avoir faits, poussée par la pression sociale selon laquelle, si on n’a pas d’enfant, on n’est pas une vraie femme.

Ses gosses, elle les aime – « les pauvres, ils n’y sont pour rien » – mais, dit-elle aujourd’hui, « j’aurais sûrement eu une carrière différente sans eux, car la marmaille, ça vous prend beaucoup de temps, d’énergie, de fric ». Des documentaristes de la télé québécoise l’ont récemment contactée pour un sujet sur les femmes qui ne veulent pas d’enfant. Ce projet l’a ravie. Enfin quelque chose qui lui fait plaisir !

Pour le reste, elle en a marre de « ce monde basé sur le profit », de cette « ploutocratie mondialisée ». Elle ne vote plus car, qu’ils soient de droite ou de gauche, les politiques sont tous « des crétins et des menteurs » et en a « ras le bol de jouer », d’autant qu’à Paris, les salles sont à moitié vides. Et pour couronner le tout, « Trump l’andouille va nous foutre une guerre ».

Ah si ! Elle est « très contente » d’être vieille « parce qu’on n’a plus rien à foutre de rien ». L’actrice n’attend plus qu’une chose : la dernière représentation des Nœuds au mouchoir, le 31 décembre. Après, basta. La « cossarde » repart dans le Poitou bouquiner.


Elle a toujours été une grande lectrice. De romans, quand elle était jeune, puis d’essais sur l’économie. D’Alain Minc à Frédéric Lordon, de Milton Friedman à Yanis Varoufakis, elle a tout lu, s’est passionnée pour cette matière et s’est convaincue que « les alters sont les plus intéressants ». Anémone tire sa révérence et ne souhaite bonne chance à personne. Même pas à ses enfants. « Ils n’ont rien compris, je n’ai pas réussi à leur transmettre l’urgence écologique. Ils ne feront pas partie des survivants. » En même temps, dit comme ça, on comprend leur manque d’enthousiasme.

 

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