Animaux et empathie

 

Les animaux peuvent-ils faire preuve de compassion ?

 

24.04.2018 (MIS À JOUR À 15:10)

Par Pierre Ropert

L'empathie est-elle le propre de l'homme ? Pas vraiment, à en croire de nombreuses études. Mieux, les animaux sociaux comme les éléphants ou les chimpanzés seraient capables de compassion. Une notion qui intrigue les chercheurs.

Des éléphanteaux jouent dans le Parc National de Samburu, au Kenya.
Des éléphanteaux jouent dans le Parc National de Samburu, au Kenya.• Crédits : Simon Eeman / EyeEm - Getty

La rumeur avait de quoi plaire : à en croire de nombreux messages diffusés sur les réseaux sociaux, lorsqu’un éléphant aperçoit un humain, la même zone s’active dans son cerveau que lorsqu’un humain aperçoit un chaton ; les pachydermes nous trouveraient donc mignons. 

Julia@JuliaHass

I just learned that elephants think humans are cute the way humans think puppies are cute (the same part of the brain lights up when they see us) so pack it in, nothing else this pure and good is happening today.

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"Je viens juste d’apprendre que les éléphants pensent que les humains sont mignons de la même façon que les humains trouvent les chatons mignons (la même partie du cerveau s’allume quand ils nous voient), donc remballez-tout, rien d’autre d’aussi pur et bon n’arrivera aujourd’hui."

Ce tweet, partagé et repris des milliers de fois, conte une jolie fable... que rien ne permet de prouver. Nulle étude ne confirme que les éléphants trouvent l'être humain mignon. Mais cette affirmation erronée traduit pourtant une réalité : les pachydermes, ainsi que d'autres animaux, semblent pouvoir éprouver de l'empathie, voire de la compassion à notre égard. Et cette idée divise encore la communauté scientifique. 

De l'empathie à l'altruisme chez les animaux

L’empathie n’a rien d’un sentiment propre à l’homme : elle est la capacité à percevoir et à se mettre à l’unisson de ce que ressent autrui. La peur, par exemple, est une forme d'empathie, et on la retrouve dans la nature sous forme de contagion émotionnelle (des oiseaux prenant la fuite en même temps par exemple). L’empathie est ainsi nécessaire aux interactions sociales, et elle existe notamment chez les animaux qui vivent en groupe, dits sociaux. 

"Lorsqu'on montre à des humains et à des grands singes des images chargées d'émotion, on observe des modifications similaires de leurs cerveau et de leur température périphérique, précise Carl Safina, auteur plusieurs fois primé pour ses ouvrages sur l’environnement, dans son livre Qu’est-ce qui fait sourire les animaux ? [...] L'empathie est automatique. Elle n'exige aucune réflexion. Le cerveau établit automatiquement la correspondance d'humeur et ne fait prendre conscience de l'émotion qu'ensuite. Les animaux qui jouent doivent savoir que l'individu qui leur court après et les attaque n'est pas sérieux : empathie. Comprendre l'invitation au jeu : empathie."

"Plus le cerveau est compliqué, plus il y aura des émotions raffinées et fines. C'est vrai pour l'émotion. C'est vrai pour tout ", précisait Georges Chapouthier, neurobiologiste et philosophe, membre du conseil d'administration de La Fondation Droit Animal, Ethique et Sciences, en janvier dernier dans La Méthode scientifique :

Dans tous les groupes sociaux fortement intégrés il y a une forte interaction et une forte empathie nécessaire au fonctionnement du groupe.

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A la recherche des émotions animales (La Méthode scientifique, 18/01/2018)

Ce “sentiment” peut donc s’expliquer simplement : il y a un intérêt collectif à coopérer pour ces animaux. En ce sens, l'empathie est compatible avec la théorie de l’évolution et de la sélection naturelle des espèces de Charles Darwin. Pourtant, chez certains animaux, comme les éléphants, l’empathie semble virer à la compassion ou à l’altruisme, non seulement entre eux mais également à d'autres espèces, ce qui intrigue les chercheurs. 

Les éléphants, des animaux capables de compassion 

Dans leur étude, “Les éléphants sont-ils capables d’empathie ?” (“Do Elephants Show Empathy ?”), la chercheuse Lucy Bates et ses collègues affirment ainsi que les éléphants sont capables de secourir ceux qui souffrent et de s’aider mutuellement. Des scientifiques ont pu observer des éléphants nourrir un congénère blessé à la trompe ou encore arracher les fléchettes tranquillisantes utilisées par les soigneurs. En 2013, au Kenya, lors du décès d'une éléphante nommée Victoria, trois groupes distincts d’éléphants sont venus défiler devant la dépouille, s’arrêtant plusieurs secondes avant de repartir. Si les scientifiques se méfient de notre tendance à tirer de cet événement une analyse anthropomorphique, ils reconnaissent un comportement inhabituel.

Les comportements altruistes des éléphants ne semblent pourtant pas motivés par des mécanismes de survie lorsque ces derniers viennent en aide à d’autres espèces. En Inde, par exemple, il a été fait mention d’un éléphant utilisé pour enfoncer des poteaux dans des trous préalablement creusés. L’éléphant domestiqué a soudainement refusé de continuer sa tâche, jusqu’à ce que le mahout, son “guide”, réalise qu’un chien était endormi dans un des trous et ne le fasse partir. Après quoi l’éléphant a repris son travail.

Des éléphants à Amboseli National Park, au Kenya.
Des éléphants à Amboseli National Park, au Kenya.• Crédits : Buena Vista Images - Getty

Plus curieux encore, les éléphants peuvent aider des humains. Dans son livre “Qu’est-ce qui fait sourire les animaux ?”, Carl Safina relate ainsi plusieurs fois où des pachydermes sont venus en aide à des humains :

Un berger s’était cassé une jambe dans un affrontement accidentel avec une matriarche. [...] Il a expliqué plus tard qu’après l’avoir frappé, l’éléphante s’était rendu compte qu’il ne pouvait plus marcher. A l’aide de sa trompe et de ses pattes avant, elle l’avait doucement déplacé un peu plus loin et l’avait adossé à l’ombre d’un arbre. L’effleurant de temps en temps de sa trompe, elle l’avait veillé toute la nuit, bien que sa famille ne l’ait pas attendue. 

Selon la chercheuse Lucy Bates et ses collaborateurs, les éléphants, en plus d'avoir des capacités cognitives très élevées, ont ainsi une empathie équivalente à celle des humains.

Chimpanzés, chiens, rats : une empathie partagée 

Mais les éléphants sont loin d'être les seuls animaux soupçonnés d’empathie. Ce genre de comportements a été observé chez les très grands singes à de nombreuses reprises. En septembre 2013, dans l’émission Les Racines du ciel, le docteur en génétique cellulaire et moine bouddhiste Matthieu Ricard, venu parler de la notion d’altruisme, racontait ainsi comment un bonobo nommé Kuni avait pris soin d’un étourneau : 

L’oiseau avait percuté une vitre et était tombé par terre. Le singe l’a pris entre ses mains, a étendu ses ailes et l’a lâché pour voir s’il volait, puis il est monté sur une branche a écarté ses ailes et l’a lancé : l’oiseau est retombé. D’autres Bonobo s'approchant, il l'a repris pour le protéger…

Les bonobos ayant un régime omnivore, la protection n'avait rien de superflu : l’oiseau sauvé a ainsi fini par s’envoler à nouveau. 

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L'altruisme avec Matthieu Ricard (Les Racines du ciel, 22/09/2013)

Un bonobo.
Un bonobo.• Crédits : Fiona Rogers - Getty

D’autres exemples témoignent de la capacité des grands singes à aider également les êtres humains : en 1996, au Zoo de Brookfield à Chicago, une femelle gorille a ainsi rapporté à l’entrée de l’enclos un petit garçon de 3 ans qui avait fait une chute de 6 m dans l’enceinte des primates, raconte Emmanuelle Pouydebat dans L’Intelligence animale. Selon une étude de 2015 de Jaak et Jules Panksepp, intitulée Toward a cross-species understanding of empathy, on dénombre ainsi plus de 2000 anecdotes qui confirment que les primates non-humains sont capables d’empathie. 

Pour en apprendre plus sur les grands singes, n’hésitez pas à écouter La Méthode Scientifiqueconsacrée à ce sujet : 

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Sabrina Krief, sur la piste des grands singes (La Méthode scientifique, 25/12/2017)

Longtemps, les scientifiques ont contesté la possibilité de l’empathie chez les animaux, cherchant une explication plus égoïste à ces comportements. Pourtant, dès 1959, une étude intitulée Emotional reactions of rats to the pain of others (Les Réactions émotionnelles des rats face à la douleur des autres), démontrait que les rats, s’ils avaient la possibilité d’obtenir de la nourriture en poussant un levier au prix d’une décharge électrique sur l’un de leurs congénères, choisissaient le plus souvent de ne rien faire. 

Quelles origines pour l'empathie ?

Dans une étude publiée récente publiée en janvier 2016 dans la revue américaine Science, des chercheurs ont mis en évidence le rôle de l’ocytocine, un neurotransmetteur, dans les comportements empathiques chez les campagnols des prairies. Alors qu’ils avaient tendance à consoler des rongeurs de leur “famille” soumis à du stress, les campagnols cessaient de les aider dès lors qu’ils étaient privés par les chercheurs de ce neurotransmetteur. 

Le résultat de l'étude continue de mettre à mal l'idée que seule la compétition régule les relations entre animaux, ce que Charles Darwin avait d'ailleurs anticipé dans La Descendance de l'homme et la sélection sexuelle : il expliquait d'ores et déjà qu'à l'intérieur d'une tribu, un animal honnête n'était pas forcément avantagé, mais qu'un groupe avec des congénères honnêtes possédait un avantage sur les autres groupes, cela constituant in fine "une sélection naturelle".

Pour le biologiste Frans de Waal, co-auteur de l'étude sus-citée et spécialiste des primates, l'empathie trouve effectivement ses origines dans un processus évolutif, dicté par l'instinct maternel : "Pendant 200 millions d'années d'évolution des mammifères, les femelles sensibles à leur progéniture se reproduisirent davantage que les femelles froides et distantes. Il s'est sûrement exercé une incroyable pression de sélection sur cette sensibilité". 

Invité en octobre 2016 de La Grande Table, le biologiste auteur de "Sommes nous trop 'bêtes' pour comprendre l'intelligence des animaux", regrettait que les scientifiques aient si longtemps mis de côté la notion d'intelligence animale :

L'intelligence animale était un tabou au siècle dernier, on essayait de tout mettre dans deux boîtes : soit c'est l'instinct, soit c'est de l'apprentissage très simple. C'est seulement depuis 25 ans que de jeunes scientifiques regardent en dehors de ces boîtes et proposent que les animaux puissent avoir des concepts, puissent planifier, fabriquer des outils... Chaque semaine il y a des découvertes comme ça. [...] La façon dont on traite les animaux peut être influencée par ce genre de recherches.

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L’animal est-il un homme comme un autre ? (La Grande Table, 05/10/2016)

 

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