Écrivain, une profession de foi

Ecrivain, une profession de foi

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     Ecrivain, une profession de foi

Le salon Livre Paris a fermé ses portes dimanche. Il a duré quatre jours. Il se réduit d’année en année, comme l’espérance de vie d’un livre et comme l’espérance tout court. L’usage veut qu’une journée soit réservée aux «professionnels», on suppose donc que le reste se passe entre amateurs, c’est-à-dire entre lecteurs et auteurs. Car dans ce qu’il est convenu d’appeler «la chaîne du livre», tout le monde est professionnel, sauf l’écrivain. C’est bizarre, je vous l’accorde, mais c’est un fait. Editeur, c’est une profession ; libraire, c’est une profession ; imprimeur, distributeur, bibliothécaire, c’est une profession. Ecrivain, non. Ou alors, une profession de foi. Le genre de foi chevillée au corps. Le premier anneau de la chaîne, celui sans lequel il n’y aurait pas de chaîne, est aussi le moins reconnu, celui dont le statut est le plus fragile et la condition souvent précaire. L’écrivain, c’est le maillon faible. Je vous parle de l’écrivain de base, pas du top ten, naturellement. Ecrire n’est pas une profession puisque l’écrivain n’en vit pas. Sur le prix de vente de ses livres, c’est lui qui gagne le moins : 10 % HT quand tout va bien, souvent 8 % ou 6 %, 5 % en format poche. Ils ne sont qu’une minorité à déclarer des droits d’auteur supérieurs à 8 500 euros par an, et ces derniers, les privilégiés, ont un revenu mensuel médian à peine supérieur au Smic. Peu de lecteurs le savent, et il n’est pas rare que l’un d’eux, au Salon du livre, vous tende un billet de vingt comme s’il allait intégralement dans votre poche.

Autrefois, l’écrivain était un bourgeois, il vivait de ses rentes, aujourd’hui il ne vit pas de ses ventes. Il ne peut même pas calquer ses exigences sur celles des intermittents du spectacle car lui, personne ne l’emploie, et quand il n’écrit pas, le monde continue de tourner. Toutefois, il se trouve encore des gens - des romantiques ! - pour estimer excessives les revendications économiques des écrivains, et même les bourses, résidences et autres à-valoir qui leur sont accordés ici et là (de plus en plus chichement, qu’on se rassure). C’est qu’un véritable poète se moque des contingences matérielles, il vit d’amour avec sa muse et meurt pauvre sous le saule pleureur, amputé ou suicidé. Rimbaud cotisait-il pour sa retraite ? Je vous demande un peu.

Un jour, à la fin d’un festival littéraire, je me suis trouvée seul auteur assis à la table des officiels - des chefs d’entreprise sponsors de l’événement, des politiques, des décideurs - et l’un d’eux, se tournant vers moi, m’a demandé d’emblée, ce fut sa première question, curieuse et même pas ironique : «Alors, ça vous fait quoi d’être avec des gens qui travaillent ?» En réalité, non seulement l’écrivain a généralement un travail en plus de son activité créatrice - parce que, comme le disent les pancartes contre le projet de loi El Khomri, il essaie de gagner sa vie sans la perdre -, mais il est souvent renvoyé à sa propre insignifiance, à son inutilité sociale. Sa hantise, ce n’est pas l’argent, c’est la valeur. Certes, il a besoin du premier pour vivre, mais sa préoccupation est ailleurs, même si souvent les deux se superposent - combien de bandeaux en couverture d’un livre «déjà 100 000 exemplaires vendus» semblent gager la qualité littéraire sur la réussite économique ? De plus en plus, l’écart se creuse et devient abîme entre une poignée de best-sellers, bons ou pas, et tous les autres livres. Beaucoup d’écrivains, après des années de travail sur un roman, n’en vendent que quelques centaines, voire quelques dizaines, et n’ont parfois aucune reconnaissance médiatique : pas la moindre critique, pas la plus petite émission de radio. Leur livre passe à la trappe, et c’est tout. Les écrivains contemporains sont souvent des écrivains comptant pour rien. Dans écrivain, soudain, ils entendent vain. Lis tes ratés. A l’autre extrémité, quelques-uns engrangent large, ce qui ne prouve pas forcément leur supériorité, quoi qu’ils en pensent (chez nos contemporains, il y a aussi des contents pour rien).

Ce qui serait bien, c’est que le sort des écrivains s’améliore. Qu’on cesse de croire que lorsqu’un écrivain traverse toute la France pour aller parler dans une médiathèque, il a gagné sa journée. Que les éditeurs et les pouvoirs publics se soucient davantage des plus nécessiteux. Les auteurs ne comptent pas pour du beurre. Sans eux, pas de livres, sans eux, la vie serait perdue. Leurs histoires nous gardent vivants, ça n’a pas de prix. Ne les laissons pas conter pour rien.

Cette chronique est assurée en alternance par Olivier Adam, Christine Angot, Thomas Clerc et Camille Laurens.

http://www.liberation.fr/debats/2016/03/25/ecrivain-une-profession-de-foi_1442079

 

Je n'ai pas de chapeau mais un bonnet de montagne :)

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