Maltraitances gynécologiques

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Mélanie Déchalotte, la journaliste qui a brisé le tabou des maltraitances gynécologiques sur France Culture

Publié le 20 octobre 2015 par Marie-Hélène Lahaye

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Mélanie Déchalotte

Le 28 septembre dernier, France Culture diffusait le documentaire « collection témoignage : maltraitances gynécologiques » dans l’émission Sur les Docks. Ce documentaire a connu une audience exceptionnelle et a déclenché une avalanche de témoignages, qui ont eux-mêmes été repris par la presse, faisant tomber le tabou des violences commises dans l’intimité des cabinets de gynécologie. Mélanie Déchalotte, la journaliste à l’origine de ce documentaire, revient sur le retentissement de cette émission.

Qu’est-ce qui vous a poussée à vous intéresser aux maltraitances gynécologiques ?

Plusieurs événements sont à l’origine de mon intérêt pour ce sujet : d’abord mon expérience personnelle concernant la gynécologie, et surtout le fait que l’immense majorité des femmes de mon entourage (amical, professionnel ou familial) a été victime d’une mauvaise expérience lors d’une consultation, d’un examen gynécologique, d’un accouchement, d’une IVG, etc. Les multiples tweets parus sur la toile en réponse au lancement du hashtag « PayeTonUtérus » et enfin le scandale des touchers vaginaux sur patientes endormies m’ont convaincue qu’il fallait absolument faire un documentaire pour dénoncer cette maltraitance dont pouvaient être parfois victimes les patientes au contact de certains professionnels de santé.

Avez-vous pu facilement convaincre France Culture de diffuser un tel sujet ? Quelles ont été les réactions des responsables de la programmation ?

L’équipe de France Culture qui dirige l’émission a d’emblée accueilli très favorablement le projet de ce documentaire. Le sujet était délicat : la maltraitance dont sont victimes les femmes en gynécologie et obstétrique est un véritable tabou. La société refuse de la prendre en considération : le corps médical français reste très susceptible lorsqu’il s’agit de remettre en question ses pratiques, les hommes ne se sentent pas concernés, les femmes elles-mêmes sont conditionnées à éprouver cette souffrance comme inhérente à la condition féminine. Malgré la difficulté que représentait cette enquête, Irène Omélianenko, la directrice de l’émission, a tout de suite décidé de soutenir le projet.

Le Journal international de Médecine (JIM) vous reproche d’avoir monté le documentaire en donnant une image déformée et peu flatteuse des représentants des gynécologues. Que répondez-vous à cela ?

L’article du Journal international de Médecine est inquiétant. Au lieu de prendre la mesure du problème, de participer à une prise de conscience et de poursuivre la sensibilisation auprès des praticiens, l’auteur de l’article esquive la réalité et se lance dans une piètre défense de la corporation médicale. L’auteur dénonce d’abord l’emploi du terme « maltraitance » en expliquant que « Jean Marty se référait à une acception très classique du terme « maltraitance » » et que le terme d’ « irrespect » eût été plus pertinent. Non, il n’y a pas eu de confusion ou de naïveté de la part Jean Marty sur le sens des mots. Et il suffit de lire la définition de « maltraitance » dans un dictionnaire ordinaire (ou médical) pour réaliser que l’emploi de ce terme est tout à fait approprié au sujet. Parler ici d’irrespect, c’est faire preuve d’une indulgence coupable.

Il n’y a absolument aucun « jeu de montage » qui vise à discréditer les deux gynécologues interviewés. Tous les intervenants du documentaire donnent leur avis et se répondent sur les différents sujets qui sont abordés. Les gynécologues et les autres intervenants ont des prises de position opposées. Ces jugements antagonistes garantissent au contraire l’objectivité de l’enquête et témoignent de la volonté de donner aussi la parole à ceux qui sont accusés de maltraitance. Lors de notre entretien, Jean Marty s’est exprimé plus personnellement sur le sujet, tout en me signifiant en même temps qu’il ne fallait pas diffuser ces propos-là. Le chargé de réalisation, François Teste, et moi-même avons respecté ce « off ». Ses affirmations et ses jugements risquaient de discréditer la corporation des gynécologues. Et ce n’était pas le but. Si les deux confrères défendent mal la profession et si leurs analyses ne sont certainement pas partagées par tous les praticiens, ces deux médecins restent néanmoins des porte-paroles de la profession, élus par leurs pairs : c’est à ce titre qu’ils ont été sollicités. Ne faudrait-il pas s’interroger sur les problèmes que révèlent les propos de ces deux représentants ?

Les commentaires de praticiens sur le site de France Culture, mais aussi la majorité des commentaires de soignants sur le site de l’article du JIM, n’accusent pas le documentaire de déformer la réalité. Ils témoignent au contraire de la lucidité et de la volonté d’une partie du corps médical à appliquer une véritable éthique du soin en gynécologie-obstétrique.

Ce numéro de Sur les Docks a rencontré beaucoup de succès (plus de 10.000 partages du podcast sur facebook) et a suscité énormément de témoignages, en comparaison avec les autres émissions de France Culture. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Le documentaire a rencontré un immense succès et l’équipe web de France Culture a dû très vite gérer et organiser un déferlement de commentaires, des centaines de témoignages qui affluaient en quelques heures seulement. Les réactions continuent sur le site et le documentaire ne cesse d’être relayé par les réseaux sociaux et d’être podcasté par des auditeurs. Je suis bien entendu très heureuse que ce travail ait permis de délier les langues et de rendre aux femmes une parole déniée et confisquée. J’ai parfois entendu que la maltraitance en gynécologie-obstétrique était un « faux-sujet» : un problème inventé de toutes pièces par les femmes désireuses de régler des comptes avec ceux qui ont le contrôle de la féminité, ou par des féministes excitées qui auraient envie d’en découdre avec la profession médicale. L’audience très importante que connaît le documentaire et le retour des auditeurs de France Culture témoignent autant de la réalité que de l’intensité de ce problème de société.

Bien évidemment ce travail – et la publication des commentaires qui ont suivi – n’ont pas pour but d’encourager les femmes à éviter le suivi médical en gynécologie. Il vise uniquement à pointer un dysfonctionnement important. On a l’impression qu’un bon gynécologue, c’est comme un bon psy. On convoite la bonne adresse et on se la refile de copine en copine, parfois presque sous le manteau. Il y a d’excellents praticiens dans la profession (techniquement et humainement) et j’en ai heureusement rencontré plusieurs au cours de mon suivi personnel. Mais lorsqu’un gynécologue se montre doux, empathique, respectueux, attentif, patient… pourquoi a-t-on l’impression d’avoir une chance extraordinaire? Pourquoi a-t-on besoin de lui dire mille fois merci de nous avoir écoutées, de nous avoir parlé, de ne pas nous avoir fait mal, de nous avoir bien expliqué les choses, etc.? En gynécologie-obstétrique, les femmes subissent une maltraitance ordinaire.

En fait j’espère surtout que ce documentaire sera écouté par les professionnels de santé et qu’il permettra une prise de conscience générale. Il serait dommage que le problème ne soit pris au sérieux que par les patientes elles-mêmes. Si les femmes essaient – dans la mesure du possible – de contourner les mauvais gynécologues, ne vaudrait-il pas mieux chercher des solutions au sein du monde médical ? Les professionnels du soin, les instances médicales, le Ministère de la Santé, les CHU, les médecins (et futurs médecins) n’ont-ils pas eux-mêmes un rôle à jouer ?

Vous attendiez-vous à une telle libération de parole ?

J’ai toujours cru à la force de ce sujet et à la nécessité de faire ce documentaire. Durant mon enquête des dizaines de femmes m’ont contactée pour me raconter leurs mauvaises expériences en gynécologie-obstétrique. Des récits intimes et douloureux. Beaucoup ne voulaient ou ne pouvaient pas témoigner derrière un micro mais elles tenaient tout de même à me raconter leur histoire au téléphone ou par mail pour soutenir le projet. Je savais donc que beaucoup attendaient la diffusion du documentaire. Pour autant, je ne m’attendais pas à une telle libération de parole. C’est impressionnant de constater à quel point les femmes se sont senties légitimes pour témoigner de leur souffrance une fois le documentaire diffusé. Les récits – qu’il n’y a aucune raison de remettre en doute – sont touchants, choquants et parfois effrayants. J’ai notamment été frappée par plusieurs témoignages de la part de femmes médecins qui, en tant que patientes, se sont retrouvées elles aussi confrontées à la maltraitance de la part de leurs confrères gynécologues. Le documentaire a brisé le silence des femmes, c’est une très bonne chose. Mais il faut maintenant qu’il brise le silence des médecins.

***

Revue de presse :

RTL : Maltraitance gynécologique : quand les femmes racontent leur souffrance

Slate : De nouveaux témoignages accablants sur les maltraitances gynécologiques

Journal international de Médecine (JIM) : « Maltraitances gynécologiques » : y-a-t-il un médecin respectueux dans la salle ?

Libération : Maltraitances gynécologiques : «Un bout de viande sur la table d’examen»

Le Figaro : Quand les femmes ont peur de leur gynécologue

La Libre : Quand se rendre chez le gynécologue est traumatisant

Marie Claire : Aller chez le gynécologue, une torture pour de nombreuses femmes

L’Obs/Rue89 : Pour en finir avec la maltraitance gynécologique

Cheek Magazine : Maltraitance gynécologique: des femmes témoignent de leurs (mauvaises) expériences

La Vie : Sur les docks. La Maltraitance gynécologique

MademoiZelle : La maltraitance gynécologique est à nouveau dénoncée par les patientes

 

Blogs qui en parlent :

10Lunes : Mal traitant et Mal traitant – mal traité

En Jupe : Maltraitance en gynécologie : témoignages, témoignages…  , #PayeTonUterus : Faites gaffe un peu quand même  et Le consentement, cet « énième formulaire »

Marie accouche là : Les maltraitances gynécologiques dénoncées sur France Culture

Ovidie : Pour en finir avec la maltraitance gynécologique

 

En humour :

Franceinter : la drôle d’humeur de Noémie De Lattre « Tiens, ceci est mon corps »

 

Pour réécouter l’émission de France Culture et lire les nombreux témoignages : Collection Témoignages : Maltraitance gynécologique

 

 

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