Sur l'orgasme féminin (3) (sexualité sacrée)

Avatar de Peggy Sastre

Par 
sexe, science et al.

LE PLUS. "Tout sur l'orgasme", "trucs et astuces pour atteindre le septième ciel"... c'est sûr, cet été, les magazines féminins ne vont pas vous lâcher. Loin de ces pseudo-conseils, un débat se joue dans la communauté scientifique : l'orgasme féminin a-t-il ou non été sélectionné par l'évolution et si c'est le cas, dans quel but ? Peggy Sastre, auteur de "No Sex" et "Ex utero" (La Musardine) fait le point pour Le Plus.

Édité par Amandine Schmitt  Auteur parrainé par Mélissa Bounoua

Orgasme (jayne vidheecharoen/CC/Flickr.com).

Orgasme (jayne vidheecharoen/CC/Flickr.com).

 

Chez les spécialistes de l'évolution de la sexualité humaine, la question de l'orgasme féminin est peut-être la plus problématique. Si, du côté masculin, l'équation orgasme = éjaculation = reproduction est on ne peut plus évidente, chez les femmes, les scientifiques s'écharpent gentiment depuis plusieurs dizaines d'années.

 

L'orgasme féminin a-t-il été sélectionné par l'évolution ?

 

À ma droite (cette classification est arbitraire et n'a rien à voir avec de putatives convictions politiques, je vous assure), vous avez les partisans de l'orgasme féminin comme "sous-produit" évolutif. Dans le vocabulaire évolutionnaire, un sous-produit (parfois appelé écoinçon ou trompe chez les amoureux des métaphores architecturales) est un trait phénotypique qui n'est pas un produit direct de la sélection naturelle, mais tient plutôt d'une conséquence secondaire d'une autre adaptation.

 

Ici, l'orgasme féminin n'aurait donc aucune fonction évolutive en lui-même, mais existerait simplement parce que les femmes partagent certains stades précoces de leur ontogenèse avec les hommes, chez qui l'orgasme correspond à une réelle adaptation. En d'autres termes, vu que le clitoris et le pénis sont formés des mêmes tissus lors du développement embryonnaire, la sélection aurait pu agir "en premier" sur la jouissance pénienne et faire hériter aux femmes de cette capacité d’excitabilité des tissus sexuels comme d'un bonus "vestigial".

 

À ma gauche, d'autres chercheurs estiment par contre que l'orgasme féminin a bien été forgé par l'évolution pour un but précis et propre (dans le sens de "qui lui appartient exclusivement ou en particulier", là encore, je vous garantis qu'il n'y a aucune considération hygiénique dans mes propos), à savoir : répondre aux besoins de la "sélection de partenaire".

 

Dans ce cas, la capacité orgasmique des femmes leur permettrait de choisir entre différents mâles et de sélectionner le "bon", soit dans une logique à long-terme (hypothèse dite du "lien conjugal", la femme va rechercher le meilleur père possible pour sa progéniture, ie. celui qui lui garantit le meilleurinvestissement parental), soit tout simplement le meilleur géniteur possible, en se focalisant sur des paramètres plus "terre à terre" comme la santé, la force physique, etc. (qu'importe si monsieur est encore dans les parages neuf mois plus tard, il aura transmis suffisamment de bon gènes à sa progéniture pour lui donner une chance de survivre et de se reproduire à son tour).

 

Et si l'orgasme était évolutivement superflu ?

 

Il y a encore une petite dizaine d'années, peu ou prou, c'était cette seconde interprétation qui prévalait dans la communauté scientifique. On mettait par exemple en avant le fait que les contractions de l'utérus et des trompes provoquées par un orgasme pouvaient favoriser la fécondation en faisant office de véritable aspirateur à sperme.

 

En effet, en inversant la pression utérine de l'extérieur vers l'intérieur, l'orgasme éviterait aux spermatozoïdes d'être expulsés du vagin et les aiderait ainsi a terminer tranquillou leur course vers l'ovule. De même, certaines études ont aussi montré que les sécrétions de prolactine déclenchées par l'orgasme peuvent "doper" les gamètes masculins, et que les femmes jouissent davantage pendant leur période fertile, soit là où le risque de fécondation est le plus élevé.

 

Mais en 2005, toutes ces belles certitudes (ou du moins, ces belles hypothèses vérifiées par de belles données factuelles) se sont effondrées avec la publication de "The case of the female orgasm: Bias in the science of evolution", une petite bombe rédigée par Elisabeth Lloyd.

 

Patiemment, scrupuleusement et surtout honnêtement, Lloyd y fourbissait les armes des partisans du "sous-produit" en montrant comment de nombreuses études attestant du caractère adaptatif "direct" de l'orgasme féminin ne tenaient pas la route, mais aussi comment d'autres recherches pouvaient soutenir l'idée d'un orgasme évolutivement inutile ou superflu. En particulier, ces études attestent de l'extrême variabilité de la capacité orgasmique féminine et montrent que l'anorgasmie, anciennement "frigidité", toucherait entre une femme sur trois et une femme sur quatre – des chiffres qui coïncident a priori assez mal avec un intérêt évolutif direct de l'orgasme féminin.

 

Une base génétique à la frigidité

 

Par exemple, une équipe dirigée par Kate Dunn de l’Unité d’épidémiologie génétique et de recherche sur les jumeaux de l’Hôpital Saint-Thomas, à Londres, avait recruté environ 4000 femmes, dont 683 paires de jumelles monozygotes et 714 paires de jumelles dizygotes. Chacune d’elles devait remplir un questionnaire sur leurs orgasmes et un tiers des femmes ainsi interrogées avait révélé ne jamais ressentir de plaisir. En comparant les réponses des vraies jumelles (qui partagent 100 % de leurs gènes) aux fausses (qui n’en partagent que 50 %) et au reste de la population, Kate Dunn avait conclu à l’existence d’une base génétique à cette frigidité : environ 34 % des différences entre les femmes dans l’anorgasmie pendant l’acte sexuel s’expliquant par les gènes, avec un chiffre grimpant même à 45 % pour l’anorgasmie clitoridienne.

 

Comme le relevait Kate Dunn :

 

"nos données suggèrent que les différences de capacité des femmes à avoir un orgasme possèdent une base biologique, et donc une possible base évolutive. Les variations de cette fonction sexuelle ne peuvent s’expliquer uniquement par des facteurs culturels, même si ceux-ci semblent jouer également un rôle important".

 

Mais si on considérait comme acquise l'hypothèse de l'adaptivité directe de l'orgasme féminin, ces observations n'avait aucun sens. Pour qu’un gène se reproduise dans une population, il est censé apporter un avantage sélectif à son porteur : quel peut-il être dans le cas de l’absence d’orgasme ? Par contre, si on estime que l’orgasme féminin n'est pas la véritable cible de la sélection et de l’adaptation, les gènes de l’anorgasmie ne relèvent plus du mystère.

 

L'orgasme comme élément du choix sexuel féminin ?

 

Il y a quelques semaines, le débat est reparti de plus belle avec la publication, là encore, d'une honnête, scrupuleuse et patiente synthèsede nos connaissances actuelles en matière d'orgasme féminin, et de ses liens directs ou indirects avec la sélection naturelle. En passant en revue les forces en présence, un anthropologue (David Puts) et deux psychologues (Khytam Dawood et Lisa Welling) de l'Université de Penn State, estiment que l'hypothèse du sous-produit n'a pas forcément gagné – entre autres, parce que plus de 50 articles sur le sujet sont parus depuis la remise à plat de Lloyd, et qu'ils ont tous, c'est ça aussi les merveilles de la méthode scientifique, bien intégré ses remarques et autres reproches méthodiques.

 

En effet, si on fait aujourd'hui le compte des prédictions correspondantes aux deux hypothèses et des données factuelles les supportant, l'adaptativité directe de l'orgasme féminin a une jolie longueur d'avance. Elle se voit, entre autres, dans les observations d'espèces animales non-humaines, où les femelles manifestent des orgasmes très semblables aux nôtres – c'est le cas des macaques rhésus ou des macaques à face rouge – et qui semblent se moduler en fonction des mâles en présence : ce qui conforme l'hypothèse de l'orgasme comme élément du choix sexuel féminin. Chez les macaques japonais ou les babouins de guinée, les femelles jouissent par exemple davantage quand elle s'accouplent avec des mâles d'un rang social plus élevé ou qui sont déjà grimpés sur de nombreuses femelles (selon la logique : si mes copines se sont laissé faire, c'est bien que tu dois avoir un intérêt quelconque), ou encore quand elles sont en pleine phase fertile.

 

"L'orgasme féminin", concluent les chercheurs "semble complexe et fonctionnel, mais n'est pas vestigial comme le prédit l'hypothèse du sous-produit. De plus, les variations dans les capacités orgasmiques masculine et féminine résultent visiblement de la variation de différents ensembles de gènes, ce qui contredit aussi apparemment l'hypothèse du sous-produit".

 

Adieu "l'énigme" de l'orgasme féminin

 

Pour asseoir encore un peu plus l'idée que l'orgasme féminin a été sélectionné par l'évolution parce qu'il permet aux femmes de mieux s'accoupler, quelques paramètres restent encore à étudier : quels variables peuvent prédire l’occurrence de l'orgasme féminin ? Une femme a-t-elle plus de chances de jouir quand son partenaire manifeste de bons indices génétiques, ou lorsqu'il laisse entendre qu'il sera un bon père ? L'orgasme incite-t-il les femmes à tomber amoureuses de ceux qui les leur "procurent" ou d'être davantage attirées sexuellement par eux ? Ou, tout "simplement" : existe-t-il plusieurs types d'orgasmes, avec différentes fonctions ?

 

C'est sur toutes ces questions, et sur d'autres encore, que les scientifiques de l'avenir devront se pencher, collecter un maximum de données mesurables et réplicables, parfaire encore et encore leurs méthodes, élargir et diversifier le plus possible leurs cohortes, etc. s'ils veulent, un jour, arriver à tuer enfin "l'énigme" de l'orgasme féminin, ce bon vieux cliché qui ne profite à personne, si ce n'est à quelques charlatans.

 

blog

Ajouter un commentaire