Krishnamurti : Sur le monde

Viendra un jour où les textes de Krishnamurti seront révélés à tous...


"Quelle est la fonction d'un esprit holistique ? Par esprit, nous entendons toutes les réactions des sens, les émotions -qui sont totalement différentes de l'amour- ainsi que la capacité intellectuelle. Actuellement, nous donnons une importance fantastique à l'intellect. Par intellect, nous entendons la capacité de raisonner logiquement, sainement ou non, objectivement ou subjectivement. C'est l'intellect, avec son mouvement de pensée, qui conduit à la fragmentation de notre condition humaine. C'est l'intellect qui a divisé le monde du point de vue linguistique, national, religieux, qui a séparé l'homme de l'homme. L'intellect est le facteur central de la dégénérescence de l'homme partout dans le monde, car l'intellect ne forme qu'une partie de la condition et de la capacité humaines. Quand cette partie est exaltée, louée et tenue en honneur, quand elle prend une importance primordiale, alors la vie qui est relation, action, conduite, devient contradictoire et hypocrite. L'anxiété et la culpabilité apparaissent. L'intellect a sa place dans la science, par exemple mais l'homme a utilisé le savoir scientifique non seulement à son profit mais pour créer des instruments de destruction.

L'intellect peut percevoir ses propres activités qui conduisent à la dégénérescence mais il est absolument incapable de mettre fin à son propre déclin parce qu'essentiellement, il n'est qu'une partie d'un tout"

"L'avenir de tout être humain, des jeunes comme des vieux, semble sombre et effrayant. La société elle-même est devenue dangereuse et totalement immorale. Quand un jeune affronte le monde, il est inquiet et plutôt effrayé par ce qui va lui arriver au cours de sa vie. Ses parents l'envoient à l'école puis, s'ils ont les moyens, à l'université et ils veulent qu'il trouve un travail, qu'il se marie, qu'il ait des enfants. Quelques années après leur naissance, les parents consacrent peu de temps à leurs enfants. Ils sont préoccupés par leurs propres problèmes et les enfants sont à la merci de leurs éducateurs qui eux-mêmes ont besoin d'éducation. Ces derniers ont peut-être un excellent niveau d'études et ils veulent que leurs élèves acquièrent les meilleurs diplômes, que l'école ait la meilleure réputation. Cependant, les éducateurs ont leurs propres problèmes et à l'exception de quelques pays, leurs salaires sont plutôt bas et socialement, ils ne sont pas tenus en haute estime. Donc, ceux qui vont être éduqués connaissent des moments plutôt difficiles avec leurs parents, leurs éducateurs et leurs compagnons d'études. Ils sont déjà dans ce flot de lutte, d'angoisse, de peur et de compétition. C'est le monde qu'ils ont à affronter : un monde surpeuplé, sous-alimenté, un monde en guerre, un terrorisme grandissant, des gouvernements incompétents, la corruption et la menace de la pauvreté. Cette menace est moins évidente dans les sociétés d'abondance.

Voilà le monde que les jeunes doivent affronter et naturellement, ils ont vraiment peur. Ils pensent qu'ils doivent être libres, dégagés de toutes activités routinières, qu'ils ne doivent pas se laisser dominer par leurs aînés et ils refusent l'autorité. Pour eux, la liberté, c'est de choisir ce qu'ils veulent faire mais ils sont confus, incertains et ils aimeraient malgré tout qu'on leur montre ce qu'ils doivent faire.

Ainsi, l'étudiant est pris entre le désir de liberté et les exigences de la société qui le presse de se conformer à ses besoins à elle.

Voilà le monde qu'ils ont à affronter et auquel ils doivent s'intégrer au cours de leur éducation.

C'est un monde effrayant."

Krishnamurti.






Je rappelle que ce texte a été écrit en 1982...

Non seulement, rien n'a été fait pour améliorer la situation mais il est même évident que tout s'est aggravé.

Les "sociétés d'abondance" ne sont plus à l'abri de leur "croissance". L'économie ne peut plus valider la pression éducative parce que les perspectives d'avenir ne sont plus portées par cette fameuse évolution sociale. Le conditionnement de l'individu dans ce contexte prend désormais son vrai visage. Etant donné que les valeurs matérialistes ont perdu de leur aura, il ne reste rien. Et la perdition générale apparaît au grand jour.

La solution ne viendra pas des structures politiques étant donné que celles-ci tentent par tous les moyens de sauver l'ancien système. Le moi encapsulé. Le système économique impose un système éducatif, un système de pensées, un système familial, professionnel, un engagement complet de l'individu dans une voie de croissance économique. Mais pas de croissance spirituelle. Et le mot "spirituel" continue à être perçu comme une dérive sectaire ou religieuse. La plupart des gens n'y voient que des connotations "New Age" ou de gourous infatués. La spiritualité a une intention : la liberté de conscience. Pas la religion...La philosophie, quant à elle, n'est pas une valeur marchande et la lucidité qu'elle préconise ne doit pas être mise en valeur. Sa pratique, cognitive, dans une classe de terminale ne met pas en péril le conditionnement. Il est déjà en place. C'est pour cela que la philosophie est enseignée aussi tard et dans des registres très limités.

La crise n'est pas encore autre chose qu'une crise économique et sociale. Elle ne prendra sa vraie mesure qu'avec la prise de conscience de l'état intérieur des individus. Pour l'instant, les politiques, les économistes, les financiers, s'évertuent à placer des pansements sur les blessures. Les dégâts collatéraux d'ordre existentiel ne sont perçus qu'à travers la détresse sociale. Il n'est pas question de nier la gravité des faits. Il y a des millions d'exclus. Et quelques milliers de privilégiés qui vont œuvrer au maintien de leurs privilèges. Tout ça n'est toujours qu'un état des lieux superficiel. Dans le sens de l'observation intérieure. C'est le changement de paradigme qu'il faut envisager. Il viendra de chaque individu et sûrement pas d'une structure étatique. Aucun état ne voudrait d'une Révolution spirituelle. Les candidats à la Présidence ne parlent que de changements matérialistes. Aussi importants soient-ils au regard de ces millions d'exclus, ces changements ne représentent qu'une tentative de maintien du paradigme. Pour la raison évidente que ce maintien permet le maintien des privilèges.

Pour ce qui est de l'éducation nationale, il est évident qu'elle ne proposera jamais ce changement. Elle est au service de l'Etat et les "éducateurs" sont eux-mêmes les serviteurs. La pyramide est en place. Système féodal. Lorsque j'ai écrit au ministre, il y a de ça, une vingtaine d'années, j'ai été convoqué par l'inspecteur d'académie et "cassé". Blocage de salaire pendant sept ans. Il leur suffisait de ne pas venir m'inspecter. Je n'ai pas changé de point de vue pour autant. Et je sais même avec le recul combien j'avais raison. Je n'avais juste pas perçu totalement l'ampleur de la manipulation.

Il y a une chose qui m'interpelle dans le texte de Krishnamurti. À mon sens, ça n'est pas "le monde qui est effrayant." C'est l'état intérieur des individus qui le constituent. Un groupe n'existe pas pour lui-même. Il n'est que l'assemblage des individualités. Il conviendrait donc de dire plutôt que "les individus sont effrayants" et que l'assemblage de ces individualités forme un monde effrayant.



Plus effrayant encore est de considérer le fait que ces individus, une fois unifiés, n'existent plus individuellement. Là, on entre dans l'horreur.

Et lorsqu'un groupe existant dès lors par lui-même s'écroule, non seulement les individus perdent leurs repères, mais ils ne peuvent plus exister individuellement. C'est la que la "crise" prend toute son ampleur.

Oui, mais il y a les élections présidentielles qui viennent à point nommé pour rassembler et magnifier de nouveau les identifications. Et on repart pour un tour...Un petit tour...Tout petit...






"Nous avons voulu mettre de l'ordre dans notre société par une action politique et ainsi nous sommes devenus dépendants des politiciens. Pourquoi les hommes politiques ont-ils pris une telle importance, de même que les gouvernements et les dirigeants religieux ? Est-ce parce que nous dépendons toujours d'agents extérieurs pour mettre de l'ordre dans notre maison, est-ce parce que nous dépendons de forces extérieures pour contrôler et façonner notre vie ? Les autorités extérieures comme les gouvernements, les parents, les leaders de toutes sortes semblent nous rassurer sur l'avenir. Cela fait partie de notre tradition de dépendance et de soumission. C'est cette tradition accumulée depuis très longtemps qui conditionne notre cerveau. L'éducation a admis ces coutumes et c'est ainsi que le cerveau est devenue mécanique et répétitif."

Krishnamurti.





Plus cette société est complexe dans ses réseaux, plus la dépendance se renforce. Pour une raison très simple : chaque individu est encore plus égaré. Il lui est impossible de se servir des réseaux pour trouver en lui une éducation individuelle. C'est comme être perdu dans une forêt. Plus le sentiment d'être perdu est grand, plus la perdition se renforce. La peur annihile toute réflexion, la panique conduit l'individu, l'orientation devient anarchique, l'individu erre au hasard de ses intuitions et ses intuitions sont totalement fausses parce qu'il n'est pas en lui, dans une plénitude d'esprit mais dans un chaos intellectuel, sensitif, émotionnel.

Au regard de la société, le fonctionnement est identique et les individus se tournent vers des "leaders" pour qu'un chemin soit proposé. Alors que ce sont justement ces "leaders", tout aussi égarés intérieurement, qui ont déclenché le chaos.

Dans une classe, les jeunes enfants apprennent déjà à se soumettre à l'autorité de "leaders" alors que ce sont ces leaders qui les ont placés dans une situation chaotique. Le fait que les apprentissages soient imposés, sans aucune nécessité réelle, mais en fonction de "programmation ministérielle", génère une inquiétude. Cette inquiétude instaure un phénomène de dépendance étant donné que les enfants doivent se soumettre à la parole du maître pour s'extraire de ce chaos. Leurs aptitudes ne sont reconnues que dans ce cadre limité des apprentissages.

Vingt ans d'éducation à la soumission. Le conditionnement est en place. Les enseignants se retirent, les politiciens les remplacent, les marchands s’enrichissent, les financiers se réjouissent.

Le Mal est ancré…

Il ne reste qu'à s'en libérer.

 

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