Autosuffisance alimentaire (humanisme)
- Par Thierry LEDRU
- Le 07/12/2015
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Trois tonnes de nourriture poussent dans leur jardin
CORRESPONDANCE À LOS ANGELES, STÉPHANE CUGNIER
ACTUALITÉ
Aux portes de Los Angeles, une famille a développé un incroyable jardin potager en milieu urbain, lui permettant de vivre en autosuffisance alimentaire.
Depuis la rue, la propriété ne paye pas de mine. Située à moins de 50 m de la bruyante autoroute 210, cette petite maison bâtie en 1917 ressemble à n’importe quelle autre habitation de ce quartier de Pasadena (Californie) développé au début du siècle dernier. Pourtant, derrière le portail du 631 Cypress Avenue se cache un potager où poussent plus de 400 variétés de légumes, fruits, baies, fleurs comestibles et herbes aromatiques, sur une surface de seulement 362 m2. À ceci s’ajoutent des poules, des canards, deux chevrettes et même plusieurs ruches d’abeilles.
Un véritable « jardin extraordinaire », à l’image de celui que chantait Charles Trénet, lequel produit 2,6 tonnes de fruits et légumes bio chaque année, ainsi que près de 1 800 œufs et 200 litres de lait. « L’histoire de ce jardin est partie d’un scandale alimentaire impliquant une chaîne de restauration rapide au début des années 1980, explique Jules Dervaes, 67 ans, né en Floride de parents originaires de Belgique. Je me suis dit que je ne voulais pas que mes enfants grandissent en mangeant ce genre de choses, nuisibles à la santé. À l’époque, il n’était pas beaucoup question de traçabilité alimentaire et de culture biologique. Je me suis donc dit que le meilleur moyen de protéger ma famille était de faire pousser notre propre nourriture. »
Des résultats rapides
Après s’être lancée dans l’apiculture en Nouvelle-Zélande dans les années 1970, puis dans la gestion d’une ferme en Floride, la famille Dervaes s’installe à Pasadena en 1984. Très vite, l’idée d’une ferme urbaine s’impose, mais les débuts ne sont pas simples. « Il a fallu tout apprendre et tout adapter à un espace restreint. Il fallait aussi obtenir des résultats rapides, car mes trois enfants étaient très jeunes et il fallait remplir les assiettes. Mais je n’ai pas baissé les bras, je voulais produire localement et sainement. »
Au fil des ans, malgré une période de sécheresse néfaste aux cultures au tournant des années 1990, le jardin prend forme et la production dépasse même très vite les besoins de la famille. « À partir de 1995, nous avons commencé à donner notre surplus aux personnes alentours. Nous avons aussi diversifié notre travail, en faisant des conserves, des confitures, du miel, du pain, etc. Au même moment, de nouveaux scandales sont apparus, liés aux cultures OGM. J’ai donc décidé d’aller encore plus loin et de faire pousser encore plus de nourriture locale dans notre jardin. »
Panneaux solaires et biocarburants
En 2001, la famille Dervaes commence à vendre ses fruits et légumes. « Au départ, je pensais que cette maison était trop petite, qu’il ne serait jamais possible de devenir autosuffisant. En plus d’arriver à nous nourrir, je n’aurais jamais imaginé un jour vendre mon surplus de légumes. »
Pourtant, la vente se développe rapidement, de même que les sollicitations pour conseiller les particuliers ayant décidé de suivre la même voie. « Nous avons donc décidé de créer une structure, afin de mettre en place des ateliers de formation dans tous les domaines, mais aussi de faciliter l’éducation des enfants à l’accès à une meilleure nourriture, loin des standards de la société de consommation traditionnelle. Nous sommes aussi partie prenante d’un réseau associatif, « Urban Homestead », qui encourage et soutient les initiatives locales. C’est un état d’esprit qui existe en Europe, nous cherchons à le mettre en avant aux États-Unis, mais aussi à aller plus loin. »
Loin de se limiter à la culture de son jardin, la famille Dervaes (Jules travaille avec ses filles Anaïs, 41 ans, et Jordanne, 32 ans, et son fils Justin, 37 ans) repousse désormais les limites de son pari d’autosuffisance. Avec l’installation de panneaux solaires en 2003, plus de 20 000 kWh ont déjà été produits, tandis que le recyclage des huiles de friture de la maison et de celles d’un restaurant de proximité a permis de produire 5 000 litres de biocarburants pour faire fonctionner leurs véhicules. « Nous recyclons et filtrons aussi les eaux usées - hors sanitaires - pour arroser nos plantes. »
Debout à 4 h 30 du matin
Trente ans après l’achat de sa maison, Jules Dervaes se trouve donc à la tête d’une petite entreprise parfaitement en place. Avec plus de 60 000 dollars annuels de ventes de fruits et légumes, la famille dégage assez d’argent pour acheter les produits qu’elle ne peut pas produire : farine, riz, sel… « Nous produisons tout de même 95 % de notre nourriture. Toute la famille mange pour 2 dollars par jour. Nous avons gagné notre indépendance. Mais cela a un prix, puisqu’il faut travailler dur et se lever tous les jours à 4 h 30. »
Désormais imitée par bon nombre d’Américains, la famille Dervaes s’enorgueillit d’avoir montré la voie à suivre. Mais, revers de la médaille, sa petite entreprise s’en trouve fragilisée. « Plus nous inspirons les gens, plus nous perdons de clients. » De nouvelles idées sont donc explorées pour compenser les pertes : ateliers pédagogiques, développement de vins bio à base de fruits, dîners dégustation, ventes de paniers hebdomadaires et saisonniers, soirées musicales… De quoi assurer l’avenir de la petite ferme urbaine et assainir le contenu des assiettes. « Si vous faites pousser votre propre nourriture, vous devenez plus puissant, moins dépendant. C’est une liberté qui dérange, mais qui vaut le coup. Mon conseil est donc simple : cultivez localement et vous serez libre. »
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