Qu’il nous soit permis ici de republier pour la deuxième fois un article qui mérite une attention particulière et une large diffusion en raison du contenu édifiant du rapport dont il fait état.
Il s’agit d’un rapport rédigé en 1996 par le Centre de Développement de l’OCDE auquel rappelons-le adhèrent la France et la grande majorité des pays dits du « Nord », « occidentalisés », »développés », mais surtout actuellement économiquement et moralement « ensablés ».
Le Centre de Développement a pour objectif dans ses activités de recherche, « d’identifier et d’analyser les problèmes qui vont se poser à moyen terme, dont les implications concernent aussi bien les pays Membres de l’OCDE que les pays non membres, et d’en dégager des lignes d’action pour faciliter l’élaboration de politiques adéquates ».
Le titre de ce rapport est « la faisabilité politique de l’ajustement », autrement dit comment faire en sorte que les décisions difficiles à supporter pour le peuple ne créent pas de troubles et n’empêchent pas les réélections de ceux qui les ont prises.
Autant vous dire que ce rapport est édifiant et d’un cynisme absolu. Dans ce rapport, pudiquement appelé Cahier, l’auteur explique quelles sont les meilleures stratégies pour que des décisions qui seront forcément impopulaires en raison éventuellement d’une crise mais surtout d’une politique néo-libérale décomplexée, »passent bien ou mieux », au cas ou TINA (There Is No Alternative) ne serait pas assez convaincante.
M Morrisson, son auteur, a la délicatesse d’illustrer et/ou d’argumenter ces stratégies par ce qui s’est fait dans certains pays avec ou sans succès.
Florilège:
- « Les cinq études par pays du Centre de Développement confirment l’intérêt politique de certaines mesures de stabilisation : une politique monétaire restrictive, des coupures brutales de l’investissement public ou une réduction des dépenses de fonctionnement ne font prendre aucun risque à un gouvernement. »
- « Les coupures dans les budgets d’investissement ne suscitent habituellement aucune réaction, même lorsqu’elles sont très sévères. »
- « La libéralisation des échanges — une mesure recommandée avec insistance par la Banque mondiale — illustre ces réactions opposées dont le gouvernement peut tirer parti. Certes, il existe toujours un front protectionniste assez large et puissant, même s’il est hétérogène. Il rassemble les industriels des secteurs protégés (et leurs salariés), les hauts fonctionnaires qui veulent garder leur pouvoir (sans parler des cas de corruption que permet l’octroi de licences d’importation), les syndicats et les partis de gauche, les partis marxistes étant les plus opposés et, dans certains pays, les partis nationalistes pour lesquels l’importation de certains biens est synonyme d’occidentalisation. A l’opposé, le gouvernement est soutenu par ceux qui bénéficient de la libéralisation : les industriels exportateurs, les agriculteurs, les artisans qui peuvent s’approvisionner plus facilement et moins cher et enfin les consommateurs.
L’histoire des politiques de libéralisation confirme ces résistances mais montre qu’elles ne sont pas dangereuses au point de remettre en question l’ouverture. »
- « La politique de libéralisation interne, pour l’agriculture ou le secteur financier, ne suscite pas non plus d’opposition politique très forte »
- « Ainsi, toute politique qui affaiblirait ces corporatismes (syndicats par exemple) serait souhaitable : d’un point de vue économique, cela éliminerait des entraves à la croissance et, politiquement, le gouvernement gagnerait une liberté d’action qui peut lui être précieuse en période d’ajustement »
- »Il est possible aussi d’atténuer l’impact d’une hausse de prix par des distributions de denrées alimentaires pour rémunérer la main-d’œuvre embauchée sur les chantiers des travaux publics. Enfin, il ne faut jamais augmenter les prix à des moments difficiles pour les ménages, comme les fins de mois ou les fêtes religieuses » (vaut mieux attendre Le Tour de France, c’est connu…)
- « Après cette description des mesures risquées, on peut, à l’inverse, recommander de nombreuses mesures qui ne créent aucune difficulté politique. Pour réduire le déficit budgétaire, une réduction très importante des investissements publics ou une diminution des dépenses de fonctionnement ne comportent pas de risque politique. Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple,les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement et l’école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l’établissement voisin, de telle sorte que l’on évite un mécontentement général de la population. »
-….
Et il y en a comme ça 42 pages. Tout simplement énorme.
Ah oui, veuillez désormais parler s’il vous plaît d’ajustement. Non pas de licenciement abusif, d’exploitation, de bas salaires, de mutations forcées, de baisse de qualité de service, de baisse ou blocage de salaire, d’inégalités, de inéquité dans la répartition des richesses … Mais d’ A-JUS-TE-MENT.
Rendons grâce à M Morrisson cependant qui écrit dans son cahier: « L’intérêt politique de ces mesures ne signifie pas qu’elles sont les plus « rationnelles ou les plus justes » « . Ah merci de le reconnaître, belle lucidité. Maintenant les politiques ( on ne parle pas des hommes, mais des pratiques) ne doivent plus être rationnelles ou justes. Allons bon. L’organisation de la cité ne doit pas se faire d’une manière rationnelle et juste? On croit halluciner.
Petite précision tout de même au bénéfice de L’OCDE qui prend soin de préciser en tête du cahier:
« LES IDÉES EXPRIMÉES ET LES ARGUMENTS AVANCÉS DANS CETTE PUBLICATION SONT CEUX DES AUTEURS ET NE REFLÈTENT PAS NÉCESSAIREMENT CEUX DE L’OCDE OU DES GOUVERNEMENTS DE SES PAYS MEMBRES. »
Ouf, l’honneur est sauf.
Sauf que figurez-vous, c’est ce qui est en train de se passer depuis 1996 avec une accélération depuis 2008, date du début de la crise programmée, prétexte à tous « les sacrifices » .
En plus du rapport, nous mettons en ligne le CV de son auteur, qui explique sans doute son côté »terminator ».
Voici les deux documents. Régalez-vous...
CV_Morrisson - Cahier N°13 OCDE