Écocide : un nouveau droit pour la Terre
- Par Thierry LEDRU
- Le 23/04/2018
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L’écocide désigne le crime de destruction de ce qui est nécessaire à l’humanité pour exister.
Conçu dans les années 1970, il a pris un contenu juridique, afin de criminaliser la destruction des écosystèmes. La juriste Valérie Cabanes, porte-parole du mouvement End Ecocide on Earth (« arrêtons l’écocide planétaire »), se bat pour faire aboutir cette revendication à l’échelle internationale.
L’écocide ? C’est la destruction de ce qui est nécessaire à l’humanité pour exister. Il y a plus de 50 ans qu’on en parle ! Face à l’horreur, qui durait depuis 1961, des épandages de l’herbicide agent orange (fabriqué par Monsanto et Dow Chemical), au Vietnam et dans les zones frontières du Laos et du Cambodge par l’armée américaine, dont le but était de détruire les forêts qui abritaient les rebelles, l’activiste biologiste états-unien Arthur Galston lance le mot écocide. Sa première apparition officielle a lieu à Washington, en 1970 [1], lors de la Conférence sur la guerre et la responsabilité nationale, une conférence où Galston lance le projet de rédiger une convention des Nations unies bannissant l’écocide comme un crime de guerre. Olof Palme, Premier ministre suédois, reprend le mot à la conférence de Stockholm sur l’environnement humain, en 1972.
On en reparle dans les années 1980 à propos d’améliorations à la Convention de 1948 sur le génocide, avec la possibilité d’inclure, dans la notion de génocide, une destruction massive de l’environnement qui rendrait les conditions de vie des populations impossibles. Puis, de nouveau dans les années 1990, lors de la rédaction du Statut de Rome, avec le projet d’inclure, dans l’article 26, les crimes les plus graves contre l’environnement non seulement en temps de guerre, mais aussi en temps de paix. Quatre États refusent, dont la France !
En 2010, Polly Higgins, juriste britannique, propose à la Commission du droit international des Nations unies d’ajouter aux crimes déjà reconnus contre la paix [2], celui d’écocide.
Un nouveau droit de l’humanité, fondé sur le pivot de l’écosystème Terre
Le but de Valérie Cabanes, et du mouvement End Ecocide on Earth (« arrêtons l’écocide planétaire »), dont elle est la porte-parole, est de criminaliser la destruction des écosystèmes. Il faut pouvoir poursuivre non seulement des entités morales au civil, mais aussi au pénal les personnes physiques responsables de catastrophes environnementales, y compris non intentionnelles. À cette fin, il faut amender le Statut de Rome pour que la Cour pénale internationale de La Haye puisse instruire le crime d’écocide en temps de guerre et en temps de paix.
- Des avions états-uniens épandant l’agent orange au Vietnam.
Valérie Cabanes, dans son livre Un nouveau droit pour la Terre (Seuil), appelle à une métamorphose du droit international autour de cette notion d’écocide. Dans la première partie de l’ouvrage, elle fait un inventaire lucide et sans appel des différentes technologies dévastatrices : extractives, nucléaires, chimiques… et de ceux qui en sont responsables. La seconde partie ouvre le chapitre du nouveau droit de l’humanité fondé sur le pivot de l’écosystème Terre. Il y a deux étapes, explique Valérie Cabanes, la première, qui est en cours, est de reconnaître, en droit, notre interdépendance avec le vivant sur terre, et le droit des générations futures à un environnement sain. La seconde, plus révolutionnaire, serait, comme le voulait l’inventeur du terme, Arthur Galston, « d’accorder des droits aux communs planétaires comme les océans ou l’atmosphère et des droits aux systèmes écologiques de la Terre. Ceci permettrait d’ester en justice au nom de la nature afin d’en préserver les cycles vitaux. »
« Protéger des communautés de l’avidité des multinationales qui convoitent leurs terres et leurs ressources »
Un peu partout dans le monde, des groupes de travail réfléchissent aux moyens d’utiliser la justice pour contraindre les États à agir contre le changement climatique. Des victoires juridiques ont déjà été remportées.
En juin dernier, un tribunal, saisi par 886 plaignants néerlandais et la Fondation Urgenda, a condamné l’État néerlandais, pour « violation des droits de l’homme » parce qu’il ne faisait pas le nécessaire pour éviter un réchauffement climatique supérieur à 2 °C avant la fin du siècle. Il l’a obligé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, conformément à ses obligations de « protéger ses citoyens ».
Des enfants états-uniens et l’association Children’s trust ont gagné dans des procès contre les États de Washington et du Massachusetts et un procès contre l’État fédéral est en cours. Même chose au Pakistan, où un juge a créé un précédent juridique en ordonnant au gouvernement d’appliquer effectivement sa politique de changement climatique. Récemment, la procureure générale de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, a annoncé l’élargissement de son champ d’action aux crimes liés à « l’exploitation illicite de ressources naturelles », à « l’appropriation illicite de terres ou à la destruction de l’environnement », par l’extraction minière, l’agrobusiness, la construction de barrages hydroélectriques...
- Valérie Cabanes.
« C’est un premier pas, indique Valérie Cabanes à Reporterre. La Procureure a reconnu les crimes contre l’environnement en temps de paix, mais seulement dans le cadre des crimes contre l’humanité. Cela va permettre de protéger des communautés de l’avidité des multinationales qui convoitent leurs terres et leurs ressources, mais il faut aller plus loin, et obtenir que les limites planétaires soient reconnues par le droit comme des bornes à ne pas dépasser. »
« Trouver un État courageux »
En décembre 2015, le collectif Notre Affaire à tous, dont fait partie Valérie Cabanes, a formulé auprès du gouvernement français une réclamation indemnitaire préalable, demandant un engagement ferme à réduire de 25 % à 40 % les émissions de gaz à effet de serre françaises, pour limiter le dérèglement climatique à 2 °C voire 1,5 °C suivant les engagements de l’accord de Paris sur le climat.
« L’écocide n’est pas un crime de plus s’ajoutant à toutes les autres atteintes aux droits humains,dit Valérie Cabanes, il est le crime premier, celui qui ruine les conditions mêmes d’habitabilité de la Terre. D’ores et déjà, les dérèglements climatiques attisent injustices et tensions géopolitiques tandis que les saccageurs de la planète restent impunis. Nous avons rédigé 17 amendements, prêts à être ajoutés aux statuts de la CPI, définis par le traité de Rome, qui régit la cour pénale internationale, pour faire ajouter le crime d’écocide à la liste des crimes internationaux déjà reconnus. Les dirigeants d’entreprises et les politiciens complices d’expropriation ou de destructions de terres, de forêts tropicales ou de pollution des océans et de sources d’eau potable doivent pouvoir être jugés et condamnés. Nous avons remis ces amendements pour information aussi bien à la CPI qu’à M. Ban Ki-moon [le secrétaire général des Nations unies]. Il nous faut maintenant trouver un État courageux, qui le fera parvenir officiellement à l’ONU, et aux [124] États signataires du Traité de Rome. Il faudra ensuite faire en sorte que deux tiers d’entre eux les approuvent. »
La juriste se réjouit de l’avancée de ses idées : « Le mot écocide est désormais officiellement admis au Scrabble ! Ma grande satisfaction, dit Valérie Cabanes, c’est d’avoir déjà contribué à faire passer ce mot, et l’idée qu’il véhicule, dans le langage commun. Aujourd’hui, le mot est utilisé spontanément par les ONG, les politiques, les journalistes. Lorsque j’ai commencé, en 2012, ce n’était pas évident ! Je suis dans une lignée. Pour moi, c’est le chemin qui est important. J’ai semé une graine et elle prend racine. C’est déjà une victoire ! »
Un nouveau droit pour la terre, pour en finir avec l’écocide, par Valérie Cabanes, éditions du Seuil, 364 p., 20 €.
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