Ecrire pour comprendre
- Par Thierry LEDRU
- Le 04/01/2018
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En me lançant dans la suite de "Les héros sont tous morts" et l'écriture de "Tous, sauf elle", je n'imaginais pas que l'histoire me ramènerait vers mon vécu... C'est étrange...Comme une exploration qui continue à travers mes personnages. Etrange qu'un tel scénario me conduise de nouveau sur ce chemin intérieur.
Il faut croire que le cheminement doit se poursuivre...
TOUS, SAUF ELLE
Lorsque Laure ouvrit la porte de la chambre, elle sentit immédiatement le flux. Comme un rayonnement qui tourbillonnait lentement, effleurant les deux hommes ou remontant au plafond.
« Bonjour Laure. Merci d’être venue aussi vite.
–Bonjour Fabien, bonjour Théo. »
Ne pas la prendre dans ses bras, ne pas pouvoir l’embrasser, plonger dans ses yeux. Une véritable douleur. Théo se contenta de lui serrer la main. Ils échangèrent un bref sourire.
Ils devaient se retrouver chez Laure dans quelques heures. Comme tous les soirs depuis quinze jours. Depuis cette nuit inoubliable.
« J’ai l’impression que vous avez quelque chose d’important à me dire, Fabien. Théo n’avait pas une voix habituelle et je vous entendais parler en lui. »
Fabien se tourna vers Théo.
« Théo, j’aimerais que tu me laisses quelques minutes avec Laure, s’il te plaît. J’ai besoin de…
–Arrête Fabien, coupa Théo, tu n’as aucune explication à me donner. Je vous laisse. Je sais que c’est important pour toi. »
Il sortit en jetant un regard rapide vers Laure. Il croisa son regard. Toujours cette sérénité indéfinissable, comme si rien ne pouvait en briser l’épaisseur, comme si elle vivait intérieurement dans une bulle de douceur, habitée, nourrie, enveloppée.
Il se dirigea vers une paire de fauteuils dans le couloir.
« J’entendais Fabien parler en toi. »
Cette fascinante capacité de Laure à percevoir ce qui n’existait pas pour les autres, ce qui était au-delà de la raison. Plus rien ne l’étonnait vraiment désormais. Il se réjouissait simplement de ce bonheur de vivre à ses côtés. Comme un cadeau tombé du ciel.
Il se cala dans le fauteuil, les pieds au sol, les jambes décroisées, les mains sur les cuisses. La posture habituelle de Laure. Il sentait dans cette tenue une forme de sagesse et s’en amusait. Il songea alors à cette nuit d’amour, ce voyage intérieur qu’il n’avait jamais connu jusqu’alors, ce territoire dans lequel il n’aurait su s’engager puisqu’il en ignorait l’existence. Jamais, il n’avait éprouvé cela avec les femmes de sa vie. Et il était toujours incapable de le mettre en mot. Laure l’avait emporté dans ce monde où elle vivait, cette dimension sans nom, sans image, sans perception connue. Où l’avait-elle entraîné ? Et ce qu’il avait ressenti, était-ce toujours là ? Si Laure avait entendu Fabien à travers lui, à travers ses propres mots, malgré la distance et l’absence de contact réel, cela signifiait-il qu’il avait absorbé quelque chose de Laure, qu’elle lui avait transmis la clé d’une porte ? Qu’il devenait avec elle ce qu’il n’avait su être ? Pourquoi depuis la survenue de Laure dans son existence sentait-il s’implanter en lui, à chaque jour, à chaque nuit, cette douceur de la vie ?
Il devinait parfois dans les yeux lointains de Laure des territoires qu’il ne pouvait voir, une réalité hors cadre, un autre monde, une lumière mouvante.
Il se redressa sur son fauteuil et se leva.
« Une lumière mouvante. » Le témoignage de l’homme qui avait prévenu les secours. Il l’avait totalement effacé. Comme un délire insignifiant.
Une lumière mouvante. Celle qui l’avait enveloppé quand il avait aimé Laure.
Il voulut la rejoindre et lui parler, là, maintenant, qu’elle s’explique, qu’il parvienne à la convaincre qu’il était prêt à tout entendre, venant d’elle.
Il s’obligea à attendre.
Laure approcha une chaise du lit et s’y installa.
« Je sens mes jambes, Laure, » murmura Fabien.
Elle le laissa parler, devinant une forme de crainte, comme celle d’un enfant ne voulant pas briser un instant magique.
« C’est apparu deux jours après que vous ayez posé vos mains. Au début, j’ai pensé qu’il s’agissait d’une forme d’ankylose et puis, une nuit, j’ai rêvé que je marchais. Je sentais chaque pas, j’entendais la terre résonner dans mes jambes, j’étais accompagné.
–La lumière ?
–Oui, toujours elle. Des effluves, des vagues qui m’enveloppaient. De la légèreté aussi, l’impression de ne pas être dans mon corps mais de le voir marcher. En même temps, j’avais pleinement conscience que je rêvais. Je savais que je dormais parce que je voulais ouvrir mes yeux mais je savais que si j’y arrivais, je risquais de ne plus pouvoir marcher. J’étais assez perdu en fait.
–J’imagine, Fabien.
–C’est vous qui m’avez guéri.
–Non, Fabien, c’est la lumière. Peut-être que j’ai servi de canal de transmission mais c’est tout. Je ne suis pas une guérisseuse. Je ne sais pas si ça existe d’ailleurs. Je pense davantage à des gens qui ont un don de transmission.
–Et c’est quoi cette lumière ? Vous le savez ?
–J’aimerais qu’on se tutoie, Fabien.
–Oui, bien sûr, Laure. Désolé, déformation professionnelle. Je vouvoie toujours les gens que je rencontre dans mon travail. Mais vous…pardon...tu m’impressionnes. Tu n’es pas comme tout le monde.
–Toi non plus, Fabien. D’ailleurs, personne n’est comme tout le monde, tout le monde est unique. Nous sommes tous différents dans notre incorporation et tous identiques dans notre potentiel spirituel. Mais je n’ai pas d’explication pour cette lumière. Peut-être parce qu’on a failli mourir. Il y a quelque chose qui s’est libéré en nous et on voit ce que tout le monde a la possibilité de voir mais qui reste caché.
–Pourquoi ?
–J’y ai beaucoup réfléchi et je pense que c’est éducatif. Une éducation très lointaine, de génération en génération. On fonctionne avec notre mental et notre raison. Mais notre mental est conditionné par cette raison qui elle-même est formatée par une histoire générationnelle. Je pense qu’en fait, il y a longtemps, que nous avons perdu notre liberté de voir.
–De voir cette lumière ?
–La lumière et bien d’autres choses.
–L’intuition ?
–Oui, par exemple.
–Comme celle qui me fait penser que Théo et toi, vous êtes ensemble ? »
Elle aima le sourire qui illumina ses yeux.
« Oui, par exemple. Mais, ça, c’est peut-être juste une intuition professionnelle, ironisa Laure en lui rendant son sourire.
–Je n’ai jamais été très doué pour ce genre de perception jusqu’alors. Je suis un informaticien de formation, il y a 0 ou 1, mais 2 pour moi, c’est inexistant. Alors, l’intuition, c’est une dimension que je laissais à ma femme.
–Que disent les médecins ?
–Je ne leur ai rien dit.
–Pourquoi ?
–Je voulais te voir d’abord. Je sais que c’est ton imposition des mains qui a déclenché ce que je ressens. C’est à toi que je devais en parler en premier. Je voudrais comprendre.
–Qu’est-ce que tu ressens ? Tu peux les bouger ?
–Oui, très peu mais elles bougent et je t’assure que de sentir qu’elles sont de nouveau reliées à mon cerveau, c’est une sensation que personne ne peut comprendre. Quand tout va bien, on n’y attache aucune importance. C’est juste normal. Mais non, justement, ça n’est pas normal, c’est miraculeux. »
Une intensité soudaine dans la voix, une application à articuler le mot, syllabe par syllabe.
« C’est miraculeux, Laure, tu comprends ? Tu envoies une pensée et ton corps répond. Une pensée, tu imagines, c’est quoi une pensée ? On croit que c’est juste des mots à l’intérieur mais non, ça c’est insignifiant. La pensée, c’est comme un flux électrique, une connexion, un contact. Et moi, ce contact, il avait disparu. »
Elle leva la main pour frotter son front et elle comprit alors l’évidence. À l’intérieur de nous, la lumière agissait comme un courant électrique. Elle reliait la pensée et le corps. Et cette lumière avait la capacité à s’extraire. À moins qu’elle soit à l’extérieur, originellement, et qu’elle vienne s’implanter dans un élément pour lui donner vie. Pourquoi perdions-nous cette conscience au fil de notre vie ? Est-ce qu’un bébé ressentait la lumière ?
Un flot de questions qui déboulèrent en avalanches.
« Tu me vois expliquer ça aux médecins ? reprit Fabien. Il fallait d’abord que je t’en parle. Parce que ça n’est pas que médical. Je ne savais plus quoi faire quand c’est arrivé. Je n’avais pas ton téléphone alors j’ai prévenu Théo. Je ne sais pas pourquoi mais de penser à toi m’amenait à penser à lui. »
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