KUNDALINI : Evolution de l'écriture

 

J'ai toujours rêvé d'une écriture qui ne s'adresserait pas qu'à l'intellect et je me souviens d'une lectrice de "Noirceur des cimes" qui me disait avoir attrapé froid en le lisant. J'en avais été très touché.

Ne serait-ce pas l'assurance d'une écriture totale ? 

Atteindre les corps et les âmes et que le mental qui permet de lire ne soit plus qu'un système informatique incapable d'interférer sur la qualité de réception du texte, sans interprétation erronée, sans jugement ni limite.

Que l'émotion et même la sensation nourrissent la réflexion.

Sans émotion, la réflexion s'épuise bien souvent. Sans réflexion, l'émotion n'est qu'un emportement insoumis et fugace. 

Je me souviens avoir véritablement souffert, physiquement, en lisant le récit du drame de la Face nord de l'Eiger. La mort de Toni Kurz...Suspendu à sa corde, épuisé, les mains gelées, à quelques mètres des sauveteurs qui ne parviendront jamais à l'atteindre.

J'avais eu mal au ventre...Un noeud brûlant.

J'avais seize ans.

J'ai cherché à comprendre alors les raisons de cette passion ultime de la haute montagne et je ne pouvais me libérer de ces interrogations étant donné la puissance des émotions éprouvées. Elles agissaient comme des braises inépuisables. Il fallait que je comprenne. 

J'ai passé trente-neuf ans de ma vie à chercher cette capacité à diffuser l'émotion comme terreau de l'intellect. 

"Vertiges, "Noirceur des cimes", Là-Haut", "À coeur ouvert", "Jusqu'au bout", "Les héros sont tous morts", "Les Égarés", "Jarwal le lutin"...

"Kundalini"

Et maintenant "Tous, sauf elle"... Avant d'écrire "Le désert des Barbares"...

Tous mes écrits oeuvrent à la même quête. 

Toucher les corps pour atteindre les âmes. 

Alors, je ne sais pas ce que ça donnera chez des lecteurs et lectrices mais, pour ma part, je pense avoir atteint ce que j'envisageais.

Et j'en suis très heureux. 

Étrange aussi la puissance de cette intention, la détermination constante de parvenir à exprimer l'indicible, à vivre l'inconnu pour pouvoir le transcrire.

Dans 'Kundalini", puisque les deux protagonistes vivent une expérience de danse nue sous le ciel étoilé, j'ai voulu apprendre à laisser mon corps suivre les musiques que j'aime. J'ai dansé nu dehors. Les yeux ouverts à l'intérieur et les paupières closes. J'ai parcouru les fibres sur le tempo du sang, sans jamais me sentir ridicule alors qu'inévitablement, ma chorégraphie devait relever davantage du balourd empoté que de la grâce d'une libellule. Je m'en suis moqué, j'ai ri et j'ai demandé au monde de m'aider. Je n'ai pensé qu'à l'air autour de moi, qu'à la musique dans mon corps, qu'à la nature silencieuse comme un spectateur respectueux. 

J'ai dansé sous la lune des arabesques intuitives et les mots des émotions, ensuite, dansaient en moi.

Je ne cherche pas à les contenir intellectuellement ou à leur imposer un ordre. Je ne veux pas d'un intellect réducteur. 

Je veux écrire avec mon corps et que ma tête le suive.

 


 

KUNDALINI

Extrait :

 

"Le contact de l’air agité sur sa peau, entre ses cuisses, sur ses seins, dans son cou, sur ses mains, sur ses fesses, ce bonheur si doux du câlin, elle tournoya et fit jouer ses cheveux, les bras ouverts comme pour l’accueil d’un être aimé, un sourire à cœur déployé, paupières éteintes, les yeux retournés sur les espaces intérieurs, le pétillement de ses cellules, comme des bulles de limonade, le souffle affairé, respirations intensifiées, la musique dans sa tête, sous sa peau, dans ses fibres, un flux électrique qui l’irradiait et gonflait son énergie et le désir de tourner, de se cambrer, de se déhancher, de jouer avec son corps, de sentir poindre des chaleurs sensuelles, comme si l’air frissonnait contre sa peau, comme un amant invisible qui caresserait les territoires les plus secrets, elle s’efforça de se concentrer visuellement sur différentes zones, tous les sens affinés et en laissant le reste du corps s’étendre librement, mouvements d’épaules, flottements du bassin, les oscillations des fesses, les bascules latérales, rotations sur les chevilles, fléchissements des genoux, glissements des pieds sur la terre, des impulsions jaillissant de leurs antres, c’était comme une autopsie vivante, une capsule d’observation lancée dans les vaisseaux sanguins, une caméra mouvante reliée à son cerveau puis, peu à peu, elle se sentit réellement enlacée, enveloppée, comme insérée dans une matrice, enserrée dans les chaleurs, intégralement choyée, chaque fibre, la moindre parcelle de peau, caressée, effleurée, épanouie, ouverte, absorbant les tendresses sur son corps comme un air de jouvence, elle dansa à ne plus savoir qu’elle dansait, à ne plus être là sans jamais disparaître, et c’était comme une évaporation joyeuse dans un nuage stellaire, une dispersion moléculaire, la légèreté des rêves, une aura lumineuse qui vibrait sous les cieux, comme un parfum ondoyant, des volutes encensées de bonheur.

L’impression soudaine d’être un membre érigé dans un cocon féminin, de pénétrer l’air comme une verge dans un vagin, de caresser l’atmosphère comme une montagne en mouvance. L’image la stupéfia et elle l’accueillit comme un nectar, elle l’engloba sous ses paupières, l’ancra dans la mémoire de ses cellules, partout où elle devinait des points de contact, la douceur des parois utérines, la chaleur humide, le délice des frottements, elle effleurait l’air comme un pénis aimant.

Elle entendit dans l’obscurité de ses yeux fermés une accélération cardiaque, des percussions accompagnant la montée des violons, un synthétiseur s’amplifiant comme une érection sublime, une vague de plaisirs qui entraîna son corps dans des arabesques libres, l’impression d’une corolle ouverte buvant des lumières et les larmes coulèrent, les larmes chaudes des amours qui bouleversent, juste l’amour de tout, de là, de maintenant, de l’instant, l’amour des étoiles, l’amour de la Terre."

 

 

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