Face à l'urgence climatique, les "J'accuse"...
- Par Thierry LEDRU
- Le 05/03/2019
- 0 commentaire
Citoyens contre industriels, bobos contre gilets jaunes, capitalisme vert contre collapsologues... La menace écologique existentielle qui pèse sur notre espèce impose de dépasser les oppositions stériles pour développer une conscience planétaire. C'est en tout cas ce que prône dans cette tribune Mathieu Brand, directeur des communautés chez Usbek & Rica.
Je ne vais accuser personne dans les lignes qui suivent. Opposer, c’est ce que nous faisons depuis des décennies face à la catastrophe climatique annoncée : industriels vs citoyens, bobos vs gilets jaunes vs bourgeois, vieux vs jeunes… Récemment, Greta Thunberg, collégienne suédoise de 15 ans et figure de proue du mouvement des jeunes défenseurs du climat a été accusée par certains écolos - et en premier lieu par les collapsologues - d’être la défenseure du « Green New Deal » réclamé aux États-Unis notamment par le mouvement Sunrise : autrement dit, un « capitalisme vert », porté notamment par Al Gore. Vous ne comprenez pas pourquoi ces deux camps s’opposent ? C’est pourtant aussi clair que les oppositions entre Jadot-Batho-Hamon-Glucksmann à gauche…
Face à l’urgence, tout le monde est coupable, personne n’est innocent. Sans compter que le bon vieux clivage gauche-droite devrait, dit-on, laisser bientôt sa place à une bataille entre transhumanistes et bioconservateurs. Les premiers veulent augmenter notre corps pour résister au changement climatique et à l’intelligence des machines, quand les seconds se refusent à modifier l’espèce humaine. À chaque époque ses controverses. On ne cesse d’accuser l’autre, avec pour seul résultat la perte d’un temps que nous n’avons plus.
Sectarisme ou sauvetage de la planète
Nous sommes des millions à sentir peser sur nous le poids des jours qui passent et nous rapprochent de l’impossibilité d’enrayer le réchauffement climatique. La question de la bascule vers un monde plus respectueux et plus juste devient alors une obsession.
Une fois la prise de conscience acquise, c’est notre rapport au monde qui change. Le traitement des médias traditionnels semble incroyablement à côté de la plaque : on se félicite que les gens se baignent en plein mois de février… Les métiers des potes qui travaillent pour des grands groupes industriels ou financiers nous sont insupportables, et on en vient à se demander si ces mêmes potes qui enchaînent les vols low-cost pour des week-ends en Europe ou qui ont la flemme de faire le tri chez eux doivent encore être nos potes. On se sent devenir aigri. Et c’est impossible de vivre correctement comme ça. D’ailleurs, qui sommes-nous pour juger une manière de vivre ou d’être ?
Une seule question devrait nous agiter : comment créer une conscience planétaire pour nous sauver ?
Le meilleur appui du moment pour quiconque souhaite démontrer qu’il est ancré-dans-la-réalité étant les gilets jaunes, prenons-les en exemple. Au sentiment d’injustice réelle qu’ils manifestent, il faut ajouter notre mépris devant certaines de leurs revendications. Tout ce qui concerne la voiture en tête. Nous trouvons le débat sur les 80 km/h ridicule, la taxe sur le gasoil nécessaire. Bien sûr qu’ils ne sont pas assez écolos, mais ceux qui les critiquent sont-ils plus exemplaires ? Sûrement pas. Même chose avec la génération de nos parents et grands-parents : nous pourrions les accuser d’avoir fermé les yeux pour pouvoir s’enrichir, d’avoir toute leur vie utilisé des herbicides bourrés de glyphosate au lieu de prendre la peine de se baisser pour ramasser les mauvaises herbes. Ce conflit intergénérationnel n'aura encore qu'une seule conséquence : la perte de temps. Même constat avec les industriels qui, ne pensant qu’au trimestre prochain, doivent détruire pour gagner toujours plus. Là, c’est plus compliqué…
Une seule question devrait nous agiter : comment créer une conscience planétaire pour nous sauver ? Cette question, personne n’a encore réussi à y répondre. Et pour cause, la division et l’individualisme nous en empêchent. Que les actions viennent des industriels, des citoyens via les mobilisations et pétitions, ou des élus via des lois, les avancées sont minimes. Pire, elles renforcent souvent les divisions. La seule fois où celles-ci disparaissent, c’est lorsqu’une prise de conscience toute bête mais pourtant essentielle se crée : nous sommes tous des Terriens. « Fin du monde, fin du mois, même combat » : la formule ne pourra devenir réalité que lorsque nous nous comporterons en Terriens. Alors, comment on fait ?
La blessure narcissique comme solution
Trois fois dans l’histoire, les humains ont été confrontés à ce qu’on appelle des blessures narcissiques : avec Copernic, nous découvrons que la Terre n'est pas au centre de l’Univers, avec Darwin que nous descendons du singe, puis avec Freud que l’inconscient nous empêche d’être totalement maître de nous-mêmes. Certains évoquent désormais l’avènement d’une quatrième blessure narcissique. Pour l’écrivain Pierre Ducrozet, c’est « la nouvelle, scandaleuse que l’humanité a participé à sa propre destruction et à celle de tout ce qui l’entoure ».
Dans le superbe roman Siècle Bleu de Jean-Pierre Goux, l’auteur rappelle l'impact des premières photos, prises par les missions Apollo, de la Terre apparaissant comme une sphère dans le vide spatial. Le 24 décembre 1968, William Anders, à bord de la mission Apollo 8, prend un cliché resté célèbre sous le nom Lever de Terre, dévoilant notre planète partiellement dans l'ombre, un paysage lunaire au premier plan. Avec cette image, l’humanité prend alors conscience d’être liée par une responsabilité collective pour préserver la Terre. Un an avant le premier pas sur la Lune, l’identité terrienne est née. L’histoire montrera que Neil Armstrong aura eu plus d’impact que la photo de la Terre, mais l’époque a changé : c’est la première fois que notre espèce est en danger et la seule manière de s’en sortir désormais est de se retrouver derrière une mission commune et un intérêt commun : sauver la planète pour se sauver.
Sans cette conscience planétaire, pas de transition et surtout toujours autant d’oppositions stériles
Cette quatrième blessure est donc beaucoup plus simple que les trois premières : on a merdé, et on est tous dans le même bateau. Sans cette conscience planétaire, pas de transition et surtout toujours autant d’oppositions stériles. Ce n’est pas une guerre, ce n’est pas un effondrement, c’est moins spectaculaire qu’un pugilat mais cette évidence, si elle est matraquée, sera à l’origine de la bascule tant attendue.
SUR LE MÊME SUJET :
> Le facteur humain peut-il insuffler l'espoir face au changement climatique ?
> 5 solutions simples pour faire reculer le « jour du dépassement »
> 5 solutions pour sortir de la crise climatique
> « Avec Siècle Bleu, j'ai voulu écrire une utopie réaliste »
> Fin du monde, fin de mois, même combat ?
Image à la une : « The Blue Marble », première photo de la Terre complètement éclairée, prise par l'équipage d'Apollo 17, le 7 décembre 1972.
Mathieu Brand
Mathieu Brand est depuis septembre 2016 directeur des communautés d'Usbek & Rica. Il est notamment à l'origine des tentatives de vannes sur Facebook et de la newsletter hebdomadaire.
Ajouter un commentaire