Faire le vide (spiritualité)
- Par Thierry LEDRU
- Le 02/02/2014
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Il n'est pas nécessaire de s'observer longtemps pour s'apercevoir que nos réactions sont "mécaniques" et nous renvoient à des fonctionnements anciens. J'appellerai ça la "personnalité". Elle ne nous appartient pas, elle se constitue à travers les conditions de vie. Si nous devions répondre consciemment à chaque stimulus de la vie, nous nous épuiserions sans doute. Le mécanicisme nous permet donc de répondre rapidement aux événements quotidiens. C'est un peu comme si nous utilisions notre disque dur. Les données sont là. Il n'y a rien à inventer. Il convient juste de savoir que ces données nous ont justement été données à travers notre éducation, notre histoire, nos bonheurs, nos traumas.
"Quand tu les comprends, les choses sont ce qu'elles sont. Quant tu ne les comprends pas, les choses sont ce qu'elles sont." Le problème principal vient du fait que cette personnalité n'accepte pas les choses et qu'elle tient absolument à les marquer de son empreinte. C'est l’ego. Dans nos relations humaines et dans les relations qu'on entretient avec soi-même, il y a un conflit latent qui émerge souvent et qui n'est que la preuve de notre incomplétude. Nous ne sommes pas unifiés avec la vie. Gurdjieff disait que la machine humaine est mue par l'énergie automatique des centres et qu'elle tient l'individu sous sa coupe.L'essence, qui est la partie réelle de nous-mêmes est devenue passive. Elle s'efface parce qu'elle ne peut pas fonctionner dans le conflit. Elle n'émerge que dans la plénitude. Comme nous n'avons pas été sollicité à vivre sereinement nos émotions, nous ne fonctionnons qu'à travers notre personnalité. L'éducation occidentale se limite à un enseignement intellectuel. La spiritualité en est absente. La vigilance envers nos émotions est bannie. Nous devons juste apprendre à refouler, à contenir, à maîtriser. Mais il ne s'agit pas d'une maîtrise réelle. On n'apprend pas la vigilance à un condamné. On l'enferme dans les conditionnements. La maîtrise réelle n'existe qu'à travers l'acceptation et l'analyse. En fait, nous ne sommes pas des individus mécaniques mais nous agissons de façon mécanique. Nous avons appris des adultes auxquels nous étions soumis que les changements venaient de l'extérieur: de nos parents, de nos maîtres, de nos dirigeants, de nos patrons, de la société en général...Cette identification à des schémas de pensées font peser sur l'essence une masse gigantesque. Si nous nous rebellons, ça n'est jamais qu'une réaction à des phénomènes qui finissent pas nous étouffer. Nous ne sommes toujours par libres dans notre essence mais manipulés par une personnalité qui s'identifie à la rébellion. Ça n'est jamais qu'une nouvelle forme de « mécanicité ». Nous imaginons que le travail sur soi porte ses fruits et que nous nous "éveillons" alors que nous restons "déterminés" par des phénomènes extérieurs. La personnalité a simplement pris une autre forme. Ces émotions qui génèrent cette colère et cette révolte prennent leur source dans le puits des traumatismes de l'enfance. Ce sont des émotions négatives et elles occupent une place considérable. Les conditions de vie, l'exubérance, la multiplicité des phénomènes qui nous assaillent font que nous recouvrons ces traumatismes et que nous ne les observons pas dans leur genèse, que leurs conséquences nous échappent, que bien souvent nous attribuons à des stimulus extérieurs, les résonances émotionnelles qui nous submergent. "C'est la faute de..." Une faute extérieure.
Il faut basculer dans un autre état de conscience pour réaliser que les traumas n'existent pas dans l'esprit de l'individu mais que la personnalité les entretient car elle y prend forme. "Je suis celui qui souffre...Je suis celui qu'on n'aime pas...Celui qu'on ignore...Je suis une victime des autres...Je suis incompris..." Je suis surtout incompris de moi-même. Le problème majeur vient du fait que le mental, serviteur fidèle de la personnalité, trouve son énergie dans le passé psychologique qu'il a créé. Il ne peut pas exister dans l'instant présent. Il est tourné vers le passé car c'est là qu'il dessine ce qu'il pense être. Il se nourrit des traumatismes. La conscience de la vie, (pas des conditions de vie mais de l'instant présent) est la négation de l’ego, du mental, de la personnalité. Elle renvoie ces entités à leurs places réelles. Juste des partitions d'un disque dur. Ca n'est pas l'individu, c'est un programme "informatique" destiné à faire fonctionner l'individu dans l'existence sociale. Pas dans l'existence spirituelle. L'objectif est de ramener l'attention vers l'essence et de cesser d'entretenir la personnalité. Elle ne disparaîtra pas mais elle réintégrera la place qui est la sienne. Un ouvrier, pas un maître d'intérieur. Ni encore moins l'architecte.
La difficulté vient de la mise en place de cette prise de conscience. A mon avis, ça ne peut pas passer uniquement par le mental et c'est là que l'écriture montre ses limites. Comment pourrait-on se libérer du mental en usant de ses outils? La parole, la réflexion, l'écriture, l'analyse ou la psychanalyse. Cette énergie que j'utilise pour ranimer mon essence et la plénitude dont elle a besoin, elle s'épuise à lutter contre des entités redoutables. Mais si je lutte contre un "mal" en usant des outils avec lesquels ce mal s'est installé est-ce qu'il est possible de construire un état de conscience qui ne soit pas infecté par les miasmes des cadavres?
En fait, je n'écris pas. Je ré-écris. Rien de neuf. Toujours la même chose. Parce que les outils que j'utilise sont les poisons qui m'ont contaminé. J'écris par "réaction", pas dans un état de "création". ( c'est étrange de voir qu'il s'agit des mêmes lettres...). Finalement lorsque je marche en montagne ou que je fais du vélo, et que j'entre dans un état d'absence au monde humain, dans un état de clairvoyance, que mes pensées tombent sous mes semelles au rythme de mon pas, je suis davantage en moi-même que lorsque j'écris. L'idéal serait que je reste branché sur un ordinateur et que les mots s'inscrivent. Cette fluidité émotionnelle nourrit des pensées neuves. Je comprends les adeptes du "zazen". Unifier le centre intellectuel et le centre émotionnel.
Personnellement je préfère marcher.
La douleur survient lorsque le retour rompt cette plénitude. J'ai beau me dire que "les choses sont ce qu'elles sont" et que c'est moi qui les rend douloureuses, je sens de plus en plus un besoin irrépressible de passer à autre chose. Accrocher mes sacoches sur mon vélo et partir en ligne droite, sans aucun objectif sinon celui de rouler et de me "vider". De tout. Puisque ce qui reste est essentiel.
Faire le vide pour exister enfin.
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